Un voyage du 10 au 18 juin 2017 préparé par Daniel Oster pour l’association « Les Cafés géographiques » et réalisé par l’agence de voyages Arts et Vie.

 Un groupe de 18 adhérents des Cafés Géographiques a séjourné durant 9 jours (10-18 juin 2017) en Pologne pour découvrir ou approfondir plusieurs facettes d’un grand pays européen, pourtant méconnu. Un guide national et différents guides locaux ont servi d’intermédiaires éclairés entre ce pays et les participants selon un itinéraire Sud-Nord. De nombreuses visites et des rencontres ont permis d’approcher quelques-uns des fondements et des caractéristiques du pays et de sa société.

L’axe de la Vistule

Le voyage a été organisé selon un axe méridien et quelques pôles. Le plus grand fleuve du pays (1047 km), la Vistule, qui occupe une position centrale dans le territoire polonais, a servi d’axe directeur le long duquel quelques-unes des plus grandes villes polonaises (Cracovie, Varsovie, Torun et Gdansk) ont formé les quatre grands pôles du voyage.

L’itinéraire suivi a permis de découvrir une succession de paysages depuis le plateau de la Petite-Pologne au Sud à la plaine côtière de la Baltique au Nord en passant par la grande plaine centrale. Les paysages, souvent monotones et constitués essentiellement de basses terres, sont une composante de la grande plaine européenne (le mot pole signifie « plaine » et « champ » en polonais). Des aperçus en train et en bus ont donné une idée de ces paysages mais le principal champ d’exploration géographique a été principalement urbain, et cela dès la sortie de l’aéroport de Cracovie avec une courte excursion à Nowa Huta, ville nouvelle construite en 1949 dans la banlieue est de Cracovie selon un modèle urbain communiste. Une visite instructive sur l’architecture du « socialisme réel » qui a primé dans la Pologne des années 1945-1989 et dont on voit partout l’importance urbanistique en dehors des centres historiques.

Paysage de la plaine polonaise entre Varsovie et Torun (Cliché Daniel Oster, juin 2017)

La Pologne ou le phénix de l’Europe

Evolution des frontières de la Pologne entre 1000, 1569, 1939 et 1945 (https://fr.wikipedia.org/)

Nous avons eu la chance de bénéficier dès le début du voyage d’une remarquable présentation historique de la Pologne faite par Pawel Sekowski, professeur de l’Université Jagellonne de Cracovie. Sa conférence, éclairée par des cartes et quelques statistiques judicieusement choisies, a permis d’installer quelques solides repères dans l’esprit des participants parfois décontenancés par la complexité de l’évolution territoriale du pays

– VIIe-XIe siècles : naissance d’une nation. Un territoire défini pour les slaves de Pologne dès le VIIe siècle. Une christianisation amorcée au Xe siècle et la formation d’un Etat polonais (royaume de Pologne en 1025).

– XIIe-XIIIe siècles : fragilité politique mais essor économique. Monarchie affaiblie par les prétentions de l’aristocratie et celles des Etats voisins. Pénétration germanique (chevaliers Teutoniques). Essor urbain et commercial.

– XIVe-XVe siècles : alliance avec la Lituanie. Union Pologne-Lituanie pour 4 siècles. C’est le plus grand Etat européen de l’époque. Un Etat bicéphale, une monarchie élective.

– XVIe siècle : l’« âge d’or » de la « république nobiliaire ». Prospérité de la noblesse et de la bourgeoisie. Emergence d’une culture nationale. Diffusion du calvinisme mais consolidation du catholicisme avec la Contre-Réforme.

– XVIIe-XVIIIe siècles : défaites militaires et déclin politique. Disparition de l’Etat polonais après les 3 partages (1772, 1793, 1795).

– 1795-1918 : pendant plus d’un siècle, la Pologne n’existe plus au profit de la Russie, l’Autriche (puis l’Autriche-Hongrie) et la Prusse (puis l’Allemagne), même si le sentiment national ne faiblit pas. Création napoléonienne du Grand-Duché de Varsovie (1807-1815). Insurrections nationales (1830-1831, 1863).

– 1918-1939 : la Pologne restaurée. Le 11 novembre 1918 Pilsudski proclame la République indépendante de Pologne. Les frontières occidentales sont fixées par le traité de Versailles, celles de l’Est sont établies après la guerre polono-soviétique de 1920. Coup d’état de Pilsudski en 1926 puis crise économique à partir de 1929.

– 1939-1945 : invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie et l’URSS. Le pays est partagé entre les deux vainqueurs. La Pologne traitée comme « une colonie » par les occupants allemands tandis qu’est mise en place l’extermination des Juifs. Organisation de la Résistance polonaise à l’extérieur et à l’intérieur. Insurrection de ghetto de Varsovie (19 avril-16 mai 1943), insurrection de Varsovie (1er août-2 octobre 1944).

– 1945-1989 : la Pologne communiste. La conférence de Yalta fixe les frontières de l’Etat polonais. Un gouvernement provisoire procommuniste prépare l’installation d’une « république populaire », définie par la Constitution de 1947 et dirigée par un parti unique, le POUP. Pendant plus de 3 décennies la Pologne appartient au camp communiste contrôlé par l’URSS. L’action du syndicat indépendant Solidarnosc, créé en 1980, joue un rôle clé dans la chute du communisme en 1989.

– Depuis 1990 : la Troisième République. Instauration d’un régime démocratique pluraliste et adoption de l’économie de marché. Entrée dans l’OTAN (1999) puis dans l’Union européenne (2004).

Les fastes de la monarchie polonaise

Le remarquable patrimoine urbanistique et monumental découvert lors de ce voyage donne un aperçu significatif de la puissance de la monarchie polonaise pendant plusieurs siècles.

Ainsi, Cracovie, qui fut la capitale du royaume de Pologne du XIe siècle au début du XVIIe siècle, a conservé intact son centre historique qui incarne le berceau de la nation et de la culture polonaises. Cracovie a connu son âge d’or sous la dynastie royale des Jagellon, surtout au XVIe siècle, lorsque la ville, située au carrefour de plusieurs routes commerciales, se révéla un centre artistique et scientifique parmi les plus réputés d’Europe. Sur la colline de Wawel dominant de 25 m les eaux de la Vistule le château royal et la cathédrale forment un ensemble architectural unique. Les appartements d’Etat du château royal regroupent des salles magnifiques dont la spectaculaire salle des Députés. Au cœur de la ville, la grande place du marché (le rynek) forme un vaste quadrilatère de 200 m de côté, constituant un rare exemple préservé d’aménagement urbain médiéval. A peu de distance du rynek le Collegium Maius représente le bâtiment le plus prestigieux de l’université Jagellonne fondée en 1364 par le roi Casimir le Grand.

Plan de Cracovie : le centre historique entourée par les jardins de Planty, la colline de Wawel, le quartier juif de Kazimierz, la Vistule, l’usine Schindler (source: Routard.com)

Quant à Varsovie, ville beaucoup plus récente et capitale polonaise depuis 1609 seulement, la reconstruction à l’identique de son centre historique au lendemain de sa destruction totale en 1944-1945 donne une image fidèle de son importance lors des derniers siècles de la monarchie polonaise : place du Marché de la Vieille Ville, château royal, Voie Royale, etc.

Les anciennes sources de richesse de la Pologne

L’itinéraire choisi montre l’importance ancienne de la Vistule qui a servi pendant des siècles d’artère commerciale pour le transport de marchandises, comme le bois, le sel et les céréales. Les XVIe et XVIIe siècles furent les siècles d’or de la navigation sur la Vistule, avec une des plus grosses flottes fluviales d’Europe. Au-delà de leur aspect documentaire, plusieurs visites ont permis de mieux comprendre cette importance commerciale : la mine de sel de Wieliczka près de Cracovie, les demeures marchandes de Torun, la grue médiévale de Gdansk, etc.

La belle ville de Torun, blottie derrière ses remparts, conserve de nombreux témoignages de son passé de port de la Hanse réputé pour ses greniers et surnommé à la fin du Moyen Age la « Reine de la Vistule ». La riche cité marchande en vint à contester l’autorité politique et économique des chevaliers Teutoniques et, en 1454, une révolte de la population réussit à s’emparer de la forteresse et à chasser les moines-soldats. Aujourd’hui, la vue des ruines du château à proximité de la porte des Bateliers et du fleuve rappelle le rôle conjoint de la Hanse et de l’ordre religieux dans l’ancienne richesse de la ville qui a vu naître Copernic.

L’ancien port de Gdansk le long de la Motlawa, au pied de la ville, avec ses belles maisons à pignon (Cliché Daniel Oster, juin 2017)

L’exemple le plus admirable de la prospérité commerciale de l’ancienne Pologne se lit sans aucun doute dans le patrimoine urbain de Gdansk méticuleusement reconstitué après le désastre de 1944-1945. Elle aussi, l’ancienne Dantzig a appartenu à la Ligue hanséatique (à partir de 1361) et à l’ordre des chevaliers Teutoniques (de 1308 à 1454). Jusqu’à la fin du XVIe siècle, une période de grande prospérité liée au trafic portuaire (surtout des céréales destinées à toute l’Europe) lui assura épanouissement et puissance. En témoignent aujourd’hui les riches demeures de la Voie Royale aux somptueuses façades dont les plus belles sont incontestablement celles de la cour d’Artus et de la Maison dorée, tout près de l’imposante fontaine de Neptune au décor rococo.

La puissance de l’Eglise catholique

Durant tout le voyage la densité et la beauté des églises ont rappelé partout la puissance ancienne et actuelle de l’Eglise catholique. Depuis 966 (conversion du prince Miesko 1er au christianisme) l’histoire polonaise est indissolublement liée à l’Eglise catholique qui a servi de ferment identitaire dans un pays marqué par d’incroyables vicissitudes. A Cracovie, la cathédrale de Wawel a été le cadre des sacres royaux (entre 1320 et 1734) et des funérailles royales. A Varsovie, la Voie Royale relie un nombre impressionnant d’églises (Sainte-Anne, Carmélites, Sainte-Croix, etc.). A Gdansk, la basilique Notre-Dame est la plus grande église d’Europe jamais construite en brique, elle peut contenir jusqu’à 20 000 personnes.

Une rue de Torun empruntée par la procession de la Fête-Dieu (Cliché Daniel Oster, juin 2017)

Au-delà de l’aspect monumental, l’Eglise imprègne toujours aussi fortement la société avec des offices religieux très suivis et des fêtes religieuses qui mobilisent un nombre considérable de fidèles. Le matin du jeudi 15 juin, nous avons assisté à l’impressionnante procession de la Fête-Dieu à Torun témoignant de la ferveur de tout un peuple. Partout où nous sommes passés les innombrables manifestations de la « papamania » en faveur de Jean-Paul II inspirent les constructeurs de monuments sans oublier les marchands du temple. Bien sûr les touristes doivent se fier aux apparences ou à leurs guides pour apprécier l’influence réelle de l’Eglise polonaise dont on dit aujourd’hui qu’elle est un géant aux pieds d’argile. Si elle a joué un rôle incontestable durant l’époque communiste en servant de bastion et de relais pour l’opposition, elle doit aujourd’hui affronter les défis du pluralisme politique, de l’instrumentalisation du populisme, de l’amorce de sécularisation d’une société ouverte. Mais la mesure de tous ces changements exige des outils bien plus fiables que les seules impressions du touriste, même de bonne volonté !

Une capture d’image représentant le pape Jean-Paul II lors de son deuxième voyage en Pologne en juin 1983 (il fera huit voyages dans son pays natal durant son pontificat). Il y réaffirme son soutien au syndicat Solidarnosc dont la plupart des dirigeants sont encore en prison à cette date (Cliché Daniel Oster pris au musée de Solidarnosc à Gdansk, juin 2017)

Les Juifs de Pologne

Un des temps forts de notre séjour polonais a sans aucun doute concerné la question juive. Au programme des visites, il y avait le camp d’Auschwitz-Birkenau, le quartier juif de Kazimierz à Cracovie, le musée d’Histoire des juifs polonais et les traces du ghetto à Varsovie. Autant de moments forts et souvent émouvants d’autant plus que les guides locaux parfaitement francophones ont révélé de remarquables qualités pédagogiques.

A Auschwitz-Birkenau, la fonction de mémorial et de musée pouvait amoindrir l’émotion selon certains participants, qui ont même regretté l’allure « propre » des bâtiments et le beau temps ensoleillé de la visite ne rendant pas compte de l’atrocité des conditions réelles. Faut-il pour autant renoncer à visiter Auschwitz ? Pour ma part, la réponse ne fait aucun doute. Oui, bien sûr ! Même si le musée et le lieu de mémoire doivent faire face à un engouement « touristique » sans cesse croissant depuis dix ans : 1 405 000 visiteurs en 2011, plus de 2 millions en 2016. Pour Jean-Yves Potel, correspondant du Mémorial de la Shoah en Pologne, « la question n’est pas de trancher s’il faut aller à Auschwitz ou pas, mais comment y aller et pourquoi on y va. Et la majorité des visiteurs le savent. »

A 3 km du camp principal d’Auschwitz, l’entrée du camp d’extermination de Birkenau (Auschwitz II) avec les rails de sa longue rampe de déchargement. Pas de musée ici, juste un site poignant dont l’étendue considérable donne une idée de l’ampleur de la planification méthodique de mise à mort des peuples juif et tsigane. (Cliché Daniel Oster, juin 2015)

 

Miroslaw Celka, survivant d’Auschwitz, a rendu hommage à ses camarades exécutés dans l’ancien camp d’extermination d’Auschwitz, à Oswiecim, en Pologne, au 70ème anniversaire de la libération du camp nazi, le 27 janvier 2015. (Crédit : Odd Andersen/AFP)

La visite du quartier juif de Kazimierz à Cracovie a permis d’aborder la question juive sous l’angle historique de l’installation des communautés juives dans les villes de Pologne depuis le Moyen Age. Rappelons que les Juifs furent nombreux à trouver refuge très tôt sur les terres polonaises où ils bénéficièrent de la protection royale et participèrent à la vie économique de la Pologne. A Cracovie, suite au pogrom de 1494, le roi Jan Olbracht déplaça les Juifs à Kazimierz. Au début du XVIe siècle, des Juifs persécutés d’autres pays y affluèrent en grand nombre. En 1791, il devint un quartier à part entière de Cracovie avant de se transformer au XIXe siècle en un quartier homogène de culture juive. Abandonné et négligé après 1945, il revit depuis un quart de siècle grâce au tournage du film La liste de Schindler de Steven Spielberg. C’est le second quartier juif d’Europe, en termes de grandeur et de valeur des monuments historiques (après le quartier Jozefov de Prague). Bel exemple entre autres de la synagogue Tempel, synagogue érigée dans la deuxième moitié du XIXe siècle pour l’Association des israélites progressistes. Pour autant on peut regretter le statut de Kazimierz devenu quartier à la mode et cible de choix pour des promoteurs souvent peu scrupuleux des identités culturelle ou architecturale.

A Varsovie, la visite du récent musée d’Histoire des Juifs polonais (nommé musée Polin du nom hébraïque de la Pologne) a été un des grands moments du voyage. Inauguré en 2014, ce musée exceptionnel retrace mille ans d’histoire des Juifs polonais dans un très beau bâtiment, géométrique et lumineux, situé dans l’ancien ghetto de Varsovie face au monument de style stalinien érigé en 1947 en l’honneur de l’insurrection du ghetto de 1943. Aboutissement réussi d’un projet controversé, il illustre notamment la question sensible des rapports entre les Polonais et les Juifs en même temps qu’il affiche sa volonté de renforcer les valeurs démocratiques d’une société polonaise multiethnique.

Dans l’ancien ghetto de Varsovie deux générations d’entreprise mémorielle : au premier plan, le monument de 1947 en hommage aux victimes de l’insurrection du ghetto en 1943 ; à l’arrière-plan, une partie du récent musée d’Histoire des Juifs polonais inauguré en 2014 (Cliché Daniel Oster, juin 2017)

La transformation des villes polonaises : l’exemple de Varsovie

Les participants déjà venus en Pologne sont unanimes pour constater d’amples et rapides transformations des villes polonaises, particulièrement dans la capitale. Parmi les aspects les plus apparents : le bourgeonnement des zones commerciales en périphérie urbaine, l’importance des grandes surfaces (Carrefour, Auchan, Décathlon, Ikea, etc.), le développement des zones piétonnes et l’existence de systèmes de vélos en location dans les centres-villes, l’émergence d’un véritable quartier d’affaires au centre de Varsovie à proximité de l’emblématique Palais de la culture… la liste est impressionnante des évolutions urbaines observées.

A Varsovie, à l’évidence, le processus de métropolisation est en marche même si la capitale polonaise n’est encore qu’une métropole européenne de second rang, alors même que le palimpseste varsovien accroît la difficulté de lecture des relations entre les espaces urbains.

Vue d’une partie de la ville de Varsovie prise depuis le sommet du Palais de la Culture et des Sciences. Au centre de la photo, l’on devine les toits en tuile de la Vieille Ville dominés par les clochers de plusieurs églises. A l’arrière-plan, sur la rive droite de la Vistule, d’importants groupes     d’immeubles de la période communiste émergent d’importantes zones boisées. (Cliché Daniel Oster, juin 2017)

En étant particulièrement attentifs, nous avons pu remarquer une atmosphère marchande très hétéroclite, liée au voisinage de chaînes internationales et de vendeurs de rue, avec une publicité omniprésente dans l’espace public (immenses affiches sur les façades des grands immeubles de la période communiste). Le métro de Varsovie s’étend depuis l’ouverture d’une première ligne en 1995 : une deuxième ligne ouest-est franchit la Vistule en 2015. La forte hausse des prix de l’immobilier en centre-ville favorise la « revitalisation » de nombreux quartiers anciens (aperçu d’un « lotissement fermé » dans une ancienne friche urbaine). Les Varsoviens restent attachés à leurs très nombreux parcs (88) malgré – ou à cause de – la pression immobilière.

Le centre économique de Varsovie autour du Palais de la Culture et des Sciences. Un véritable quartier d’affaires se forme avec des hautes tours de bureaux de plus en plus nombreuses depuis 20 ans. Un panorama assez confus rassemble de larges avenues staliniennes, des blocs d’habitation de la période communiste, des hôtels et des boutiques de luxe, de petites échoppes commerçantes… (Cliché Daniel Oster, juin 2017)

Après que le régime a marqué la ville de son empreinte, que peut-elle devenir désormais ? Varsovie vit depuis 1989 un double bouleversement : une transformation radicale de sa structure et de son fonctionnement, mais aussi une perte d’identité avec l’image d’une ville postsocialiste victime du capitalisme sauvage. Il faut attendre les années 2000 pour observer un véritable renouvellement des représentations de Varsovie lié à des projets de construction pour marquer la capitale de nouveaux symboles positifs (Bibliothèque universitaire en 1999, Stade national en 2012, nouveaux musées…) ainsi qu’à la réhabilitation du patrimoine architectural grâce au rôle conjoint des autorités et des initiatives citoyennes. Pour mettre en valeur cette effervescence, dans un contexte de concurrence internationale accrue entre les métropoles, des institutions de promotion de la ville s’adressent autant aux habitants qu’aux visiteurs.

La riche histoire du stade national de Varsovie  

Le premier match de l’Euro de football, vendredi 8 juin 2012, aura pour théâtre un lieu chargé d’histoire : le stade national de Varsovie, qui trône derrière une façade rouge et blanche – les couleurs de la Pologne – sur la rive droite de la Vistule. Visible depuis la vieille ville, sur la rive gauche, l’imposant édifice a déjà connu plusieurs vies.

La première commence en 1953, quand débute la construction, avec des débris de la ville détruite par la guerre, de ce qui va devenir le « stade du 10e anniversaire ». Un nom qui fait référence au manifeste du Comité polonais de libération nationale, daté de juillet 1944, dans lequel ce gouvernement provisoire sous contrôle de l’Armée rouge promet de libérer la Pologne de l’occupant nazi. À partir de 1955, le stade accueille des événements sportifs, matchs de football ou compétitions d’athlétisme.

Il est aussi, en septembre 1968, la scène d’un spectacle tragique : l’immolation par le feu d’un comptable de 59 ans, lors d’une fête des récoltes organisée par le régime. Ryszard Siwiec entendait par ce geste dénoncer la répression du printemps de Prague, qui avait commencé à la fin du mois d’août dans cet autre pays membre du pacte de Varsovie. Mais son acte, qui lui coûta la vie, fut mis sur le compte de la folie. En 1983, dans le même stade du 10e anniversaire, Jean-Paul II célèbre une messe devant 100 000 personnes.

Délabré et associé à l’ancien régime, le stade est cédé à une entreprise en 1989, qui louera des stands à des commerçants. Il entame alors sa deuxième existence, devenant le plus grand bazar à ciel ouvert d’Europe, un supermarché géant où s’échangent aussi bien l’alcool de contrebande que les vieux ceinturons des officiers de l’Armée rouge.

L’attribution de l’Euro 2012 à la Pologne – co-organisatrice avec l’Ukraine – donne le coup d’envoi de la troisième vie de l’ancien stade du 10e anniversaire. Après l’expulsion des commerçants, le chantier démarre en octobre 2008. Ayant fait l’objet d’un investissement de 500 millions d’euros, il dispose d’une capacité de 58 000 places et porte désormais le simple nom de « stade national ».

Marianne Meunier, La Croix, 6 juin, 2012

Une rapide modernisation économique

La visite rapide du quartier de Nowa Huta près de Cracovie en début de séjour nous a conduit jusqu’à l’entrée de l’aciérie (Huta signifie « fonderie » en polonais) Sendimierz (anciennement baptisée Lenine). Aujourd’hui l’aciérie appartient au groupe Arcelor Mittal. C’est un exemple parmi d’autres des importants investissements étrangers en Pologne. Parmi les principaux pays investisseurs du pays, la France se situe en bon rang derrière l’Allemagne.

Les célèbres grilles des anciens chantiers navals Lenine de Gdansk et, en arrière-plan, la construction futuriste du musée de Solidarnosc, tandis que des friches industrialo-portuaires occupent l’essentiel de l’espace proche (Cliché Daniel Oster, juin 2017)

Autre exemple de reconversion économique édifiant, celui des chantiers navals de Gdansk sur le littoral baltique, autrefois fleuron de l’industrie du bloc soviétique et berceau historique du syndicat Solidarité. La visite du musée de Solidarnosc et la petite croisière sur la Motlawa (des quais de Gdansk jusqu’à Westerplatte) ont permis de confronter le passé et le présent des chantiers navals polonais durement affectés par la transition postcommuniste et les règles économiques de l’Union européenne. Les chantiers navals de Gdansk ne sont plus qu’une vitrine touristique, vestige de l’époque communiste. Après avoir été mis deux fois en faillite, ils ont fini par être privatisés en 2007 au profit du conglomérat métallurgique ukrainien ISD. Grâce à d’importantes aides financières, Bruxelles leur a tout de même permis de rester à flots et de continuer à employer un millier d’ouvriers. Les chantiers se sont spécialisés dans les coques des navires et les composants d’éoliennes offshore. Le moteur de la croissance, lui, s’est déplacé aux confins de la ville : c’est le port commercial, soutenu par les aides européennes, qui assure à Gdańsk son développement spectaculaire.

Aperçu du port de Gdansk lors de la croisière sur la Motlawa en direction de Westerplatte (Cliché Daniel Oster, juin 2017)

D’autres observations faites au cours du voyage ont permis d’affiner le tableau de la modernisation économique : d’importantes friches industrielles ici et là, des panneaux routiers indiquant la localisation de parcs technologiques et de centres scientifiques, la présence de nombreuses banques polonaises et surtout internationales, les manifestations d’un tourisme en essor rapide, la qualité des nouvelles infrastructures de transport (aéroports, autoroutes, gares ferroviaires et routières…), le grand nombre de cours de langue (anglaise pour l’essentiel) installés dans les villes.

Nowa Huta, cité modèle du communisme polonais

 « Nous allons vous conduire dans la cité communiste idéale », lance Crazy Bartek à un groupe d’Occidentaux. Dans cette petite agence de tourisme de Cracovie du nom de Crazy Guides, tous les guides précèdent leur prénom de l’adjectif Crazy. « Après avoir visité la Cracovie des bourgeois, nous allons à Nowa Huta, le paradis des ouvriers », annonce le guide. La famille Cricketts, venue de Cardiff pour quatre jours de vacances à Cracovie, a opté pour le tour « Communisme de luxe », soit quatre heures pour 44 euros. Ils montent à bord de deux Trabant, cette petite voiture culte conçue en Allemagne de l’Est. « Regardez, c’est dans ces beaux immeubles que vivaient heureux les ouvriers à l’époque communiste, lisant après le travail dans l’aciérie Marx et Engels », explique-t-il sur le ton de la dérision. Le moteur à deux temps fait un bruit infernal. Assises sur la banquette arrière, Ruth et sa fille Sarah ont du mal à entendre les explications.

Ils ne vont pas loin. Nowa Huta (« nouvelle aciérie ») et ses 200 000 habitants sont à peine à une dizaine de kilomètres du centre historique de Cracovie, où se pressent Japonais, Italiens ou Américains. A Nowa Huta, pas un seul touriste, à l’exception d’un autre petit groupe de l’agence de Crazy. Tim jette un coup d’œil au moteur de la Trabant, sa femme et ses filles admirent l’architecture stalinienne. Les immeubles portent des colonnades majestueuses un peu style renaissance et des décorations classiques à bas-relief, tout au long de larges avenues ornées de lanternes monumentales, qui se déroulent à perte de vue. Conçues pour des défilés du 1er Mai, elles permettent aujourd’hui de circuler sans embouteillages. « Ce devait être fantastique pour les gens de vivre ici, d’avoir l’eau courante, l’électricité, une cuisine, une salle de bain. Après la guerre, la différence de niveau de vie entre les pays communistes et capitalistes ne devait pas être grande », s’exclame Ruth. La vérité est « plus compliquée », nuance Bartek. « Nowa Huta a été conçue par Staline pour punir Cracovie, ville universitaire. Les communistes voulaient une forte classe ouvrière pour soutenir le régime. Les aciéries Lénine employaient 80 000 personnes. Elles ont entraîné un désastre économique et écologique. L’idéologie s’est vite effondrée. »

Les immeubles sont noirs de pollution, même si l’aciérie a fortement réduit sa production. Les gens n’ont plus de travail. Pour les sociologues, Nowa Huta offre un terrain idéal d’étude sur les groupes de hooligans et de supporteurs de foot. Pour les architectes, elle est l’exemple d’un urbanisme rare et d’une architecture unique. « Comme Staline, beaucoup d’autres dictateurs ont imaginé des villes idéales. Mussolini a construit EUR, une cité pour l’exposition universelle, près de Rome », raconte Bartek. « En Grande-Bretagne, relève pour sa part Tim, on a Milton Keynes, une cité pour les ouvriers, mais elle porte le nom d’un économiste capitaliste : John Maynard Keynes. »

Pour faire vrai, on déjeune à midi dans un des fameux bars mleczny (bar laitier), une cantine populaire proposant des plats à base de farine et produits laitiers, la viande à l’époque communiste faisant défaut. Presque rien n’a changé. Les mêmes plats, le même décor. Des candélabres qui pendent d’un plafond haut de 6 mètres au-dessus de petites tables modestes recouvertes de toile cirée. Les mêmes assiettes en faïence bon marché, ébréchées par le temps, le même service offert d’un guichet ouvrant sur une cuisine, où les cuisinières vêtues de blanc se passent des commandes « Pierogi ruskie raz », sorte de ravioli farci de pommes de terre et de fromage frais. Seule innovation, les fourchettes en plastique ont remplacé les fourchettes en aluminium. Là, non plus, il n’y a pas de touristes, seulement des retraités, les pauvres d’aujourd’hui, qui mangent pour 2 euros. « Sans notre guide, on n’y serait jamais entré », dit la famille Cricketts.

 « Tout ce qui concerne la vie des gens à l’époque communiste intéresse nos touristes. Parlait-on polonais ou russe ? Comment fonctionnait le système des tickets de rationnement ? Les gens étaient-ils espionnés ? sont les questions les plus courantes. Et bien entendu, est-ce mieux maintenant ? »  racontent Crazy Bartek et son collègue Crazy Kuba, tous deux étudiants, à peine âgés de 5 ans quand le Mur de Berlin est tombé. « On a tout appris de nos parents ou en regardant des films de l’époque », reconnaît Bartek, étudiant en économie.

Dernier point du tour, une visite dans un appartement qui est comme un mini-musée de l’époque. Sur une table, médailles communistes, tickets de rationnement, cartes d’adhésion au Parti, mais aussi des tracts de Solidarité. Aux murs des images pieuses, un Jésus, une Vierge Marie et les photos de Jean Paul II. Archevêque de Cracovie, sa ville d’origine, il fit construire la première église de Nowa Huta.

Maja Zoltowska, Libération, 20 août 2007

 

Les limites d’un voyage

Le groupe des 18 participants au voyage en Pologne organisé par les Cafés Géographiques du 10 au 18 juin 2017 (Cliché Daniel Oster pris à Gdansk, juin 2017)

Ce voyage, très dense, a permis de tâter le pouls d’un pays en proie à d’intenses mutations. Nos connaissances, nos guides, nos pratiques urbaines et nos réflexes géographiques nous ont aidés à saisir certains aspects essentiels et même certaines nuances au gré de nos pérégrinations collectives ou personnelles. Mais notre qualité de touriste – tout à fait assumée – doit nous rendre humbles dans notre capacité à comprendre un pays et ses habitants, sans pour autant abandonner notre désir de nous enrichir au contact de l’ailleurs et des autres.

Pour aller plus loin :

Roger Brunet, Violette Rey, Géographie universelle, tome 10 :  Europes orientales, Russie, Asie centrale, Belin-Reclus, 1996

La Pologne au cœur de l’Europe, Questions internationales n°69, La documentation française, septembre-octobre 2014

Maya Szymanowska, Les Polonais audacieux, Ateliers Henry Dougier, 2015

Matthieu Gilabert, Fanny Vaucher, Varsovie métropole. Histoire d’une capitale (1862 à nos jours), Les Editions Noir sur Blanc, 2016

Fanny Vaucher, Pilules polonaises, 2 tomes, Les Editions Noir sur Blanc, 2013 et 2016

Audrey Kichelewski, Les Juifs de Pologne des premières communautés à aujourd’hui, publié dans le dossier pédagogique de l’édition du Journal de Rywka Lipszyc,  parue au Livre de Poche (n°34 086, 2016)

Wiktoria Bosc, La cuisine polonaise. 101 recettes au goût du jour, Les Editions Noir sur Blanc, 2011

De nombreux films polonais existent aussi en DVD. Deux exemples parmi beaucoup d’autres :

  • Andrzej Wajda, Katyn, film réalisé en 2009
  • Pawel Pawlikowski, Ida, film réalisé en 2013

Daniel Oster, juillet 2017