Samedi 15 novembre 2014
Les cafés géo prennent de la hauteur…
Rosetta et Philae étaient encore à la Une de la grande presse que déjà une vingtaine de membres de cafés géo pouvait contempler le petit robot grandeur nature dans un hangar du Bourget. Intuition géniale ou relations privilégiées au CNES ?
Sous la conduite d’un guide enthousiaste et fier du génie français, nos amis géographes familiers des espaces mesurables en km² (régions, pays, continents..) s’initièrent à la conquête de l’Espace lors d’une longue visite d’une journée au Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget. Aéroport de Paris jusqu’en 1952, Le Bourget devient aéroport d’affaires en 1973, le premier d’Europe.
Des avions et des fusées
Sur le tarmac, les fleurons de l’industrie aéronautique et aérospatiale française et européenne s’alignent : Ariane 1 et Ariane 5, qui est le lanceur standard actuel, avions militaires qui ont marqué les guerres auxquelles la France a participé : le Douglass DC 3 qui a transporté 24 parachutistes lors du débarquement en Normandie, le Transall « Ville de Kolwezi 1978 », le Jaguar utilisé lors de la première Guerre du Golfe, le Rafale, avion de combat polyvalent (chasse, bombardement, reconnaissance).
Deux avions se visitent : le Boeing 747 et le Concorde.
Le Boeing 747 a révolutionné le transport aérien commercial lorsque, dès sa mise en service en 1973, il a transporté 350 passagers avec une autonomie de carburant de 150 tonnes logé dans les ailes et dans un réservoir central. Petit escalier, salon de détente, sièges transformables en couchette…, le confort semble une priorité, du moins pour les voyageurs de première classe.
Le Concorde dont les lignes extérieures nous sont familières surprend le visiteur par ses proportions intérieures. C’est une longue gaine étroite dans laquelle les hôtesses n’avaient pas la place de pousser un chariot entre deux rangées de deux sièges. Par sa vitesse (2200 km/h), sa brièveté de vie (27 ans), l’heureuse collaboration franco-britannique (seule construction aéronautique à avoir bénéficié d’un traité d’Etat à Etat), le Concorde est entré dans la légende de l’aviation. L’arrêt conjoint du Concorde par les deux compagnies, française et anglaise, en 2003 suscita bien des nostalgies mais beaucoup des techniques du supersonique ont bénéficié à l’Airbus A320.
L’histoire de l’aviation française
C’est une histoire de presque deux siècles et demi que l’on peut suivre dans les grands hangars du musée. Une histoire de techniques, mais aussi une histoire d’hommes, passionnés, courageux, orgueilleux. De Pilâtre du Rosier à Jean-Loup Chrétien, ils ont été nombreux à réaliser le rêve d’Icare.
L’histoire de l’aviation française commence dans les dernières décennies du XVIIIème siècle avec des aérostats qui firent voler leurs premiers passagers suspendus à des ballons. Injustice de la renommée qui magnifia la Montgolfière à air chaud survolant, en novembre 1783, le S-O de l’actuel Paris à 1000 m d’altitude pendant une demi-heure et oublia la Charlière réalisant un exploit comparable quelques jours plus tard. Pourtant l’engin du physicien Charles, gonflé au dihydrogène et muni d’une soupape, était un véritable outil scientifique porteur d’avenir plus que la Montgolfière, fruit d’un travail empirique.
Si le vol des « plus lourds que l’air » avait déjà été imaginé par Léonard de Vinci, il faut attendre le milieu du XIXème siècle pour que soient conçus des aéroplanes à moteur. La machine volante de W. Henson, brevetée en 1842, ne put accomplir sa mission car trop lourde. Ce sont donc les planeurs qui ont la vedette des débuts de l’aviation avec les essais de plusieurs Anglais et du Français J.-M. Le Bris.
La salle des premiers avions séduit par la poésie dégagée par ces grandes élytres de bois et de toile de soie pilotés par des aventuriers et de riches dandys prêts à tout risquer, y compris la congélation. Les noms de ces héros nous sont familiers : Santos Dumont, Blériot qui, pour répondre à un défi lancé par le Daily Mail, traversa la Manche en 1909 dans un appareil à moteur tricylindre de 25 CV (Fréjus-Bizerte), Rolland Garros qui, en 1913, franchit la Méditerranée en presque 8h grâce à son monoplan Morane-Saulnier équipé d’un moteur de 60 CV.
La Grande Guerre accéléra les progrès de l’aviation. En 1918, 27 000 avions avaient été construits, volant jusqu’à 6000m et répondant à une triple fonction : observation, chasse et bombardement. L’aéronautique militaire recrute alors des pilotes dans tous les corps d’armée et dépend de l’Armée de terre. Elle n’est devenue une arme à part entière qu’en 1934.
Le Hall de l’Entre-deux guerres présente quelques appareils dont le Farman F60, avion militaire capable de transporter 12 passagers entre Paris et Londres. Largué peu après le décollage, le train d’atterrissage est le seul reste du PL 8 Oiseau blanc qui décolla du Bourget en 1927 pour atteindre New-York sans escale. Sa disparition dans des circonstances encore mystérieuses aujourd’hui le fit entrer dans la légende avec ses deux pilotes, Nungesser et Coli. Tout aussi mythique, le Caudron-Renault Simoun a dû se poser en catastrophe dans le désert de Libye, livrant au désert Saint-Exupéry et son mécanicien lors d’un raid Paris-Saigon en 1935.
Les hélicoptères sont rassemblés dans un hangar particulier. C’est l’occasion, pour notre guide, de valoriser la collaboration franco-allemande avec Airbus Helicopters, leader mondial d’appareils civils et militaires, et de rendre hommage à Valérie Andrée, première femme pilote d’hélicoptère brevetée, qui commença sa carrière comme médecin en Indochine et la termina comme médecin général.
La visite se termine par la conquête de l’espace. Jean-Loup Chrétien, premier spationaute français et européen, en 1982, y est particulièrement mis à l’honneur. On peut voir la capsule de rentrée du vaisseau Soyouz T6 après un vol de sept jours pendant lesquels le Français et ses deux compagnons russes réalisèrent plusieurs missions scientifiques.
La sécurité aérienne : la question du contrôle aérien
Si monoplans, Farman T60 et Concorde appartiennent au passé et si peu de personnes peuvent prétendre à un tour de terre en navette spatiale, tout le monde – en particulier des géographes voyageurs – se sent concerné par la sécurité aérienne. Avons-nous raison d’avoir confiance lorsque nous embarquons à Roissy ou à Orly pour une destination proche ou un voyage transatlantique ?
Quelques chiffres donnent une idée de l’ampleur du défi : en moyenne on compte 1200 mouvements aériens à Roissy par jour et 10 000 avions survolent quotidiennement la France, carrefour des grandes routes européennes.
C’est cette question qu’a traitée P. Renault, ex-contrôleur aérien, prolixe et enthousiaste, dans une longue intervention très documentée.
A son origine, l’histoire du contrôle aérien est celle de la confrontation entre deux aspirations humaines, le désir de liberté et le souci de sécurité. Désir de liberté des pilotes méfiants à l’égard des « terriens » et souci de sécurité d’une administration chargée de la réglementation. Ce sont les collisions qui, dans un premier temps, sont à l’origine d’une législation qui ne doit répondre qu’à un besoin.
Introduit modestement en 1919 par la simple obligation d’immatriculation des avions (décision d’une conférence internationale de 37 Etats), le contrôle aérien a franchi de nombreuses étapes en près d’un siècle.
Dans les années 20 et 30, le survol du pays était facilité par des phares à gaz jalonnant le parcours implantés près des voies ferrées et par le développement de la radiogoniométrie permettant la localisation précise des aéronefs. Le réseau de communications sol-sol par téléphone ou télétype était donc fondamental pour suivre la position de l’avion entre les stations. Les Européens mettent alors au point un code morse comme moyen de communication commun. La question des croisements était alors la plus délicate. Chaque aéroport indiquait bien l’heure de départ et la durée des vols mais les pilotes décidaient de leur altitude.
Dès 1944 et après la 2nde Guerre Mondiale, le trafic aérien continental et transatlantique prend une nouvelle ampleur. Les Etats alliés se réunissent pour préparer des normes qui permettent la standardisation du transport aéronautique international. C’est ainsi que naît en 1947 l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale) qui dépend de l’ONU.
Mais le contrôle aérien reste le symbole de la souveraineté nationale. Et l’esprit de bien des pilotes d’après-guerre est marqué par la devise « seul maître à bord ». Ce sont les collisions qui sont parfois à l’origine des progrès du contrôle aérien. En 1947, on invente des routes aériennes qui se complexifient progressivement (à partir de Paris, Lyon, Marseille puis Bordeaux) et se rattachent au réseau des pays voisins. Les contacts radio grâce à la VHF sont la principale avancée technique des années 50.
Les années 60 sont celles de l’introduction de l’informatique (le premier ordinateur IBM pesait 900 kg !). Et au radar primaire s’ajoute le radar secondaire qui permet d’identifier précisément les avions détectés. Athis-Mons devient en 1965 le Centre de Contrôle Régional (CCR) le plus important d’Europe avec une antenne ayant une portée de 250 km.
Les progrès du niveau de vie dans les années 70 expliquent la multiplication des vols malgré la crise pétrolière (charters, « avions pour tous »..). Réguler le trafic est une nécessité impérative pour éviter les phénomènes de saturation de plus en plus fréquents. La présence de civils dans les centres militaires et les calculateurs interconnectés permettent une meilleure couverture radar. Mais les radars ne voient pas la totalité de l’espace, on doit donc établir un espacement réglementaire de 10 minutes entre les avions.
Les deux dernières décennies du XXème siècle sont marquées par des développements techniques (4ème génération de calculateurs et nouvelle génération de radars qui permet de diminuer les normes d’espacement. Le territoire est alors couvert à 100%), mais aussi par des décisions politiques : l’Acte Unique de 1987 met en œuvre un marché unique européen dès le 1er janvier 1993. Il faut établir une harmonisation aussi complète que possible sur tout le territoire de l’UE. Un centre de gestion des plans de vol est installé à Bruxelles.
A la problématique du début du XXème siècle – comment concilier liberté et sécurité dans l’espace aérien – en succède aujourd’hui une autre, européenne : comment concilier mise en concurrence pour raisons économiques et affranchissement des frontières politiques pour une harmonisation totale du transport aérien.
Compte rendu rédigé par Michèle Vignaux