En ce jour d’automne, je décide de me lancer à la découverte de Capdenac. Ce village perché, d’un millier d’habitants environ, dénommé également Capdenac-le-Haut, domine de plus de cent mètres deux méandres du Lot (l’un à l’Est et l’autre à l’Ouest) ; il devrait donc offrir un beau panorama sur la vallée. De plus, ce site est chargé d’histoire. Ce fut d’abord un oppidum, puis une place forte redoutable occupée pendant la croisade albigeoise ou cathare, résistant aux Anglais pendant la guerre de Cent Ans, puis tenue par les protestants pendant les guerres de religion. Les guides touristiques signalent qu’il en reste des remparts et un donjon…
Mais ce qui m’intrigue est l’oppidum, peut-être parce qu’il n’en reste (presque) rien. De plus, selon l’association Archéologie-Patrimoine-Uxellodunum-Capdenac, la bataille d’Uxellodunum (51 avant JC) y aurait eu lieu… Celle-ci serait la dernière de la Guerre des Gaules, un an après celle d’Alésia. Jules César en parle dans ses Commentarii de Bello Gallico. Deux chefs gaulois, Lucterius et Drappès, suivis de quelques milliers d’hommes et poursuivis par le légat Caius Caninius Rebilus, se réfugient à Uxellodunum. Ils sont capturés mais les assiégés tiennent tête aux Romains. Jules César s’en mêle (ce qui explique que cela apparaisse dans ses Commentarii), obtient la reddition d’Uxellodunum en détournant la source qui l’alimentait en eau, puis fait couper les mains à tous les combattants adverses afin de décourager de nouvelles révoltes. Cela dit, on pense aujourd’hui que cette bataille aurait plutôt eu lieu plus au nord, au Puy d’Issolud qui domine la Dordogne.
Après une rude montée, j’arrive à Capdenac : je remarque le donjon (appelé Tour du Modon) et l’ancienne église à droite tandis que le village, à gauche, masque la vallée. Or un géographe cherche les points hauts qui permettent de jouir d’une large vue. Ma passion pour la géographie dépasse celle de l’histoire et, délaissant le donjon et l’église, je traverse les ruelles de Capdenac pour contempler le panorama. Et, parvenu au sommet du versant, je suis alors ébloui.
Je me situe au niveau du point rouge de la carte 2 (ci-dessus) et prends cette photographie vers le Sud-Est. Capdenac-le-Haut domine le Lot qui coule vers la droite. Traversé par deux ponts, ferroviaire à gauche et routier à droite, il forme un superbe méandre que l’on devine à l’amont, en haut à gauche de la photo (et que l’on voit sur la carte). On distingue clairement la rive concave du méandre, boisée et raide, et la rive convexe, plate, occupée par Capdenac-Gare. Le Lot marquait la limite entre deux provinces : la rive concave, au premier plan, est dans le Quercy, la rive convexe dans le Rouergue. Depuis la Révolution, le Quercy est devenu le département du Lot et le Rouergue, celui de l’Aveyron.
L’aspect le plus saisissant de ce panorama est sans conteste Capdenac-Gare. Cette ville, de 4500 habitants environ, s’étale sur le lobe du méandre du Lot, près de sa confluence avec la Diège. Or elle est récente (née en 1891). Sur la carte de Cassini éditée antérieurement, on remarque bien la place-forte de Capdenac (le Haut) mais en face, en bas, sur la rive gauche du Lot, Capdenac-Gare n’existe pas encore : il n’y a que des hameaux qui dépendent de Saint-Julien d’Empare, visible au Sud.
Que s’est-il passé au XIXe siècle ? En 1857, la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans (PO) qui, contrairement à ce que son nom pourrait laisser croire, construit des lignes bien au-delà d’Orléans (jusqu’à Bordeaux, Toulouse, Clermont-Ferrand…), décide de bâtir une gare sur la rive gauche du Lot, sur le territoire de la commune de St-Julien d’Empare, au lieu-dit Tinsou (visible sur la carte de Cassini). Située sur le tronçon Brive-Montauban-Toulouse, cette gare est édifiée en 1858-1859 et baptisée Capdenac. La compagnie commence par exploiter la ligne Capdenac-Montauban-Toulouse. En 1860, la ligne entre Capdenac et Rodez est ouverte et en 1862, la liaison vers le Nord est réalisée avec l’ouverture de la ligne venant de Brive : elle parvient à Capdenac en traversant le Lot par un pont métallique conçu par Gustave Eiffel.
La gare de Capdenac connaît alors un développement très rapide d’abord, et essentiellement parce qu’elle devient une gare de bifurcation, un important carrefour ferroviaire. Aux lignes déjà mentionnées en direction de Toulouse (au Sud-Ouest), de Rodez (vers le Sud-Est) et de Brive (vers le Nord-Ouest), s’ajoutent en 1866 celle vers Aurillac et Clermont-Ferrand (vers le Nord-Est) puis en 1888 celle vers Cahors (qui suit vers l’Ouest la vallée du Lot). Précisions que la gare terminus des trains vers Brive et Aurillac n’est pas Figeac, mais Capdenac pourtant bien moins peuplée. Ainsi naît l’étoile ferroviaire de Capdenac.
De plus, Capdenac est situé sur l’axe Paris-Brive-Toulouse entre 1862 et 1893. En effet, la section entre Brive-Montauban par Cahors, plus courte et utilisée aujourd’hui par les grands trains, n’est ouverte qu’en 1893. Donc, pendant une trentaine d’années, les trains Paris-Toulouse passent par Capdenac (Cahors n’est alors desservi en train que via Capdenac).
Enfin Capdenac est situé à environ 25 kilomètres de Decazeville, ville fondée en 1833 par le Duc Decazes pour y exploiter les mines de charbon. Les houillères se développent rapidement dans la région, d’autant plus que les couches sont épaisses, exploitables à ciel ouvert (découvertes) ou peu profondes. Au début du vingtième siècle, environ 7000 mineurs extraient plus d’un million de tonnes de charbon par an. De plus, le sous-sol de la région de Marcillac (à une trentaine de kilomètres de Decazeville) contient du minerai de fer. Ainsi, la proximité des gisements de charbon et de fer permet la naissance d’un bassin sidérurgique. Ces productions sont d’abord exportées sur des gabarres qui descendent le Lot. Pour raccourcir la navigation fluviale, on construit d’ailleurs un tunnel qui coupe le pédoncule du méandre au niveau du port de Capdenac (voir carte 2). Mais dès l’arrivée de la voie ferrée, la navigation est délaissée au profit du rail. Le trafic s’écoule par Capdenac qui devient donc une grande gare de triage pour wagons de marchandises.
Dotée d’une superbe marquise, la gare de Capdenac voit passer tous les jours plus d’une centaine de trains de marchandises comme de voyageurs (2800 voyageurs par jour, soit plus d’un million par an en 1889).
Les cheminots sont de plus en plus nombreux à venir habiter aux alentours de la gare de Capdenac ; ainsi la population de la commune, Saint-Julien d’Empare, augmente rapidement. Elle compte plus de 2000 habitants en 1866. En 1884, son conseil municipal demande que la mairie soit transférée dans le quartier de la gare. Puis en 1891, Saint-Julien d’Empare est rebaptisée Capdenac-Gare. Enfin, en 1922, Capdenac-Gare devient chef-lieu de canton. Dans cette ville, au plan presque orthogonal, on y érige ce qui est nécessaire à la vie des cheminots et de leurs familles : une halle (1897), un hôtel de ville (1900), un kiosque à musique (avec pour colonnes des rails de chemin de fer !)… et une église. Une première, baptisée Notre Dame de la Gare, s’avère trop petite ; elle est remplacée en 1904 par un édifice plus grand, Notre Dame des Voyageurs. On aménage une place centrale, place du 14 juillet. Outre l’église et le kiosque à musique, on a la surprise d’y découvrir un immeuble de rapport, la Maison Castagné ; elle possède une façade classique, où l’on remarque pilastres, balcons à balustres, médaillons et fronton sculpté.
Capdenac-Gare est une cité ferroviaire, et toutes les activités sont liées aux chemins de fer… de manière parfois surprenante. Ainsi, Théophile Raynal, patron du buffet de la gare, et Ernest Roquelaure, son chef-cuisinier, remarquent combien les voyageurs apprécient les plats du terroir qu’ils confectionnent. En 1876, ils ont l’idée de conditionner ces mets en boîtes de conserve et, à ses fins, fondent la Société Raynal et Roquelaure. Elle existe toujours : son site de production est situé dans la zone industrielle des Taillades (visible à gauche de la photographie 1 et sur la carte 2). Dans cette zone, existe aussi un établissement de construction de machines-outils notamment à destination des chemins de fer.
Et la gare de Capdenac ? Il ne subsiste aujourd’hui que le hall de celle construite en 1858-59 en raison d’un incendie qui détruisit le reste, sauf la marquise (1922). On en construit une nouvelle (1925) dans un style art déco qui associe différents matériaux (pierre, brique…).
Son importance a aujourd’hui énormément diminué. Le trafic de marchandises a chuté en raison de la fermeture des mines de charbon de Decazeville (entre 1966 et 2001) et de nombreuses usines métallurgiques, la dernière étant celle de la SAM (Société aveyronnaise de métallurgie) en décembre 2021 ; le trafic résiduel s’effectue par la route. Aussi la gare de triage reste désespérément vide. Quant au nombre de voyageurs, il est aujourd’hui dix fois plus faible qu’en 1889 : les chiffres varient certes selon les années mais ils tournent autour de 100 000 voyageurs par an, soit moins de 280 par jour. La concurrence de l’automobile explique naturellement cette chute, mais la SNCF s’est-elle intéressée aux lignes desservant Capdenac ? Aucune n’a été électrifiée et celle vers Cahors a été fermée dans les années 1980. Les trains, relativement peu fréquents, restent lents, malgré des travaux maintenant financés par la région Occitanie (60 à 70 km/h) : il faut ainsi compter 1 h 30 pour Brive, à moins de 100 kilomètres… Mais les habitants, comme les cheminots, sont attachés à leur maintien et le font savoir (manifestations…).
Malgré la diminution du nombre de cheminots, la ville de Capdenac-Gare reste active grâce à ses industries et à la proximité de Figeac. Elle fait d’ailleurs partie de la communauté de communes du Grand Figeac (bien que Figeac soit dans un autre département). Elle propose aux touristes de découvrir son patrimoine par des conférences, des circuits… organisés par un office du tourisme dynamique. Mais comment ne pas éprouver quelque mélancolie à la vue de cette gare, aujourd’hui surdimensionnée, et qui n’est que l’ombre de ce qu’elle fut ? Nostalgie du temps passé, des longs voyages en train…
Mais la gare de Capdenac a-t-elle dit son dernier mot ? En 2019, la première société coopérative ferroviaire de France, Railcoop est fondée à Figeac. Elle a pour but de faire circuler des trains de marchandises puis des trains de voyageurs entre villes de province (sans desservir Capdenac…). Le 15 novembre 2021, son premier train de fret roule entre Saint-Jory (gare de triage à une vingtaine de kilomètres au Nord de Toulouse), Capdenac et Viviez-Decazeville. Cette liaison est quotidienne : le trajet Viviez – Capdenac se fait le matin, celui de Capdenac à Saint-Jory l’après-midi, et le retour en fin de soirée. On transporte des céréales, des produits alimentaires et surtout des productions industrielles depuis Viviez et Bagnac-sur-Célé (à une quinzaine de kilomètres au Nord-Est de Figeac). Les potentialités sont réelles dans un Grand Figeac qui compte 27% d’emplois industriels. Faut-il y voir les prémices d’une renaissance de la gare de Capdenac ?
Denis Wolff, janvier 2022
Joli travail, bonnes explications, qui donnent envie de voir la ville, ses sites, sa gare au prochain printemps et poussent à se réjouir de l’essor d’une coopé de transport ferroviaire quand l’usage des voies ferrées, de leurs gares de leur signalétique est partiellement confié à de grosses boîte simplement commerciales, Merci ! PYP.