Mondialisation zombie
World War Z, c’est d’abord des affiches, des fenêtres ouvertes sur des villes en guerre, représentant des hyper centres en feu à Paris, New-York ou Rio. On songe aux mots de M. Lussault : « Et chacun regarde mi-horrifié, mi-sidéré ce torrent visuel qui peut-être nous livre un nouvel archétype contemporain : l’urbain en état de guerre, en situation de catastrophe, un horizon de nos regards ? » (1). Ces affiches sont des arrêts sur image sur des paysages d’anéantissements, un point de vue distant, un cadre « bourgeois » reprenant une imagerie touristique pour y superposer une autre imagerie, non moins récurrente : le chaos apocalyptique qu’annonce le halo de lumière jaune au dernier plan. Situées (à Paris) préférentiellement dans les couloirs de métro et de RER, c’est-à-dire dans des lieux clos et souterrains, ces affiches semblent chercher à produire une ambiance oppressante en jouant de leur situation.
En s’exposant dans des lieux fermés, la catastrophe est partout et fait du monde un labyrinthe sans échappatoire ; en s’affichant en souterrain, cette même catastrophe figurée à la surface, renvoie le spectateur à son absence de point de vue sur la ville. A l’opposé, les posters situés dans la rue privilégient des vues au sol s’inscrivant dans la perspective des rues.
L’affiche cherche ainsi à faire d’une expérience banale -celle de voir une image publicitaire- une sorte de teasing d’immersion en trois dimensions, en logeant dans les paysages urbains peurs et angoisses partagées. On l’a compris, cette campagne tient sur une promesse (incomplètement tenue d’ailleurs) de plongée réaliste et sans somation dans le « devenir catastrophique » mais aussi d’une couverture du monde par la mise à sac de l’archipel mondial mégapolitain.
Le discours publicitaire se fait évidemment opaque quant aux origines du chaos : tous les fantasmes sont donc permis… Egalement notable est l’absence, à l’image, d’un héros salvateur : cette fois, on semble bien mal parti. Sur l’affiche, le texte, émergeant de la fumée noire, donne cependant quelques indices : le monde est envahi par des zombies aux origines non identifiées et Gerry Lane (Brad Pitt), fraichement rangé des services secrets de l’ONU va se trouver embarqué à le sauver, alors qu’il emmène tranquillement sa fille à l’école dans les rues de Manhattan. Le film navigue ainsi à une certaine distance du roman éponyme de Max Brooks (2006)- qui se présentait sous la forme d’une suite de témoignages situés après la guerre contre les zombies- et puise assez abondamment dans un ouvrage précédant de l’auteur : The Zombie survival guide (2003). Cette matière romanesque est ici transformée en pur film d’action : M. Forster nous propose une version appliquée et illustrée d’une géographie du savoir survivre en territoire zombie. Ce territoire est mondial, et c’est notable. Produit d’un mystérieux virus, les zombies se diffusent hiérarchiquement, avec un goût prononcé pour les espaces denses. Ainsi, ils ne se cantonnent ni à la l’urbain états-unien comme nous y avait habitué notamment G. Romero (La nuit des morts vivants, Zombie…), ni à l’échelle nationale (la série Walkin’ dead par exemple), mais touchent le monde dans son ensemble et forment ainsi une sorte de para société-monde, morte mais « peuplante ».
Car World War Z plus qu’un film de zombie est un blockbuster uniquement interdit au moins de 12 ans. Or, à film visant un public mondial, intrigue globale : l’adage semble devenir récurent depuis, au moins, une décennie. Les Dents de la mer (S. Spielberg, 1975) considéré comme l’un des premiers blockbusters estivaux, projetait sur le requin frayant non loin des côtes de la société du loisir et du plaisir,les angoisses de dévirilisation d’un pays sortant du Vietnam, on s’en tenait à un paysage national à tendance universel (la plage, l’île…). Que porte ce World War Z appuyé sur la portée critique du roman et sur la volonté de l’acteur-producteur Brad Pitt de livrer à travers ce projet un discours alternatif, ? Quel paysage mondial renseigné par l’angoisse de finitude du monde établit-il ?
La possibilité d’une île : les métropoles, espaces à fuir, espaces à sauver
La promesse de destruction, de violence(s) dans l’espace monde urbain et public semble tenue dès le début du film par un habille montage des images à grande vitesse, avec une prise de vue en « caméra-reporter ». Le mal zombie entraîne notre héros et sa famille dans une fuite haletante : l’espace de la métropole embouteillée se voit radicalement modifié par l’arrivée de cet objet d’abord non identifié. Cette arrivée va littéralement gangrener la ville et se répandre comme une masse liquide, uniforme et grognante. De Manhattan au New Jersey, la densité devient fondamentalement dangereuse, la rue l’espace à risque par excellence. Involontairement, les goules sont donc des « urbicides » (2) des agents de régression spectaculaire de tout espace public. En jeu est d’emblée la quête d’un lieu sûr, une stabilité au sein de la cellule familiale peut s’instaurer à nouveau, une « île sécuritaire », rassurante. La chambre des parents, espace chaleureux, est posée clairement, dès le début du film comme l’ordre spatial élémentaire. Brisé, distendue par le scénario, le film va chercher à rétablir cet ordre par une foule d’avatars insulaires : l’hélicoptère, le porte-avion ou encore la ville cerclée de mur, (les seuls lieux, d’ailleurs, dans lesquels la caméra se stabilise)… et va dramatiser systématiquement la question du lien sans fil des téléphones portables.
L’éloge des frontières ? Murs, portes et labyrinthes, géographie fractale
La mondialisation zombie crée ainsi un violent mouvement d’évitement urbain et de repli, un confinement de l’humanité, le syndrome de Babylone (A. Musset) doublé de celui de Babel (C. Grataloup), en somme. Alors que la carte des progressions zombie jette sur la carte projetée dans la salle de commandement d’un porte avion, de nouveaux « trous noirs », Gerry Lane doit repartir au contact et trouver l’antidote. Dans sa recherche, le héros va être amené à gérer la distance avec les morts-vivants, et ce dans toute une série de situations aux quatre coins du monde (ou presque). A l’image d’un entonnoir, différents espaces vont se juxtaposer les uns aux autres durant le récit.
Plus Gerry Lane va avancer dans son enquête, plus cette sensation d’absence d’échappatoire va se faire ressentir. Fondamentalement ici, c’est le scénario qui donne sa forme à l’espace. Celle d’une géographie de l’angoisse, mécaniquement fractale, dans laquelle est systématiquement répétée à échelle décroissante -le monde, la ville, la rue, l’immeuble, la salle- la question de l’usage des murs, des parois et des portes en temps d’invasion. Nous passons ainsi, le temps d’un trajet par un avion de ligne biélorusse, d’un Jérusalem un temps abrité derrière d’immenses murailles, à la campagne galloise dans un laboratoire de recherche dans lequel se déroule l’affrontement final entre le héros et un zombie dans une pièce doublement fermée mais de verre et ouverte à la vue. La réussite de Gerry Lane est de faire exploser cet entonnoir et permettre aux différentes communautés de par le monde, réduites à l’enfermement, de se libérer en devenant invisibles aux yeux des zombies.
Petite géopolitique en temps de crise zombie
Il est toujours intéressant de dresser la carte que dessinent des films comme World War Z. Comment, en effet, la crise renverse-t-elle (ou non) les rapports de forces ? La puissance états-unienne est cette fois en recul, mais incomplet, puisque que même sous la bannière de l’ONU, les forces armées qui résistent aux morts-vivants jusqu’en Corée du sud sont tout de même états-uniennes et c’est bien un porte avion US qui fait office d’Arche de Noé ! Certes l’agent de la CIA est sous les verrous, mais, le bougre, donne une information clef à notre émissaire de l’ONU. La multipolarité a ses limites… Lieu de conflit, Jérusalem, devient un espace de paix, mais au prix de la construction d’un gigantesque mur… Ou comment derrière un discours à portée humaniste, célébrer le génie militaire de Tsahal tout en soulignant sa vanité et son inutilité face à un danger exceptionnel. Si le film veut porter un discours renouvelé sur la gouvernance mondiale, force est de constater que face aux dangers d’annihilation de l’humanité, la solidarité n’est que le produit de courages et de décisions individuelles, émanant principalement de militaires. Entre panique et tentatives d’organisations communautaires, la société civile est reléguée à l’arrière plan, pendant que les militaires sont mis en avant, sont la glue entre ces solidarités, sont les principaux détenteurs du courage et des moyens de sauver l’humanité. D’ailleurs, c’est par le biais de la figure du père, viril, fort, survivant aux erreurs de la femme (Le Monde, 3 juillet 2013), femme qui sera ensuite cantonnée à l’attente du coup de fil ou à un rôle de faire valoir en la personne d’une soldate israélienne accompagnant un temps notre héros. La géopolitique se retrouve aussi, à un autre niveau, dans l’écriture et la production de ce film. L’origine du patient zero n’est, ainsi, plus chinoise comme dans le roman. Dans notre contexte de globalisation accrue, le marché du cinéma s’ouvre à des nouveaux territoires, comme la Russie ou la Chine et il s’agit bien évidemment de « plaire à tout le monde » (3).
La figure du zombie, figure creuse…
La portée politique des films de zombies tient en grande partie à ce qui est projeté sur eux. Ici, cette figure ne sera jamais définie. Les zombies de Forster sont des figures en « creux ». Produit d’un virus, le film fait des zombies des figures plates, voire vides, en grande partie dépolitisées. Ils se fondent dans les espaces, les lieux qui vont aussi devenir uniformes à leur image, c’est-à-dire des champs de ruines semblables les uns aux autres. Ils transforment ces lieux en « non-lieux », en « zones tampons », sans vie, c’est-à-dire qu’il ne peut plus y avoir de « vécu » à l’intérieur de ces espaces. Alors qui sont ces zombies qui hantent nos rues et transmettent la mort, ces zombies qu’il faut exterminer dans une solution finale glorieuse que l’on sert au « jeune » public ? La question reste ouverte et ouvertement problématique.
Sans point de vue, images du monde ?
« Le mouvement, c’est la vie », la devise de Gerry Lane s’applique à ce film d’action : tout est prétexte à la course. L’idée est bonne : dans un monde globalisé, les zombies bouleversent le rapport à l’espace et questionnent les métriques. Mais cet espace est réduit dans le film à une fonction labyrinthique unidimensionnelle, un terrain de l’action, uniquement doublé d’un discours incomplètement altermondialiste. Là où on pouvait attendre une vision dystopique de la mondialisation, permettant de penser, en négatif, son fonctionnement, on a plutôt une accumulation de peurs et d’images recyclées (murs, charniers) prétextes à un spectacle de multiplexe contournant les juridictions établissant les seuils de violences tolérables. A contempler l’image du monde offerte par World War Z, on ne peut qu’aller dans le sens de Gerry Lane : « le plus dur reste à venir ».
Théo Latterner et Bertrand Pleven
1. M. Lussault, http://remue.net/revue/TXT0407_MLussault.html
2. http://geographie-ville-en-guerre.blogspot.fr/2008/10/la-notion-durbicide-dimensions.html
3. Selon la formule de Fréderic Martel, voir Mainstream, Enquête sur la guerre globale des cultures et des médias, Camps Actuel, 2007.
Je reviens sur la vision dystopique de la mondialisation sur laquelle, il me semble, le film de Forster et Pitt nous donne véritablement à réfléchir.
Brad Pitt le dit : « Le mouvement, c’est la vie ». Depuis 1968 et La nuit des morts-vivants, suivant le monde, les zombies de cinéma ont accéléré le mouvement. Ils courraient déjà et se jetaient avec férocité sur leurs victimes dans 28 jours plus tard (2003). Dix ans après, ils déferlent et submergent l’humain en un torrent de mort. Le monde se précipite, nous, les morts-vivants avec lui.
Une fois ce premier constat établi, deux idées permettent de servir la vision dystopique du film.
D’une part, la mise en relation des différentes parties du monde par le phénomène zombie fait véritablement de la mondialisation un vecteur de contagion.
D’autre part, la découverte dont se sert le héros n’est qu’un mal pour un mal : il s’agit de se rendre malades, même momentanément, afin d’échapper aux zombies. Cette solution est peut-être un écho lointain à la course aux échanges ou au progrès, elle nous semble surtout symptomatique de notre temps, une nouvelle solution pour la « post-humanité » . Comme si l’homme n’avait pour répondre aux problèmes qu’ils créent, et même si cela n’apparaît jamais immédiatement comme tel, que de nouveaux problèmes.
Ces zombies « qui hantent nos rues et transmettent la mort », ces « figures vides », ne seraient par conséquent rien d’ autres que le reflet d’une humanité en devenir à cause d’une mondialisation dévastatrice.
Enfin, je crois que le projet initial de WWZ prévoyait au moins une suite en cas de réussite commerciale, peut-on alors espérer que les producteurs complètent leur discours dystopique et entraîne les spectateurs vers quelque autre altermondialisme ?