La crise sanitaire du coronavirus, un fait éminemment géographique

La propagation du virus sur le globe © Andriy Onufriyenko / Coll. Moment – Getty

 

Dès le début de la pandémie de Covid-19, nous avons eu la conviction que la crise sanitaire actuelle représentait un fait éminemment géographique. Aussi en avons-nous rendu compte dans quelques articles publiés en mars dernier sur le site des Cafés géographiques : Réflexions géographiques sur la Chine et le coronavirus (7 mars 2020), L’efficacité de la gestion de crise du coronavirus dépend-elle du régime politique ? (18 mars 2020), La crise sanitaire du coronavirus est aussi une crise écologique (25 mars 2020). (suite…)

Les Cafés Géographiques soutiennent la création du prix du livre de géographie

Création du Prix du Livre de Géographie des lycéens et étudiants de CPGE.
En 2020 a été créé le Prix lycéen du Livre d’Histoire, magnifique initiative qui a largement inspiré la création du Prix du Livre de Géographie des lycéens et étudiants de CPGE (Classes Préparatoires aux Grandes Écoles). Pour le Prix du Livre de Géographie des lycéens et étudiants de CPGE, un comité de sélection composé à parité d’enseignants dans le Secondaire, en CPGE et à l’Université, choisit les ouvrages en compétition.

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Une belle histoire de route dans les Ardennes

Le beau texte d’Amar Ounissi qui suit a été lu par son auteur devant les participants d’un voyage dans les Ardennes qui a eu lieu du 4 au 6 septembre 2020. Ce voyage a été organisé et préparé par Maryse Verfaillie, Marc Béteille et Michel Degré pour les adhérents de l’Association des Cafés Géographiques.

 

Le site de Revin, l’emplacement de « Passerelle théâtre » dont Amar Ounissi est le directeur. Source: https://www.gralon.net/mairies-france/ardennes/association-passerelle-theatre-revin_W081002113.htm

 

Et si je n’avais pas traversé la route ?

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Nouzonville, Ardennes – Une petite page d’histoire familiale ou quand la petite histoire rejoint la grande

Nouzonville est une localité d’environ 5 800 habitants. Elle s’appelait Nouzon jusqu’en 1921. Le changement de nom avait pour but d’éviter une confusion avec un autre village des Ardennes, Mouzon. Il avait été envisagé de l’appeler Nouzon-les-Forges en raison de ses industries. Une enclume et un marteau figurent d’ailleurs sur le blason de la ville. Mais en 1914, elle comptait 7500 habitants.

Mon arrière-grand-père, Emile Delorme, y avait, en 1912, trouvé un emploi comme comptable dans une de ces forges. Auparavant, il était comptable dans une petite entreprise à Hirson, tout au nord du département de l’Aisne. Lors d’un conflit social, lui qui tenait les comptes de l’entreprise, avait fait valoir que le patron aurait pu répondre favorablement aux revendications du personnel, et il avait été licencié.

Sa fille aînée, ma grand-mère Emilie, née en 1890, était institutrice à Hirson. Elle avait été très bonne élève à l’École Normale de Laon, mais ses parents l’avaient dissuadée de se présenter à Fontenay : « Ce n’est pas pour nous ». En septembre 1912, elle s’était mariée à mon grand-père, Edmond Morbois, né en 1887, instituteur lui aussi.

Lorsqu’Edmond fut mobilisé en août 1914, elle était enceinte de quelques semaines. La région étant envahie par les allemands, elle fut séparée par la ligne de front de son mari qu’elle ne devait revoir que fin 1918.

Elle vint donc s’établir à Nouzon, auprès de ses parents. Emile Delorme, dont on a vu plus haut quel était son caractère, refusant de travailler pour les Allemands, avait quitté son emploi pour vivre, avec sa femme et trois enfants encore jeunes, du salaire de ses deux filles aînées, institutrices, et des légumes de son jardin qu’il cultivait avec le plus grand soin. Au moment des récoltes (en particulier celle des pommes de terre) il organisait un service de surveillance de nuit. Ma grand-mère et sa jeune sœur montaient la garde de 21 h à minuit et lui prenait la suite jusqu’au matin. Mais la présence des deux sœurs qui, peureusement, restaient blotties au pied de la maison n’empêchait pas toujours la disparition de quelques précieux pieds, ce qui leur valait des reproches véhéments du maître de maison.

Ma grand-mère était donc institutrice à Nouzon. Elle avait 80 élèves dans sa classe. Elle devait être bonne pédagogue car, à Pâques, les trois quarts d’entre eux savaient lire.

C’est ici que le frère aîné de mon père, mon oncle André, est né le 9 avril 1915. C’était un enfant chétif, malingre, souffrant de la malnutrition, tant étaient grandes les pénuries, et précaires les conditions d’existence. Il n’y avait pas de lait. Pour s’en faire attribuer une ration supplémentaire, on avait conduit la plus jeune sœur de ma grand-mère, la petite Marguerite, âgée de cinq ans, chez le médecin. Elle racontait qu’à sa grande honte, on l’avait juchée, toute nue, sur une balance. Elle n’était pas bien grosse, elle non plus, et avait ainsi mérité cette ration qui devait aider son neveu à vivre. Le petit André vécut, malgré les privations, malgré les maladies. Un docteur allemand, le médecin des enfants du Kronprinz, qui séjournait dans un château près de Charleville, lui avait, à l’occasion d’une d’entre elles, sauvé la vie. A trois ans, pourtant, il marchait à peine. Quant à ma grand-mère, à moins de 30 ans, elle avait perdu toutes ses dents, et portait un dentier complet.

En 1914, envahissant la Belgique sans déclaration de guerre et le nord de la France, les troupes allemandes avaient fait montre d’une extrême brutalité. L’armée impériale voulait terroriser la population des régions envahies pour annihiler toute velléité de résistance, même passive, d’où des réquisitions brutales, des fouilles, des incendies de maisons, des exécutions sommaires… Ainsi dans les Ardennes, le village de Gué-d’Hossus avait été brûlé. 800 maisons avaient été incendiées dans la vieille ville de Rethel. Mais selon ma grand-mère, les troupes d’occupation à Nouzon étaient des soldats plutôt âgés, bon enfant, surtout préoccupés d’envoyer en Allemagne ce qui pouvait manquer à leur famille.

Le sergent fourrier Edmond Morbois est revenu de la guerre, il a retrouvé sa femme et fait la connaissance de son petit garçon. De leurs retrouvailles est né mon papa, en 1921. Mes grands-parents maternels se sont quant à eux mariés lorsque mon grand-père est revenu de trois ans de captivité en Allemagne, et ma maman est née en 1920. Que mes quatre grands-parents aient survécu à la première guerre mondiale, et mes parents à la deuxième (en dépit de leurs activités de résistance) fait donc de moi, d’une certaine façon, un rescapé de ces deux conflits.

 

Jean-Pierre Morbois, septembre 2020

 

Note de Daniel Oster :

Ce texte a été rédigé à l’occasion d’un voyage dans les Ardennes (du 4 au 6 septembre 2020) organisé et préparé par Maryse Verfaillie, Marc Béteille et Michel Degré pour les adhérents de l’association des Cafés Géographiques. Le thème de ce voyage « Ardennes, terres de contacts » trouve toute son illustration dans le beau texte de Jean-Pierre Morbois : à Nouzonville, les contacts ont réuni ou opposé des populations, des armées, des territoires, des productions… dans cette Ardenne française, région frontalière meurtrie par plusieurs conflits européens et aujourd’hui bien reliée à l’espace européen, ce qui lui laisse quelque chance de surmonter la grave crise industrielle qui l’accable douloureusement.

Fuji, pays de neige

Jusqu’au 12 octobre 2020, le musée Guimet propose l’exposition « Fuji, pays de neige » qui poursuit une réflexion engagée par deux autres expositions du MNAAG (Musée des Arts asiatiques Guimet) :  Les paysages japonais de Hokusai à Hasui et Sur la route du Tokaido, présentées respectivement en 2017 et en 2019. L’affiche de l’exposition, présentée ci-contre, reproduit l’estampe Pèlerin devant le mont Fuji, une œuvre de Yashima Gakutei réalisée vers 1823. De l’estampe à la céramique, en passant par le textile et la photographie, le mont Fuji est l’acteur majeur, mais non unique, de cette exposition. Il laisse place, dans les dernières salles au thème de la neige ou plus exactement aux estampes de paysages enneigés.

 

LE MONT FUJI OU FUJI-SAN, UN SUJET MAJEUR DE L’ART JAPONAIS

De ses 3776 mètres, le mont Fuji est un cône parfait aux neiges éternelles qui domine Honshu, l’île principale de l’archipel nippon. C’est la dernière éruption volcanique de 1707-1708 qui a déterminé ses formes actuelles. Accompagné de sa particule honorifique (san) Fuji-san est un kami – une entité divinisée du shintoïsme – qui règne sur les esprits, le paysage et les arts au Japon. Il est au cœur de quelques-unes des séries d’estampes les plus célèbres de la période d’Edo (1603-1868). D’Edo à la période Showa, les références littéraires de ces estampes sont nombreuses. Le mont Fuji est aussi un des sites les plus photographiés du pays. Il a été inscrit en 2013 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco au titre de lieu sacré et source d’inspiration artistique. Il est connu comme une montagne sacrée depuis le VIIème siècle, que ce soit dans le shintoïsme, la religion ancestrale du Japon, ou le bouddhisme. Pour les shintoïstes, le Fuji renfermerait un élixir d’immortalité qui, en se consumant, laisserait apercevoir de temps en temps un panache de fumée. Pour les bouddhistes, la forme du Fuji évoque un lotus à huit pétales autour d’un bouton blanc. Le symbolisme religieux de la montagne associé à la symétrie et la perfection de ses formes désigne le mont Fuji comme sujet de prédilection pour les artistes japonais. Représenté comme une nature changeante, il illustre alors la notion bouddhique d’impermanence.

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Pierre Soulages de Conques à Rodez. Un apôtre du noir et de la lumière

Abbaye de Conques, oculus de Pierre Soulages. © Maryse Verfaillie

 

Ses œuvres, d’emblée non figuratives, tranchent avec l’ambiance artistique de son époque. L’abstraction était certes dans l’air du temps, mais sous une forme construite.

Soulages, avec ses premières peintures sur papier, avec ses coups de brosse organisés en une forme qui se lit d’un seul coup, ouvrait une voie autre, qu’il n’allait cesser d’approfondir tout en tentant de nouvelles expériences picturales.

Le geste créatif du tableau, dit-il est plus important que le tableau. Il ajoute : « c’est du noir que surgit la lumière, alors la lumière viendra du tableau ».

Ses œuvres sont aujourd’hui présentes dans 90 musées dans le monde.

 

Soulages en quelques dates

1919 : naissance à Rodez.

1931 : sa visite de l’abbatiale de Sainte Foy à Conques est un choc pour lui. Il commence à peindre.

1938-39 : découvre le Louvre et la galerie Rosenberg, admire Cézanne et Picasso.

1947 : s’installe à Paris. Réalisation de Brou de noix sur papier et sur verre.

1954 : première exposition aux États-Unis où il est reconnu par la critique avant de l’être en France.

1960 : installe son atelier à Sète.

1967 : première exposition personnelle au Musée national d’art moderne.

1986-1994 : réalisation des vitraux de Conques.

2005 : donation de 500 pièces à la ville de Rodez, en vue de la création d’un musée Soulages.

2009 : grande exposition au Centre Pompidou.

2014 : inauguration du musée Soulages à Rodez.

2019 : pour ses cent ans, de nombreuses institutions lui rendent hommage.

2000-2020 : réalisation de très grands formats dans l’outrenoir.

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Le dessin du géographe n° 82. Le dessinateur et le photographe : la photographie comme agression

La photographie peut être vue comme une agression et le dessin comme une connivence. Cette question n’est pas anecdotique : On peut lire au Guatemala des pancartes qui précisent que les photographies sont interdites. Ces réactions ont un fondement, celui pour les populations locales photographiées d’être vues de haut  comme des objets ethnographiques ou simplement pittoresques. Par ailleurs, il existe des cultures où la photographie est mieux admise. Enfin, la massification du tourisme, et la généralisation de la photo qu’on envoie sur le champ à ses amis, conduit à une saturation du point de vue des populations photographiées.  Retour des choses : il m’arrive à Paris sur le marché de l’avenue Richard-Lenoir, d’être photographié avec ma baguette sous le bras par un touriste chinois. Il faudra que je mette un béret. (M.S.)

 

Le dessinateur accepté

Une mésaventure dont Roland Courtot a été témoin à deux reprises au cours d’excursions de géographie rurale : le photographe fait fuir les sujets qu’il veut capturer sur sa pellicule, tandis que le dessinateur est accepté comme témoin et le droit à l’image lui est concédé sans mot dire.

 

Espagne, Andalousie, automne 1994, excursion annuelle de la Commission de Géographie rurale au pays des oliviers et des olives.

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Géorgiques contemporaines

Récemment je suis allée « à la ferme ». Une petite promenade d’une dizaine de minutes – je précise que j’habite Paris intra-muros – suivie d’une grimpette, non d’une colline, mais d’un escalier métallique et j’étais à pied d’œuvre.

Pour quelqu’un qui a longtemps vécu dans le monde d’avant, la « ferme » évoquait la campagne, les chemins boueux, les odeurs animales. Elle était peuplée d’agriculteurs qu’on appelait encore parfois « paysans ». Ses activités étaient étudiées par les géographes dans des Précis de géographie rurale qu’on ne pouvait confondre avec des Précis de géographie urbaine. Dans le monde d’aujourd’hui tous ces repères ont disparu. Paris, comme toutes les métropoles mondiales (la présence d’une journaliste de la BBC l’attestait), se doit de posséder ce qui était un oxymore devenu un must : une ferme urbaine.

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Le patrimoine religieux de Porto-Novo (Bénin)

Photo 1 : Façade avant des deux grandes mosquées de Porto-Novo. © Jean Rieucau, septembre 2018

 

Photo 2 : Façade arrière des deux grandes mosquées de Porto-Novo. © Jean Rieucau, juillet 2018

 

La société béninoise participe de la profonde religiosité des peuples africains. Une situation de tolérance religieuse caractérise le pays, dans lequel la vie quotidienne est profondément marquée par le culte vaudou. Au sein de cet apaisement confessionnel, la concurrence entre les religions monothéistes (christianisme et islam) s’exprime néanmoins par un foisonnement de lieux de culte urbains et par leur monumentalité. La grande mosquée de style afro-brésilien, bâtie selon l’architecture d’une cathédrale baroque, constitue un patrimoine unique au Bénin et occupe une place singulière dans le paysage religieux et cultuel de Porto-Novo. Cet édifice jouxte une grande mosquée moderne qui reçoit de très nombreux fidèles. La richesse du patrimoine religieux dans la ville-capitale du Bénin, qui repose également sur le patrimoine chrétien, Orisha-Vaudou, fonde-t-elle une fréquentation touristique africaine et internationale ?

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Le dessin du géographe n° 81 . Les dessins en excursion géographique

Les excursions de géo sont en partie passées de mode. Jacques Lévy les avait critiquées dès les années 70 en contestant leur caractère « scientifique ». Mais elles continuent toutefois à être pratiquées et Roland Courtot témoigne ici de celles de la Commission de rurale (Thessalie, Grèce 2001). Le dessin d’excursion est réalisé à la hâte, lors d’un arrêt du groupe, au moment d’une explication. Difficulté supplémentaire : rendre compte de ce qu’on voit mais aussi de ce qu’on entend. Le dessin est aussi la traduction d’un discours. Le pastel et l’aquarelle demandent un peu de temps , dont on ne dispose pas toujours si on suit les commentaires des présentateurs. Il reste le rapide dessin  au crayon, au roller, au stylo à bille, ou mieux au stylo tubulaire à encre de Chine qui permet, comme le bon vieux stylo à encre d’autrefois, de produire des traits  au kilomètre tant que le réservoir n’est pas vide. Et cela avec une encre indélébile qui supportera les lavis et aquarelles si on veut passer ensuite à la couleur.. La plume et l’encrier ne sont pas recommandables dans ce cas, même si notre collègue Pierre Deffontaines s’est rendu célèbre dans le croquis aérien en utilisant les cure-dents du service à bord des avions (en bois ou en plume d’oiseau) et son fidèle encrier d’encre de Chine (gare aux  taches !) lorsque l’occasion lui en était donnée (à une époque où les avions de ligne volaient à des altitudes plus basse qu’aujourd’hui): ses publications ont été souvent illustrées par des dessins au trait tout à fait caractéristiques de cette curieuse technique.

Le dessin d’excursion peut aussi changer d’échelle. Il vise à rendre compte d’un détail technique, mieux que la photo parce qu’il privilégie ce qu’il veut montrer. Ainsi le dessin du système de lavage des tapis et drapage des tissus, ou de serrage de leur trame. C’est ce que le dialecte local appelle dristela. On le verra ci-dessous (Thessalie, 2001)

Enfin le dessin d’excursion peut rendre compte sur un mode humoristique ou caricatural d’anecdotes du voyage. Certains de ces dessins sont destinés à ne pas sortir du carnet. Ils témoignent du rôle social des excursions pour la communauté géographique. (suite…)

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