Les nouvelles routes de l’entre-soi(e)

Sophie Boisseau du Rocher et Emmanuel Dubois de Prisque, « La Chine e(s)t le monde. Essai sur la sino-mondialisation », Éditions Odile Jacob, janvier 2019

 

Sophie Boisseau du Rocher, chercheur associé au Centre Asie de l’IFRI et d’Emmanuel Dubois de Prisque, chercheur associé à l’Institut Thomas More et corédacteur en chef de la revue Monde chinois-nouvelle Asie sont les auteurs du passionnant « La Chine e(s)t le monde. Essai sur la sino-mondialisation », publié en janvier 2019 aux éditions Odile Jacob.

Dans le chapitre 3, les auteurs se livrent à une réflexion sur les Routes de la soie, cette proposition chinoise d’une nouvelle organisation de l’espace mondial. Il s’agit de créer de nouvelles connectivités entre la Chine et le monde pour un budget annoncé de 1 000 milliards de dollars.

Ce projet répond d’abord à une urgence économique. A son arrivée au pouvoir en 2013, Xi Jinping cherche à maintenir un taux de croissance jugé nécessaire à la paix sociale et à la stabilité politique. La Chine qui dispose d’une capacité financière considérable doit résorber ses surcapacités industrielles. Elle va chercher à l’extérieur les points de croissance indispensables à sa stabilité et à la légitimité du Parti. Le projet Routes de la soie permet aussi de réduire les déséquilibres territoriaux persistants (désenclavement et contrôle du Grand Ouest chinois).

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Jean-François TROIN, « Carnets de géographie anecdotique, ce que les géographes ne disent pas », Editions Petra, 2018

Jean-François TROIN, Carnets de géographie anecdotique, ce que les géographes ne disent pas, Editions Petra, 2018

 

Jean-François Troin publie ses carnets de géographie anecdotique.

Il se défend de vouloir de façon déguisée nous offrir ses souvenirs. Son ambition est de mettre au grand jour « ce que les géographes ne disent pas » ou plutôt ce qu’ils n’écrivent pas ou encore ce que parfois ils écrivent mais gardent dans leurs tiroirs.

J.-F. Troin assume le fait d’avoir vidé ses tiroirs. On empile dans les tiroirs le contenu de ses poches. Exactement ce que se gardent de faire les géographes soucieux de bienséance scientifique. Ce faisant il prend un risque, celui de trouver des objets d’intérêt inégal, mais il offre au lecteur la possibilité de choisir, de feuilleter ce livre un peu comme un dictionnaire.

Le propos rejoint ce que nous avait dit Paul Pélissier à Nanterre. Il évoquait les années passées au Sénégal dans l’étude de la vie paysanne. Les expériences acquises sur le terrain de recherche, le temps passé dans les villages sérères aboutissaient à un travail raboté au format académique. Paul Pélissier demandait : « Qu’est-ce qu’on fait avec les copeaux ? » En un sens J.-F. Troin s’efforce de répondre à cette question.

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Henry JACOLIN, « L’ambassadeur et le siège, Sarajevo 1993-1995 », Paris, Fauves Éditions, 2018.

Henry JACOLIN, L’ambassadeur et le siège, Sarajevo 1993-1995, Paris, Fauves Éditions, 2018.

 

 

Assiéger une ville fait partie des actions militaires dans toutes les guerres que les hommes se livrent depuis des millénaires. De Troie à Leningrad, les sièges prennent en otages des populations civiles que l’on espère détruire par la faim et le découragement. Plus proche de nous dans le temps et dans l’espace – à quelques centaines de kilomètres des rues bien achalandées de Milan et de Vienne -, le siège de Sarajevo a isolé près de 400 000 habitants du reste du monde entre avril 1992 et décembre 1995.

C’est cette expérience que nous raconte Henry Jacolin, ambassadeur de France dans la ville martyre, expérience vécue à double titre, en tant que victime –le plus souvent sans ravitaillement, ni gaz, ni électricité et sous la menace des snipers – et en tant qu’acteur – ambassadeur de France négociant sans relâche avec toutes les parties en présence -. Des Fidji où il représentait auparavant la France à la Bosnie-Herzégovine, la transition est brutale. Non seulement l’hiver est rigoureux dans la montagne balkanique, surtout sans chauffage, mais les conditions matérielles sont telles que les autres diplomates ont préféré exercer leur fonction en-dehors du pays en guerre.

L’ouvrage nous apporte une analyse de la situation politique et militaire du conflit, montrant l’affrontement des communautés et des idéologies, telle que peut la faire un témoin soucieux d’informer le plus exactement possible son gouvernement. Il livre aussi ses impressions personnelles sur les personnes qu’il rencontre mais aussi sur les souffrances du quotidien.

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Le Louvre Abu Dhabi – Pouvoir des signes et signe du pouvoir

Le Louvre Abu Dhabi

 

Nombreuses sont les raisons qui nous incitent à visiter des musées : découvrir le passé, admirer de l’art, être témoin de la puissance du génie ou encore simplement s’ouvrir l’esprit.

Nombreuses sont les raisons qui poussent « les élites politico-économiques » à construire des musées !

Pouvoir des signes ou signes du pouvoir, dans ce Moyen Orient compliqué, un musée exceptionnel vient de sortir des sables du désert, dans une région géopolitiquement mouvementée et fascinante.

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L’atlas des Frontières

L’atlas des frontières
Murs, Conflits, Migrations.
Bruno Tertrais, Delphine Papin, Xemartin Laborde, Editions Les Arènes, 2016

Trois auteurs ont additionné leurs talents pour réaliser cet ouvrage.

Le texte est de Bruno Tertrais, Maître en recherches stratégiques, auteur de plusieurs ouvrages et couronné par le prix Vauban, pour l’ensemble de son œuvre en 2010.

C’est Delphine Papin, qui a conçu les très nombreuses cartes de cet atlas. Elle dirige le service infographie au journal Le Monde. Elle est aussi membre du comité de rédaction de la revue Hérodote. C’est enfin une fidèle de l’association Les Cafés géographiques, pour laquelle elle a réalisé un voyage à Londres il y a quelques années, et plus récemment une demi-journée dans les locaux du Monde pour nous parler de son métier de cartographe.

La réalisation des cartes revient à Xemartin Laborde, cartographe géomaticien qui collabore entre autres au journal Le Monde, aux revues Autrement et Hérodote.

L’ouvrage, est d’un format peu courant, puisque c’est un rectangle au format A4, qui a l’avantage de pouvoir présenter des cartes de très grandes taille, présentées en double page.

Il s’ouvre sur une première page de citations, qui constitue un cocktail jubilatoire !

En riposte au slogan de Mai 1968 (les frontières, on s’en fout) Donald Trump affirme « les gens veulent des frontières ». Sont également cités, Lord Curzon, Vladimir Poutine, Victor Hugo, Samuel Huntington ou Daech (« si Dieu le veut… nous effacerons toutes les frontières »).

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Amour et colère de Roland Castro pour le Grand Paris

Dans une récente intervention à la Fondation Jean Jaurès, Roland Castro a usé de toute sa fougue pour dévoiler quelques points forts du rapport qu’il a remis au président de la République, il y a quelques mois, sur le projet du Grand Paris. Tout l’humanisme de ce texte est contenu dans son joli titre à la Prévert : « Du Grand Paris à Paris en grand ».[1]

Pour l’architecte passionné qui se définit comme « un artiste égaré en politique urbaine », la dernière pensée urbaine est celle des Jauressiens, telle qu’elle s’est exprimée lors du Front Populaire, dans les cités-jardins par exemple. A la situation dégradée actuelle de la métropole parisienne, il donne deux raisons principales.

La première repose sur un réquisitoire sévère contre Le Corbusier, architecte génial mais « penseur assassin », dont la Charte d’Athènes qui instaure un zonage de la ville entre quatre fonctions (habiter/travailler/recréer/circuler), est baptisée « totalitaire ».

La seconde tient à la suppression du département de la Seine en 1964, qui casse le système permettant une sorte d’unité entre communes pauvres et communes riches. Cette fois c’est la pensée technocratique de Paul Delouvrier, promoteur des villes nouvelles oublieuses de la géographie, qui est accusée.

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Représenter Paris

Cher(e)s ami(e)s des Cafés géo, après le panorama de Rouen (décembre 2015), je vous présente aujourd’hui celui de Paris !

Utagawa Yoshitora, Paris, 1862 (cliché Denis Wolff)

Certains d’entre vous pensent que je fais une erreur, que je me suis trompé en manipulant mon ordinateur… Eh bien, non ! J’ai vu et photographié cette estampe pendant l’été 2018 à Paris, au Musée Guimet (consacré aux arts asiatiques), lors de la superbe exposition intitulée Le monde vu d’Asie-Au fil des cartes.

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Un viaduc inutile (aérotrain) ? Libres propos après la parution du livre de Philippe Vasset, « Une vie en l’air »

Le voyageur qui quitte Paris en train par la gare d’Austerlitz ou qui emprunte la Nationale 20 traverse la banlieue jusqu’à Etampes puis s’élève doucement sur le plateau de Beauce. Quelques dizaines de minutes plus tard, il ne peut manquer de remarquer un viaduc qui trouble la monotonie du paysage beauceron ; situé sur sa gauche, peu avant Orléans, il longe ces axes de communications. Précisons tout de suite que l’automobiliste pressé ne verra pas grand chose depuis l’autoroute A10 légèrement en remblai, sans parler des voyageurs prenant le TGV depuis Montparnasse qui, eux, passeront très loin de cet ouvrage. Quelle peut être l’utilité de ce viaduc, d’environ sept mètres de haut et de dix-huit kilomètres de long, qui démarre en pleine Beauce, flirte avec la forêt, pour finir en banlieue orléanaise ?

Viaduc de l’aérotrain dans la Beauce (Source : Wikipedia pour les deux clichés)

Gare de Cercottes. Vue prise en direction d’Orléans. Viaduc visible à gauche des voies

 

Il s’agit d’un viaduc pour l’aérotrain. L’aérotrain est une invention de l’ingénieur Jean Bertin (1917-1975) qui conçoit dans les années 1960 un wagon se déplaçant par sustentation sur un coussin d’air, guidé par une voie en forme de T inversé. Les frottements étant limités, l’aérotrain peut se mouvoir très rapidement (il bat ainsi le record du monde de vitesse sur rail à 430 km/h en 1974). Une voie d’essai de 6,7 kilomètres est construite en 1965 dans l’Essonne, entre Gometz-la-Ville et Limours, sur la plate-forme de l’ancienne ligne de Chartres (c’est aujourd’hui une coulée verte).

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Les géographes sont désormais plus enclins à participer aux débats citoyens

Il existe des gilets de différentes couleurs ! Les « gilets verts » veulent conjuguer justice sociale et urgence écologique (https://www.herault-tribune.com/). Un exemple de débat citoyen où les géographes ont leur mot à dire.

Bien sûr, il y a eu des géographes qui, par le passé, n’ont pas hésité à sortir de leurs universités pour prendre parti sur les grands problèmes politiques ou sociaux de leur temps. Mais constatons que l’époque actuelle est bien plus propice à la participation des géographes aux grands débats citoyens qui portent sur les questions politiques, les mouvements sociaux, la mondialisation, le développement durable, les fractures territoriales…

Nous y voyons plusieurs raisons. Tout d’abord, la discipline a effectué sa mue en adoptant les habits complexes d’une science sociale vivante, en perpétuelle évolution, sans pour autant abandonner son regard particulier sur le monde qui nous entoure. Il est vrai qu’elle a été aiguillonnée par le dynamisme d’autres sciences sociales telles que la sociologie, l’histoire, l’économie, et bien d’autres encore, pour rendre compte des faits sociaux à partir de leur dimension spatiale, ce qui constitue son ADN ou plutôt sa « marque de fabrique ».

Une autre raison tient à la multiplication des lieux d’expression et de confrontation des idées où les géographes, à l’instar d’autres intellectuels, peuvent utiliser leurs compétences pour éclairer à leur manière tel sujet d’actualité ou telle grande question « sociétale ». Les émissions d’information/débat à la radio et à la télévision, les chaînes d’information en continu, la multiplication des tribunes dans la presse écrite, l’essor formidable des blogs et des diverses ressources électroniques, tout cela donne une idée de l’énorme potentiel de réflexion mis à la disposition des citoyens, pour le meilleur et… le pire !

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Pérou : Le droit des femmes autochtones face au modèle extractiviste

Un débat à l’IRIS coorganisé par Terre des Hommes France et le Secours Catholique.

40 % des 32 millions de Péruviens sont d’origine autochtone. 40% de la superficie du pays est répartie en concessions minières, pétrolières, gazières et forestières implantées sur les territoires des communautés autochtones et paysannes. Dans un contexte de flexibilisation des normes environnementales, de criminalisation de la prestation sociale et d’atteinte aux droits des populations autochtones, quelle est la situation du droit des femmes ? Telle est la problématique proposée en débat, ce jeudi 29 novembre 2018.

Ce débat fut l’occasion d’étendre la réflexion à l’ensemble de l’Amérique Latine. Il fut animé par Raphaël Colliaux et Paul Codjia, doctorants en sociologie et anthropologie et eut lieu en présence de Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS, de Rocio Silva Santisteban, militante péruvienne, professeur d’université et consultante en droits humains et de Maria Luzmila Berinco Chuinda, dirigeante du peuple amazonien Awajun et présidente du Conseil des femmes Awajun et Wampis.

Un état des lieux est d’abord dressé par Christophe Ventura :

L’extractivisme, modèle de développement de l’Amérique latine.

Dans toute l’Amérique Latine on constate des conflits violents entre autochtones, autorités publiques et Firmes Multinationales.

L’extractivisme est le modèle de développement de l’Amérique Latine depuis l’arrivée des conquérants espagnols ou portugais, au XVIe siècle. Ce modèle lui permet une insertion dans le système économique mondial. Il est basé sur l’extraction et l’exportation de matières premières.

Ce terme « extractivisme » est d’origine brésilienne. Il a été d’abord utilisé au sujet de l’exploitation de la forêt amazonienne, la selva. Le mot est de plus en plus utilisé dans la littérature stratégique et internationale. On parle maintenant de « néo-extractivisme ». Ce terme est révélateur de l’évolution de ce sujet dans cette période de bouleversement politique qu’est le début du XXIe siècle.

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