Emilienne, 1917. Itinéraire d’une jeune Française réfugiée de la Première guerre  mondiale 

Claudie Lefrère-Chantre, Emilienne, 1917. Itinéraire d’une jeune Française réfugiée de la Première guerre mondiale, Editions Fauves, 2017, 255 pages, 20 €.

Les Français aiment les commémorations historiques. Depuis 2014, la Grande Guerre suscite un intérêt considérable qui se traduit par des manifestations de toutes sortes, des initiatives publiques et privées, des colloques, des publications, etc. Le battage médiatique autour de la commémoration du centenaire de la guerre de 14-18 est soutenu par une véritable déferlante de livres sur la première guerre mondiale, une guerre toujours présente dans la plupart des familles françaises. Dans la production considérable orchestrée par les éditeurs, les sujets « classiques » sont bien sûr abordés mais d’autres questions, bien moins connues, profitent de ce coup de projecteur conjoncturel. Parmi ces derniers sujets, celui des réfugiés français pendant la guerre vient d’être illustré par un livre instructif et passionnant, émouvant même lorsqu’il s’insinue dans la chair et l’esprit de son « héroïne », Emilienne Richard. En février 1917, cette jeune fille lorraine de quinze ans doit obéir à l’ordre de l’occupant allemand qui la contraint à quitter son village de la Woëvre pour un long périple à travers l’Allemagne et la Suisse la menant à Villars-du-Var, un autre village situé à l’autre bout de la France, où elle va vivre la fin de la guerre et quelques années de plus jusqu’en 1923.

L’esprit géographique d’un livre d’histoire

L’auteur – petite-fille d’Emilienne – a bénéficié du journal tenu par la jeune fille sur un cahier d’école entre février 1917 et juillet 1922, seize pages au total dont six seulement consacrées à la période de la guerre. Deux photos de classe d’Emilienne ont déclenché le projet d’écriture, accompagné par des déplacements et des recherches sur les lieux même de l’odyssée, et finalement mené à bien au titre de la mémoire et de la transmission.

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La Pologne face aux enjeux de mémoire

Le nouveau Musée de la Seconde Guerre mondiale inauguré à Gdansk (Pologne) en janvier 2017 (AFP PHOTO / Wojtek RADWANSKI/ www.huffingtonpost.fr)

A plus d’un an du centenaire de l’indépendance de la Pologne (proclamée le 11 novembre 1918), le gouvernement nationaliste du parti Droit et Justice (PiS) de Jaroslaw Kaczynski, au pouvoir depuis novembre 2015, entend profiter de l’occasion pour imposer sa vision de l’histoire et exploiter à son profit le sentiment patriotique des Polonais. La controverse née autour du nouveau Musée de la Seconde Guerre mondiale, construit à grands frais à Gdansk, illustre les enjeux politiques autour des questions de mémoire. Depuis la chute du communisme en 1989, la Pologne regarde son passé avec un immense intérêt ce dont témoigne par exemple, la prolifération des lieux de mémoire et des musées à visée mémorielle[1].

La question des relations judéo-polonaises

Après 1945, les nouvelles autorités polonaises sont amenées, pour légitimer leur pouvoir, à insister sur les souffrances de la nation polonaise tandis que le sort des Juifs pendant la guerre est occulté pour l’essentiel. C’est seulement dans les années 1980 qu’un débat public est engagé sur la responsabilité des Polonais à l’égard de leurs concitoyens juifs pendant la guerre. La diffusion d’extraits de Shoah, le film de Claude Lanzmann, à la télévision polonaise en 1985, contribue à l’émergence de ce débat. Mais il faut attendre la parution, en 2001, du livre de l’historien américain d’origine polonaise, Jan Tomasz Gross, Les voisins. Un pogrom en Pologne, 10 juillet 1941[2], pour donner toute son ampleur au débat national. Le thème juif occupe désormais une place essentielle, suscitant nombre d’investigations scientifiques et un déploiement mémoriel multiforme qui culmine avec l’édification du Musée d’Histoire des Juifs de Pologne, inauguré en 2014 à l’emplacement même de l’ancien ghetto de Varsovie.

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Paris Haussmann. Modèle de ville

Exposition du 31 janvier 2017 au 7 mai 2017
Paris, Pavillon de l’Arsenal

 

L’Arsenal ne présente pas une énième exposition sur l’histoire de l’urbanisme parisien ni sur les travaux du célèbre préfet qui donnèrent un cadre prestigieux à la « fête impériale ». Rien de pittoresque ou d’immédiatement attractif. Pas de tableaux de Caillebotte sur le quartier Saint-Lazare, ni d’extraits du Pot-Bouille de Zola. C’est une présentation austère de quelques archives mais surtout de dessins d’architectes et de plans accompagnés de photos contemporaines de grandes perspectives et de façades d’immeubles.

Ce qui rend passionnante la visite, c’est la problématique choisie par les commissaires : les choix urbanistiques d’ Haussmann (préfet de la Seine de 1853 à 1870) constituent-ils des modèles pour la ville d’aujourd’hui et de demain ? Le titre prend alors tout son sens. Haussmann est-il un inspirateur pour les concepteurs de la smart city, équilibrée, globale et connectée ? Il semble que oui.

Qu’est-ce qu’une ville ? Un ensemble de pleins (le bâti) et de vides (voies, cours etparcs). C’est du rapport entre ces deux éléments que résultent son harmonie et le bien-être de ses habitants.

Quelle est l’originalité de Paris parmi les principales métropoles mondiales ? Sa densité : 20 000 hab/km². Quelques maquettes permettent la comparaison avec New-York, Londres, Brasilia, Amsterdam, Shangaï… , toutes moins denses. Pourtant cette forte densité est bien acceptée. Y vivre y est  moins oppressant que dans les espaces ponctués de tours et de de barres, moins denses.

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Le populisme, la géographie et la littérature

Nigel Farage, Marine Le Pen, Donald Trump, Vladimir Poutine
Photos de John Thys AFP, Geoffroy Van der Hassel/AFP, George Frey/Getty Images/AFP

Le populisme avance à marche forcée dans l’Occident développé, y compris sur des terres que l’on pensait allergiques aux discours des Le Pen, Trump et consorts. A la fois symptôme d’une détresse réelle et expression d’une illusion, il répond de façon simpliste et perverse aux difficultés des démocraties occidentales installées parfois depuis très longtemps en France, en Europe, aux États-Unis. Certains « experts » proclament déjà avec assurance que le XXe siècle a été le siècle des totalitarismes et que le XXIe siècle sera celui des populismes. Pourtant, il est encore temps de comprendre et de faire comprendre la nature profonde de ce phénomène politique qui assure vouloir sauver… la démocratie et les droits sociaux ! Dire la vérité en usant de raison et de pédagogie n’est-il pas le meilleur moyen de dissiper les artifices des faux-semblants populistes et ainsi dévoiler la réalité qui seule devrait déterminer les positionnements citoyens ?

Le populisme contemporain dans l’Occident développé

D’abord, tenter d’y voir clair dans l’émergence et la caractérisation du populisme en exploitant les travaux des historiens et des politistes. Concept vague et mouvant, le populisme a pris au cours de son histoire différents visages qui ont en commun l’exaltation du peuple. On ne s’attardera pas sur les premiers populismes apparus à la fin du XIXe siècle en Russie, en France et aux États-Unis. On se limitera à interroger le populisme contemporain des sociétés prospères d’Europe et d’Amérique du Nord, celui qui est incontestablement corrélé au dernier avatar de la mondialisation depuis les années 1980 et en plein essor depuis la crise de 2008.

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Atlas des Etats-Unis. Un colosse aux pieds d’argile

Les Cafés géographiques rencontrent Christian Montès et Pascale Nédélec, auteurs de l’Atlas des États-Unis. Un colosse aux pieds d’argile (Autrement, 2016) réalisé avec le cartographe Cyrille Suss.

  1. Il existait des atlas antérieurs sur les États-Unis. Comment avez-vous procédé pour essayer de renouveler la question par un atlas sur un pays déjà très étudié ?

PASCALE NÉDÉLEC : Dans un premier temps, il s’agissait de proposer une vision des États-Unis renouvelée, prenant en compte les évolutions socio-spatiales qui ont eu lieu dans les années 2000-2010. Il nous semblait ainsi essentiel de s’intéresser aux conséquences de la crise économique de 2007-2008 qui a révélé, voire accentué des tendances déjà à l’œuvre depuis la fin du XXe siècle. Plus largement, notre ambition était d’insister sur la complexité de la géographie des États-Unis, tiraillés entre hyperpuissance et fragilités internes profondes. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre le sous-titre de l’atlas : « Un colosse aux pieds d’argile ».

CHRISTIAN MONTÈS : Précisons aussi que chez Autrement, le précédent Atlas datait de 1994 et était obsolète. Il existait par ailleurs un Atlas de la puissance américaine de 2006, thématique donc, qui ne prenait pas en charge la totalité des enjeux géographiques du pays. Au moins tout autant que par les thèmes, c’est la forme « Atlas » qui permet le renouvellement, par la mise en perspectives d’infographies très variées.

  1. Vous abordez des sujets peu traités. On pense aux petites villes… ou à la géographie du jeu.

PASCALE NÉDÉLEC : C’est un choix délibéré de notre part que d’articuler des sujets très classiques au sujet des États-Unis, comme leur présence militaire à travers le monde ou leurs stratégies géopolitiques, avec des thèmes qui peuvent apparaître plus originaux, comme les petites villes ou la géographie du jeu. Ces focus thématiques s’expliquent par le fait qu’ils font écho à nos propres travaux de recherche respectifs [voir références en fin de texte]. Ceci permet également de développer des facettes moins connues des États-Unis et ainsi de démontrer au lecteur qu’il y a encore beaucoup à apprendre de cet immense pays !

CHRISTIAN MONTÈS : La carte sur les petites villes et celle sur « le reste des Etats-Unis » ont été pensées pour montrer que d’une part la métropolisation et quelques sites naturels remarquables ne font pas tout le pays, loin de là, et qu’à côté de l’extraordinaire, il y avait les Etats-Unis ordinaires, dont les paysages couvrent la majorité du pays.

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L’Afrique des routes

L’Afrique des routes
31 janvier – 12 novembre 2017
Musée du Quai Branly -Jacques Chirac

 

 

Si vous croyez que l’Afrique est un continent sans histoire, vous avez tout faux ! L’Afrique n’est pas entrée dans l’histoire avec l’arrivée des Européens et elle n’est pas seulement le berceau de l’humanité.

Le musée du Quai Branly – Jacques Chirac expose 300 objets qui témoignent de l’ancienneté des contacts et des échanges entre l’Afrique (surtout subsaharienne), l’Asie et l’Europe.

A l’entrée de l’exposition un dépliant vous offre une carte politique et une chronologie qui s’étire sur 7 millions d’années, du crâne fossile d’hominidé trouvé à Toumaï (Tchad ) jusqu’à l’élection d’une femme à la Présidence de la République du Libéria en 2006.

Regardez bien le masque de Guinée Conakry retenu pour l’affiche de l’exposition. Taillé dans un seul morceau de bois (belle prouesse) il est porté par un jeune homme lors de son passage à l’age adulte et raconte sa vie future. Il représente un pélican transportant par voie aérienne un colon reconnaissable à son casque. L’homme blanc porte un petit masque, celui de D’mba, figure de fertilité. Il est encadré par deux femmes noires. L’artiste a réalisé cet objet polychrome avec des peintures venant d’Europe.

Vous aviez des idées simples sur l’Afrique, l’exposition veut vous démontrer que vous avez tort. L’Afrique est à l’honneur cette année, c’est une bonne nouvelle.  Elle sera aussi à l’affiche de l’Institut du monde arabe, de la Fondation Vuitton et du festival de La Villette. Profitez-en.

L’Afrique : un continent oublié, méconnu, méprisé

« Comme les requins sont précédés de leurs poissons-pilotes, notre regard est précédé d’un regard-pilote, qui propose un sens à ce qu’il regarde… Nous nous croyons bien à tort libres de ce regard » André Malraux, L’Intemporel.

S’agissant de l’Afrique, la métaphore de Malraux témoigne de la méconnaissance du continent et des préjugés tenaces qui forment autant d’obstacles à sa connaissance. Il en va de l’histoire comme des arts africains longtemps jugés « primitifs ».

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Anatomie du chemin noir. A propos d’un récent ouvrage de Sylvain Tesson.

Sylvain Tesson,Les chemins noirs, Gallimard, 2017

Un écrivain, Sylvain Tesson, vient de fouler ce qu’il baptise la France des chemins noirs. Sur les chemins d’une France en berne, il promène sa nostalgie d’un monde perdu, idéal, fait de ruines et de ronces, de parenthèses et d’interstices, perpétuellement défait par des générations d’hommes pressés. Du Mercantour au Cotentin, en passant par le Perche et l’Aubrac, la Margeride et le Bas-Vivarais, il arpente une France intérieure propice à cette « géographie de l’instant » dont il a, mieux que l’intuition, la vocation. Il est tombé, il a mûri, sa prose est devenue mature, plaisante, facile, trop facile peut-être, se révélant sommaire.

Une existence en surchauffe

Cet homme infatigable, dont on ne sait s’il voyage pour écrire ou s’il écrit pour voyager, est certainement aujourd’hui l’écrivain-voyageur français contemporain le plus en vue, et l’un des plus connus du lectorat. Pareille fortune mérite attention, parce qu’au-delà de ce qu’elle nous apprend de l’auteur lui-même, cette popularité est le miroir d’une demande sociale, d’une aspiration croissante vers un je ne sais quoi d’extravagant – au sens premier du mot : menant hors de la voie normale – qu’il faudra interroger. Elle nous renseigne sur une personne, mais surtout, elle nous enseigne sur une époque : arrêtons-nous sur le renseignement, qui peut-être nous dira un peu de l’enseignement.

Partout, on le sait, S. Tesson a roulé sa bosse. À peine sorti de l’adolescence, on le voit pédaler en Islande (1991), non sans une grande part d’improvisation, à une époque où le tourisme y est à la veille d’entamer son grand essor. Trois ans plus tard, il entreprend un tour du monde au long cours, à bicyclette, avec son camarade Alexandre Poussin (1994) : première d’une longue série de cavalcades amicales. Bientôt, il s’enhardit : c’est à l’Himalaya qu’il s’attaque (1997). En surchauffe constante, courant de pics en cols, de cimes en défilés, de parois montagneuses en façades urbaines, cet Homo viator, tour à tour alpiniste, acrobate, cavalier et escaladeur, surfeur et parachutiste, a fait choix de vivre dangereusement, de mener, selon le joli mot de L. Febvre, une existence « de plein vent ».

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Istanbul, capitale régionale et ville-monde

Revue Anatoli, Numéro 7,  Istanbul, capitale régionale et ville-monde, CNRS Editions, de La Martinière, 316 p, 2016

Le numéro 7 de la revue Anatoli, paru à l’automne 2016, s’interroge sur la réalité d’Istanbul comme ville-monde, annoncée comme telle dès 1996 par le maire de la ville de cette époque, Recep Tayyip Erdogan, actuellement Président de la République de Turquie.

Riches et nombreuses sont les publications scientifiques sur Istanbul dont celle incontournable de Stéphane Yerasimos, parue en 1997 et reproduite en tête du volume de la revue Anatoli. Cet article offre notamment des repères chronologiques sur les principales étapes de transformation enregistrées en moins d’un siècle par Istanbul à partir du moment où elle cesse d’être une capitale. Il précède un hommage rendu par les géographes Marcel Bazin et Jean-François Pérouse à « Stéphane Yerasimos, le Stambouliote (1942-2005) », descendant d’une famille grecque orthodoxe restée à Istanbul en étant exemptée de l’échange forcé des populations entre la Grèce et la Turquie.

Les éclairages apportés par les diverses contributions visent à mieux « prendre la mesure de la dimension internationale d’Istanbul ». En cherchant à mieux évaluer la dimension et le rayonnement d’Istanbul, en dépassant le discours convenu sur l’internationalisation d’Istanbul, ces contributions visent à faire mieux connaître la structuration de la ville-centre et de sa région (« avant et arrière-pays ») ; les angles d’attaque proposés éclairent d’un jour nouveau la connaissance que l’on a d’Istanbul, « de quoi elle est le centre ou la tête de pont ».

L’organisation du dossier thématique est construite en trois parties. La première cherche à mesurer le rétablissement d’Istanbul comme métropole internationale en appréciant plusieurs critères d’internationalisation énoncés par Jean-François Pérouse dans l’introduction. La deuxième partie permet de comprendre comment le développement économique a consacré la ville comme capitale économique de la Turquie avec un redéploiement des activités vers les périphéries qui a facilité voire favorisé le remodelage de la ville. Enfin, la troisième partie montre la volonté de l’Etat d’encourager, dès la fin du XXe siècle, le développement d’une économie urbaine mondialisée qui revêt la dimension de projets pharaoniques visant à consacrer le centenaire de la fondation de la République et à donner à Istanbul la stature d’une ville-monde.

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De l’utilité de la géographie pour comprendre le nouveau monde

Les victoires électorales de Donald Trump et du Brexit en 2016 annoncent-elles la fin de la mondialisation ? (Source : lesechos.fr)

L’année 2016 a enregistré des résultats électoraux inattendus dans plusieurs grands pays développés dont les plus retentissants sont l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis et la victoire du Brexit au Royaume-Uni. Parallèlement, plusieurs ouvrages récents annoncent ou espèrent la fin de la mondialisation comme ceux de François Lenglet, Jacques Sapir et Arnaud Montebourg[1]. De son côté le journal Le Monde a cherché à y voir clair en publiant une riche enquête sur la mondialisation (6 articles) en juillet 2016. L’éditorial du même journal publié le 14 novembre 2016 préfère dénoncer le fantasme de la « démondialisation ». Toujours est-il que les réalités du monde contemporain changent vite, surtout depuis la crise financière de 2008-2009. Un « nouveau monde »[2] se met-il en place ? D’une manière plus précise, l’hebdomadaire Le un titre son numéro 136 du 4 janvier 2017 Vers la fin du monde démondialisé ? Dans ce numéro passionnant un géographe, Michel Foucher, pense que « la démondialisation qui s’amorce est en réalité une désoccidentalisation de la mondialisation » tandis que l’écrivain Erik Orsenna prescrit « la géographie comme remède au simplisme politique et aux folies mercantiles ».

Quatre cycles de mondialisation selon Michel Foucher

Pour notre part nous avons publié ici même deux articles cherchant à faire une synthèse de la mondialisation contemporaine (http://cafe-geo.net/la-mondialisation-contemporaine-12/ ; http://cafe-geo.net/la-mondialisation-contemporaine-22/). Nous conseillons également la lecture du petit livre concret et rigoureux de Romain Leclerc Sociologie de la mondialisation paru en 2013 dans la collection Repères des éditions de La Découverte. Une autre lecture intéressante : le numéro 364 de janvier 2017 actuellement en kiosque de la revue Alternatives économiques avec pour titre La fin de la mondialisation ?[3]

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La montagne de Shining (Stanley Kubrick 1980) : légendes noires et territoire de la folie

« Si la montagne et la mer étaient naturellement belles, on se demande bien pourquoi il aurait fallu attendre le XVIII° siècle pour les juger telles… » (in A. Roger. 2009)

Le but de ce texte est d’analyser les représentations spatiales de la montagne et de la neige dans le film de Stanley Kubrick, Shining (1980). Si l’hôtel Overlook dans lequel se déroule ce film a donné lieu à de multiples analyses, l’idée qui sous-tend cette analyse est que le cadre précis de cet hôtel est inséparable de celui – montagnard – qui l’entoure, que le film reprend de nombreux mythes liés à la montagne, et que la dichotomie intérieur / extérieur est un des ressorts de l’action.

Stanley Kubrick est souvent considéré comme un cinéaste de la folie (G. Deleuze 1985) : Alex d‘Orange mécanique (1972), Carl, l’ordinateur HAL de 2001, l’odyssée de l’espace (1968) ou la « grosse baleine » de Full metal jacket (1987) sont quelques-uns des personnages atteints de ce mal. De fait, tous ses films ont un profond pouvoir de déstabilisation des spectateurs. Leur accueil lors de leur sortie est un excellent révélateur de ce phénomène : hormis la réception favorable et assez unanime de Barry Lyndon (1975), notamment du fait de ses qualités esthétiques, les critiques furent souvent mitigées, par exemple lors de la sortie d’Orange mécanique, de Full metal jacket, de Shining ou d’Eyes Wide Shut (1998). Or, ces mêmes films étant aujourd’hui considérés par la critique comme des classiques, et pour certains comme des chefs d’œuvre, on peut supposer que la réaction immédiate lors de leur première vision fut le malaise, l’incompréhension, voire le vertige.

Ce qui fait par ailleurs la particularité des films de Stanley Kubrick, c’est l’omniprésence des paysages (A. Gaudin 2014, D. Ziegler 2010…), que ce soit dans Barry Lyndon (notamment les campagnes européennes au temps de la Guerre de sept ans), dans Orange mécanique (la froideur des paysages urbains), dans Docteur Folamour en 1964 (le survol des montagnes russes)… Je rappellerai que tout paysage est par essence une représentation procédant de choix plus ou moins conscients. Mais ici, au cinéma, ce fait est particulièrement porteur de sens : ce que l’on voit est imaginé, sélectionné, non par nous, mais par le réalisateur. De ce fait, tout film induit un dialogue entre ce réalisateur et le spectateur, qui répond à une « esthétique de la réception » (H. R. Jauss 1990) : pour être efficace, le film doit correspondre aux « horizons d’attente » du spectateur mais aussi provoquer ce dialogue. Le paysage diégétique est donc le produit d’une co-construction qui passe par un processus d’encodage par le réalisateur (qui nous donne des clés, des codes pour que l’on aille dans le sens du scénario) et de décodage par le spectateur. C’est ce décodage qui est ici fondamental car il est une libre réinterprétation en fonction de valeurs culturelles et de choix inconscients du spectateur (S. Bourgeat et C. Bras 2014). Ce qui n’est évidemment pas neutre si l’on veut représenter la folie à l’écran. Stanley Kubrick utiliserait ainsi l’espace de manière à ce que nous captions inconsciemment l’incohérence des comportements de ses héros et les territoires de leur folie, en jouant notamment avec nos représentations de la montagne, elles-mêmes issues de données culturelles anciennes et fortement ancrées au sein de chaque spectateur. Le malaise ressenti lors de la première vision du film serait en partie la conséquence de ce traitement de l’espace.

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