Depuis son apparition à Wuhan (Chine) à la mi-décembre 2019, l’épidémie de coronavirus a beaucoup fait parler d’elle jusqu’à inquiéter aujourd’hui (6 mars 2020) le monde entier. Le coronavirus, nommé officiellement « covid-19 » par l’OMS, a déjà causé plus de 3 400 décès tandis que le nombre de 100 000 personnes infectées dans une soixantaine de pays va être dépassé ces jours-ci. Certains n’hésitent plus à parler d’une véritable psychose collective qui se répand largement grâce à la médiatisation planétaire et la puissance des réseaux sociaux. La France n’échappe pas à cette vague déferlante malgré la gestion raisonnée des pouvoirs publics. Il nous semble qu’une réflexion géographique, même succincte et parcellaire, a toute sa place dans le flot des innombrables commentaires de toute nature que le coronavirus suscite, ne serait-ce que pour mettre en évidence quelques simples faits spatiaux qui ne manquent pourtant pas d’importance.

Après le SRAS apparu en 2003, un nouveau coronavirus est parti de Chine en décembre 2019 pour ensuite se propager dans le reste du monde (Source: https://img.medscape.com/thumbnail_library/is_200117_china_map_800x450.jpg)

Les routes de la soie et les épidémies

N’oublions pas que les épidémies ont toujours emprunté les routes commerciales. Ainsi, au XIVe siècle, la peste noire en provenance de Chine avait atteint l’Europe en suivant les routes de la soie de l’époque. A l’heure actuelle, le projet chinois des « nouvelles routes de la soie » (One Belt One Road), lancé en 2014, vise à investir massivement dans des infrastructures terrestres, maritimes et ferroviaires en Asie, en Europe et en Afrique afin de développer les échanges internationaux, pour le plus grand bien de l’économie chinoise. C’est à ce titre que la France s’est réjouie de la prochaine ouverture de la ligne ferroviaire reliant Lyon à la province de Wuhan, la ville où le coronavirus a surgi pour se répandre rapidement dans une grande partie de la planète.

L’épidémie du coronavirus et la mondialisation

La crise sanitaire actuelle débouche inéluctablement sur des réflexions relatives à la mondialisation, à la facilité et à l’importance des flux de personnes et de marchandises, à l’extrême dépendance à l’égard de la Chine comme « usine » du monde. Tout cela souligne également l’intérêt d’une réflexion géographique sur le rôle des frontières.

En prenant l’exemple de l’Iran, pays très affecté par l’épidémie du coronavirus, le géographe Michel Foucher constate que les pays voisins ont rapidement fermé leurs frontières terrestres ainsi que de nombreuses liaisons aériennes avec l’Iran. Or ces pays (Irak, Turquie, Arménie, Afghanistan, Pakistan) forment la majorité des États avec lesquels l’Iran pouvait desserrer l’étau des sanctions. Ce choix de précaution – aux importantes conséquences géopolitiques – s’explique sans doute par le manque total de confiance à l’égard des autorités iraniennes, qui ont d’abord nié la crise sanitaire puis l’ont attribuée à la propagande américaine, sans parler d’un système de santé jugé problématique.

Mais l’épidémie du coronavirus peut-elle conduire à amorcer ou à relancer un processus de « démondialisation » ? (https://cafe-geo.net/la-demondialisation-a-t-elle-commence/). Pour Michel Foucher, « la tendance au rapprochement des centres de production et d’assemblage et des marchés de consommation va se développer. Une mondialisation plus régionalisée est en marche. » (https://www.lepoint.fr/sante/coronavirus-les-epidemies-ont-toujours-emprunte-les-routes-commerciales-25-02-2020-2364431_40.php). Mais, selon lui, « le découplage entre les firmes européennes et américaines et celles établies en Chine n’est pas pour demain. »

La logique de la quarantaine

Pour endiguer la progression du covid-19, la Chine a pris des mesures drastiques de quarantaine qui concernent environ 60 millions de personnes. Les 11 millions d’habitants de Wuhan vivent en quarantaine depuis le 23 février. Policiers et militaires bloquent l’aéroport, les gares et les autoroutes ; les transports en commun et les véhicules individuels ne sont plus utilisés ; les habitants sont invités à ne sortir qu’en cas de nécessité. Le 5 mars, lors d’une visite dans un complexe d’appartements de Wuhan, le vice-premier ministre chinois Sun Chunlan a été chahuté par les résidents, qui ont crié « Fake ! Tout est fake ! » pour dénoncer les propos « officiels » sur la réalité économique exagérément optimiste véhiculée par le pouvoir politique.

Un philosophe français, Octave Larmagnac-Matheron, rapproche la mise en quarantaine, telle qu’elle est utilisée en Chine et ailleurs à l’occasion de l’épidémie du coronavirus, de la réflexion de Michel Foucault dans Surveiller et punir (1975) à propos de la gestion des épidémies de peste à la fin du XVIIe siècle. (https://www.philomag.com/lactu/resonances/surveiller-et-contenir-foucault-a-wuhan-42463). Si le but avoué du confinement est de contenir l’épidémie, la quarantaine est aussi selon Foucault un rêve où le quadrillage spatial fait de l’individu un être « isolé et immobilisé sous l’œil du pouvoir ». Foucault prolonge sa réflexion en opposant cette logique de la quarantaine à une autre logique qui prévaut dans la gestion d’une autre épidémie, celle de la lèpre, où là il s’agit d’éloigner et d’enfermer.

Répression des Ouïghours et contrôle de la population en Chine

Partant des réflexions de Foucault sur les deux principes de surveillance (quarantaine ; éloignement et enfermement), O. Larmagnac-Matheron précise que ces deux principes ne sont pas incompatibles. Et de citer la politique chinoise de répression des Ouïghours qui interne plus d’un million de personnes appartenant à cette minorité musulmane du Xinjiang tandis que la Chine développe en parallèle des technologies de contrôle individualisé (reconnaissance faciale, algorithmes prédictifs, etc.). Pour notre philosophe, il s’agit d’« une quarantaine virtuelle et imperceptible, en quelque sorte, qui fait le bonheur des régimes autoritaires. »

 

Daniel Oster, 6 mars 2020