Istanbul, capitale régionale et ville-monde

Revue Anatoli, Numéro 7,  Istanbul, capitale régionale et ville-monde, CNRS Editions, de La Martinière, 316 p, 2016

Le numéro 7 de la revue Anatoli, paru à l’automne 2016, s’interroge sur la réalité d’Istanbul comme ville-monde, annoncée comme telle dès 1996 par le maire de la ville de cette époque, Recep Tayyip Erdogan, actuellement Président de la République de Turquie.

Riches et nombreuses sont les publications scientifiques sur Istanbul dont celle incontournable de Stéphane Yerasimos, parue en 1997 et reproduite en tête du volume de la revue Anatoli. Cet article offre notamment des repères chronologiques sur les principales étapes de transformation enregistrées en moins d’un siècle par Istanbul à partir du moment où elle cesse d’être une capitale. Il précède un hommage rendu par les géographes Marcel Bazin et Jean-François Pérouse à « Stéphane Yerasimos, le Stambouliote (1942-2005) », descendant d’une famille grecque orthodoxe restée à Istanbul en étant exemptée de l’échange forcé des populations entre la Grèce et la Turquie.

Les éclairages apportés par les diverses contributions visent à mieux « prendre la mesure de la dimension internationale d’Istanbul ». En cherchant à mieux évaluer la dimension et le rayonnement d’Istanbul, en dépassant le discours convenu sur l’internationalisation d’Istanbul, ces contributions visent à faire mieux connaître la structuration de la ville-centre et de sa région (« avant et arrière-pays ») ; les angles d’attaque proposés éclairent d’un jour nouveau la connaissance que l’on a d’Istanbul, « de quoi elle est le centre ou la tête de pont ».

L’organisation du dossier thématique est construite en trois parties. La première cherche à mesurer le rétablissement d’Istanbul comme métropole internationale en appréciant plusieurs critères d’internationalisation énoncés par Jean-François Pérouse dans l’introduction. La deuxième partie permet de comprendre comment le développement économique a consacré la ville comme capitale économique de la Turquie avec un redéploiement des activités vers les périphéries qui a facilité voire favorisé le remodelage de la ville. Enfin, la troisième partie montre la volonté de l’Etat d’encourager, dès la fin du XXe siècle, le développement d’une économie urbaine mondialisée qui revêt la dimension de projets pharaoniques visant à consacrer le centenaire de la fondation de la République et à donner à Istanbul la stature d’une ville-monde.

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France, un voyage

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Hervé Tardy, Jean-Louis Tissier,  France, un voyage, Editions de La Martinière, 311 p, 2016

Cet ouvrage n’est pas seulement un « beau livre » comme il y en a tant qui paraissent à l’approche de Noël. Trois raisons principales permettent de le distinguer au sein de cettecatégorie : la qualité et l’originalité des photographies, l’intérêt des commentaires appartenant à deux registres différents, la présentation géographique à la fois « classique » et stimulante de la France. Cela fait beaucoup d’atouts d’autant plus que ceux-ci sont mis en valeur par une composition très réussie et une rare qualité d’écriture.

D’abord, l’objet lui-même auquel les Editions de La Martinière ont apporté un soin tout particulier avec son format 24×28,5 judicieusement choisi et ses photographies occupant souvent une pleine double page. Incontestablement nous avons entre les mains un bel objet qui se laisse admirer avec ce qu’il faut de séduction et…de pertinence. Mais la grande réussite du livre tient également (surtout ?) à l’originalité des prises de vue permises par l’autogire à bord duquel le photographe s’est installé pour survoler la France. Si l’autogire est une machine volante de création relativement ancienne (premier vol officiel en 1923), il reste encore peu connu même s’il connaît actuellement un certain succès dû à sa grande maniabilité, ses progrès techniques et sa faible consommation en carburant. Et s’il n’autorise pas le vol stationnaire, contrairement à l’hélicoptère, l’engin porté par un rotor et poussé par une hélice permet de photographier à faible altitude en « survolant les lieux sans les dominer ». A partir de 2008, pendant 600 heures de vol, le photographe Hervé Tardy a entrepris une « chasse constante », toujours en embuscade, à la recherche des combinaisons visuelles révélant l’infinie diversité de la France, ce qui nous vaut cette magnifique collection de 161 images.

Un classement en 7 grandes régions

A la suite de la table des matières placée au début de l’ouvrage, une carte de France localise les 131 lieux survolés durant  le « voyage ». Si les littoraux représentent la part belle de ces lieux, l’essaimage de ceux-ci à travers le territoire national  donne à voir un échantillon représentatif de la diversité de notre pays, à la réserve près que le monde urbain n’a été qu’effleuré, sans doute pour des raisons liées à l’autogire qui ne permet pas de photographier à une altitude suffisante seule capable de rendre compte de l’organisation de l’espace urbain. Ainsi, la partie consacrée à l’Ile-de-France apparaît comme le parent pauvre du livre tout en permettant d’achever la présentation de toutes les régions françaises (métropolitaines). C’est donc une géographie partielle de la France qui est proposée avec un regard sensible accordé aux paysages sans oublier les hommes qui habitent ces lieux. L’éditeur a tout à fait raison de souligner le penchant d’Hervé Tardy pour « une photographie à tendance humaniste ».

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Trésor du terroir. Les noms de lieux de la France

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Roger Brunet, Trésor du terroir. Les noms de lieux de la France, CNRS Editions, 2016, 656 p., 39 €.

 

Beaucoup en rêvaient, Roger Brunet l’a fait, et de quelle manière ! Un ouvrage remarquable qui abandonne la lecture traditionnelle des toponymes (noms de lieux) proposée par les linguistes pour partir cette fois-ci des lieux et non des langues. Avec Roger Brunet c’est le regard du géographe qui interroge « les pratiques topiques des groupes humains »[1]. Le livre sera à coup sûr un ouvrage de référence que les amateurs et même les professionnels de la géographie de la France ne manqueront pas d’utiliser, mais d’autres lecteurs savoureront avec gourmandise tel ou tel passage pour assouvir leur curiosité sur les liens que les hommes ont tissés avec leur environnement depuis des millénaires. L’analyse de quelque vingt-cinq mille noms ou familles de noms de lieux forme un voyage passionnant dans la toponymie française qui réussit à conjuguer les apports les plus récents de la recherche linguistique et les préoccupations du géographe soucieux de mettre en avant les exigences des sociétés humaines sur leurs territoires.

« Ayant déjà eu l’occasion de réfléchir à la formation et à l’organisation des territoires, de leurs lieux et des réseaux qui les lient ou les séparent (…), il m’était apparu que, pour durer un tant soit peu, toute société humaine avait à répondre, sur le territoire, à quelques exigences et problèmes fondamentaux : s’abriter, connaître son terrain et en tirer parti pour s’alimenter, se vêtir, de défendre, circuler et échanger, organiser une vie sociale quelque peu durable, marquer ses limites et éventuellement s’étendre. »[2] 

Un plan de géographe

Une des qualités essentielles de l’ouvrage réside incontestablement dans son plan bâti à partir des lieux, et plus précisément des perceptions de nos ancêtres sur leurs horizons familiers en qui ils ont vu des ressources à exploiter, des points clés à prendre ou à redouter, des étendues amies ou hostiles, des contraintes et des libertés, des dangers, de l’étrange, etc.

Les six premiers chapitres découlent de cet objectif : 1-Habiter et s’abriter; 2-Pays et chemins : le territoire et ses réseaux; 3-La vie sociale et ses distinctions; 4-Terrains de jeu; 5-Eaux, bords d’eaux et météores; 6-Paysages, ressources et travaux.

Un septième chapitre montre que les noms de lieux, d’origine ancienne pour leur très grande majorité (antérieure au XVe siècle) sont malgré tout vivants : « ils se diffusent autour de foyers, se copient, se changent, certains même ont pu être transférés au loin par quelque seigneur, croisé ou pèlerin. »[3] Beaucoup de noms ont changé au cours de l’histoire, certains même plusieurs fois, quelques-uns changent encore de nos jours.

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Des géographes hors-les-murs ?

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Pascal CLERC, Marie-Claire ROBIC (dir.), Des géographes hors-les-murs ? Itinéraires dans un Monde en mouvement (1900-1940), L’Harmattan, 2015, 408 p., 34 €. Contributions de Roland CARRUPT, Pascal CLERC, Christian GERMANAZ, Nicolas GINSBURGER, Josefina GÓMEZ MENDOZA, Philippe OULMONT, Hugues PEUREY, Marie-Claire ROBIC, Michel SIVIGNON, Mercedes VOLAIT.

Chers amis des Cafés géo, savez-vous qu’à côté des Vidal, Martonne, Blanchard et autres célébrités, il existe une constellation, une myriade de géographes inconnus ? Ce sont les géographes hors-les-murs, des hétérodoxes, des hommes libres. Leur itinéraire, bien différent de ceux des « grands », jalonné de bifurcations, jamais linéaire, sort de la voie classique : ENS, agrégation, thèse, chaire universitaire. Cet ouvrage propose des monographies d’une dizaine de ces outsiders de la première moitié du vingtième siècle et quelques chapitres sur les Balkans, espace marginal pour des Français, mais travaillé aussi par les Allemands et au cœur des enjeux de la Première guerre mondiale (un chapitre sur le géographe serbe Jovan Cvijić et un autre sur la géographie des Balkans rédigé par Michel Sivignon).

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Les nouvelles prisons. Enquête sur le nouvel univers carcéral français

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Les nouvelles prisons. Enquête sur le nouvel univers carcéral français

CHOLET Didier (dir.), 2015, Les nouvelles prisons, Rennes, PUR, 366 p.

Comme son titre l’indique, cet ouvrage porte sur les « nouvelles prisons », c’est-à-dire les établissements pénitentiaires construits à partir de 2007 dans le cadre du « plan 13 200 »1 qui vise à répondre à l’augmentation de la population carcérale et à l’inadaptation du parc pénitentiaire dont certains établissements, vétustes, offrent des conditions de détention déplorables et déplorées2.

La recherche dont rend compte le livre vise d’abord à répondre à la demande publique. Il s’agit en effet de voir dans quelle mesure ces nouveaux établissements peuvent servir de modèle : quels en sont les échecs et les réussites ? Les auteurs se donnent ainsi pour objectif de participer, par les résultats de leur étude, à l’amélioration des constructions futures. Ensuite, cette étude interroge les changements que ces constructions ont entraînés : permettent-ils à la prison de mieux remplir les fonctions qui lui sont assignées ?

Pour répondre à ces questions, cette recherche, qui aura duré 3 ans (2011-2014), a été menée par une équipe pluridisciplinaire rassemblant des juristes, des sociologues, des architectes, des économistes, des géographes et des spécialistes de l’aménagement du territoire. Elle repose sur des études de terrain et de documents, et sur la réalisation d’entretiens avec des personnes détenues, des agents pénitentiaires (surveillants, personnel de direction, conseiller pénitentiaires d’insertion et de probation), des architectes, des élus. Parmi les 30 nouveaux établissements pénitentiaires construits depuis 2007, 5 ont fait l’objet d’investigations approfondies : les maisons d’arrêt3 du Mans et de Nantes ; les centres pénitentiaires4 de Nancy, Poitiers et Rennes. Afin d’obtenir des éléments de comparaison, d’anciens établissements ont également été visités et étudiés (notamment l’ancienne maison d’arrêt de Nantes).

L’ouvrage, qui présente les résultats de cette recherche, est organisé en deux parties autour de la question de l’insertion : la première partie analyse l’insertion des établissements dans leur environnement juridique, économique et géographique ; la seconde aborde l’insertion des personnes dans les établissements étudiés sous l’angle architectural et micro-géographique.

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Géopolitique de l’ours polaire
Rémy Marion et Farid Benhammou, Géopolitique de l’ours polaire, Editions Hesse, 2015.

Rémy Marion et Farid Benhammou, Géopolitique de l’ours polaire, Editions Hesse, 2015.

« Géopolitique de l‘ours polaire » : le rapprochement des termes peut faire sourire ou intriguer. Il est pourtant parfaitement justifié. Le grand plantigrade est à la fois le symbole et l’habitant du monde arctique, territoire que se disputent de façon plus ou moins feutrée plusieurs Etats avides de ressources minières et territoire que le réchauffement climatique modifie rapidement, sujet d’inquiétude pour tous les terriens.

L’ouvrage se compose de huit chapitres de taille inégale, eux-mêmes divisés en courtes sous-parties (de type fiches), ce qui facilite la consultation si l’on cherche une information précise mais rend moins agréable la lecture suivie et n’évite pas les redites. Il comprend aussi un encart de 16 pages en couleur montrant cartes et photos et de trois annexes citant des accords internationaux sur la protection de l’ours polaire. La bibliographie est riche. Un petit glossaire n’aurait peut-être pas été inutile au lecteur peu familier de l’univers arctique.

L’objectif des auteurs est de montrer que l’ours est présent là où des conflits de frontières opposent des Etats souverains, là où populations autochtones et non autochtones sont en désaccord sur leurs intérêts respectifs, là où les compagnies d’hydrocarbures doivent ménager et leurs profits et leur réputation internationale, là où des multinationales, des associations, des personnalités politiques et des stars médiatiques l’utilisent pour se construire une image positive.

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La planète financière

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Laurent Carroué, La planète financière. Capital, pouvoirs, espace et territoires, Armand Colin, 2015, 253 p.

Laurent Carroué, qui avait déjà fait œuvre de pionnier en proposant d’incontournables lectures géographiques de la mondialisation1, s’attèle à une nouvelle tâche. Ouvrir plus avant le champ heuristique de la géographie sur un terrain d’investigation « encore largement sous-étudié par les géographes » (p.3) : la sphère financière et ses territoires. L’une des ambitions premières de l’ouvrage consiste notamment à récuser l’idée selon laquelle cette dernière serait « éthérée, désincarnée et coupée de l’économie réelle » (p.235). Au contraire, la planète financière est bien « une construction idéologique, politique, géoéconomique et géopolitique dans lesquelles les rivalités de pouvoirs et de puissances jouent un rôle essentiel » (p.3).

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Agriculture et mondialisation. Un atout géopolitique pour la France

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Sébastien Abis, Thierry Pouch, Agriculture et mondialisation Un atout géopolitique pour la France, Nouveaux Débats, Les Presses de SciencesPo, Paris, 2013, 185 p.

Dans le présent ouvrage, deux experts rappellent, avec compétence et rigueur, que la France, pays traditionnellement rural, n’est parvenue qu’assez récemment à faire de son agriculture une activité économiquement structurante et géopolitiquement stratégique. En effet, il a fallu attendre le début des années 1970 pour que « l’agriculture change de statut : elle ne constitue plus un frein à la croissance de l’économie » (p.36). La France est alors devenue le second agro-exportateur mondial.

Or, il y a longtemps que la richesse des sols et la tempérance des climats ne font plus l’opulence agricole. Désormais, « détenir des avantages comparatifs relève de déterminants sociopolitiques et institutionnels » (p.38). Partant, ce sont les lois d’orientation agricole de 1960-1962, ainsi que la Politique agricole commune, qui ont donné une impulsion décisive à la vocation exportatrice de la France. La puissance agricole n’existe donc pas a priori mais s’avère être un construit né du volontarisme politique.

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La géographie en action. Une collaboration entre la science et le politique.

Sous la direction de Edith Mukakayumba et Jules Lamarre, La géographie en action. Une collaboration entre la science et le politique, Presses de l’Université du Québec, 2015, 247 p.

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Après avoir dirigé l’ouvrage La géographie en question (Armand Colin/Recherches, 2012), les deux géographes québécois, Edith Mukakayumba et Jules Lamarre, coordonnent cette fois-ci une nouvelle publication destinée à revaloriser l’approche globale en géographie en exploitant l’action de l’UGI (Union géographique internationale) en faveur d’un grand projet de l’ONU devant faire de l’année 2016 l’Année internationale pour une compréhension globale du monde (International Year for Global Understanding ou IYGU). Ce projet conçu et piloté par des géographes vise à expliquer pourquoi certains comportements individuels dits non durables sont en bonne partie responsables de phénomènes majeurs tels que les changements climatiques et l’approfondissement des inégalités sociales dans le monde. « Les promoteurs du projet espèrent convaincre d’abord des individus de changer leurs manières de faire lorsqu’elles seront éventuellement jugées non durables par les scientifiques, en souhaitant que les pouvoirs publics en viennent à les appuyer. » Ce nouvel ouvrage poursuit donc le combat des deux directeurs en faveur de la géographie comme discipline autonome de la connaissance mais entend militer aussi pour le retour de l’approche globale en géographie (et dans d’autres domaines) qui peut aider à mieux comprendre les grands problèmes de notre temps.

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La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires.

Christophe Guilluy, La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires, Flammarion, 2014, 185 p.

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L’ouvrage de C. Guilluy a grandement défrayé la chronique médiatique et politique. Mais, au-delà des polémiques qu’il a suscitées, il s’agit d’abord d’un travail de géographie et qui mérite d’être lu et analysé à cette aune. Car l’auteur propose une grille de lecture à la fois sociale et spatiale pour décrypter une France a priori délaissée par ses gouvernants et ses intellectuels : «  cette « France périphérique », invisible et oubliée » (p.11). Mais son propos débouche également sur un questionnement d’ordre épistémologique et, partant, interpelle le monde des géographes qui semble avoir par trop négligé ce terrain d’investigation.

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