Banquet géorgien
Présenté par Gilles Fumey (Université Paris-Sorbonne) le 9 novembre 2009.

Les convives se pressent nombreux dans cet étonnant appartement de la rue Saint-Jacques, l’ancien cardo de Paris, au cœur du Quartier latin. Nous sommes tout de suite plongés dans l’ambiance d’un banquet géorgien, avec beaucoup de monde, de l’improvisation, mais tout va bien se passer et nous allons vivre un moment inédit. Il faut se serrer, trouver de la place, les uns s’assoient sur des tabourets, d’autres sur un canapé bas, d’autres enfin sur des chaises hautes le long du mur, mais la plupart prennent place autour de la table, élément important du banquet, comme le rappelle l’étymologie du mot banquet = banc de bois.

Le banquet Photographie : Jean-Pierre Nemirovski

Le banquet
Photographie : Jean-Pierre Nemirovski

Le banquet géorgien, ou supra, pour employer son nom local, est le plus souvent un dîner, mais ce peut être aussi un déjeuner, voire s’organiser à tout moment de la journée. Le supran’a besoin que d’un prétexte pour être organisé. C’est de toute façon une réunion où l’on mange et où l’on boit beaucoup (en Géorgie, le fait de participer à un supra exempt du travail le lendemain), un moment traditionnel et culturel très important, dans un pays où les traditions restent vives. Cette pérennité est aussi peut-être un moyen pour ce pays montagneux du Caucase, peuplé de 5 millions d’habitants, de résister à l’envahisseur : en 2008, c’était la 28e fois que la Géorgie se faisait envahir…

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Vins & fromages, un couple si français
L’affaire est entendue partout dans le monde : la France est l’un des rares pays au monde où l’on se passionne autant pour le vin que le fromage. Dans les campagnes, bien sûr, où les paysages sont une fierté nationale. Et à table puisque les Français sont les seuls au monde à avoir donné une place à cette passion. Entre le plat et le dessert, le plateau de fromages s’est glissé dans nos menus au 19e siècle, exigeant des gastronomes et des sommeliers de l’imagination pour domestiquer par le vin ces produits de terroirs paysans souvent forts en bouche, au goût très varié d’une région à l’autre et, finalement, déroutants.Aujourd’hui, l’étape fromagère à table n’est plus si fréquente et ce sont les grandes heures gastronomiques ou le repas chez soi qui tiennent lieu de célébration. Manger du fromage n’est plus systématique mais, symboliquement, on est là au cœur du « manger français » aussi bien ici qu’à l’étranger.
Repas yéménite
Nous sommes quatre étudiants de licence de géographie avec notre professeur Gilles Fumey au restaurant Al Marhabani qui se trouve au centre ville d’Abu Dhabi (Airport road). La question était simple : « Y a-t-il une cuisine yéménite ? » Question qui devait se formuler plutôt : « Comment est la cuisine yéménite ? Théâtrale ou non ? Simple ? Populaire ou ostentatoire ?

Dés notre arrivée au restaurant, lors d’une soirée pluvieuse, et juste à l’entrée, qui n’est pas très originale, on nous invite à prendre un escalier métallique. Au 1er l’étage, on est dans un autre monde. Le décor était impressionnant, typiquement arabique, digne des Mille et une nuits, avec des tapis traditionnels par terre et sur les murs, comme dans les tentes ou les maisons de torchis. Au mure, sont accrochés des objets décoratifs traditionnels yéménites. L’éclairage d’ambiance est très doux. Pas de musique mais uniquement comme fond, les échos de la chaîne arabe Al Jazzera.

Nous sommes accueillis par un serveur yéménite très sympathique qui nous propose de nous asseoir au ras du sol. Sur une carte de l’Atlas mondial des cuisines et gastronomies], notre professeur a dressé un état des lieux dans le monde des positions à table : nul doute que nous faisons partie de cette humanité qui mange par terre.

Très aimable, le serveur nous donne des explications sur la cuisine yéménite. Comme on doit s’y attendre, mais en n’y pensant jamais, il indique que la spécificité de la cuisine est surtout le mode de cuisson. On cuit à même la braise ou à la vapeur. Assez peu le ragoût comme on le voit dans le nord du monde arabe, se rattachant là au monde turc.

Sitôt, commence le service de ce qu’on appelle ici les entrées, terme qui n’a pas de sens au Yémen : salades composées de laitue, des tomates arrosées délicatement de jus de citron pour satisfaire ce goût acide que nombre de mangeurs apprécient dans leur cuisine.

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Banquet géographique – 10 ans des Cafés Géographiques

Retrouvez le compte rendu du banquet géographique organisé à l’occasion des 10 ans des Cafés Géographiques, ainsi que le livret de chansons composé pour l’occasion.

pdf_icon_16 2008 banquet 10ème anniv cafésgéo Les chansons

Repas sénégalais
Quelques données sur le Sénégal

Environ 200.000 km2 et 12 millions d’habitants. Population en croissance rapide et forte émigration : émigration du travail à destination de la France et aussi du Canada et des Etats-Unis. Emigration de commerçants vers l’Afrique du centre et de l’ouest. Rôle économique importants des remises des émigrés. La ville de Dakar est devenue une grosse agglomération (2,5 millions d’habitants).

Le Sénégal constitue un des carrefours importants de l’Afrique : c’est le point le plus occidental du continent africain. Dakar se situe à environ 15° de lat. nord. Climat de type intertropical avec des pluies en saison chaude (à Dakar de juin à octobre). Un gradient des pluies qui va de 300 mm au nord sur la frontière de la Mauritanie, à 1500 mm au sud sur la frontière de la Guinée-Bissau, donc d’une végétation steppique à une végétation forestière. En l’absence de tout relief important, c’est le climat qui détermine les oppositions régionales. Autre influence, celle de l’Atlantique. Le littoral est bordé par le courant froid des Canaries, très favorable aux poissons.

Du point de vue ethnique, une population (ou une ethnie) domine : les Wolofs. Leur langue est comprise à peu près partout et sert de langue de communication. Dans la péninsule du Cap Vert où se trouve Dakar, la population d’origine est celle des Lébous, qui parlent wolof. Autres ethnies, les Serer, les Peuls, les Mandingues et en Casamance les Diolas. Pour le propos qui nous intéresse, retenons l’opposition entre les peuples de la savane qui historiquement furent à l’origine de constructions politiques très hiérarchisées et commandant des surfaces étendues (tels les Wolofs) et les peuples de la forêt, atomisés, où l’horizon politique ne dépasse guère le village, tels les Serer et les Diolas. Ces derniers furent les seuls à adopter le christianisme, les Peuls, les Wolofs sont depuis longtemps islamisés. Le système des confréries y est particulièrement développé.

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Vins de cépage, vins technologiques… mais vins de qualité ?
Dégustation avec Raphaël Schirmer, (maître de conférence à l’Université Paris Sorbonne (Paris 4) organisée par l’association Urbams et Vincent Marcilhac, doctorant en géographie.

En France, la conception du vin, à mettre en parallèle avec la notion de terroir, est différente de celle en vigueur dans le monde anglo-saxon : le terme « technologique » y est entouré de mépris et même d’une vision d’horreur, celle d’une exploitation qui ressemble à une raffinerie de pétrole… Lors de cette dégustation, nous allons essayer de quitter nos préjugés.

En Bourgogne, la nature est considérée comme divine, supérieure, et ne peut faire que de bons vins. Clos Vougeot s’inscrit dans la longue durée, avec un savoir-faire ancestral et 1 000 ans de tradition. L’alliance nature/culture et le savoir-faire, consacré par les appellations d’origine contrôlée (AOC), ont permis l’émergence d’un discours, d’un vocabulaire, avec des codes (comment tenir son verre de vin blanc) et une tradition. Ce sont des vins qui se dégustent presque religieusement, entre happy few, pour lesquels il est nécessaire d’avoir le bagage culturel pour y accéder, à l’aide de tout un discours poétique. Dans la sérieMondovino, Robert Mondavi (décédé en 2007) raconte qu’il a visité l’Europe vers 1950 et entendu un discours traditionnel, dans lequel la fermentation malolactique est méconnue (deuxième fermentation des vins en plus de la fermentation alcoolique, dans laquelle la levure transforme le sucre en alcool).

A l’inverse, les vins du Nouveau Monde ont choisi de s’appuyer sur la technologie, avec des cuves en inox, des moyens de réfrigération, la haute technologie étant considérée comme un gage de qualité.

La nature propose des conditions favorables dans les régions du Nouveau Monde qui cultivent de la vigne, en Californie, en Australie et notamment au Chili, avec un bon ensoleillement dans ces régions dont le climat ressemble au climat méditerranéen. La tradition y est perçue comme poussiéreuse, un handicap même pour la production de grands vins. Les vins du Nouveau Monde ont souhaité mettre fin aux codes en vigueur dans les milieux viticoles (des gestes que l’on fait de tout temps (ou presque !), sans savoir pourquoi), s’ouvrir vers les jeunes, vers les femmes, vers les pays qui ne sont pas de culture viti-vinicole, et construire un projet démocratique afin que chacun puisse accéder au vin et y goûter. Le numéro de juillet 2007 de la revue Decanter, qui mentionne en surtitre « The World’s Best Wine Magazine », pose une question redoutable : Le terroir est-il un mythe ?, question à mettre en relation avec nos préjugés. Peut-on faire des vins, des grands vins, voire même d’excellents sur des terres sans histoire ?

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Banquet géorgien (ou supra)
A Jean Radvanyi, veilleur français sur le Caucase et à Tea Tsilanadze, à Tbilisi

Ils sont autour d’une table remplie de mets, levant le coude avec des cornes sans pied pleines de vins de jarre qu’ils boivent cul sec, sous les applaudissements des convives. Dans l’excitation des applaudissements se joue une pièce très originale dans le monde qu’est un banquet géorgien.

Les banquets géorgiens sont à nuls autres pareils dans le monde. Non pas une simple abondance de plats et de boissons que l’on retrouve dans tous les banquets, mais une somme de rites très anciens, dont le Banquet de Platon peut donner une idée. Des rites qui cimentent une société autour du vin, que les pouvoirs publics occidentaux ont stigmatisé dans leur absurde politique publique de lutte contre les effets d’abus d’alcool. Dans des sociétés rurales caucasiennes où la mobilité est réduite, où les loisirs sont forcément limités, le supragéorgien – nom local du banquet – est un moment de sociabilité très fort qui soude les populations.

La ritualisation [1] la plus originale de ce banquet est l’institution d’un tamada, personnage orchestre du repas qui fait vivre le banquet au rythme des convives, qui élargit le périmètre symbolique de la table aux dimensions de la famille, de la nation et du monde entier. L’autre originalité est le maintien de ces pratiques festives au moment où, dans beaucoup de régions du monde, les pratiques alimentaires individuelles semblent prendre le dessus sur les repas collectifs. Le supra géorgien fait mentir l’idée qu’une mondialisation alimentaire serait en route et uniformiserait nos manières de manger.

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Petite chronique automnale sur le goût
Et si la saison d’automne était aussi pour parler du goût ? D’un goût qui change, qui affole les uns, rassure les autres. Un sujet géographique et bien français depuis Brillat-Savarin et son essai d’une « physiologie » qui étonne encore Carlo Petrini, président de Slow Food, plaçant notre gastronome comme la référence de son combat pour le bien-manger.

Les assiettes en délire

Christian Millau, fondateur du guide éponyme avec Henri Gault (1972) sonne la charge contre la pédanterie culinaire dans un livre savoureux : Le guide des restaurants fantômes ou les ridicules de la société française (éd. Plon). Il dénonce, sous la forme de petits tableaux de restaurants imaginaires, la flatterie médiatique qui a eu raison des plus talentueux des cuisiniers, devenus « artistes du goût », « poètes des arômes », « compositeurs des sens », « architectes des saveurs », sans compter les « Mozart » de la pâtisserie qui n’ont d’égaux que les « Picasso » de la cuisine de chasse, en attendant les Proust de la madeleine et les Gracq des poissons de Loire. Les assiettes sont devenus un champ de bataille du design qui imposent, a minima, « un tracé de mangue sur turbot infusé à l’essence de kumbawa (sic)… Autrefois, c’était toujours plus de crème, toujours plus de truffe, pour faire riche et chic, maintenant c’est toujours plus de chutney, toujours plus de curcuma pour faire jeune et moderne ».

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Le goût des vins rosés
Une pierre supplémentaire dans le jardin de Roger Dion, l’inventeur des consommateurs dans la chaîne du vin, depuis son ouvrage phare, l’Histoire de la vigne et du vin en France(Flammarion, 1959). Le vin toujours perçu comme une affaire de producteurs, toujours analysé comme le produit d’un sol et d’un climat et qui doit partir à la conquête des consommateurs, une fois mis en bouteille après le passage en barriques… Eh bien, tout est à revoir ! Les producteurs de vins rosés le savent : ce ne sont pas eux, producteurs, qui vont chercher les consommateurs, ce sont les consommateurs qui viennent à eux. Sur les années 1991-2006, le marché français du rosé est passé d’une part modeste de 8% à près d’un cinquième : 18,5%. Et la croissance s’accélère ! Selon Viniflhor, ce sont pas moins de 7,15 litres par an et par ménage qui sont bus en France, et dans des proportions croissantes dans tous les pays européens. Plus de 32 millions de Français boivent du rosé. Et 70% de la progression de ce marché est réalisée par des clients qui ne consommaient pas de vin avant. Ailleurs en Europe, la tendance est la même : la croissance prévisionnelle est de 25% aux Pays-Bas d’ici à 2010.
Repas turc
Repas géographique animé par :
– Christian Boudan, auteur de l’ouvrage Géopolitique du goût. La guerre culinaire, PUF, 2004
– Michel Sivignon, géographe émérite à l’Université Paris-X Nanterre
– Gilles Fumey, géographe de l’alimentation à l’Université Paris-Sorbonne

Gilles Fumey présente le repas et la soirée en indiquant que la cuisine turque est considérée comme l’une des quatre plus importantes cuisines du monde (avec la chinoise, la mexicaine et la française), et beaucoup pensent qu’elle est plus importante que notre cuisine quant à son influence. Ce soir, nous avons avec nous deux invités qui vont nous parler de la cuisine turque et l’une de ses épigones, la cuisine grecque. Christian Boudan est un passionné de cuisine et il a écrit deux livres sur ce sujet. Le premier, Géopolitique du goût, traduit notamment en turc (ce qui permet de souligner au passage que les Turcs sont un peuple très gourmand et passionné de cuisine). Le deuxième invité, Michel Sivignon, est spécialiste de la Grèce. Il est aussi le premier animateur des repas géographiques, dont le premier avait été, en 1999, un repas grec (nous avons dégusté, depuis, plus d’une trentaine de repas géographiques). Nous verrons ce soir si ces deux nations, qui entretiennent des rapports conflictuels, peuvent dialoguer par l’intermédiaire de la cuisine.

Pour Christian Boudan, la cuisine turque est un « vaste sujet, qui plonge loin ses racines dans le temps ». Il se rappelle avoir fréquenté, dans les années 1960, les deux restaurants « grec oriental » qui existaient alors au Quartier latin. Christian Boudan précise d’emblée qu’il n’existe pas une mais des cuisines turques. La cuisine d’Istanbul est liée à la Méditerranée, avec beaucoup de poissons, alors que la cuisine d’Erzurum, dans l’est du pays, se rapproche de celle des steppes de l’Asie centrale. Nous avons donc affaire à des mondes culinaires très différents selon les régions dont on parle.

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