Café géo de Montpellier du 16 janvier 2018, avec Laurent Chapelon, professeur des universités à l’Université Paul Valéry de Montpellier.

Résumé :

La restructuration des dessertes TGV des villes françaises conjointement au déploiement de la grande vitesse ferroviaire relève d’enjeux multiples, variables selon les échelles territoriales concernées. Alors que les liaisons à longue distance demandent des dessertes périurbaines de courte durée minimisant les temps de parcours, des enjeux régionaux et locaux militent pour une desserte centrale des agglomérations. La présentation s’attachera à objectiver les choix possibles de localisation des gares nouvelles et à montrer l’existence d’un modèle français caractéristique en la matière.

Pour les villes qui sont desservies par la grande vitesse ferroviaire, l’implantation des gares TGV constitue un enjeu majeur : elles orientent les pratiques de déplacements ainsi que la mobilité de la population. Mais a-t-on un modèle type de gares nouvelles ? Ce modèle est-il adapté ? Peut-on l’améliorer ?

Le point de départ de la réflexion, ce sont les gares implantées en rase campagne. Prenons pour exemple la gare « Lorraine TGV » mise en service en 2007. C’est une gare de « non décision » entre Metz et Nancy. En effet, les deux villes ont émis le souhait de bénéficier d’une telle infrastructure. Par conséquent, la gare a été implantée entre les deux agglomérations, à 35km de Nancy et 25km de Metz, sans connexion TER. Cette gare est dès lors et avant tout un vaste parking de 950 places, avec une fréquentation d’usagers qui viennent quasi exclusivement en voiture.

  1. Les enjeux du déploiement de la grande vitesse

Est-il pertinent de construire ce type de gare ? Le modèle a-t-il évolué ? A-t-on corrigé le tir ?

La première ligne à grande vitesse (LGV) fut celle de Paris à Lyon (1981). Aujourd’hui, ce sont plus de 2600 km de lignes à grande vitesse qui ont été construites. Le réseau s’est donc rapidement développé (pas assez pour certains, trop pour d’autres).

Dans ce contexte, l’enjeu des gares TGV s’étudie à diverses échelles :

A l’échelle internationale, l’Europe défend le développement des LGV ; le TGV étant un système de transport rapide, efficace, qui favorise les échanges et permet de minimiser les émissions de gaz à effet de serre.

L’Union Européenne promeut donc son réseau ferroviaire à grande vitesse. Elle souhaite améliorer les liaisons entre les métropoles, ainsi qu’entre les pays limitrophes. Si aujourd’hui le trafic vers l’Espagne n’est pas à la hauteur de celui escompté,, à terme, le trafic international devrait progresser. L’objectif est ainsi d’accroître les capacités ferroviaires sur les trajets internationaux. C’est d’ailleurs ce qui explique que des gares se soient développées dans certains aéroports.

A l’échelle nationale, le réseau ferré est structuré vers et depuis Paris. Ce réseau radial répond à une forte demande. Par ailleurs, il y a aussi une volonté, pour des raisons environnementales, de concurrencer le transport aérien. De plus, le TGV comporte de nombreux avantages : il peut desservir le cœur des agglomérations, permet de valoriser  les temps de déplacement en travaillant dans le train. Cependant le déséquilibre d’investissement entre le nord-est et le sud-ouest de la France doit être résolu à l’avenir. A ce sujet un fort lobbying s’est mis en place en Occitanie pour développer des lignes transversales, étendre le réseau au-delà de Bordeaux, de Montpellier.

Si l’on regarde le réseau plus en détail, on constate qu’il reste centré sur Paris avec les lignes Paris-Lyon, Paris-Lille en direction de Londres et Amsterdam, Tours-Bordeaux et Paris-le Mans-Rennes. Les Lignes à Grande Vitesse en projet restent essentiellement radiales : Paris-Evreux-Rouen / Paris-Dijon / Paris-Orléans-Bourges-Nevers-Moulins-Lyon / Poitiers-Limoges / Montpellier-Perpignan / Bordeaux-Toulouse / Bordeaux-Espagne / Marseille-Nice… La contrepartie de ce développement de la grande vitesse, c’est que certaines villes moyennes qui étaient bien desservies par le réseau ferré classique le sont moins aujourd’hui. Parmi les projets, certains ont été reportés puisqu’une partie des financements a été réinvestie dans la rénovation des lignes existantes et dans l’amélioration des trains du quotidien.

A l’échelle régionale, l’enjeu est de diffuser la grande vitesse au plus grand nombre. Depuis la loi NoTRE, la région peut désormais avoir la main sur les autocars interurbains, en plus des transports ferroviaires régionaux. L’idée c’est d’avoir un chef de fil de l’intermodalité capable de  renforcer l’attractivité du TER et plus globalement des transports en commun.

A l’échelle locale, les gares ne peuvent être déconnectées des transports collectifs  urbains. Il y a, là aussi, une véritable réflexion intermodale à avoir, puisque la voiture est de plus en plus contestée en ville. Le vélo et la marche se développent. Avec ce développement intermodal, il y a la volonté de dynamiser l’économie locale : certaines entreprises souhaitent s’implanter à proximité des gares pour bénéficier de l’image positive associée aux quartiers de gares rénovés.

2. Gare périphérique ou gare centrale ?

Ces différentes échelles ne sont pas forcément compatibles et n’ont pas les mêmes attentes en termes de localisation. Faut-il donc préférer les gares périphériques ou les gares centrales ?

Les atouts des gares périphériques :

– Gain de temps lors des arrêts TGV

– Fréquences des dessertes plus élevées

– Gains de temps de parcours

– Gains de sillons ferroviaires sur les lignes classiques et donc repositionnement des TER

Les atouts des gares centrales :

– Accroissement de l’attractivité des secteurs denses et centraux

– Valorisation d’un atout fondamental du rail par rapport à l’avion

– Réduction des ruptures de charges en Transports en Commun

– Suppression du temps de rabattement vers et depuis le centre-ville

– Renforcement de l’intermodalité au profit des transports collectifs

– Réduction de l’usage de l’automobile.

On constate donc plusieurs atouts pour chacune des deux options.

Concernant les gares nouvelles en France, il y a clairement un modèle qui ressort : la construction de gares périphériques  dont certaines sont complètement isolées, à 50km des villes qu’elles doivent desservir. Ce sont des gares dites ex-urbanisées qui constituent aujourd’hui le modèle dominant notamment dans le sud de la France où les agglomérations ont fait le choix de ce type de gare et d’un rabattement vers le centre par bus, tramways, navettes ferroviaires… C’est un modèle qui  privilégie la performance du système TGV en minimisant la perte de temps lors des arrêts au détriment du temps d’accès à la gare propre dit.  Ce modèle a cependant été remis en cause récemment dans la mesure où les deux dernières LGV mises en service en France (Bretagne Pays-de-la-Loire et Sud Europe Atlantique) n’ont pas donné lieu à la construction de gares nouvelles.

3. Vers un modèle optimal de desserte ?

Nous pouvons envisager différents modèles de gares TGV. Nous nous pencherons sur deux scénarios possibles :

Scénario 1 : Desserte centrale en amenant la grande vitesse en centre-ville sans pénaliser les longues distances.

Conditions :

– Adapter la plateforme ferroviaire actuelle aux normes de la grande vitesse ou passer en sous-terrain

– Optimiser le raccordement avec la LGV en entrée et sortie d’agglomération

Scénario 2 : Desserte centrale et périphérique (gare nouvelle) sous conditions :

– Liaison ferroviaire  ou TCSP performante entre les deux gares

– Connexion de la gare nouvelle au réseau de transports en collectifs urbains

– Renforcement de l’intermodalité en gare nouvelle

– Proximité du tracé LGV avec le tissu urbain existant pour intégrer la gare nouvelle à un projet urbain cohérent

– Maintien des dessertes TGV en gare centrale

Quand on regarde les possibilités de réaliser ces scénarios en France, on se rend compte que le modèle actuel n’est pas totalement performant. On peut créer de la grande vitesse sans créer de gares nouvelles, avec des barreaux de raccordement. Cependant, aujourd’hui, soit le raccordement des lignes est incomplet, soit il est inexistant. Il y a peu d’exemples qui fonctionnent bien.

Montpellier Sud de France : un scénario de bi-gares incomplet.

La gare nouvelle périurbaine se situe à 4km du centre-ville. Elle a coûté 135 millions d’euros et sera mise en service en juillet 2018. Elle nécessitera un prolongement de la ligne 1 du tramway non financé à ce jour.

Contraintes :

– Accroissement des flux automobiles dans un secteur saturé.

– Temps de rabattement en transports collectifs conséquents (30 min depuis la gare Saint Roch, 1h depuis la Mosson).

– Desserte de la gare nouvelle dépendante de la construction de la gare de Nîmes Manduel.

Nîmes Manduel : un scénario de bi-gares également incomplet.

Elle se situe à 10 km du centre-ville, à l’intersection de la ligne classique  Nîmes-Avignon et de la ligne à grande vitesse. Le rabattement par TER vers le centre de Nîmes avec une possibilité de navettes depuis la gare nouvelle est intéressant. La gare sera livrée fin 2019/début2020, avec un parking de grande capacité.

Contraintes :

– Rabattement vers/depuis le centre de Nîmes pénalisé.

– Absence de barreau de raccordement à l’ouest de Nîmes.

– Implantation de la gare nouvelle hors du tissu urbain existant.

– Rabattement des TER vers/depuis Alès en gare centrale contraignant l’accès ferroviaire à la gare nouvelle depuis la deuxième ville du département du Gard

Pour conclure, le choix dominant qui a été fait, en particulier dans le sud de la France est de construire des gares ex-urbanisées. Souvent, dans les scénarios envisagés, la connexion avec la gare centrale a été mal pensée (voire pas du tout). Un modèle qui accorderait en amont plus d’importance au rabattement en transports collectifs est cependant nécessaire ce qui éviterait de mettre en place des mesures correctrices a posteriori.

Compte rendu rédigé par Emma Berger, Association des étudiants en géographie Le Globe de l’Université Paul Valéry de Montpellier et complété par Laurent Chapelon