A l’occasion du Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges édition 2017, François Taglioni, professeur à l’université de La Réunion, et Emmanuelle Surmont, doctorante à l’université Bordeaux-Montaigne, ont tenté de répondre à une question sensible devant un public nombreux venu les écouter au bar Thiers ce vendredi 29 septembre 2017 : « Comment faire cohabiter hommes et requins à l’île de La Réunion ? »

Depuis 2011, les attaques de requins sont plus fréquentes sur les côtes américaines et australiennes, mais c’est l’île de La Réunion, et particulièrement sa côte ouest, qui est relativement la plus concernée.

Pour essayer de comprendre ce phénomène, François Taglioni a constitué une base de données sur ces attaques afin d’analyser les variables environnementales, contextuelles et individuelles du jour des attaques. Certes le moustique reste l‘animal le plus dangereux pour l’homme, mais le taux de mortalité qui découle des attaques de requins (sur les 24 intervenues entre 2011 et 2017, 40% ont été mortelles) inquiète la population. Surtout que le nombre de personnes à risque est bien plus élevé face à l’aléa piqure de moustique que morsure de requin.

La zone dans laquelle se concentrent les attaques, correspond à celle des activités balnéaires. Les sports de glisse sont les premiers concernés, mais il n’y a aucune relation entre la forme de la planche du surfeur et les attaques (la planche, plus longue, du surfeur constitue, au contraire une protection plus efficace que celle du bodyboarder). Les attaques par le requin-bouledogue, causant les blessures les plus délétères, sont la principale raison de cette surmortalité à La Réunion.

François Taglioni a étudié la fréquence des attaques en fonction d’un certain nombre de paramètres (saison, heure de la journée, turbidité de l’eau, type de sport…). Certains éléments explicatifs souvent donnés sont confirmés, d’autres infirmés :

– les requins sont plus agressifs en période de reproduction. La saison est donc à prendre en compte.

– la turbidité joue un rôle majeur car le requin, notamment le bouledogue, n’aime pas les eaux claires.

– mais la Réserve marine dont la biomasse a diminué, ne constitue pas un « garde-manger » pour les requins qui, de plus, ne consomment pas de tortues.

– l’existence de requins « déviants » semble fantaisiste.

– les requins ne sont pas attirés par les cages aquacoles.

– contrairement à ce qui est souvent dit, les requins tigres et bouledogues ne sont pas des espèces protégées. C’est la commercialisation de leur chair qui est interdite pour des raisons sanitaires (présence d’une toxine) et non leur pêche.

Pour une connaissance plus précise de ce travail de recherche vous pouvez consulter :

François Taglioni et Sébastien Guiltat, « Le risque d’attaques de requins à La Réunion », EchoGéo [En ligne], Sur le Vif, mis en ligne le 29 avril 2015.

On peut distinguer plusieurs périodes dans les réactions de la population réunionnaise :

– 1980-1990 : le risque est socialement accepté. En fréquentant le « territoire du requin », les surfeurs étaient conscients d’être dans des espaces à risques. Tout particulièrement le Sud et l’Est de l’île où les eaux sont plus « turbides »

– 1990-2000 : il y a prise de conscience du risque et prise de conscience que le risque concerne tous les espaces ouverts sur l’océan, y compris l’Ouest, là où il n’y a pas de lagon. L’inquiétude est liée à l’absence de mesures préventives des autorités (crainte d’une mauvaise image de la côte ouest au moment où on cherche à la valoriser pour le tourisme balnéaire.).

– 2000-2010 : les activités de glisse se développent. On oublie alors le risque au début de la décennie mais les attaques de la seconde moitié de la décennie suscitent la colère et la recherche de boucs-émissaires (la Réserve marine est accusée de servir de « garde-manger »aux requins). On accuse aussi les Dispositifs de Concentration des Poissons (les cages aquacoles, la surpêche au large, les pollutions liées à l’urbanisation littorales, etc).

A partir de ce moment, le risque n’est plus accepté. L’interdiction des activités par arrêtés préfectoraux (depuis 2011) est vue comme un refus de gestion, une non-prise en compte des enjeux selon un petit groupe particulièrement actif de surfeurs et chasseurs sous-marins, qui forment des associations. Leur stratégie est de ne pas se présenter comme un groupe formé autour d’une activité de loisir mais comme des « pères de famille », des lanceurs d’alerte dénonçant un problème de santé publique. Ce petit groupe dispose d’une réelle puissance médiatique.

Se met en place un jeu d’information/désinformation, de contestation des résultats scientifiques, des recherches menées par l’IRD notamment, accusé de collusions avec les associations écologistes.

De 2011 à 2014, la période est marquée par des blocages et une cristallisation des tensions autour de la question de la pêche, la remise en cause de l’existence de la réserve marine et des mesures d’interdiction de la pêche (notamment pour suspicion de cigatera).

Aujourd’hui, un certain nombre de mesures ont été prises bien que la gestion publique de la « crise requin » s’est avérée particulièrement difficile et expérimentale.

Depuis 2011, des arrêtés préfectoraux et municipaux interdisent les activités nautiques hors des zones surveillées.
Plusieurs dispositifs de protection ont été testés : mentionnons les actions des vigies requins (surveillance des sites de surf par des apnéistes), la pose de filets anti-requins depuis 2014 sur les plages les plus fréquentées de l’ouest, des actions de sensibilisation (panneaux), la mise en place d’un relais de l’information sur un site internet, etc.

Des modalités de pêche des requins ont été instaurées depuis 2014, avec le déploiement d’un réseau de palangre de surface (drumline) dans l’Ouest de l’île. Elles complètent le dispositif scientifique d’écoute acoustique et de caméras sous-marines visant à évaluer la fréquentation de la zone par les requins.

Lors des attaques de février et d’avril 2017, des sessions de pêche avaient été décidées à proximité du lieu de l’attaque. Ces actions de prélèvement de requins sont saluées par les associations de surfeurs et décriées par les écologistes, car même si un grand nombre de requins tigres et bouledogues sont pêchés, il n’est pas prouvé qu’ils soient les spécimens impliqués dans les attaques.

La Région a cessé de subventionner la réserve marine afin de recentrer ses financements sur vigies requin et entretiens des filets.
Jusqu’à maintenant aucun dispositif ne semble vraiment efficace.

Pour approfondir ce travail, vous pouvez consulter le dossier :

Emmanuelle Surmont, « Peur sur les plages. Du “risque requin” à la “crise requin” à la Réunion », Géoconfluences, 2016, mis en ligne le 14 avril 2016

URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/risques-et-societes/corpus-documentaire/peur-sur-les-plages-requins-reunion

Compte rendu rédigé par Michèle Vignaux