A côté du dessin des géographes les architectes ont fourni un grand nombre de dessins. Historiquement, les premiers dessins d’architectes sont les plus anciens. Ils remontent jusqu’à la Renaissance.
Il est parfois difficile de dire si tel dessin ressortit à la géographie ou à l’architecture, même en ne comparant que des oeuvres de même époque historique. Particulièrement pour les dessins contemporains où les architectes revendiquent leur filiation par rapport aux formes issues directement de la nature.

Emprunts d’un géographe à l’architecture.

Jean Bisson, géographe, auteur de « La terre et l’homme dans les Iles Baléares » Edisud, Aix. 1977 utilise les dessins d’architectes pour nourrir son propos d’analyse géographique.
Il note qu’à Minorque les murs de clôture atteignent une rare perfection, comme le montre le croquis emprunté à une très belle étude de l’architecte local Tomas Vidal : le mur de clôture est une construction remarquable par ses qualités esthétiques, oeuvre d’un spécialiste, le « parededor », qui, aidé de deux ou trois manoeuvres, sans outil, sait admirablement choisir et appareiller les pierres si abondantes dans les champs.

Architecture ou géographie ?

Architecture ou géographie ? Si on en ignore la provenance, il est parois impossible d’attribuer tel dessin à un géographe ou à un architecte. Le choix de l’architecte est le plus souvent de s’en tenir au détail de la construction, sans référence au paysage dans lequel la construction s’insère. Mais on trouve des dessins de géographes qui répondent aux mêmes caractéristiques.

Ci-dessus deux dessins du géographe P. Deffontaines extraits de son « Petit guide du voyageur actif ». Ils représentent à gauche un moulin à huile fonctionnant à la main et à droite un détail d’une cave à vins, le tout dans les Baléares. L’auteur ne prétend pas se limiter à une vision géographique.
Le titre de son ouvrage l’indique, et aussi le commentaire qui accompagne ces deux dessins. On se rapproche plutôt ici d’une forme d’ethnographie de la vie quotidienne. Au demeurant les dessins qui illustrent les ouvrages de géographie sont des dessins de géographes, en référence à leur formation.
Sont-ils pour autant des dessins de géographie ?

On peut se poser la même question pour les dessins d’architectes représentant des intérieurs d’habitations, dont on a reproduit un exemple avec une cheminée et des ustensiles de cuisine.
Il existe des dessins propres aux géographes, tels les blocs-diagramme inventés par Emmanuel de Martonne. Pour l’immense majorité des autres dessins, ce sont des croquis où à coup sûr la formation géographique du dessinateur oriente le crayon

Une illustration : éléments d’architecture populaire grecque.

Une tendance rapproche l’architecte du géographe : le souci d’une sorte de degré zéro de l’architecture, très proche de la géologie

On se limitera à l’architecture de la Grèce moderne, telle que nous la présente le recueil d’Aris Konstantinidis « Eléments d’auto-connaissance, photographies, dessins, notes : une architecture de vérité » (en grec) Athènes, 1975. Fondation Ford et Ecole Américaine d’Etudes Classiques

Aris Konstantinidis souligne la parenté de l’architecture populaire avec la géologie sur laquelle elle s’appuie. Tel est le paysage du Magne (fig. 1), qui n’est absolument pas typique de cette région du Péloponnèse.

Fig. 1 Aris Konstantinidis Paysage du Magne (Péloponnèse)

Le choix d’Aris Konstantinidis privilégie l’architecture populaire. Les deux croquis de Myconos (fig. 2 et 3) ont été réalisés en 1939,

Fig. 2 Myconos 1939

 

Ont-ils maintenant un intérêt autre qu’ historique ? Qu’ en reste-t-il devant la vague touristique ?. Même remarque pour les croquis d’abris pour le bétail (fig. 4), qui ont vraisemblablement disparu devant l’urbanisation qui a submergé l’Attique. Toutefois, une partie notable des croquis d’Aris Konstantinidis ne vise pas la pérennité
mais seulement un usage temporaire : on sait que ces constructions en bois et paille tels les abris pour les troupeaux ne dureront pas. Il y a sans doute une contradiction avec les dessins qui montrent au contraire la continuité entre la structure géologique et le construit
tel le croquis d’un mur du Magne ci-dessus.

 

Fig. 3 Myconos 1939

Figure 4 Abris pour les troupeaux Aris K. ( Loutsa, Attique 1970)
Aris Konstantinidis raconte dans son ouvrage p. 299 :« Un groupe de touristes se rend au Cap Sounion, Quand tous sont rassemblés devant le temple du Cap Sounion, une Américaine demande au guide : C’est ça ? Est-ce fait par l’homme ou par la nature ? Extraordinaire question. C’est la merveille de l’espace grec : s’arrêter devant n’importe quelle construction (antique ou contemporaine) et se demander si c’est une construction de l’homme ou de la nature. Ainsi chaque élément architectural véritable s’adapte à l’échelle du lieu jusqu’à faire un avec lui. » Aris Konstantinidis revendique « une architecture de vérité ». Il réclame une continuité entre les pierres issues de la formation géologique et celles que ses contemporains assemblent. Toute référence à l’Antiquité paraît bannie.

Il y a sans doute quelque parti pris systématique dans ces affirmations qui demandent à être nuancées. Pour retrouver aujourd’hui cette architecture grecque populaire, proche du milieu naturel, il faudrait quitter la Grèce de l’Egée, en direction de la Grèce du Nord où l’architecture traditionnelle a bien mieux résisté. Mais Aris Konstantinidis ne semble pas l’avoir beaucoup fréquentée. Les géographes ont été beaucoup plus curieux de la variété régionale de l’architecture grecque.

Finalement, ce que le dessin du géographe apporte, c’est par le paysage décrit et interprété, une intelligence de l‘ensemble du visible, où prennent leur place les formes multiséculaires, et dont beaucoup sont antérieures à l’apparition de l’homme sur cette planète, à côté du résultat des constructions qui se succèdent, selon le déroulement des siècles, mais aussi selon les structures des diverses sociétés et selon les mouvements de population qui les animent.

Michel Sivignon octobre 2022

PS. Il faut mentionner les articles de Jacques Pezeu-Massabuau, illustrés de dessins de maisons japonaises ou chinoises et fondés sur une réflexion fondamentalement géographique qui prend le contre-pied de l’idée de constructions directement issues de l’environnement physique le plus proche, puisque la maison japonaise a été conçue dans un milieu tropical humide , et qu’elle est mal adaptée aux hivers froids de l’archipel.

https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1966_num_75_409_17239#geo_0003-4010_1966_num_75_409_T1_0290_0000

https://www.persee.fr/doc/caoum_0373-5834_1969_num_22_87_2516#caoum_0373-5834_1969_num_22_87_T1_0284_0000