Aborder le nouveau volet de Superman avec un regard d’abord géographique ouvre d’intéressantes perspectives sur la manière dont les États-uniens perçoivent leur espace et le monde en général.
Un monde centré sur les États-Unis mais avec un questionnement sur le futur bien spécifique.

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Un film centré d’abord sur les États-Unis, comme ensemble constitué
À plusieurs reprises des vues d’ensemble de la Terre sont présentes à l’écran, comme des images prises par des satellites. Elles sont dans leur grande majorité centrées sur les États-Unis et plus précisément sur la côte Est. On peut en particulier penser au moment où est à l’écran une image de la Terre vue de nuit ce qui fait alors ressortir la lumière émise par la Mégalopolis, rappelant d’ailleurs les travaux de R. Florida sur le light-based regional product où la lumière est d’abord signe de puissance.
D’autre part l’ultimatum envoyé à la Terre par le général Zod est en théorie reçu par la totalité des humains : outre les États-uniens, on voit des Espagnols, des Chinois et des nomades (d’abord d’Asie centrale puis du Sahara semble-t-il) le regarder. Cependant l’universalité s’arrête là, il n’y a visiblement aucune réaction d’autres autorités politiques ou militaires lors des affrontements sur Terre ou dans l’espace. Il faut croire que les autres puissances sont moins inquiètes face aux discours belliqueux.

Le discours proposé est donc peu surprenant pour un blockbuster : les États-uniens sont – presque – seuls sur Terre et sont en tout cas les seuls à même de répondre à une menace extra-terrestre.
Les États-Unis sont également une puissance conçue comme complète, unie. L’idée de livrer « un des nôtres » lors de l’ultimatum du général Zod fait référence en théorie à l’humanité mais n’est pas dissociable de la première puissance de la planète, militaire comme de juste.
De fait la superpuissance mondiale est représentée avant tout par une de ses composantes essentielles : son armée. Pas de Président des États-Unis comme figure de pouvoir ni de Bureau ovale comme décor : on parle bien ici de la puissance militaire et des valeureux soldats (avec le melting-pot réglementaire dans le casting), confirmant la place primordiale de l’armée dans la perception de l’État (et dans le budget de ce dernier).
Si on change d’échelle et qu’on s’intéresse aux décors choisis, on voit que le film suit les prescriptions de l’univers Marvel et les met en valeur.
Dans l’univers Marvel, Clark Kent vient du Kansas. Le film reprend cette donnée en faisant dire à l’acteur principal à la fin du film qu’il est nécessairement patriote puisqu’il a grandi dans cet État1. Outre l’aspect humoristique de la réplique, on peut noter que le Kansas est vu comme le cœur des États-Unis, ce qu’il est géométriquement mais pas du point de vue du peuplement, les fortes densités se trouvant au contraire d’abord sur les côtes.
L’autre prescription tient à Métropolis. Le général Zod cherchant à détruire la Terre, il utilise deux points diamétralement opposés pour prendre la Terre en étau et la détruire : la ville imaginaire du Daily Planet est choisie pour être l’un des deux lieux de la destruction ultime (avec, en regard, un point quasi-inhabité de l’Océan Indien, la concurrence n’est pas très rude). En l’absence de géo-symbole et donc sans Statue de la Liberté ce sont des buildings très classiques et parallélépipédiques qui sont détruits. Ils font d’une part référence à la skyline que beaucoup de villes (et pas seulement états-uniennes) mettent en avant : en détruisant cette image identitaire, on détruit bien la ville par métonymie. D’autre part les tours très classiques peuvent évidemment rappeler les Tours Jumelles : les séquelles du 11 septembre 2001 sont toujours présentes, ranimées par tous les films à gros budgets mettant en scène des paniques urbaines comme Transformers ou Avengers, pour rester dans l’univers Marvel.
Enfin un épisode de violence surtout symbolique est lorsque le général Zod lance la voiture des parents Kent sur la maison toute proche (pour quelqu’un qui projette Superman sur des centaines de mètres, pas sûr que ce soit un effort surhumain). Le geste est efficace : détruire ensemble la mobilité et l’habiter à travers leurs stéréotypes du 4×4 et de la ferme isolée est un moyen sûr de s’aliéner la totalité de la planète (des États-Unis donc) et de déclencher l’ire des défenseurs des libertés premières.

Vers l’espace et au-delà : les véritables innovations géographiques ?
Si la vision des États-Unis paraît tout à fait classique, c’est dans le rapport à l’espace extra-terrestre que Man of Steel est peut-être le plus intéressant à décrypter.
Une des idées-forces développées dans le film est que chaque planète a un seul et même destin : on parle du futur d’une planète dans son ensemble, on évoque l’évolutionnisme et chaque planète a sa chance ; c’est le sens de la réplique de Superman qui affirme que Krypton a laissé passer ses chances et doit abandonner alors que la Terre possède encore un futur ouvert.
L’évolutionnisme se retrouve dans la lecture darwinienne proposée par le second couteau du général Zod : ce sont les plus évolués qui gagnent, les plus à même de survivre. Visiblement ce sont les humains qui ont acquis cette place à la fin du film, qui ont ce rôle messianique inhérent à l’image que se font d’eux-mêmes les États-uniens, peu gênés de se dépeindre comme les leaders de l’humanité. On n’a pas ici une exception : le principe de darwinisme social est fréquemment repris aux États-Unis.
Or la question qui se pose est bien évidemment pourquoi Krypton a perdu sa chance, comment a-t-elle fait pour échouer alors qu’elle était florissante ? Deux éléments principaux sont avancés par Jor-El, le père de Superman : un arrêt de la politique expansionniste et une exploitation à outrance des ressources de la planète, conduisant à son autodestruction.
Trois choses sont frappantes : d’une part la récurrence d’allusions à ces deux processus (en particulier au problème des ressources), d’autre part leur déconnexion de l’intrigue (il n’y a pas de débat au sein du film sur ces questions) et enfin leur congruence avec des attitudes contemporaines.
Prenons le cas des « avant-postes » déployés par Krypton et qui ont d’après Jor-El permis le succès de leur civilisation en la menant à son apogée : d’après le rapide récit qui en est fait dans le film, ils permettaient d’amasser de l’énergie et de quoi se développer, de maintenir une dynamique positive (il n’est pas précisé comment). Se servir de « l’énergie des étoiles » est apparemment la seule solution prônée par le père de Superman, dont on apprend par la suite qu’il est un brillant scientifique. Visiblement l’impérialisme est bien prôné.
Or ces avant-postes ont été abandonnés, au profit d’une exploitation des ressources présentes sur Krypton. Une exploitation visiblement dangereuse puisque la destruction de la planète est la conséquence des prélèvements. Là où cette « exploitation des ressources » doit être relevée c’est qu’elle est fréquemment reprise et fait systématiquement figure d’argument d’autorité, alors qu’aucun développement ne l’étaye.

L’expansionnisme et l’impérialisme sont des procédés communs des acteurs politiques, militaires ou économiques actuels : certains phénomènes contemporains (voir le land grabbing) peuvent être lus comme de l’expansionnisme. En ce qui concerne l’exploitation des ressources, il n’est pas nécessaire de développer la question des énergies fossiles. Il ne s’agit pas de franchir le pas qui consisterait à dire que les avant-postes kryptoniens sont des métaphores pour les investissements dans les pays extérieurs aux États-Unis et l’exploitation des ressources une référence au gaz de schiste dont les risques sont encore nombreux. Cependant l’analogie des situations est frappante et pertinente du point de vue heuristique.
Si ces analogies devaient être faites, la distinction scalaire avec d’une part les États-Unis et d’autre part la planète et l’espace ne serait plus pertinente, ne serait pas à proprement parler une distinction d’espaces différents mais une distinction des caractéristiques variables d’un même espace selon l’angle pris. On pourrait même considérer que c’est une sorte de confusion scalaire entre les États-Unis et la planète dans son ensemble qui rend frappant le discours géographique tenu par Man of Steel : l’humanité confondue avec ceux qui se nomment les Américains, le salut d’une espèce dans les mains d’un peuple élu ; ce qui est sous-jacent c’est que les choix à faire dans le futur pour éviter la même destruction que Krypton passent par les décisions des États-uniens.

Il ne faut pas voir les messages présents dans le film comme des éléments rodés d’un discours globalement écologique et altermondialiste : si on met bien en garde contre l’exploitation des ressources, c’est l’impérialisme qui est valorisé à travers les avant-postes kryptoniens (qui connaissent cependant une fin funeste). On a bien une construction discursive originale.

Conclusions
Reste donc, après ce film, le double choix à faire par les États-Unis de l’impérialisme et de la préservation des ressources. Cependant à aucun moment le film ne prend le temps de présenter les tenants et aboutissants : ces questions ne font l’objet d’aucun débat. La preuve en est que Jor-El et Zod (le gentil et le méchant, donc) font le même constat, ne divergeant que sur les conclusions à en tirer.
Étant donné l’insistance du réalisateur sur les aspects qu’on a évoqués, il faut noter que sont laissées de côté les préoccupations précédentes de Zack Snyder sur l’ordre social, la masculinité, la luxure ou la traîtrise (voir en particulier 300 ou son remake de Dawn of the Dead).
La portée du film est non négligeable : en Chine, le jour de la sortie, 80 % des places vendues l’ont été pour Man of Steel et plus d’un million de places ont été vendues lors de la première semaine en France, soit le meilleur démarrage pour un Superman, grâce en particulier à un très large réseau de salles le projetant : 862 copies (pour mémoire, Iron Man 3, le meilleur démarrage de l’année, atteignait 740).
Il est possible pour finir de noter une incohérence (ou courte vue) dans le fait que la « préservation des ressources » mise au cœur de l’argumentaire par Jor-El n’est en rien définie et n’intègre pas spontanément la question de l’environnement puisque lors de l’explosion d’une plate-forme pétrolière, seule la vie des hommes est prise en compte sans évoquer un probable désastre écologique.
En rien les messages cinématographiques ne sont anodins et après Promised land (de Gus Van Sant, avril 2013, qui mériterait, plus encore que d’autres films, une analyse approfondie du discours géographique) on ne peut faire semblant que la question des ressources questions n’est pas au cœur de préoccupations du cinéma aux États-Unis.

Gabriel Bideau

1« [Le General] Comment savons-nous qu’un jour vous n’attaquerez pas les intérêts américains ? [Superman] J’ai grandi au Kansas, Général, on ne peut être plus Américain que moi. »