Retour d’Egypte – octobre 2018

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 En dépit de ses carences et dysfonctionnements, Le Caire, “la mère du Monde” (Oum el-Dounia) comme la surnommait Ibn Khaldoun, riche de ses quartiers diversifiés, de ses mille mosquées, de ses citoyens affables, est une cité rayonnante. Malgré son immensité Le Caire a souvent été comparée à une somme de villages et dans beaucoup de quartiers populaires, les multiples entrelacs de solidarité tissent pour chaque Cairote un réseau d’entraide, condition de la survie.

■ Le poids de l’histoire

Le Caire, ville fascinante, plus grande métropole du monde arabe, chargée d’histoire, est l’illustration contemporaine d’une urbanisation galopante dans les pays du Sud : 20 millions d’habitants tentent de survivre, là où le Nil s’étale en delta avant d’arriver à la mer.

Avant les Arabes, les Grecs, les Romains, les Byzantins ont occupé le site et y ont laissé quelques empreintes …

► La ville arabe (640-1250)

Mosquée Ibn Touloun

La citadelle de Saladin, XII ème

L’Egypte est conquise par les armées arabes en 642. Le site initial de la ville du  Caire est choisi à la jonction entre la vallée et son delta (car c’est là que le Nil peut être franchi aisément) et en rive droite où s’étendent une plaine et des terrasses alluviales qui se prolongent jusqu’aux collines du Djebel Moqattam. Chaque dynastie crée son quartier : Fostat, puis El Askar sous les Abbassides, puis Al Qataï, puis El Qahira (la victorieuse) avec l’arrivée au pouvoir des Fatimides en 969. La ville est alors une capitale autonome par rapport à Bagdad.

Sous les Ayyoubides (1159-1250) la ville se dote d’une citadelle aménagée sur le Djebel Moqattam par Saladin en 1176.

A cette époque, le cours du Nil se déplace vers l’ouest et on procède à l’assèchement des terres gagnées sur le fleuve.

► La ville mamelouk et ottomane (XIII è –XVIII è)

 

Pendant 250 ans, l’Egypte n’est qu’une province turque, mais la  ville reste le point de passage normal du trafic venant de la mer Rouge et de l’océan Indien. Elle trafique les épices puis le café de Moka (Yémen).

En 1800, elle compte 53 quartiers, traversés par de nombreux canaux et elle abrite 270 000 habitants. Les différentes communautés de cette ville cosmopolite sont regroupées dans des quartiers distincts : musulman, copte, juif, catholique.

Ce Caire médiéval constitue la vieille ville d’aujourd’hui, avec ses mosquées, ses palais, sa citadelle.

 

 

Mosquée de Mohammed Ali, XIX è

Mosquée sultan Hassan

Pour l’anecdote : afin de couper à la Grande Bretagne, la route des Indes, la France engage en 1798 la campagne d’Egypte. Si Bonaparte gagne la bataille des Pyramides le 21 juillet 1798, la flotte britannique remporte le 1er août, la bataille navale d’Aboukir. L’Egypte devient française jusqu’en 1801, puis anglaise jusqu’en 1805, avant que l’ottoman Méhémet Ali ne s’installe au Caire.

► Le Khédive Ismaïl et la tentation de l’Occident (1863-1879)

Pacha d’Egypte nommé par le gouvernement ottoman, Ismaïl séjourne à Paris, lors de l’exposition universelle de 1867, ce qui lui permet d’admirer le Paris d’Haussmann. Et comme il veut donner à l’inauguration du canal de Suez, un retentissement mondial, il décide de grands travaux dans sa capitale.

Entre la vieille ville, qui reste « dans son jus » et le fleuve, prend naissance une ville « européenne » avec : adduction d’eau, éclairage public, larges rues et nombreuses places. Une gare est construite, un nouveau pont est jeté sur le Nil, un opéra est construit ainsi que des centaines d’immeubles. En 1882 La Caire compte 375 000 habitants dont 19 000 étrangers.

A partir de cette date, écrit Jacques Berque « Le Caire est comme un vase fêlé dont les deux parties ne pourront plus se ressouder ».

► L’essor de la ville coloniale (1882-1950)

La Grande Bretagne domine à nouveau l’Egypte à partir de 1882. Elle fait du Caire le centre de l’administration coloniale. Le franchissement du Nil posait problème en raison de l’ampleur des crues et de la largeur du fleuve, mais la construction du premier barrage d’Assouan, en 1902, change la donne. Un certain contrôle des crues permet la stabilisation des berges puis la construction de 4 nouveaux ponts. Le comblement des derniers étangs et l’arasement de plusieurs collines, vont permettre à la ville de reprendre sa croissance : sur la Corniche en bord de Nil,  et dans l’île de Gueziré où s’implante le très résidentiel quartier des ambassades de Zamalek.

► Le Caire Central : les années 30

Immeubles de Down City

 

 

Caire central

Radio City

Eglise du patriarcat arménien

Synagogue Art nouveau

Palais, dit de Champollion

Villa du baron Empain, style hindou-mongol, abandonnée depuis 1952

La ville grandit par adjonction de nouveaux quartiers qui recevront les activités modernes : grands hôtels, banques, casernes, beaux immeubles. La vieille ville se paupérise. La ville reste éclatée, à l’image de la société coloniale qu’elle abrite

Fait surprenant, à 8 km du centre, en 1905, une ville satellite sort des sables du désert : c’est Héliopolis, née d’une vaste opération d’urbanisme du baron Edouard Empain. Elle est reliée au centre par un tramway et compte déjà 100 000 habitants en 1954.

■ Le Grand Caire, aujourd’hui métropole du monde arabe

Après la Révolution des Officiers Libres de 1952, Nasser instaure un régime autoritaire et socialisant. De nombreux biens sont confisqués tant à l’aristocratie terrienne qu’aux fondations religieuses. Ainsi prend naissance et s’étoffe la diaspora égyptienne. La capitale devient le centre de décision unique de l’Egypte.  On y recense aujourd’hui les 2/3 des fonctionnaires, la moitié des étudiants (université d’Al Azhar, la plus prestigieuse du monde arabe), la moitié des activités industrielles…etc.

La croissance démographique devient explosive : on passe de 2 millions en 1947 à 5 millions en 1976, puis à 20 millions d’habitants aujourd’hui ! Certes la croissance naturelle (solde entre les naissances et les décès) est importante, mais plus encore il faut compter avec le solde migratoire. Le Caire absorbe l’essentiel de l’exode rural, puis voit s’installer les réfugiés venus de la région du canal de Suez après la guerre de 1967. Enfin, les crises dans les pays du Golfe et dans les pays voisins provoquent l’afflux de nouvelles populations.

Le Caire est devenue Oum al Dounia (la mère du monde). Elle se déploie sur 3 gouvernorats : Le Caire, Giza, Qalyoubia.

► Chronologie des faits marquants récents

1882- 1922 : l’Egypte est un protectorat britannique

1922- 1953 : l’Egypte est un royaume, sous l’autorité du roi Farouk

1953 : elle devient une république

1954- 1970 : présidence de Gamal Abd El Nasser

1970- 1981 : présidence d’Anouar El-Sadate qui meurt assassiné

1979 : accords de Camp David et paix avec Israël

1981- 2011 : présidence d’Hosni Moubarak

2011 : printemps Arabe

2012 : élections libres qui portent Mohamed Morsi, candidat des Frères musulmans, au pouvoir

2013 : l’armée chasse Morsi et installe le général al-Sissi au pouvoir

2013- 2018 : présidence de Al-Sissi

►  Croissance spontanée et plans d’urbanisme

  • Années 1950-1960 : une aire urbanisée s’étale le long du Nil, sur 50 km 

– La vieille ville, désertée par ses notables, compte vraisemblablement encore un million d’habitants. Dégradée, paupérisée, incroyablement densifiée, et comme oubliée par les services publics, elle garde beaucoup d’activités relevant du secteur informel (1/3 des enfants abandonne l’école avant la fin du cycle primaire).

Corniche du Nil

Coucher de soleil sur les tours bordant le Nil

                                             

– Le Caire moderne, du Khédive Ismaïl, qui jouxte la vieille ville à l’ouest, garde les activités relevant du commerce et des services. Le long du Nil ont proliféré des buildings et sur la Corniche pullulent les grands hôtels. Un CBD (Central Business District) de 250 ha y a vu le jour. Aucune misère visible ne gâte ici la féerie du Nil. Sur la rive gauche du Nil, s’alignent désormais des immeubles de plus en plus élevés : quartiers de l’époque nassérienne réservés aux couches moyennes, quartiers bourgeois ou populaires.

– C’est vers le Nord que la poussée est la plus vive : 60 % des Cairotes y résident. Le front d’urbanisation englobe les vieux villages et des quartiers très divers, dont 2 villes nouvelles. Celle du baron Empain, Héliopolis, est coloniale et date du début du siècle. Elle offre un exemple d’urbanisation moderne et volontaire, Celle du milieu du siècle, nassérienne, s’appelle Madînat Nasr. Elles sont des réussites et à présent reliées à la ville-centre par le tramway, en plus de l’autoroute.

Plus récemment une vive poussée s’exerce vers le Sud, autour des zones industrielles d’Hélouan et de Tebbin. La ville pousse à présent en plein désert.

Le long du Nil, la croissance se faisait aux dépens des terres agricoles, menacées par la spéculation immobilière. La croissance vers le désert est une alternative…. Ou pas !

Les pyramides et le Sphinx sont aujourd’hui aux portes de la métropole

  • Années 1970-1980 : villes nouvelles et villes satellites 

Dans les années 1970, les pouvoirs publics, pour déconcentrer la ville et protéger les terres agricoles du delta, ont mis en œuvre des plans d’aménagement :

– création de villes nouvelles, éloignées du Caire de plus de 50 km et qui doivent fonctionner de façon autonome comme: Dix de Ramadan qui devrait abriter 500 000 habitants ; El Amal ; Sadate City qui devrait accueillir 1,5 million d’habitants et El Badr sur la route de Suez. Un zonage strict y est appliqué.

– création de villes satellites, prévues, dans la continuité immédiate des banlieues. Trois sont achevées : Quinze de Mai, Six Octobre et Al Ubur.

Demi-succès ou demi-échec, la politique des villes nouvelles est abandonnée. Beaucoup de logements restent vides, trop chers pour les uns, peu attractifs pour les plus aisés.

  • Dans les années 1980 : tentative de polycentrisme

On veut rompre avec la structure radioconcentrique de la ville, en créant de nouvelles centralités : exemple, entre Héliopolis et l’aéroport, dans la ville satellite du 6 Octobre et à Maadi.

Un Ring Road de 73 km doit cerner l’agglomération pour fluidifier la circulation et éviter le centre-ville.

Et, pour limiter le développement des ZUS (zones à urbanisation spontanée), une politique de « new settlements » est mise en œuvre sur des terrains viabilisés et vendus à des conditions avantageuses.

■  Au début du XXI ème, une gestion impossible

► Quelques soient les efforts consentis, tous les services sont rapidement saturés.

– La circulation automobile est un véritable cauchemar, malgré la mise en service de lignes de tramway et de métros, puis du Ring circulaire à la périphérie.

Immeubles du centre

– La crise du logement est tout aussi grave. Le vieux bâti est dégradé, faute d’entretien, car les loyers sont bloqués à des prix dérisoires, depuis des décennies. Les nouveaux logements, construits trop vite, sont de médiocre qualité. Les taudis, les bidonvilles prolifèrent dans les ZUS.  Presque 6 millions de Cairotes y vivent, dont la plupart des immigrés récents.

Les toits terrasses

Plus pittoresques, si l’on ose dire, les habitations sur les toits terrasses du Caire sont aussi  une réalité pour quelques 500 000 Cairotes !

– Le problème de l’eau reste crucial, en qualité et en quantité. L’air est tout aussi pollué, parfois irrespirable, les poussières de sable s’ajoutant à la pollution habituelle des grandes agglomérations.

► Le poids du secteur informel

Vendeur ambulant

► Un exemple d’activités informelles : les chiffonniers de Manshiet Nasser

Atelier de  recyclage

Atelier de couture du secteur informel

 

Quartier des  chiffonniers

 

Sœurs Emmanuelle et Sara

Scolarisation

 

Jeunes désoeuvrés thé et chicha

 

Rue encombrée

Les chiffonniers du Caire

Ils exercent un métier bien difficile et restent méprisés. Leur activité est pourtant indispensable. Le combat de Sœur Emmanuelle pour leur donner un avenir plus serein se perpétue au cœur de l’Association de protection environnementale de Manshiet Nasser qui les aide à recycler les déchets, à scolariser leurs enfants et à donner un métier aux femmes. On les appelle « les zabalin ».

Extrait de l’ouvrage « Les Zabalin » de   Georges Mutin, in Le Caire, collection Les grandes cités, Time Life.

«  Les Zabalin constituent l’une des classes les plus méprisées de la société. On compte environ 40 000 de ces éboueurs chiffonniers qui vivent dans de misérables bidonvilles aux abords de la capitale. On les voit presque tous les matins, travailler par équipes de deux ou trois hommes, habillés comme des épouvantails, avec des chapeaux de paille et de vieux vêtements hétéroclites; accompagnés de leurs enfants, ils font leur ronde en conduisant un petit tombereau brimbalant sous une pyramide d’ordures et traîné par un âne. Chaque mois les

Zabalin récupèrent ainsi 2 000 tonnes de vieux papiers qui, recyclés, produisent 1 500 tonnes de papier et de carton. Ils fournissent aussi des chiffons de coton et de laine qu’on réutilise pour fabriquer des tentures ou des couvertures; des boîtes de conserve qui, comprimées et soudées, se transforment en casseroles, en rivets, en jouets ou même en pièces de rechange mécaniques; des os qui entrent dans la composition des peintures, du verre et du plastique qui seront retraités. Les opérations de triage sont si minutieuses qu’on va jusqu’ à ouvrir les piles sèches, pour en extraire les crayons de graphite, tandis que les enveloppes de zinc sont fondues en lingots. Tous ces matériaux et bien d’autres reprennent le chemin du Caire par les soins de marchands en gros et de divers intermédiaires qui réalisent de substantiels bénéfices (Veolia aujourd’hui). En parcourant de nombreux quartiers du Caire, j’ai pu à maintes reprises constater l’importance pour l’économie de la capitale des ingénieuses opérations de recyclage dont les Zabalin offrent un si frappant exemple ».

Création de nouveaux espaces productifs sur le Canal de suez

Source : Geoconfluences 2018, Marie-Christine Doceul et Sylviane Tabarly

 

Le projet vise à créer de nouveaux espaces productifs sur :

– deux vastes zones industrialo-portuaires sur la Méditerranée : Port-Saïd Est à vocation d’industries légères et  Ain Sokhna au nord-ouest du golfe de Suez pour les raffineries et la pétrochimie

– ainsi qu’une vallée technologique et agro-alimentaire à 10 km à l’est d’Ismaïlia, une zone industrielle et logistique à El Qantara Ouest et des installations piscicoles à l’est du canal.

Le développement se polarise sur les villes de Port-Saïd, d’Ismaïlia avec la ville nouvelle conçue pour accueillir 500 000 habitants et de Suez. Le système portuaire actuel composé des deux ports de Port-Saïd et de Suez doit être étoffé et complété par la construction de quatre ports : à Port-Saïd Ouest, Adabiya au sud de Suez, Al Tor au sud du Sinaï sur la rive est du golfe de Suez et Al Arish au nord du Sinaï sur la côte méditerranéenne.

Une nouvelle capitale surgit dans le désert

Une nouvelle capitale administrative est en construction à 45 km à l’est du Caire, vers la zone du canal de Suez. Elle n’a toujours pas reçu de nom !

Ce projet pharaonique, dont le coût est évalué à 45 milliards de dollars,  devrait être réalisé en partenariat avec la société émiratie Capital City Partners.

Le gouvernement voudrait créer une nouvelle Brasilia, avec un zonage parfait de l’espace.

Il y aurait un parc plus grand que Central Park, bordé par les ambassades, les bâtiments administratifs et des gratte-ciel en pagaille pour loger pas moins que 6 millions d’habitants en 2025. Le géographe Habib Ayeh pense que « l’Egypte ne sera jamais Singapour et que le canal de Suez ne sera jamais Panama ». L’avenir le dira.

■  Le Caire : lieu de toutes les contestations et capitale d’un pays écartelé sur la scène internationale

► Printemps arabes

En 2011 vont se décliner, dans le monde arabe, une succession de vagues protestataires et spontanées contre des régimes plus qu’autoritaires. La Tunisie lance le mouvement, suivie par l’Egypte et bien d’autres pays du Maghreb et du Golfe.

En Egypte, des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes se rassemblent sur la place Tahrir à partir du 25 janvier 2011. Pendant plusieurs jours la place ne désemplie pas. Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981, appelle l’armée à la rescousse, mais il est contraint à la démission en février.

Peu à peu les opposants s’organisent pour obtenir des élections libres. Les islamistes, Frères musulmans ou salafistes (plus rigoristes et inspirés par le wahhabisme d’Arabie Saoudite) se révèlent les mieux organisés et gagnent plus de la moitié des sièges à l’Assemblée du peuple égyptien. Puis Mohamed Morsi, candidat des Frères musulmans est élu à la présidence en juin 2012. Mais très vite il déçoit. En juin 2013 il doit faire face à de gigantesques manifestations. Il est alors arrêté et déposé par l’armée. Les Frères musulmans sont déclarés « organisation terroriste ». Des centaines de morts sont à déplorer à leur encontre.

Les vagues protestataires suscitent le désarroi parmi les dirigeants arabes. L’Arabie Saoudite avait soutenu Moubarak, alors que le Qatar et la chaîne Al-Jazira étaient pro Morsi.

En janvier 2014, une nouvelle Constitution est adoptée par référendum. L’article 2 fait de la charia (la loi islamique) la principale source du droit. Les prérogatives de l’armée sont maintenues : son budget demeure hors contrôle du Parlement, des tribunaux militaires sont préservés. L’armée peut s’assurer l’adhésion de presque tous les médias.

En mai 2014, Abdel el Fattah Al Sissi est élu président. Il a été réélu en mars 2018.

Les élections législatives ont un cadre pré-établi : 120 députés sont issus de partis politiques, 28 sont nommés par le président, les autres selon des quotas imposés : femmes, jeunes, chrétiens, handicapés.

► Le raïs Al Sissi face aux défis économiques

  • La démographie de l’Egypte reste très dynamique. Le pays comptait 3 millions d’habitants lorsque Bonaparte y débarqua. Actuellement on compte environ 92 millions d’habitants !

Le taux de natalité a récemment augmenté (les Frères musulmans s’opposant au planning familial). Si une partie des Egyptiens émigre, en quête d’un avenir meilleur, le pays reçoit aussi beaucoup de migrants issus de l’Afrique subsaharienne. Il y aurait environ 2 millions de Soudanais réfugiés.

  • L’économie a été mise à mal par quatre ans de troubles politiques et la recrudescence d’actes terroristes, au Caire, à Louxor ou Assouan et dans le Sinaï. On peut, pour simplifier dire que le pays vit de quatre rentes :

-Le tourisme, culturel ou balnéaire a beaucoup souffert des printemps arabes et de la montée d’une société autant précarisée qu’islamisée. Il y a deux fois moins de touristes aujourd’hui qu’avant 2011. Cependant, ce secteur représente toujours la première source de revenus et beaucoup d’emplois. Mais elle est à la merci d’attentats…

-Les transferts de la diaspora égyptienne  sont conséquents. Environ 3 millions d’Egyptiens ont quitté leur pays, l’une des principales raisons étant la recherche d’un emploi. Ils se sont installés dans les pays du Golfe, qui manquent de main d’œuvre. Mais ils sont aussi assez nombreux en Amérique du Nord (400 000) et en Europe (320 000). On évalue les remises (ou transferts) à 8 MM de $.

-Les redevances du Canal de Suez sont très importantes et expliquent la volonté de doublement du canal assurée par Sissi dès son arrivée au pouvoir et déjà réalisée. (Voir ci-dessus)

-L’extraction d’hydrocarbures rapporte aussi beaucoup d’argent : l’Egypte a quelques gisements de gaz et de pétrole. Récemment on a trouvé un énorme gisement de gaz en Méditerranée, nommé « Zohr » et un autre champ gazier dans le delta. Mais les prix des hydrocarbures fluctuent et la rente avec eux !

  • Les projets pharaoniques du président ont pour but de dynamiser l’économie. Outre le doublement du canal de Suez, de nombreux projets sont mis en avant :

– une nouvelle capitale administrative pour désengorger Le Caire

– la reconstruction du phare d’Alexandrie pour attirer de nouveaux touristes

– de grands travaux d’infrastructures dont une nouvelle ligne de métro pour Le Caire

– la création d’une immense zone de développement économique sur le canal

  • Le poids de l’armée dans l’économie, chose dont on discute peu, serait de 40 % du PIB.

I’armée investit massivement et à l’abri des regards, dans les logements (1, 2 million), dans les transports et dans de nombreuses industries de produits de première nécessité : riz, lait, sucre, médicaments, etc.

En toute discrétion aussi, les fondations religieuses, enrichies par la zahka (l’aumône) font de fructueuses affaires.

  • Comment financer tous ces projets ?

Les pays du Golfe ont renfloués les caisses de l’Etat à hauteur de 20 MM de $ depuis 2013.

L’Arabie de Ben Salman a octroyé 20 MM de $ d’IDE (investissements directs étrangers) mais bien entendu, « il faut être gagnant gagnant ». Le prince saoudien a obtenu (en 2017) la main mise de deux îlots (Tiran et Sanafir) à l’entrée de la mer Rouge. Un pont de 32 km de long va bientôt relier l’Arabie au Sinaï. En outre, les pays du Golfe sont les seuls autorisés à acheter des terres en Egypte, et donc à chasser les autochtones des lieux de grande convoitise.

Les EAU sont aussi de gros investisseurs, surtout dans l’immobilier où ils ont une image de modernité, mais ce sont de redoutables négociateurs et ils l’ont montré dans leur intervention dans la nouvelle capitale… toujours sans nom !

Dans la zone du canal, les Chinois ont obtenu une concession de 7 km², qui s’inscrit dans leur « nouvelle route maritime de la soie », eux aussi veulent être « gagnant gagnant » !

Les Russes ont acquis 5 km² à Port-Saïd, et cela s’inscrit dans une recomposition des relations internationales.

Entre rêves et réalité, les Egyptiens sont en grande difficulté économique, d’autant plus qu’ils n’en ont pas fini avec les contestations sociales.

► Conflits sociétaux et islamisation

  • La confrérie des Frères musulmans a été fondée par Hassan Al Banna, en 1928 à Ismaïlia, dans le nord-est de l’Egypte. Elle est aujourd’hui une organisation transnationale dont émanent de nombreux partis islamiques. Les autocraties d’Arabie, des EAU et ont rompu leurs relations diplomatiques avec Bahreïn qui continue de les soutenir.

Au sein de la confrérie elle-même, en Egypte, il y a les tenants d’une stratégie de confrontation plus ou moins violente et les tenants d’une démarche plus conciliatrice.

La date de création de la confrérie (1928), est à mettre en relation avec la fin de l’Empire ottoman en 1924 et l’abolition du califat. Humiliés par le colonialisme puis l’échec du socialisme et du nationalisme, des musulmans se mettent à rêver d’une idéologie alternative, qui permettrait la création d’un Etat islamique.

Interdits en Egypte sous Nasser, puis tolérés par Anouar El-Sadate  dans les années 1970, ils obtiennent des élus au Parlement en 2005 sous l’étiquette « indépendants ». Arrivés au pouvoir en 2013, ils sont à nouveau proscrits.

Leur ancrage dans la vie locale est lié d’abord à leurs activités auprès des populations démunies : éducation, santé, associations caritatives, justice populaire.

Ils sont à l’origine d’une islamisation lente mais profonde d’une société égyptienne qui avait largement admis les codes Occidentaux.

  • Les salafistes se démarquent des Frères, mettant en avant la nécessité du djihad. Ils appliquent les théories de Sayyid Qutb.

Le djihad, dans le Coran, c’est d’abord le djihad intérieur, c’est-à-dire la volonté de devenir meilleur face à Dieu et de se comporter en bon musulman, respectant les 5 principes fondamentaux.

Il y a aussi le djihad du combat extérieur, mais avec deux options : on peut tuer pour se défendre, ou bien on peut aussi tuer pour créer un monde islamiste et dans ce cas le plus radical, il n’est même plus interdit de tuer des musulmans qui ne seraient pas « purs ».

A leur tour, ils gagnent du terrain, y compris auprès des femmes salafistes.

  • Les soufis sont les plus nombreux, répartis dans 70 confréries. Ils sont très pieux mais se refusent à entrer dans le jeu politique.
  • La Ligue islamique mondiale est le bastion du wahhabisme saoudien et le bras religieux de la diplomatie du royaume. Depuis l’arrivée au pouvoir, en 2016 du prince Ben Salman, elle appelle à revenir à un islam plus modéré, qui serait une synthèse entre le wahhabisme et les Frères musulmans égyptiens.

La ligue vient d’autoriser les femmes à conduire, en Arabie. Elle demande aussi aux minorités musulmanes dans les pays occidentaux de se plier aux lois en vigueur (avril 2018). On assiste donc, en ce début 2018, a une reprise de volonté de dialogue.

  • L’université Al Azhar, prestigieuse institution vieille de presque 1000 ans, qui se refuse à excommunier les djihadistes, vient d’accepter la reprise du dialogue avec le pape Benoît XVI lors de sa visite au Caire.

Couvent des dominicains

Des dialogues sont aussi à l’œuvre au Caire, notamment avec l’IDEO (Institut dominicain d’études orientales). On vient discuter dans un lieu d’exception, doté d’une bibliothèque exclusivement constituée d’ouvrages et de textes islamiques.

  • La guerre au Sinaï et l’EI (Etat Islamique)

La péninsule du Sinaï, autrefois haut lieu du tourisme culturel et balnéaire, est aujourd’hui anéantie. L’espace frontalier entre l’Egypte et Israël a été démilitarisé depuis les accords de Camp David en 1979, mais les deux armées restent face à face, pour contrer les djihadistes et assurer la sécurité des voies stratégiques dans la mer Rouge et le golfe d’Aqaba.

Depuis 2011, une véritable guerre oppose l’armée égyptienne à des centaines de djihadistes fédérés sous la bannière d’Ansar Bey Al Makdis. Ils sont l’auteur de milliers d’attentats dont plusieurs au Caire et ils revendiquent le crash de l’avion Metrojet qui amenait des touristes russes à Charm El Cheikh.

Mais l’armée d’en vient pas à bout, malgré un prêt de 3 MM de $ des pays du Golfe, pour financer la guerre. Pire encore, les tribus bédouines socialement déclassées et en conflit avec le pouvoir central, en viennent à soutenir les djihadistes, ne serait ce que pour continuer à vivre et à poursuivre des trafics divers : trafics d’êtres humains, de drogues, d’armes …etc.

L’EI semble avoir listé tout ce qui peut révulser les Occidentaux. Il progresse parce que les populations ne veulent plus subir l’ordre postcolonial et parce que les printemps Arabes ont échoué en 2011. Rappelons que le premier succès de Daech c’est la prise de Falloujah en Irak, dans une région très malmenée par les guerres américaines.

► Droits des hommes, droits des femmes : liberté, égalité, fraternité ?

Les droits de l’Homme (avec un H majuscule) sont particulièrement malmenés. L’armée, seule détentrice du pouvoir, utilise alternativement le bâton et la carotte à l’encontre de ses opposants, nombreux dans la sphère religieuse, négligeables à gauche de l’échiquier.

L’islam n’est pas la seule religion au monde qui s’immisce dans le jeu politique et au plus près du pouvoir : en Inde, Modi et le BJP prônent un nationalisme hindou, en Israël plusieurs partis militent pour une judéité plus marquée, au Maroc le Parti de la justice et du développement qui a remporté les élections législatives, est une émanation de la confrérie des Frères. Les exemples pullulent. Par ailleurs, la société égyptienne d’aujourd’hui accepte largement les principes fondamentaux de la charia. L’Institut islamique d’Al Azhar a fait installer dans le métro des kiosques religieux qui prodiguent de bons conseils aux musulmans et dans un souci œcuménique en proposent aussi aux non musulmans.

Depuis Schéhérazade déjouant son assassinat programmé dans « Les mille et une nuits » on a admis que la violence contre les femmes  faisait partie de la vie du Moyen Orient. Dès que l’on touche à la place des femmes dans l’islam cela provoque un tollé, comme si elles étaient le dernier bastion de l’identité musulmane. De plus en plus de femmes sont voilées, même si cela n’est pas une obligation en Egypte. Cela poserait un problème vis-à-vis des communautés chrétiennes.

Les musulmanes acceptent aussi la charia qui dit que pour l’héritage, une femme vaut la moitié d’un homme (Seule la Tunisie vient de rompre avec ce dogme). Le principe de l’égalité n’est pas une priorité et la fin du patriarcat n’est pas pour demain. Une femme doit respecter le haram (les interdits) et éviter à sa famille la honte ! Elle doit accepter le mari qu’on lui choisit. L’excision est encore la règle générale, même si très récemment sa pratique tend à s’effondrer.

Au printemps de 2011, il y avait beaucoup de femmes sur la place Tahrir, mais elles subirent beaucoup de violences. Depuis on observe tout à la fois des régressions, cas le plus fréquent, mais aussi l’apparition de féministes. Il existe des féministes laïques, mais elles sont peu nombreuses car elles ne doivent pas être perçues comme athées, l’athéisme venant d’être interdit en Egypte.

Il existe aussi des féministes salafistes qui utilisent le voile comme les Iraniennes utilisent le tchador : femmes voilées et donc convenables, elles peuvent s’exprimer dans les lieux publics.

► L’Egypte dans son environnement géopolitique : une centralité remise en cause

Sa position stratégique au cœur du monde arabe, entre Maghreb et Machrek, sa taille de 1 million de km² lui ont donné une position forte et l’ont entraînée dans de multiples conflits, notamment avec Israël. Nasser fut le leader incontesté du panarabisme et fit installer au Caire la Ligue des Etats arabes, mais les tentatives d’union avec la Syrie, le Yémen, la Libye ou le Soudan furent des échecs.

Le XX ème a donné au pays des personnalités remarquables : l’écrivain Naguib Mahfouz, prix Nobel de littérature, l’écrivain Alaa Al Aswany, (L’immeuble Yacoubian) le cinéaste Youssef Chahine, la chanteuse Oum Kalsoum, le secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros Ghali…

Mais son rôle de leadership est aujourd’hui contesté par l’Arabie Saoudite beaucoup plus riche, beaucoup plus puissante et soutenue par les Etats Unis. L’Arabie se veut à présent le centre du monde arabe et sunnite face à l’Iran perse et chiite. Les autres pays du Golfe sont parfois aussi susceptibles de dominer une Egypte très endettée.

Les voisins immédiats, ont aujourd’hui explosé dans un chaos  indescriptible. Outre le cas du Soudan déchiré par des guerres civiles, il ne faut pas oublier le chaos qui règne en Libye.

Enfin l’Egypte a du mal à passer d’une économie rentière et dirigiste à une économie libérale comme l’exige le FMI, qui a prêté 12 MM de $.

La croissance démographique, une eau qui se raréfie, le Nil qui souffre de pollutions, autant de questions cauchemardesques pour l’avenir.

Mais l’Egypte reste une entité exceptionnelle. Ce n’est pas vraiment l’Afrique, ce n’est pas le Maghreb ni tout à fait l’Orient. C’est une terre qui a porté l’une des plus anciennes et des plus brillantes civilisations et qui s’en souvient. C’est une nation.

Maryse Verfaillie, octobre 2018

 Clichés de Maryse Verfaillie

Rencontres exceptionnelles au Caire

Naïma Bouras, sociologue  nous parle des Féministes chez  les Salafistes,
Victor Salama, enseignant à l’Université du Caire, évoque le thème des relations internationales,
Le père Jean à l’IDÉO, nous parle de l’Institut dont il est le directeur et des Chrétiens d’Egypte
Et Ahmed Al-Bindari, architecte-urbaniste,  nous offre une visite pédestre du centre-ville, suivie de la découverte d’Héliopolis et d’un nouveau compound au Moqattam.

 Dans la bibliothèque des Cafés géo
http://cafe-geo.net/derriere-la-place-tahrir-le-caire-egypte-septembre-2014/

http://cafe-geo.net/multinationales-et-territoires-histoire-d-investissements-europeens-dans-les-ordures-d-egypte/

Remarque

Les hasards d’un vol annulé nous ont permis de rester deux jours de plus en Egypte et de découvrir, entre autres, la ville d’Alexandrie, sous la houlette de notre guide Georges Sardi. L’ensemble des prestations a été réalisé par l’agence Hasamélis en France et l’agence Italôtel de Dina Tadros au Caire.