L’Afrique des routes
31 janvier – 12 novembre 2017
Musée du Quai Branly -Jacques Chirac

 

 

Si vous croyez que l’Afrique est un continent sans histoire, vous avez tout faux ! L’Afrique n’est pas entrée dans l’histoire avec l’arrivée des Européens et elle n’est pas seulement le berceau de l’humanité.

Le musée du Quai Branly – Jacques Chirac expose 300 objets qui témoignent de l’ancienneté des contacts et des échanges entre l’Afrique (surtout subsaharienne), l’Asie et l’Europe.

A l’entrée de l’exposition un dépliant vous offre une carte politique et une chronologie qui s’étire sur 7 millions d’années, du crâne fossile d’hominidé trouvé à Toumaï (Tchad ) jusqu’à l’élection d’une femme à la Présidence de la République du Libéria en 2006.

Regardez bien le masque de Guinée Conakry retenu pour l’affiche de l’exposition. Taillé dans un seul morceau de bois (belle prouesse) il est porté par un jeune homme lors de son passage à l’age adulte et raconte sa vie future. Il représente un pélican transportant par voie aérienne un colon reconnaissable à son casque. L’homme blanc porte un petit masque, celui de D’mba, figure de fertilité. Il est encadré par deux femmes noires. L’artiste a réalisé cet objet polychrome avec des peintures venant d’Europe.

Vous aviez des idées simples sur l’Afrique, l’exposition veut vous démontrer que vous avez tort. L’Afrique est à l’honneur cette année, c’est une bonne nouvelle.  Elle sera aussi à l’affiche de l’Institut du monde arabe, de la Fondation Vuitton et du festival de La Villette. Profitez-en.

L’Afrique : un continent oublié, méconnu, méprisé

« Comme les requins sont précédés de leurs poissons-pilotes, notre regard est précédé d’un regard-pilote, qui propose un sens à ce qu’il regarde… Nous nous croyons bien à tort libres de ce regard » André Malraux, L’Intemporel.

S’agissant de l’Afrique, la métaphore de Malraux témoigne de la méconnaissance du continent et des préjugés tenaces qui forment autant d’obstacles à sa connaissance. Il en va de l’histoire comme des arts africains longtemps jugés « primitifs ».

La présupposition de l’absence d’histoire. Le problème des sources.

Le problème idéologique auquel l’Occident est confronté renvoie à une définition caduque mais néanmoins enracinée, qui plaçait l’écriture comme point de rupture avec le temps de la préhistoire. Un peuple sans écriture n’a pas d’histoire, pensait-on. Or le mot « histoire » vient du mot grec « enquête » et l’historien Marc Bloch a confirmé depuis longtemps qu’en histoire tout est source.

L’Afrique offre peu de sources écrites, mais l’archéologie y supplée  partiellement. Elle est essentielle jusqu’au X ème s. On situe aujourd’hui le berceau de l’humanité au sud du Sahara. Les restes de Lucy, découverts au Kenya, par Yves Coppens, dans les années 1970, puis ceux de Toumaï découverts au Tchad prouvent l’existence de nos ancêtres ici, il y a plus de 6 à 7 millions d’années. Mais l’Homo sapiens n’a commencé à migrer hors d’Afrique qu’à partir des 100 000 dernières années.

Des manuscrits existent cependant, écrits en guèze, en arabe, puis en swahili, bien avant l’arrivée des européens. On possède la correspondance échangée entre un roi du Loango et le roi du Portugal. A partir des XVII è et du XVIII è  apparaissent des écrits africains dans des langues européennes.

Aujourd’hui des éléments fournis par la tradition orale sont transcrits et publiés, mais les versions et les mythes sont nombreux. Les transcripteurs européens, issus de sociétés très attachées à l’écrit ont pu « domestiquer  la pensée  sauvage » par ethnocentrisme. Ainsi, le Français Marcel Griaule a enquêté chez les Dogons et reçu la parole du chef Ogotemmêli. Mais son interprétation de la statuaire dogon est actuellement contestée par les spécialistes anglo-saxons.

A défaut d’écriture, beaucoup d’Africains ont utilisé le dessin, sur un support indépendant de l’écriture.

Un autre problème à évoquer est celui de la datation. Malgré de nombreuses techniques aujourd’hui disponibles, nous devons admettre l’imprécision des faits.

Afrique antique et Afrique médiévale : mobilités des peuples et premiers échanges intercontinentaux.

Carte des Routes de l’humanité Atlas des Migrations Le Monde Hors-Série

Depuis l’Antiquité, des guerriers, des commerçants, des savants et des esclaves circulent dans et hors du continent. Et, avec eux, les idées et les cultures. Les Asiatiques, les Perses, puis les Arabes, les Indiens et les Chinois ont commercé avec l’Afrique bien avant l’arrivée des Européens. L’Afrique, composée de nombreux peuples, a connu des dynamiques migratoires internes et autonomes au moins jusqu’au VII è s.

Le Nil a fixé la première grande civilisation, celle des Egyptiens, qui s’installe pour 3 000 ans. Cette civilisation par son éclat cache d’autres civilisations, comme celle des peuples Kouchitiques qui ont remonté le Nil puis essaimé dans toute la Corne de l’Afrique.

Les peuples Bantous, originaires du Nigeria et du Cameroun actuels ont dès le premier millénaire amorcé des migrations vers le lac Tchad puis dans le bassin du fleuve Congo.   Leur maîtrise de l’agriculture et de la métallurgie leur permis de s’imposer face à des populations qui ne s’adonnaient qu’à une économie de subsistance. Vers 1000  après. J-C., la progression continue des Bantous et avec eux  des  Kouchites, contraindra les peuples de langue khoisane (chasseurs-cueilleurs) à refluer vers l’Afrique australe.

Au Ier s de notre ère, repoussés par la colonisation romaine en Afrique du Nord, des peuples nomades, les Berbères, ont migré vers le sud et traversé le Sahara.

Quand l’empire romain devient chrétien, la nouvelle religion gagne l’Afrique subsaharienne, jusqu’à l’avènement d’un islam conquérant à partir du VII ème S. Entre Berbères et Arabes le commerce est intense, en particulier la vente d’esclaves.

Echanges et diffusion des cultures et des savoirs

Les objets laissés sur les routes migratoires permettent de découvrir des traces d’Afrique dans le monde entier et des traces du monde dans toute l’Afrique.

L’Empire des Ming avait exploré l’océan Indien et les côtes Est de l’Afrique bien avant les « Grandes Découvertes ». L’expédition de Zheng He (1405-1433) aurait pu faire de la Chine la puissance colonisatrice. Mais les Chinois ne le souhaitaient pas.

On peut prendre parmi les échanges, l’exemple  des cauris, petits coquillages venus des îles des Maldives dans l’océan indien et qui ont servi de monnaie dans toute l’Afrique pendant des siècles.

On peut citer aussi l’exemple de l’ivoire. On pense toujours qu’il vient des éléphants de l’Inde. En fait, il est essentiellement originaire d’Afrique. L’Asie comme l’Europe le convoitaient et Hérodote le mentionne déjà au V ème s avant notre ère. Il fut d’abord exporté brut avant d’être sculpté sur place par des artistes africains. On a retrouvé ces « ivoires » dans les cabinets de curiosité des élites européennes. Ainsi on a récemment trouvé dans les réserves du Musée des Beaux-Arts de Dijon trois objets en ivoire africain, datés du XIV et donc arrivés dans le duché de Bourgogne avant que les Portugais n’accostent sur le continent.

Le déterminisme géographique

Atlas de l’Afrique, Stephen Smith et Claire Levasseur Editions Autrement, 2005.

 

La géographie du contient a rarement contrarié la circulation des hommes contrairement aux idées reçues. A l’exception de quelques hauts reliefs dans l’Est et le sud-est africains, le continent offre de vastes espaces plans occupés par des bassins hydrographiques puissants : ceux du Nil, du Niger, du Congo ou du Zambèze. Ils ont permis la mobilité des hommes, à pied ou en pirogue.

Même si les déserts limitent la circulation des hommes avant la diffusion des dromadaires ou si les forêts équatoriales ont pu partiellement enfermer les Pygmées, il n’y a jamais d’isolat total. Le Pygmées sont représentés sur les fresques de Pompéi !

Arts africains, arts primitifs, arts premiers ou arts tout simplement

La conception dominante de l’art en Occident à la fin du XIX ème est le naturalisme sous sa forme académique. Il est clair que les objets africains sont bien différents des œuvres ainsi attendues ! Ils sont dénigrés, interdits de musée ou placés dans des cabinets de curiosités. Mais au début du XX ème, « l’art nègre » devient, pour certains artistes une solution à leurs problèmes. La photographie fait bien mieux que la peinture pour représenter le réel.

Aujourd’hui les arts africains ont trouvé toute leur place dans les musées.

Mais il reste difficile de les dater, de les interpréter et en outre de les attribuer. Sans écriture pour signer, l’artiste africain reste anonyme. Cela contribue aux préjugés négatifs que nous retrouvons dans « l’usage des nègres » pour certains écrivains occidentaux !

Pour complexifier encore les choses, dans l’art des masques, qui souvent représentent les  esprits ou les divinités, les sociétés attribuent leur production à Dieu lui-même et il serait fort dangereux de se les attribuer. Les sculpteurs refusent donc de révéler leur identité.

Lorsqu’on a nommé arts primitifs les arts africains on a admis qu’ils étaient issus de sociétés primitives. Certes l’art n’est pas totalement indépendant de la société dans laquelle il est produit, mais cela ne suffit pas. Si on peut parfois reconnaître un style représentatif d’une ethnie, ce n’est pas toujours le cas.

Aujourd’hui on a remplacé la notion d’arts primitifs par celle d’arts premiers. Mais ce vocable « politiquement correct a-t-il un sens ? Pourquoi pas l’étiquette d’arts derniers ?

L’art de la statuaire est essentiel

Sans écriture et les supports qui vont avec, l’art africain ne repose pas sur le dessin, bien que de nombreuses parois rocheuses soient couvertes de dessins dans les déserts du Tassili comme dans celui du Kalahari. Ils révèlent l’environnement végétal ou animal qui entourait les chasseurs-cueilleurs.

Si l’on part du principe que l’art est imitation de la nature, alors les déformations des sculpteurs africains sont synonymes de maladresse. Le sculpteur africain veut-il imiter la nature ? Quelle conception a-t-il du beau ? Que veut-il signifier ?

En tous cas, les artistes ont des codes qui permettent parfois de reconnaître un style lié à une ethnie. Ainsi on note que les masques Fang (Congo) sont en bois avec une bichromie blanc et brun.  Les têtes sont identifiées par le galbe particulier du front, la forme du nez, des arcades sourcilières en demi-cercle et des yeux en fente étroite soulignés par des paupières en amande.

Encore faut-il s’intéresser à l’intention de l’artiste dans le processus de création. Les statues peuvent avoir un pouvoir magique, dans ce cas la fonction qu’elles exercent réclame l’immobilité sacrée. Les œuvres peuvent être des commandes et doivent alors répondre aux souhaits de l’acheteur : est-il africain, d’un autre peuple que celui de l’artiste ; s’agit-il d’un laïc ou d’un religieux ?

Il faut beaucoup de connaissances, sociologiques, ethnographiques, stylistiques, pour appréhender l’art africain… au risque de préjugés négatifs.

Parcours de l’exposition

L’exposition a été conçue par Gaëlle Beaujean, responsable des collections Afrique du musée du quai Branly et par Catherine Coquery-Vidrovitch, historienne de l’Afrique et professeur émérite à l’université Paris Diderot Paris 7.En exergue de l’exposition figurent ces lignes :

«  Toute vérité est une route tracée à travers la réalité. Et si la réalité ne forme pas un ensemble, si elle est multiple et mobile, faite de courants qui s’entrecroisent, la vérité qui  naît d’une prise de contact avec quelqu’un de ces courants […] est plus capable […] de saisir et d’emmagasiner la réalité même ». Henri Bergson, La pensée et le Mouvant.

L’exposition est conçue comme une entreprise d’intelligibilité et de vérité quant à la réalité d’un continent inscrit pleinement, anciennement, incontestablement, dans l’histoire des hommes. Le visiteur est invité à suivre des routes thématiques et non chronologiques.

Une brève histoire en cartes [Atlas des Peuples d’Afrique, Jean Sellier, La Découverte]

   

 

   

Une même légende relie les quatre premières cartes qui témoignent de l’existence plus ou moins brève d’Etats organisés entre les Tropiques, dans les zones de contact entre milieux naturels différents ou le long des routes fluviales. Apparaissent ensuite les comptoirs sur l’océan Indien et sur le golfe de Guinée, avant même l’arrivée des puissances occidentales.

   

La carte de 1914 montre un continent totalement colonisé et approprié par les Européens, à l’exception de l’Ethiopie. En 2003, l’Afrique a retrouvé son indépendance. De nouveaux Etats sont nés, sur des territoires où la notion de « nation » est confrontée à celle « d’ethnie ». De nombreuses guerres civiles témoignent de cette confrontation [on peut lire le livre de Gaël Faye, Petit pays]

I    Les routes et moyens de transport

A pied, à cheval ou en pirogue, l’homme a sillonné le continent depuis des millénaires et il y a laissé l’empreinte de ses pratiques artistiques. Les fleuves, les lagunes, les lacs sont autant de routes maîtrisées de longue date.


Cavalier – XVI è – Style dogon – Mali, région de la falaise de Bandiagara. Bois, métal
Collection Laurent Dodier, Courtesy Entwistle

Le cheval, introduit vers 3 500 avant notre ère, a facilité le commerce caravanier à travers le Sahara. Mais il reste un moyen de locomotion de prestige. Le fier cavalier ici représenté est un guerrier. L’histoire et la cosmogonie du pays Dogon nous sont connues grâce au travail de Marcel Griaule qui a transcrit dans Dieu d’eau, les entretiens qu’il a eus avec le vieux chasseur aveugle Ogotemmêli.

Pirogues à balancier

Ces embarcations sont moins frêles qu’il n’y paraît. Elles ont navigué dans tout l’océan indien, de la mer de Chine, jusqu’à la Polynésie et Madagascar. Elles ont permis la pêche et le cabotage. Ces modèles réduits appartiennent aux collections du Museum d’histoire naturelle de La Rochelle.

Fragment de ¨La chasse des « pygmées ». Ier s ap- J.C. Pompéi, casa del Médico
Musée archéologique de Naples

Depuis l’Antiquité, guerriers, commerçants, savants, esclaves, circulent au-delà du continent. Des œuvres grecques ou romaines en témoignent. L’iconographie du « pygmée » se développe à l’époque romaine et accompagne les scènes nilotiques qui connaissent un grand succès dans les villas de Pompéi.

Fragment de : Cosmographia. Claude Ptolémée (90-168) Traduction latine de Jacopo d’Angelo vers 1465-1470. Florence. Réalisé pour le roi Louis XI. Manuscrit sur parchemin. Bibliothèque nationale de France.

Mais pour voyager, l’homme doit apprendre à se repérer. Au II ème s, l’astronome et géographe Ptolémée dresse la première mappemonde. Elle servira de base aux géographes arabes dès les  XI – XII ème s (Al-Adrisi). Il faut attendre les progrès de la navigation pour voir apparaître au XVI ème les premiers portulans Portugais.

II   Les villes, jalons des routes

Les déplacements sur de longues distances exigent des haltes où reposer les hommes et leurs montures. Au carrefour des routes, des oasis, des villes, parfois de simples villages ont assuré la sécurité des voyageurs, des commerçants et des marchandises.

   

Fragment de statuette anthropomorphe. Entre 920 et 40 de notre ère. Civilisation Nok. Nigeria.Musée du quai Branly-Jacques Chirac

Les sites Nok se sont répartis sur plus de 500 km entre le Niger, la Bénoué et le lac Tchad. On situe cette civilisation entre le premier millénaire de notre ère et le VI ème s ap -J.C.

Les fouilles archéologiques ont révélé la pratique de l’agriculture, la maîtrise de la fonte du fer au VII ème avant notre ère et une abondante statuaire en terre cuite. Ces statuettes Nok ont des traits épurés, les joues lisses ponctuées de larges lèvres. Elles dégagent tout à la fois une impression de force et de sérénité.

Œuf d’autruche à décor incisé et peint. VII ème avant notre ère. Gouraya (Algérie). Musée du Louvre.

De Carthage, célèbre cité punique fondée en 814 av J.C. il ne reste presque plus rien car elle a été anéantie par Rome en 146 av J.C. Mais elle était une plaque tournante du commerce maritime et terrestre, au débouché des pistes caravanières qui la fournissaient en or, en ivoire et en œufs d’autruche. Cette œuvre témoigne d’une qualité artistique remarquable.

Bouteille globulaire à long col. I-III è Nubie (Soudan actuel) Provenant de la nécropole de Sedeinga.
Musée du Louvre

Cette céramique présente une forme et un décor caractéristique de la période méroïtique. Les rinceaux de vigne évoquent le répertoire décoratif gréco-romain, fort apprécié par les élites du royaume de Méroé.

Pendentif – Vers le XV ème – Mali, région de Djenné – Alliage cuivreux
Musée du quai Branly-Jacques Chirac

Deux villes nommées Djenné se sont succédées sur le fleuve Niger, au débouché des routes transsahariennes. Au IX ème, l’arrivée des Arabo-berbères et la conversion des élites à l’islam produit un art nouveau.

Manuscrit de Tombouctou attribué à Ibn al-Mukhtar, Tarikh al-fattash

C’est en 1325 que l’empereur du Mali, Kankan Moussa, transforme la cité de Tombouctou en ville cosmopolite de l’islam soudanais. Elle attire au XVI ème de nombreux savants et lettrés. Elle fut l’un des plus grands centres universitaires du monde. On y enseignait le Coran, la théologie, le droit, l’astrologie, l’histoire et la géographie.

Royaumes d’Afrique du sud-est

La ville de Zimbabwe apparaît vers 1100 et disparaît vers 1450. Elle a compté 10 000 habitants, abrité dans une double muraille de pierre. Haut lieu du contrôle des mines d’or, sa richesse lui a permis d’importer des porcelaines céladon de Chine. Une nouvelle ville, Mutapa,  lui a succédé plus au nord entre 1450 et 1620. Elle était encore florissante à l’arrivée des Portugais. Elle avait repris le trafic de l’or, exporté par le port de Kilwa.

« Benin City » (Nigeria actuel) Extrait de Description de l’Afrique, 1686 de Olfert Dapper. Gravure aquarellée. Editeur Amsterdam, Jacob de Meurs. Musée du quai Branly-Jacques Chirac

 

Lorsque les Portugais y entrent en 1486, elle s’appelle Edo. Elle est protégée par une muraille de 12 km de long. Au XVII ème, on la dit plus vaste que Lisbonne. Elle produit alors un art de cour en bronze fondu à cire perdue.

 

 

 

Masque facial de la société du do –style Dioula – Côte d’Ivoire – Genève, Fondation musée Barbier-Mueller.

La ville dioula de Kong s’affirme au XVIII ème comme un centre majeur du commerce. De Kong partent de l’or, des cotonnades indigo, de la noix de kola, du bétail, du karité (pour la cosmétique) et des esclaves.

Saint Louis du Sénégal. Aquarelle, crayon et gouache sur papier. Léon Armand – 1861
Musée du quai Branly-Jacques Chirac

Cette île, à l’embouchure du fleuve, devient en 1659 le siège de la Compagnie française du Sénégal. Elle comptait 7 000 habitants à la fin du XVIII ème. Capitale de l’Afrique  Occidentale française en 1902, elle était l’un des centres de la traite esclavagiste.

III   Les routes commerciales

Depuis des millénaires, l’Afrique a commercé avec le reste du monde. Elle avait besoin de sel, elle exportait de l’or. Elle convoitait les perles, elle exportait de l’ivoire…

 

Le commerce du III au XIX ème. Actes Sud, L’Afrique des routes

 

Plaque de sel – Vers 1930 – Ethiopie, Addis Abeba Musée du quai Branly-Jacques Chirac

Au V ème avant notre ère, Hérodote évoque l’échange or contre sel « au-delà des colonnes d’Hercule », en l’occurrence, le détroit de Gibraltar. Les caravanes, à partir des salines de Taoudenni et Teghaza,  le convoient vers Tombouctou par charges de 4 barres par dromadaire.

Dans cette vitrine sont rassemblées des perles de verre venues successivement d’Egypte, du monde arabe puis de Venise et de Bohême. Les perles en cornaline viennent des Indes. Elles peuvent servir de monnaie ou de bijoux. Le collier en ambre (en bas de la vitrine est une création des Peuls du Mali.

Olifant dit « de la Chartreuse des Portes ». XI ème. Ivoire – Italie (Salerne ou Amalfi)

Ce cor ou olifant a été découvert dans une grotte en France. Par ses dimensions, on peut affirmer que cette corne appartenait à un éléphant d’Afrique. A cette époque, déjà romane, l’ivoire d’Afrique de l’est transitait par l’Egypte et faisait l’objet d’un commerce intense avec les cités de l’Italie méridionale.


Salière afro-portugaise – XVI ème. Ivoire – Style Edo d’Owo. Nigeria – Atelier de Benin City
Musée du quai Branly-Jacques Chirac

Cette salière illustre les premiers contacts directs entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne au XVI ème et les échanges culturels qui ont accompagné l’établissement de relations commerciales. Sur la partie basse figurent 4 soldats portugais. Une caravelle avec vigie est sculptée en partie haute. Elle est surmontée d’un homme qui escalade les cordages sur le couvercle. Cet objet provient d’un cabinet de curiosité d’un aristocrate belge, où il est resté plusieurs siècles.

L’enfer du cuivre – 2008 – Photographie de Nyaba Ouedraogo (né en 1978)
Courtesy de l’artiste et de la Galerie Imane Farés.

Il s’agit de la plus grande décharge de déchets électroniques du monde. Elle se situe dans la banlieue d’Accra à Agbogbloshie. Cette photo témoigne d’échanges, inégaux et peu glorieux qui se perpétuent.

Statuette féminine – XIX ème – Style Attié – Côte d’Ivoire, région des lagunes. Bois, plaques d’or, perles, laiton. – 44 cm- Musée du quai Branly-Jacques Chirac

Les peuples des régions aurifères d’Afrique de l’Ouest fondent l’or pour leurs parures et parfois pour leurs sculptures. Cette figure féminine provient d’une région où l’or du sous-sol est réputé détenir une force divine. Elle pourrait représenter une reine tenant une ombrelle.

Boîte liturgique ade Ori Baayanni –fin XIX è ou début XX ème – Style Yoruba – Nigeria.
Cauris, perles de verre, cuir, métal. Musée du quai Branly-Jacques Chirac

Cet objet témoigne des échanges à travers l’océan Indien puisque les cauris sont des coquillages venus des îles Maldives. Ici utilisés comme motif décoratif ils ont aussi servi de monnaie pendant de nombreux siècles. Ont également servi de monnaie les plaques de sel, les perles, des textiles ou du bétail.

Plateau aux motifs végétaux et zoomorphes – XV ème – porcelaine fabriquée en Chine. Fouilles du comptoir arabe de Vohémar au nord de Madagascar.

Les marchands chinois ont été toujours actifs dans le commerce avec l’Afrique. Ils apportaient de la soie, des perles, des porcelaines et ils emportaient de l’or, de l’ivoire ou des esclaves. De nombreuses porcelaines ont été trouvées dont ce plat du XV ème.


L’Afrique des routes. Actes Sud, Musée du quai Branly-Jacques Chirac

Migrations spontanées ou issues d’échanges commerciaux les plantes, souvent aux vertus médicinales supposées attestent également des échanges et des migrations.

IV  Routes spirituelles et religieuses

Les religions africaines locales ou  « religions du terroir » sont présentées dans un quatrième temps de l’exposition.  Ce vocabulaire « religions du terroir » est un peu surprenant…. Pourquoi ne pas parler simplement de religions autochtones et dire qu’il s’agit de religions animistes comme il y en a sur tous les continents. Plus intéressant est de montrer non seulement la résistance de ces croyances à travers des syncrétismes, mais aussi avec la pénétration des religions du Livre : judaïsme, christianisme puis islam apporté par les Arabes.

L’Afrique des routes. Actes Sud, Musée du quai Branly-Jacques Chirac

Masque surmonté de Mamy Wata – XX ème – Côte d’Ivoire

En 1885 circule en Allemagne une charmeuse de serpent qui se produit dans un cirque ambulant. En 1901, au Nigeria, un sculpteur la prend pour modèle et l’associe à la divinité de la mer Mamy Wata. Sa popularité va gagner l’Amérique du sud et s’étendre à toute l’Afrique centrale. Mamy Wata incarne la puissance maritime, la beauté, la richesse autant que leur danger.

La légende de la reine de Saba et du roi Salomon – Vers 1930 – Style Amhara – Ethiopie – Addis Abeba – Huile sur toile – Musée du quai Branly-Jacques Chirac

Une légende, commune aux trois religions du Livre, raconte que Ménélik 1er, fils du roi Salomon de Jérusalem et de la reine de Saba (X ème av. notre ère ?) est le premier roi juif africain établi en Ethiopie. Ménélik aurait quitté Jérusalem en emportant les textes hébraïques sacrés dits « Tables de la loi ». Aujourd’hui cette histoire est encore très vivace et l’on montre aux touristes (hommes exclusivement) ces dites Tables. Une minorité juive existe encore en Ethiopie, les Falachas.

A la fin du XV ème, des juifs sont chassés d’Europe et migrent au Maghreb, voire même en Afrique subsaharienne. Le voyageur Léon l’Africain mentionne la présence de juifs à Tombouctou dès le XVI ème. Au XX ème, des mouvements panafricanistes revendiquent leur origine africaine juive.

Simon Bening – Adoration des Mages – première moitié du XVI ème – Vélin collé sur bois – Musée du Louvre

A partir de 1480, l’un des 3 rois mages (Balthazar) est fréquemment représenté sous les traits d’un noir. On fait de ce mage l’ancêtre du « Prêtre Jean », souverain d’un mythique Etat chrétien que l’on associe au royaume d’Ethiopie. Cette iconographie connaît une grande fortune dans les Flandres au XVI ème, où elle est prétexte à l’introduction d’un certain exotisme.

Le christianisme orthodoxe copte s’organise en Afrique dès le V ème. Au XV ème, les Portugais convertissent le roi du Kongo. Mais l’essentiel des conversions se font en lien étroit avec la colonisation du continent : conversions au catholicisme puis aux protestantismes. Importées des Etats-Unis, les sectes évangélistes se sont récemment multipliées.


Statuette représentant un musulman vers 1890. Style Yoruba. Bénin – Bois, pigments.
Musée du quai Branly-Jacques Chirac

Seule la mer Rouge sépare La Mecque de l’Abyssinie (Ethiopie), premier territoire africain converti dès la naissance de l’islam au VII ème. L’islam progresse ensuite, avec les marchands le long des côtes de l’océan Indien.

Du côté occidental, c’est à la suite des conquêtes arabo-musulmanes au Maghreb que les élites des empires sahéliens, puis leurs sujets, sont progressivement islamisés.

Masque anthropomorphe Komdem –XX ème – Style Malinké » musulman – Guinée Bois, aluminium, alliage cuivreux, miroir Musée du quai Branly-Jacques Chirac

Les masques sont une production partout présente en Afrique Occidentale et Centrale. Au sein d’une même culture, leur signification et leur usage peuvent varier. Ils appellent la faveur des ancêtres, des esprits de la brousse ou encore la bienveillance des dieux. Parfois ils divertissent, entreprennent une critique sociale ou encore la régulent. Ils sont perçus comme des présences supra-humaines temporaires dans la société. Ils font partie intégrante des routes spirituelles.

VI   Routes coloniales

L’exposition se penche ensuite sur les explorations et la colonisation européenne de 1860 à 1960. Les objectifs de ces expéditions étaient fort variables : scientifiques, militaires ou commerciaux, sans compter les arguments « de civilisation ».

Depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui presque toutes les sociétés ont réduit des millions d’hommes en esclavage. C’est l’esclavage moderne qui a permis l’exploitation des colonies du Nouveau Monde, celui du capitalisme marchand puis industriel. Les 12 millions d’Africains déportés vers les Amériques ont apporté leurs cultures et leurs religions. Le vodou haïtien en est la meilleure illustration.

La traite
Atlas des Migrations -Le Monde

Fer d’esclave – début XX ème – Collecté en Ethiopie, Addis Abeba
Musée du quai Branly-Jacques Chirac

La traite des esclaves en Atlantique concerne exclusivement les populations d’Afrique subsaharienne. Répondant à la demande des trafiquants, des chefs africains organisent des captures. Dès le XVI ème, les Portugais pratiquent cette déportation « en droiture » entre le région du Kongo et le Brésil d’où ils rapportent des denrées tropicales.

Aux XVII et XVIII ème, le commerce triangulaire domine dans l’Atlantique nord : les esclaves sont vendus en Amérique pour les plantations de canne à sucre des colonies françaises et britanniques.

Ex-voto « Le Saphir » – 1741 – Huile sur toile – Conservé dans la chapelle des Marins de la cathédrale de La Rochelle.

Cet ex-voto était destiné aux marins qui embarquaient sur les bateaux à partir des grands ports négriers français : Lorient, Nantes, La Rochelle et Bordeaux.

L’esclavage n’est aboli qu’en 1807 pour les Anglais et en 1848 pour les Français. Mais il subsiste bien au-delà du XIX ème et parfois même jusqu’à la première moitié du XX ème siècle. Le travail forcé, sous différentes formes, persiste, ici ou là.


L’Afrique des routes. Actes Sud, Musée du quai Branly-Jacques Chirac

A partir du XIX ème, les routes coloniales sont surtout des routes marchandes. Le bateau à vapeur, le chemin de fer, puis l’avion permettent d’atteindre tout le continent. L’ouverture du canal de Suez en 1869 accélère les rotations maritimes.  L’Afrique regorge de produits tropicaux (huile de palme, arachide, clou de girofle, bois de toutes sortes). Elle possède aussi des minerais précieux : diamant, or, uranium, cuivre.  L’exploitation des mines africaines est toujours au cœur d’enjeux géopolitiques.

A bien y regarder l’échange inégal se maintient, les infrastructures créées le sont d’abord dans le cadre de la mondialisation ou si l’on préfère, de la globalisation. Les intérêts propres au continent africain étant peu reconnus.

Le parcours de l’exposition se termine tant bien que mal par des salles témoignant des talents artistiques africains. Ils auraient mérité mieux que cela, même si la rencontre de « l’art nègre » avec l’art des peintres d’avant-garde comme Picasso est évoquée.

Cette exposition est certainement nécessaire car elle rappelle des faits que les consciences occidentales voudraient oublier. Elle n’en demeure pas moins excessive dans sa volonté de démonstration et dans son ambition de vouloir aborder tous les chemins qui mènent à l’Afrique. A trop vouloir démontrer et à vouloir embrasser trop de thèmes les commissaires de l’exposition nous laissent parfois l’esprit un peu confus, surtout dans les dernières salles.

Maryse Verfaillie – février 2017 –

 

Bibliographie

L’art africain, Citadelles, J.Kerdache, J.L. Paudrat, L. Stephan.

Atlas de l’Afrique, Stephen Smith et Claire Levasseur Editions Autrement, 2005.

L’Afrique, Sylvie Brunel, Editions Bréal, 2004.

Atlas des peuples d’Afrique, Jean Sellier, La Découverte, 2003.

L’Afrique des routes.  Actes Sud,  Musée du quai Branly-Jacques Chirac