Exposition « Robert Adams. L’endroit où nous vivons », Paris, Jeu de Paume, du 11 février au 18 mai 2014
A Paris, le Jeu de Paume consacre au photographe américain Robert Adams une passionnante et belle exposition qui révèle non seulement un artiste talentueux mais aussi un homme engagé pour qui la photographie a permis de réconcilier la richesse esthétique et la dénonciation citoyenne.Plus de deux cent cinquante tirages, tous en noir et blanc et privilégiant de petits formats, témoignent de la beauté majestueuse de l’Ouest américain où l’artiste a vécu l’essentiel de son existence. Mais, en même temps,ils présentent les transformations du paysage depuis près d’un demi-siècle avec leur cortège d’atteintes à l’environnement (déforestation, pollution, urbanisation débridée, etc.).Le titre de l’exposition, « L’endroit où nous vivons », reprend les termes du critique John Szarkowski qui a préfacé The NewWest, l’un des ouvrages de Robert Adams paru en 1974 :« Le paysage est, pour nous, l’endroit où nous vivons. De sorte que si nous en avons fait mauvais usage, nous ne pouvons pas le rejeter sans nous rejeter nous-mêmes. Si nous l’avons maltraité, si nous avons dégradé son état, si nous y avons érigé des monuments à notre ignorance, il reste malgré tout notre lieu de vie. Et avant d’aller plus loin, nous devons apprendre à l’aimer. »
Une approche humaniste de la photographie
Robert Adams, qui a longtemps enseigné la littérature anglaise à Colorado Springs (Colorado), est venu à la photographie de façon fortuite, à l’occasion d’une conférence sur le paysage. C’est une révélation qui devient un mode d’engagement mais en bannissant le sensationnel. « Comme beaucoup de photographes, j’ai commencé à prendre des photos par envie d’immortaliser des motifs d’espoir : le mystère et la beauté ineffables du monde. Mais, chemin faisant, mon objectif a aussi enregistré des motifs de désespoir et je me suis finalement dit qu’eux aussi devaient avoir leur place dans mes images si je voulais que celles-ci soient sincères, et donc utiles. Les seuls, à ma connaissance, à avoir dans une certaine mesure résolu ce conflit furent des écrivains, comme Emily Dickinson, et des peintres, comme Edward Hopper, eux qui ont scruté le monde avec tant d’application qu’il leur est arrivé d’en entrevoir un autre. J’ai trouvé, dans les carnets du poète Theodore Roethke, le sésame que je cherchais : « Je vois ce que je crois. » J’ai beau me défier des abstractions, je me pose souvent trois questions, que je vous livre en guise de porte d’entrée : qu’est-ce que notre géographie nous oblige à croire ? Que nous autorise-t-elle à croire ? Et, le cas échéant, quelles obligations résultent de nos croyances ? »
Un militant des grands espaces
Robert Adams est né en 1937, dans une famille de méthodistes libéraux soucieuse des questions sociales et du respect de la nature. Il envisage d’entrer au séminaire mais finalement abandonne cette voie pour des études universitaires d’anglais. Revenu de Californie, il s’installe dans le Colorado, la région de son adolescence qui connaît à ce moment-là une urbanisation importante et chaotique. A partir de 1966, il décide d’enseigner à mi-temps pour se consacrer à la photographie et publie depuis cette date de nombreux livres qui se succèdent comme autant de projets mettant en images la relation tragique entre l’homme et la nature.
Le parcours de l’exposition, véritable rétrospective de l’œuvre de Robert Adams, présente un ensemble de photographies choisies parmi vingt et une séries distinctes, offrant ainsi un formidable récit de l’évolution de l’Ouest des Etats-Unis entre les années 1960 et le début du XXIe siècle. Parmi les projets les plus représentatifs du photographe qui sont visibles au Jeu de Paume : l’urbanisation de New West (1968-1971), la sinistrose du Denver de Ce que nous avons acheté ensemble » (1970-1974), les déambulations nocturnes des Soirs d’été (1976-1982), Pendant cette période des années 1960-1970, une nouvelle génération de photographes américains (Lewis Baltz, Stephen Shore, Robert Adams…) impose un style qui diffère nettement de celui de leurs prédécesseurs ainsi que d’autres sujets (falaises, montagnes, cascades) pour représenter ce grand mythe national, le paysage. Leurs travaux seront regroupés en 1975 dans une exposition devenue légendaire : New Topographics : Photographs of a man-altered landscape (titre que l’on peut traduire par « Nouvelles topographies : photographies du paysage modifié par l’homme »). Tous ces artistes cherchent à rendre compte d’une manière très factuelle des paysages sans « qualités » particulières, avec leurs banlieues, motels, entrepôts, parkings ou usines. À cette banalité assumée s’ajoute une neutralité qui l’est tout autant : les photos sont frontales, dépourvues d’affects.Le modèle de ces artistes est Walker Evans dont le style « documentaire »a immortalisé, par exemple, la vie des métayers de l’Alabama ruinés par la crise des années 1930.
Depuis près de cinquante ans, Robert Adams (né en 1937) photographie la géographie de l’Ouest américain. Il y trouve une beauté qui perdure en dépit des atteintes environnementales de toute sorte. « Son travail se caractérise non seulement par son économie et sa lucidité, mais aussi par un mélange de peine et d’espoir. D’un côté, ses images rendent compte de la perte de l’espace et du silence, reflétant l’inhumanité d’une grande partie des réalisations humaines. De l’autre, elles témoignent avec force de l’étonnante éloquence des arbres, de la persistance de sentiments de joie et de compassion et du pouvoir rédempteur que conserve la lumière du soleil, même lorsqu’elle tombe sur les banlieues tentaculaires. »(Joshua Chuang, Commissaire de l’exposition).
Paysage et géographie
Dans son Essai sur le beau en photographie (1981), Robert Adams précise sa conception de la photographie de paysage : « Les images de paysages ont, je pense, trois vérités à nous offrir : géographique, autobiographique et métaphorique. La géographie seule est parfois ennuyeuse, l’autobiographie, souvent anecdotique, et la métaphore, douteuse. Mais ensemble (…), ces vérités se consolident l’une l’autre et renforcent ce sentiment que nous essayons tous de garder intact : une tendresse pour la vie. »
Au fil de ses projets conçus et publiés à l’origine sous forme de livres, l’artiste explore les différentes facettes de l’Ouest américain, essentiellement dans l’Etat du Colorado : explorations du monde rural, nouveaux aménagements urbains et suburbains, autant de paysages transformés par l’intervention humaine. Le plus souvent, les titres des séries photographiques reflètent sèchement le fait géographique (« A l’ouest du Missouri », « En longeant quelques rivières », « La Prairie Nationale Pawnee »…) même si la volonté d’Adams vise à capter la beauté rédemptrice derrière la réalité documentaire.
Une technique très maîtrisée au service d’un art citoyen
Pour Robert Adams, « l’essence de la photographie est de se mesurer à la vie. Il précise que l’art a une vocation citoyenne, contrairement à la propagande qui n’existe que pour émouvoir et exciter. Mais cette vocation ne néglige pas la métaphore qui nécessite un certain degré d’attention, d’intérêt pour le détail. Quant au choix du noir et blanc, il s’explique parce qu’ « il offre une possibilité de s’abstraire du chaos du monde, permettant ainsi au photographe de trouver plus facilement une forme et une structure dans son image » (interview téléphonique de Robert Adams pour le journal Libération, 13février 2014).
La composition très maîtrisée des photographies d’Adams n’est pas liée à un travail de préparation important, ni à la technique du recadrage, rarement utilisée. « Une photo réussie est un mystère. Je crois qu’il faut avoir beaucoup vécu avant de pouvoir en prendre, puis passer beaucoup de temps dans la chambre noire. Prendre une photo ne représente que, disons, un pour cent du temps passé avec cette image. Donc non, je ne planifie rien, je me promène, je vois ce qui se présente. (…) Les photos sont données, bien plus qu’elles ne sont prises. » (Robert Adams, interview pour Libération, 13 février 2014).
Aujourd’hui, Robert Adams vit avec son épouse à Astoria dans l’Oregon. Sa petite maison domine l’estuaire du fleuve Columbia, une localisation qui lui a suggéré cette méditation : « Parmi les lieux sacrés de la côte, aucun n’est plus réconfortant que celui où un fleuve se jette dans la mer. Sa disparition nous rappelle que la vie est éphémère et, en même temps, la beauté de l’océan nous permet de l’accepter. »
Daniel Oster