A peine arrivés à Paris au mitan des années quatre-vingt-dix, Michel Sivignon et son épouse Michèle (un seul prénom pour deux) sont invités au Café géo. Nous venons d’ouvrir la saison avec Yves Lacoste, Roger Brunet, Jean-Pierre Raison, Chantal Blanc-Pamard et Hervé Rakoto Ramiarantsoa et… très vite, Michel Sivignon nous parle de la Grèce, pays qu’il connaissait intimement pour y avoir fait sa thèse sur la Thessalie à la charnière des années 1960-1970, des Balkans, de l’Albanie… Dans les archives du Clermontois André Fel, nous retrouvons cette photo prise en Thessalie lors d’un voyage en 1992 : « Michel Sivignon, notre pâtre grec ».
En 1978 Edward Saïd, alors professeur de littérature anglaise et comparée à Columbia University, publie « Orientalism » dont la traduction française « L’Orientalisme : l’Orient créé par l’Occident » paraît en 1990 aux éditions du Seuil. Cet ouvrage constitue un point de passage obligé pour qui s’intéresse à l’Orient. Il démontre comment une image détournée de l’Orient est devenue en Occident « son double, son contraire, l’incarnation de ses craintes et de son sentiment de supériorité tout à la fois ». E. Saïd s’appuie sur de nombreux ouvrages d’histoire et de sciences sociales. Il analyse par nécessité tous les ouvrages parus sur le sujet depuis le XVIIIe siècle, sa réflexion est celle d’un historien.
Ce mardi 10 janvier, Pierre Raffard est l’unique intervenant d’un café géopolitique se tenant dans la salle, bien remplie, du premier étage du Café de la Mairie (Paris 3ème). Pierre Raffard a soutenu sa thèse de géographie en 2014. Cette thèse porte sur la géographie de l’alimentation ou plus exactement sur une approche culturelle de la cuisine turque en liaison avec l’agriculture du pays.
La carte très innovante et utile mise au point dans Le Monde du 7 mars 2022 par Delphine Papin (1), qui participa activement à la naissance de nos cafés géopolitiques, attire l’attention sur un point important : l’objectif de la Russie de maîtriser la Mer Noire.
On peut en compléter la lecture par l’ouvrage très bien informé de Michel Bruneau que nous avons accueilli aux Cafés Géo en janvier 2022 : « De l’Asie Mineure à la Turquie », CNRS Editions, 2015.
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Sous la direction de Nicolas Ginsburger, Marie-Claire Robic, Jean-Louis Tissier
Collection Territoires en mouvements. Editions de la Sorbonne.2021
Voici un livre bienvenu et qui s’inscrit dans la ligne, inaugurée par Philippe Pinchemel, d’une nécessaire histoire de la géographie de langue française.
Le livre comporte 4 parties :
1. Géographier sous contrainte en zone libre et occupée
2. Près de Vichy ?
3. Hors des frontières : géographes à l’étranger et en exil.
4. Figures de résistants et de victimes
Le titre indique qu’il ne s’agit pas d’une histoire de la géographie, ni dans son orientation scientifique, ni dans ses relations avec les autres sciences sociales.
Il ne s’agit pas non plus, théoriquement du moins, de l’histoire de l’institution au sein de l‘enseignement et de la recherche. Toutefois ce dernier pari est difficile à tenir, parce que les géographes n’existent guère en dehors de leur statut professionnel et que ce dernier est nécessairement évoqué en permanence.
En revanche il s’agit d’un très sérieux travail historique. On rassemble ici des matériaux, soit des textes imprimés mais inégalement connus, soit des archives personnelles, familiales ou institutionnelles, dont la collecte obstinée n’est pas l’élément le moins remarquable de cet ouvrage. On collecte aussi des interviews qui n’ont pas donné lieu à publication, ni même parfois à un texte écrit. Dans cette recherche soulignons le mérite des jeunes historiens qui ont trouvé là un terrain à leur mesure. Et aussi le texte de notre ami Denis Wolff sur Albert Demangeon. (suite…)
Le 25 mars dernier, on a commémoré le bicentenaire du début de l’insurrection qui a abouti à la création d’un Etat grec en 1832. Cet événement ne pouvait qu’intéresser les Cafés géo qui ont confié à Michel Sivignon, professeur honoraire de géographie, spécialiste des Balkans et particulièrement de la Grèce, le soin de nous en révéler l’histoire complexe. Cette curiosité pour le passé grec est largement partagée en France, comme l’attestent plusieurs manifestations, parmi lesquelles l’exposition du Louvre Paris-Athènes. Naissance de la Grèce moderne.1675-1919 est sans doute la plus remarquable.
Daniel Oster a été le modérateur de ce café. (suite…)
Au début du XXIe siècle, deux phénomènes se télescopent dans le monde, le poids croissant des religions et la mondialisation spatiale du tourisme. Le développement inexorable du tourisme, comme genre commun de l’humanité, transforme les lieux sacrés, saints, religieux, en patrimoine matériel, à visiter par les touristes du monde entier.
Le tourisme international pénètre, d’une part les lieux saints et les sanctuaires, dans lesquels les cultes ne sont plus célébrés. Il s’immisce d’autre part, dans les lieux de culte en activité, mais bien souvent en perturbant le déroulement des célébrations et des rites. D’autres lieux de culte ont été désacralisés (perte de la fonction religieuse pour une activité profane). Sur l’île Chypre à Nicosie Nord (partie de la ville occupée par la Turquie), des églises, à Athènes (Froment, 2019), des mosquées, ont perdu leur fonction cultuelle première. Dans la capitale grecque, la mosquée Fethiye, édifiée au XVIIe siècle, a été restaurée et transformée en lieu d’exposition. La mosquée Tzistarakis, construite en 1759, malgré plusieurs tentatives pour la rétablir dans sa fonction cultuelle originelle, sert d’annexe au musée d’Art populaire grec (Froment, op. cit.).
Au Maghreb (Tunisie), en Méditerranée orientale (partie de l’île de Chypre occupée par la Turquie), perdurent, depuis des siècles, des lieux saints partagés, entre les fidèles des trois religions monothéistes du Livre. Ils sont de surcroît ouverts au tourisme international, de populations non-croyantes.
Eugène Peytier cartographe
Eugène Peytier est un polytechnicien de la promotion 1811. Il entre en 1813 dans le Dépôt de la Guerre et de la Géographie au sein duquel figure le Corps des Ingénieurs géographes militaires créé en 1809. Il effectue un premier travail dans les Pyrénées en 1825 où il œuvre à la triangulation destinée à la Carte d’État-Major de la France au 1:80.000 en cours d’exécution depuis 1817.
Il est recruté par Jean Capodistria gouverneur de la Grèce indépendante lors d’une visite de ce dernier à Paris en 1827. Capodistria, formé par son expérience ministérielle en Russie, veut donner à l’État Grec des bases solides. Il confie à Peytier la confection d’une carte topographique précise du Péloponnèse, du plan de plusieurs villes dont Tripoli et Corinthe, ainsi que le relevé des fortifications héritées des Vénitiens et des Turcs. Peytier, accompagné de deux autres officiers cartographes doit aussi former de jeunes officiers grecs au travail cartographique scientifique.
Peytier est rattaché, au sein d’une brigade topographique, à l’expédition scientifique de Morée qui débarque en 1829 après la victoire navale de Navarin, où la flotte franco-anglo-russe détruit la flotte turco-égyptienne.
Cédric Gras a reçu une formation de géographe. Il figure dans la petite cohorte des géographes de sa génération qui se sont « évadés » vers la littérature, avec Sylvain Tesson et Emmanuel Ruben. « Évader » n’est pas le terme propre qui suppose une géographie ceinte de murs malaisés à franchir. A coup sûr, en tout cas, Cédric Gras s’est évadé du langage géographique et du ton académique, dès les premières phrases de son livre. Un des grands mérites de C. Gras réside dans la qualité de son écriture.
Ce livre est une réflexion sur l’expérience du dépaysement plutôt que du voyage. Il comporte des chapitres très autobiographiques, mais il dépasse sans cesse cette dimension personnelle.