The Bling Ring, Sofia Coppola / Spring Breakers, Harmony Korine
Plongées en géographie obsessionnelle états-unienne
« Aujourd’hui, l’abstraction n’est plus celle de la carte, du double, du miroir ou du concept. La simulation n’est plus celle d’un territoire, d’un être référentiel, d’une substance. Elle est la génération par les modèles d’un réel sans origine ni réalité : hyperréel », J. Baudrillard, Simulations et simulacres
Sur les plages de Miami ou dans les villas de Beverly Hills, deux groupes d’adolescents, majoritairement féminins plongent en pleins hauts lieux médiatiques. The Bling Ring, cinquième long métrage de Sofia Coppola rappelle, dans une certaine mesure, le film d’Harmony Korine, Spring Breakers, sorti au printemps. La tendance est nettement au fluo et à l’utilisation des actrices à contre-emploi : des actrices pillées à Disney pour Spring Breakers, une héroïne de Harry Potter pour The Bling Ring. Des corps et des décors passent du petit écran au grand format : pourquoi ? Pour élever au rang d’art une esthétique « télé réalité » et remettre en scène encore et encore des lieux saturés d’images impossibles à réinventer ? Ou au contraire, pour tenter de jouer la carte de l’imposture pour mieux rendre compte et des comptes à un réel devenu, là plus qu’ailleurs, simulacre ?
Ces deux films nous parlent, en effet, du pouvoir d’attraction sur une certaine adolescence états-unienne du fake et du kistch composant deux épicentres structurant fortement les imaginaires, deux dreamscape comme objet de désir géographique, deux projections spatiales de l’obsession contemporaine de richesse et de célébrité. Spring breakers , côte Est, narre la virée sauvage vers Miami de quatre copines de fac en quête de sea sex and fun sous drogues et alcools pendant la pause avant les examens tandis que The Bling Ring, côte Ouest, raconte l’histoire vraie d’un « gang » de jeunes cambriolant les propriétés des stars sur la colline pendant leur absence. Dans l’un et l’autre, on retrouve un enjeu existentiel à s’exposer et à pousser les portes d’un rêve bien partagé : les mots de Faith, l’une des spring breakeuses pourraient tout à fait être transposés aux adolescents bling bling de S. Coppola :
« I’m tired of seeing the same thing. Everybody’s so miserable here because they see the same things every day, they wake up in the same bed, same houses, same depressing streetlights, one gas station, grass, it’s not even green, it’s brown. Everything is the same and everyone is just sad. I really don’t want to end up like them. I just want to get out of here. There’s more than just spring break. This is our chance to see something different. »(1)
Voir et se faire voir, prendre corps avec le mirage et se faire une place sur la scène, c’est aussi l’objectif de Marc- le seul garçon des vandales des ghettos huppés- quand il est interrogé sur leurs motivations :
“I just think we wanted to be a part of, like, the lifestyle, the lifestyle that everybody kind of wants.”(2)
Vivre le rêve américain aujourd’hui, même amputé de toute substance, suppose- signe des temps ?- le crime. Les filles de Spring Breakers braquent un restaurant pour se payer le voyage et glissent, une fois à Miami, dans des histoires de gang comme en prolongement quasi naturel du moment de lieu des vacances. Les ados de The Bling Ring s’infiltrent, de plus en plus régulièrement, dans les maisons des Paris Hilton et autres Orlando Bloom… Etre là, y rester, y retourner s’apparente à un shoot, une addiction au rêve même quand il vire au cauchemar. Flashbacks, images mises en boucle, scènes récurrentes, bandes sons omniprésentes, les montages radotent inlassablement la géographie monomaniaque des plages transformées en dance floor et des villas nouveaux temples des dieux cathodiques dans lesquels on pénètre à partir d’une simple recherche google.
Les deux films agissent ainsi, dans les représentations urbaines qu’ils construisent, comme des concentrés spatiaux. Les « modèles » urbains inspirés de Los Angeles et de Miami y sont transposés de manières ultra condensées et évidemment réductrices. Spring Breakers, avec ses scènes de plages, de piscines et de chambres louées plus ou moins sordides, ses trajets et ses départs, met ainsi à l’extrême la métaphore de J. Nijman comparan
t Miami à une ville hôtel (3). Quant à The Bling Ring, le propos semble se focaliser sur deux des aspects essentiels de l’urbain angelinos pointé par E. Soja, le « Carcereal Archipelagos » et la « Simcity » et en réalise une synthèse bien personnelle. S. Coppola poursuit là son leitmotiv de l’enfermement en métropole en jouant ici d’un beau paradoxe : en franchissant les grilles et les systèmes de sécurité, en visitant les maisons de leurs idoles avec une étonnante facilité, les jeunes se révèlent bien mentalement enfermés au sein d’une ville qui leur est physiquement ouverte mais qui n’est vécue que dans sa forme fantasmée et dématérialisée via Facebook et Google Earth.
Allumeurs, Spring Breakers et The Bling Ring mettent en forme deux expériences spatiales d’habiter en espace médiatique. Ils feignent l’immersion tout en restant apparemment à la surface des choses et des corps. Quand H. Korine joue la carte de la subversion à outrance dans un final renversant dans lequel les filles prennent le pouvoir, S. Coppola, elle, se moque avec quelque bienveillance de ses victimes de la mode, décidément trop proches du mirage hollywoodien. Quant à nous, on sort séduit, mais empli de vide. La voilà peut-être la réussite de ces deux petits tours en géographie hyper réelle.
Bertrand Pleven (Géographie-Cités)
1. « Je suis fatiguée de voir toujours la même chose. Si tout le monde est aussi misérable ici, c’est parce que tous les jours ils voient la même chose, se réveille dans le même lit, dans les mêmes maisons, les mêmes lampadaires déprimants, une station service, et la pelouse, même pas verte, marron. Tout est identique et les gens sont tristes. Je ne veux surtout pas leur ressembler. Il faut que je me tire. C’est plus qu’une question de Spring break, c’est l’occasion de voir quelque chose de différent » (Faith, Spring Breakers)
2. Je pense qu’on voulait seulement en faire partie, faire partie de ce mode de vie dont tout le monde rêve » (Marc, The Bling Ring)
3. J. Nijman (Miami, Mistress of America, 2011) considère, notamment pour cette raison, Miami comme une ville paradigmatique. Pour approfondir cette question voir l’article de Violaine Jolivet : Jolivet V., « Miami, ville modèle de quelle Amérique ? », Géographie, économie, société, 2012.2 (Vol.14).
4. Par ces termes d’ « archipel carcéréel » et de « ville simulation/simulacre », E. Soja insiste respectivement sur la fragmentation socio-spatiale et l’interpénétration du réel et de l’imaginé caractérisant (entre autres caractéristiques) la ville « postmoderne ». Voir Soja E., Postmetropolis Studies of Cities (2000) et Soja E., Thirdplace : journeys to Los Angeles and the Other Real-and Imagined Places (1996).