Récemment l’IRIS a présenté un webinaire où plusieurs chercheurs de l’Institut ont exposé leur analyse du rapport de forces entre les deux premières puissances mondiales, les Etats-Unis et la Chine.
Cette problématique n’est pas récente mais elle a trouvé une nouvelle actualité avec l’élection de Joe Biden.
Nous tenterons de faire une synthèse des idées échangées.
En introduction, Pascal Boniface assure que le changement de président amènera vraisemblablement peu de changement dans les relations entre les Etats-Unis et la Chine. Leur rivalité qui revêt de nombreux aspects, peut-elle être qualifiée de « Guerre froide » ? Malgré quelques points semblables, la situation géopolitique diffère beaucoup de celle qui a suivi la IIe Guerre Mondiale. La Chine ne cherche pas à prendre la tête d’une coalition internationale afin de détruire à terme les Etats-Unis. Elle ambitionne « seulement » d’occuper la première place mondiale, ce qui est source d’une grande angoisse chez son rival.
Barthélémy Courmont étudie les formes que prend la compétition grandissante entre les deux superpuissances. Elles relèvent du « soft power », que ce soit dans le domaine économique ou dans le domaine culturel mais il n’y a pas d’opposition entre deux systèmes ce qui la distingue des rivalités soviéto-américaines de la Guerre froide.
L’Asie apparaît comme le premier terrain de confrontation des deux Géants, ce qui pourrait relever du paradoxe car la Chine y est perçue de façon plutôt négative. Ses voisins s’inquiètent des visées expansionnistes qu’elle a manifestées dans l’histoire. En fait l’acceptation du « grand frère chinois » est variable selon les pays. Elle dépend de la place qu’y occupent les diasporas chinoises, de l’intérêt bien compris des élites économiques et du pragmatisme des dirigeants, souvent en déconnexion avec leurs opinions publiques, plus méfiantes (c’est le cas de Duterte aux Philippines). La « stratégie du pivot » d’Obama a cherché à repositionner les Etats-Unis en Asie sur les plans stratégique et économique en établissant un partenariat transpacifique. Cette politique sera sans doute reprise par Biden auprès de pays asiatiques refusant de faire un choix entre Chine et Etats-Unis.
A l’encontre des pays en développement, les deux pays ont adopté des politiques différentes, du moins dans le discours. Là où le Consensus de Washington (1989), élaboré par des économistes libéraux américains, conditionnait l’aide financière au respect d’une « bonne gouvernance » (selon les normes occidentales), la Chine propose la politique du « win-win ». Ce modèle semble séduire de nombreux pays en Afrique subsaharienne, Asie centrale, Amérique latine … qui souhaitent rejoindre les « nouvelles routes de la soie ». Pékin met en avant son intérêt pour le développement dans le monde entier, mais ne rencontre pas le soutien général de la population chinoise, inquiète d’un manque de retour sur investissement. Taïwan est un sujet de confrontation majeur dans le duel sino-américain. La réélection à la présidence de TsaïIng-Wen, prônant une indépendance totale à l’égard de la Chine, a amené une politique de rétorsion de la part de Pékin : manœuvres d’intimidation dans la Mer de Chine, pressions pour chasser les spécialistes taïwanais de l’UNESCO et de l’OMC. Xi Jing Pin voudrait récupérer Taïwan. Faut-il craindre une nouvelle montée des tensions ou espérer une coexistence pacifique Chine/Taïwan ?
Julia Tasse aborde la place des questions écologiques dans les relations entre les deux pays. Depuis le sommet de Rio, la position de la Chine dans les négociations climatiques a fortement évolué. Alors qu’en 1992, à Rio, les Etats-Unis étaient sommés de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, la Chine en tant que pays en développement n’était pas soumise aux mêmes contraintes. Avant la rencontre de Copenhague de 2009, la Chine a proposé un système où les pays fixeraient eux-mêmes leurs objectifs en matière d’émissions, ce qui reçut un avis favorable d’Obama. Mais cet accord entre Chine et Etats-Unis est devenu caduque lorsque Trump s’est retiré de la Cop 21. La Chine peut alors apparaître aux autres pays comme le moteur du multilatéralisme. En septembre 2020, à l’ONU, elle veut se placer leader de la transition énergétique en affichant des objectifs de neutralité carbone pour 2060. Fabrication de voitures électriques, de panneaux solaires, croissance rapide des ENR… sont invoquées pour étayer ce projet ambitieux si l’on considère la place actuelle du charbon dans le mix énergétique chinois. Par ailleurs les « nouvelles routes de la soie » (« road and belt ») vont proposer aux pays partenaires de nouvelles techniques de décarbonations de leur mix énergétique, mais la construction de nouvelles infrastructures va accroître la production de gaz à effet de serre (production massive d’acier, de béton…).
De son côté, Joe Biden va accélérer la transition énergétique pour maintenir le leadership américain.
La biodiversité qui occupe une place croissante dans les relations internationales, permet à la Chine de montrer sa bonne volonté. Détenant 10 à 14% de la biodiversité mondiale sur son territoire, elle montre son intérêt particulier pour le sujet et accueillera en 2021 la COP15 pour la diversité biologique à Kunming. Le concept de « civilisation écologique » se développe en Chine mais le lien entre la pandémie et la consommation d’espèces sauvages a écorné cette image. Les Etats-Unis n’ont pas adopté de position claire jusqu’à maintenant, mais sans doute Biden cherchera-t-il à revenir sur la scène.
Edouard Simon s’interroge sur la place de l’Europe dans le monde au XXIème siècle.
Un duel sino-américain est-il le seul paradigme possible dans les relations internationales ?
Les Européens, attachés au multilatéralisme, refusent la vision manichéenne des Etats-Unis qui l’ont relégué bien avant l’administration de Trump. Le temps long du multilatéralisme correspond aux intérêts des Européens, mais ceux-ci peinent à renouveler leur réflexion théorique sur le sujet. Dans ce cas l’UE risque de rester « une puissance qui s’ignore » (J.C. Juncker).
Comment l’UE, soucieuse d’autonomie stratégique, peut-elle se positionner par rapport au duel sino-américain ?
Certes ses liens sont encore forts avec les Etats-Unis, mais quelle politique doit-elle développer vis-à-vis d’une Chine qui s’oppose aux Etats-Unis. L’UE ne peut découpler son économie de celle d’une Chine qui est à la fois partenaire et concurrent. Cette position est mal perçue par les Américains. Alors l’arrivée de Biden va-t-elle remettre en cause l’autonomie stratégique européenne ? Les pays de l’UE reviendront-ils dans le giron de l’Oncle Sam ? Sur ce sujet Biden s’est peu exprimé mais il n’y aura certainement pas de retour au passé.
Il faudrait redéfinir un nouveau contrat de coexistence qui implique plus largement l’UE.
Carole Gomez, spécialiste de la diplomatie du sport, explique comment le sport peut servir de caisse de résonnance particulière aux ambitions des puissances. Plusieurs moyens peuvent être mis en œuvre comme l’accueil de grands événements sportifs (Pékin : Jeux olympiques et paralympiques d’été en 2008 et d’hiver en 2022), le sponsoring de grandes marques, la valorisation des performances. Dans ce dernier domaine, la Chine a eu une prise de conscience plus tardive que les Etats-Unis qui ont développé des camps d’entrainement dans plusieurs pays, mais elle a rattrapé son retard et est aujourd’hui un concurrent très performant. Nouvelles routes de la soie et extraterritorialité ont un volet sportif. Dans ses partenariats avec plusieurs pays africains, la Chine s’est engagée à construire des infrastructures sportives (« Diplomatie de stades »). Quant aux Etats-Unis, ils ont recours à l’extraterritorialité pour investir le milieu du sport ; ils cherchent notamment à apparaitre comme les gendarmes de la lutte contre le dopage. Il est un sport où les deux « duellistes » ne brillent pas vraiment… le football. Disons qu’ils n’y brillent pas encore. En fait le football féminin est très performant aux Etats-Unis et la Chine a entamé une politique de développement du foot. Création de nouvelles académies, partenariats avec les Européens, incitations diverses dans la population…les Chinois se veulent prêts à accueillir dans les décennies à venir une coupe du monde où ils seraient capables de concurrencer les meilleures équipes.
A la fin de la pandémie, le rapport de forces sera peut-être modifié. Il sera temps alors de refaire un bilan.
Michèle Vignaux, décembre 2020