Un groupe de 23 adhérents des Cafés géographiques a participé du 16 juin au 26 juin 2015 à un voyage en Roumanie organisé par Arts et Vie selon l’itinéraire et les modalités proposés par l’association. L’itinéraire a suivi une boucle à partir de Cluj-Napoca pour parcourir la Transylvanie et la Moldavie. Plusieurs thématiques ont été privilégiées comme les paysages et l’histoire complexe du pays, d’autres aspects ont été aussi abordés comme la géopolitique, la vie quotidienne, et bien d’autres encore. Quelques contacts directs avec les habitants ont pu avoir lieu, à Brasov en particulier. Le modeste compte rendu qui suit n’a qu’une seule ambition, celle de suggérer la richesse des enseignements qui ont permis aux participants de faire la connaissance d’un pays européen méconnu, riche d’un patrimoine exceptionnel et de potentialités de développement incontestables.
L’itinéraire du voyage
Mardi 16 juin : Paris/ Cluj-Napoca (via Munich)
Mercredi 17 juin : Cluj-Napoca/Alba Iulia
Jeudi 18 juin : Alba Iulia/Sibiu
Vendredi 19 juin : Sibiu/Sighisoara
Samedi 20 juin : Sighisoara/Brasov
Dimanche 21 juin : Brasov/Gheorgheni
Lundi 22 juin : Gheorgheni/Campulung Moldovenesc
Mardi 23 juin : Campulung Moldovenesc-les monastères de Bucovine
Mercredi 24 juin : Campulung Moldovenesc/ Sighetu Marmatiei
Jeudi 25 juin : Sighetu Marmatiei/Cluj-Napoca
Vendredi 26 juin : Cluj-Napoca/Paris (via Munich)
Les paysages du voyage
Le voyage a permis de franchir à plusieurs reprises l’arc carpatique, véritable colonne vertébrale de la Roumanie. Moyenne montagne, plateaux et collines, ont constitué l’essentiel des paysages traversés avec un point haut de 1 416 m d’altitude atteint au col de Prislop.
Les Carpates occupent un bon tiers du territoire roumain. Situées aux frontières orientales de l’Europe elles sont restées longtemps synonymes de mystère et de majesté, inspirant par exemple les écrivains du XIXe siècle comme Alexandre Dumas, Jules Verne (Le château des Carpathes) et Bram Stoker (Dracula). Aujourd’hui, elles représentent un patrimoine environnemental exceptionnel (nombreux parcs nationaux, parcs naturels et réserves naturelles) en même temps qu’un atout économique (importante industrie du bois, tourisme de nature, énergie hydroélectrique).
Une histoire complexe, des frontières récentes et mouvantes
Aujourd’hui, avec 238 500 km2 et près de 20 millions d’habitants, la Roumanie est membre de l’OTAN depuis 2004 et de l’Union européenne depuis 2007. Un peu partout durant le voyage, de nombreux drapeaux roumains et européens apparaissent dans les villes et même les campagnes, affirmant ainsi l’attachement du pays à l’ensemble européen réunifié après la longue parenthèse du communisme et de la dictature (1945-1989). En même temps les origines daces et latines sont souvent rappelées dans un même élan (contradictoire) qui souligne l’identité roumaine au sein d’un environnement régional slave, hongrois ou grec.
Rappelons brièvement les grandes étapes de la construction nationale roumaine :
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De 106 à 271, l’empire romain soumet les Daces, puis se constitue progressivement une civilisation daco-romaine synonyme de prospérité pour la région. La domination romaine cesse sous la poussée des invasions barbares (les Goths en particulier).
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Le pays est divisé en 3 régions qui subissent la pression des grands empires : la Valachie est sous influence ottomane, la Moldavie sous influence russe, la Transylvanie sous la domination austro-hongroise. En 1859, la Moldavie et la Valachie forment ensemble le royaume de Roumanie qui fait appel en 1866 à la dynastie des Hohenzollern-Sigmaringen pour devenir une monarchie constitutionnelle. L’intégration de la Transylvanie n’a lieu qu’en 1918 lors de la création de la « grande Roumanie ».
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Entre 1918 et 1939, la Roumanie esquisse un début d’industrialisation et de modernisation. En 1941, elle entre en guerre contre l’URSS aux côtés de l’Allemagne nazie avant de rejoindre les Alliés en 1944. Avec la fin de la guerre, la monarchie est remplacée par un régime communiste imposé par l’URSS dans un pays qui a perdu plusieurs territoires (Bessarabie et nord de la Bucovine).
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Après la dictature communiste (1945-1989), la révolution sanglante de 1989 se termine par l’élimination de Ceaucescu et l’instauration d’un nouveau régime démocratique qui réussit à rejoindre l’alliance occidentale en 2004 et l’Europe élargie en 2007.
Cette histoire complexe d’un peuple de frontière, forgé en marge des grands empires, a laissé des traces qui sont autant d’enjeux contemporains comme le sort des minorités (hongroise, rom…), les questions géopolitiques (le devenir de l’Etat de Moldavie, l’attitude à l’égard du voisin russe), ou encore l’évolution du régime politique (corruption, gouvernance politique…).
De superbes villes médiévales
Trois belles villes de Transylvanie ont sans aucun doute remporté les suffrages de tous les participants même si l’une d’elles, Brasov, a pâti du temps pluvieux qui a empêché une découverte plus approfondie. Toutes trois, Sibiu, Sighisoara et Brasov, doivent leur charme incontestable à leur influence « saxonne » remarquablement préservée. A Brasov, les Allemands sont arrivés dès le XIIIe siècle et ont fait de la ville une place forte et très vite un important centre économique. A Sibiu, des lucarnes en forme d’amande ornent les toits d’un grand nombre de bâtiments, on les appelle les « yeux de Sibiu », même si on les aperçoit aussi dans d’autres villes de Transylvanie. A Sighisoara, au sommet d’une tour haute et massive, à quatre clochetons, le panorama est superbe sur les toits de tuiles brunes, les pignons pointus, les rues escarpées et tortueuses, et les places aux formes variées.
Les églises fortifiées de Transylvanie
C’est encore l’Allemagne qui a laissé une empreinte profonde dans l’ensemble des églises fortifiées que l’on trouve pour l’essentiel dans la région délimitée par Brasov, Sighisoara et Sibiu. Toutes présentent à peu près le même modèle : une enceinte de hauts remparts entourant l’édifice religieux, des locaux d’habitation et des magasins pour les vivres à l’intérieur de l’enclos. En cas de danger, les habitants du village se réfugient derrière les murs, prêts à soutenir le siège. Plusieurs de ces églises fortifiées sont aujourd’hui inscrites au Patrimoine mondial de l’UNESCO comme Viscri, Biertan et Prejmer.
Si l’on prend l’exemple de Viscri, le village est fondé au XIIe siècle par des Sicules parlant hongrois chargés de protéger la frontière orientale de la Transylvanie. Après 1150, ce sont d’autres colons, cette fois-ci germanophones, qui arrivent dans le village. Au XVIIIe siècle, des bergers roumains s’installent dans le village saxon. Au XIXe siècle, la population se constitue de 2/3 de Saxons et d’1/3 de Roumains et de Tziganes. Après la chute du communisme en 1989, presque toute la population saxonne émigre vers l’Allemagne comme c’est le cas dans l’ensemble de la Transylvanie.
Quant à l’église fortifiée de Viscri, à l’origine petite église à nef unique et sans tour fondée au XIIe siècle, elle résulte d’ajouts successifs (église allongée et adjointe au donjon au XVe siècle, nouvelle enceinte incluant en partie la première, etc.) jusqu’au XVIIe siècle. L’église-forteresse connaît plusieurs épisodes de restauration durant tout le XXe siècle. L’impressionnante hauteur des dispositifs de défense qui cachent presque entièrement l’église étonne encore le visiteur d’aujourd’hui.
Les monastères peints de Bucovine
Incontestablement, ces monastères, classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, ont constitué un des temps forts du voyage. Trois seulement, mais sans doute les plus beaux, ont été visités, admirés, photographiés, commentés…D’abord Voronet, puis Sucevita, et enfin Moldovita.
Ces monastères, pour la plupart fortifiés et bâtis aux XVe et XVIe siècles, ont leurs intérieurs et extérieurs couverts de fresques colorées dont le style et les couleurs varient selon les édifices. Ainsi on parle du bleu de Voronet, du jaune de Moldovita, du rouge de Humor… On retrouve d’un monastère à l’autre trois thèmes constants : l’Arbre de Jessé, le Jugement dernier, l’Hymne acathiste. S’y ajoutent presque toujours la Vie d’un saint et, parfois, les trois motifs du Siège de Constantinople, de l’Echelle spirituelle et des Douanes. L’arbre de Jessé de Voronet est le mieux conservé avec ses 130 figures appartenant aux Douze Tribus et ses philosophes païens (Socrate, Platon, Aristote, Homère…) qui collaborent eux aussi à l’apothéose du Christ.
Sucevita, le plus imposant par la taille et le plus récent (l’église est érigée de 1582 à 1584), représente un ensemble parfait qui s’inscrit de façon séduisante dans son enceinte régulière, ce qui explique qu’il soit sans doute le plus photographié des monastères de Bucovine. Une admirable « Echelle des vertus » peinte sur la façade Nord impressionne par son ampleur et par le contraste entre l’ordre régnant parmi les anges et le chaos de l’enfer.
Le Mémorial des Victimes du communisme et de la Résistance
Sighetu Marmatiei, petite ville frontalière proche de l’Ukraine, a représenté une étape capitale du voyage pour deux raisons principales : d’une part, la recherche difficile et émouvante des traces de la communauté juive d’avant-guerre (près de la moitié de la population de la ville en 1944) ; d’autre part, la présence du Mémorial des Victimes du communisme et de la Résistance, installé dans une ancienne prison tristement célèbre pour avoir « accueilli » beaucoup d’opposants politiques, en particulier dans les années 1950. La visite du Mémorial a rappelé aux participants le prix considérable payé par le peuple roumain pendant toute la durée du régime communiste, de 1945 jusqu’en 1989. L’organisation rigoureusement didactique du Musée de Sighet (nom de la ville avant 1945) par cellule a permis d’explorer toutes les facettes de la politique de répression de la dictature. On a beaucoup appris, réfléchi et médité sur la question « Peut-on réapprendre la mémoire ? » qui faisait écho à la confession émouvante de notre amie roumaine Marina Cionca de Brasov.
Un voyage de découverte et de sensibilisation
Aux dires de tous les participants, ce fut un voyage très réussi qui a montré de nombreuses facettes d’un pays d’une Europe méconnue traversée par des mutations profondes. Selon l’anthropologue français Jean-François Gossiaux, « les Balkans sont l’image réduite et inversée de l’Europe – mais ils en sont l’image. L’Europe s’y réfléchit, et l’ordre qu’elle veut y établir réfléchit l’ordre européen. » (Pouvoirs ethniques sans les Balkans, PUF, 2002).
Pour aller plus loin :
Michel Sivignon, Les Balkans. Une géopolitique de la violence, Belin, 2009.
Amaël Cattaruzza, Pierre Sintès, Atlas géopolitique des Balkans, Autrement, 2012.
Dominique Fernandez, Rhapsodie roumaine, Grasset, 1998.
Mirel Bran, Les Roumains, collection « Lignes de vie d’un peuple », Ateliers Henry Dougier, 2014.
Diane Chesnais, Dictionnaire insolite de la Roumanie, Cosmopole, 2012.
Compte rendu rédigé par Daniel Oster, juillet 2015
Au sujet de l’histoire de la Roumanie et de la Transylvanie: La population roumaine a ete presente depuis toujours en Transylvanie, etant en meme temps toujours ignore , asservi et/ou oblige de abbandoner sa religion orthodoxe et ses noms roumains. Les villages et villes etait la depuis toujours, avec leurs noms roumains.Mais plusieurs ont ete detruits, des nombreux eglises orthodoxes ont ete detruit et au cours des siecles on a essaye de effacer/eliminter completement toute preuve de l’existence permanente de la population roumainequi a ete toujours plus nombreux que les autres. C’est pourquoi les villages/les villes, les gens, ont ete enregistrees avec des noms en allemand et/ou hongrois…
Bonjour Daniel,
Je vous remercie énormément pour cet article très complet.
La Roumanie est un très beau pays et je suis honoré que vous l’avez visité et que les adhérents aient aimé le découvrir.
Je note toutefois que vous n’êtes pas passé par certaines régions de la Roumanie qui sont intéressantes (Bucarest notamment).
Cela me ferait plaisir de vous organiser ce voyage, car j’ai ouvert depuis peu une agence de voyage en Roumanie pour les francophones qui souhaiteraient découvrir ce magnifique pays.
On peut y venir pour réaliser des circuits en groupes ou en couple, faire de la randonnée ou encore, un séjour thalasso à la mer noire.
Je vous remercie et vous souhaite une bonne journée, et de beaux voyages !
Loris