Fondé en 1990 par Christian Pierret, le FIG (Festival International de Géographie) est un événement incontournable dont le succès ne se dément pas.
Pendant quatre jours, les échanges se succèdent, d’un lieu à l’autre, dans la Cathédrale comme dans les IUT (Instituts Universitaires de Technologie) et jusque dans les Cafés les plus divers de la ville de Saint-Dié et de ses environs.
Comme chaque année, depuis 36 ans le FIG propose d’étudier un pays ou une région. Cette année l’Indonésie est à l’honneur, c’est le 4ème pays le plus peuplé du monde mais on l’ignore souvent. Grâce au FIG nous pourrons découvrir ce gigantesque espace, à la croisée des chemins.
Comme chaque année, une thématique est proposée. Quoi de plus osé que de l’intituler « Pouvoir » ! Qu’il soit politique, économique, culturel ou environnemental, le pouvoir façonne nos territoires et nos sociétés. A l’heure où les équilibres mondiaux sont constamment remis en question, il est crucial de s’interroger sur cette problématique.
Ainsi le FIG permet de découvrir Saint-Dié, une ville jadis industrielle et qui revit grâce à un Festival qui propose aussi bien des conférences relevant de la géographie, que des spectacles et des concerts. Un Salon de la gastronomie, car la géographie se trouve aussi dans l’assiette, permet de découvrir entre autres, des spécialités culinaires du pays invité. Un Salon du Livre, présidé par Eka Kurniawan, romancier indonésien, accueille cette année plus de 60 éditeurs.
Le FIG braque également ses projecteurs sur les associations du territoire du Grand Est.
■ PAYS INVITÉ : L’INDONÉSIE
Un grand nombre de conférenciers présentent le monde indonésien, dont Judicaëlle Dietrich, Nathalie Fau, Fabrice Argounès, Frédéric Durand, Nicolas Rouillé, Thoriq Abdullah, Frank Tétart.
L’Indonésie, le plus grand Etat archipélagique du monde, compte 18 000 îles dont les plus importantes sont Java, Bornéo, Sumatra, les Célèbes et la Papouasie. C’est une terre de contrastes qui s’étend de 5 000 km d’ouest en est ; et 1 800 km du nord au sud. Les volcans sont nombreux et encore actifs. En 2024, un séisme a provoqué un tsunami et de terribles inondations.
Ici on observe l’un des plus grands massifs de forêts primaires du monde, menacé par des pratiques extractivistes du sous-sol (nickel) et par l’extension des plantations de palmiers à huile. C’est aussi une puissance commerciale bordée par l’une des principales routes maritimes du monde : le détroit de Malacca qui est un axe de passage stratégique.
C’est un pays en pleine recomposition après la lutte pour la décolonisation et le non-alignement. L’Indonésie fut incluse dans les Indes néerlandaises de 1824 à 1920 et sa population soumise à l’esclavage ou aux travaux forcés. A côté de la langue indonésienne subsistent plus de 700 langues, autant de témoignages de la diversité, liée tant aux facteurs géographiques que sociologiques et politiques.
Elle devient indépendante le 17 août 1945. La Constitution de 1950 établie par le président Sukarno, fonde un régime parlementaire. La devise choisie est ambitieuse : construire un Etat- nation à partir d’une mosaïque géographique, ethnolinguistique et religieuse. On invente un modèle politique original, le Pancasila, qui reconnaît la diversité tout en la transcendant dans une synthèse nationale. Le pays est alors proche du monde des non alignés.
En 1955, lors de la Conférence de Bandung s’affirme une politique extérieure anticolonialiste.
En 1957, tous les Néerlandais encore présents furent expulsés.
En 1965 Suharto prend le pouvoir, après une répression féroce contre ses opposants et opte pour une ligne pro-occidentale mais peu démocratique. Il est contraint à la démission en 1998.
Le président actuel est Joko Widodo, c’est un chef militaire.
L’Indonésie compte aujourd’hui 280 millions d’habitants, c’est le premier pays à majorité musulmane du monde. Il a élaboré un modèle original de gestion de la religion par l’Etat, le Pancasila qui a permis la reconnaissance, à parts égales, de 6 religions (musulmane, hindouiste, bouddhiste, catholique, évangélique, animiste). Héritier d’une tradition javanaise, ce compromis est toujours en vigueur malgré les tensions autour de l’islam politique.
Son économie est dynamique, sa croissance est de 5% en 2023. Elle est membre des BRICS. La Chine est devenue son premier client, c’est aussi la Chine qui est le principal investisseur.
Les nouvelles routes de l’Internet, en développant les câbles sous-marins renforcent la dépendance technologique de la région et limitent l’influence chinoise.
Les inégalités restent marquées entre villes et campagnes, entre Java et « les îles extérieures. »
La capitale, Jakarta, est menacée par la submersion (montée du niveau des mers) et les mouvements tectoniques. Cette agglomération compte 30 millions d’habitants et l’étalement urbain pose de nombreux problèmes : faut-il remplacer les quartiers d’habitat précaire par des tours d’habitat collectif ?
Mais un autre projet se dessine, celui, en 2019, de déplacer la capitale à l’est de l’île de Bornéo, à Nusantara. La nouvelle capitale se voudra ville-forêt tropicale avec des modèles urbains avant-gardistes confiés aux plus célèbres architectes du monde. Depuis 2024, des quartiers dédiés aux fonctionnaires sont réalisés.
La multiplication des projets de nouvelle capitale pose question. Que signifie cette mobilité du pouvoir : mettre en scène une modernité des modèles urbains, certes, mais alors qu’advient-il des anciennes capitales déchues ?
■ Le FIG et le POUVOIR
Le Festival nous invite à explorer une thématique aussi vaste qu’essentielle, en ces heures où l’actualité internationale est aussi grave qu’imprévisible et où on observe la montée de l’autoritarisme ou de « l’illibéralisme » aux Etats-Unis, en Russie, en Europe.
Avant de sombrer dans la mélancolie, rappelons-nous que Pouvoir est aussi une affirmation positive. Nous possédons tous une capacité à déterminer librement nos choix et nos désirs et à agir collectivement pour changer le monde. Comme le dit le sage, un pouvoir ne va pas sans responsabilité. Le Pouvoir, c’est certes le pouvoir des Etats, des grandes puissances, mais c’est aussi celui des collectivités, des entreprises, des associations, des citoyens.
► Le pouvoir des cartes : elles façonnent notre manière de percevoir le monde
Cette conférence proposée à l’Espace Sadoul dès le premier jour est animée par Delphine Papin, cartographe du journal Le Monde, Frank Tétart, auteur de nombreux atlas, Guilhem Marotte et Nepthis Zwer de Strasbourg.
- La première affirmation est stupéfiante : croire à la crédibilité des cartes, c’est être aveugle !
Quelques exemples viennent en appui :
– le président Poutine regarde une carte française du XVII ème et l’Ukraine n’existe pas,
– un chef Mongol montre son empire et la Russie n’existe pas,
– la carte de Mercator est très fausse car elle met à plat la surface ronde de la planète,
– l’Australie a produit une carte où elle est le centre du monde et que l’on peut voir dès l’arrivée à la gare de Saint-Dié…et nous sommes stupéfiés.
- L’étude des toponymes peut-être aussi dérangeante :
– l’exemple le plus connu est celui du Golfe : doit-on dire ou écrire, le golfe Arabique, Persique, Arabo-Persique ou seulement Le Golfe, pour ne blesser la sensibilité d’aucun lecteur de cartes ?
– même remarque pour la mer du Japon ou mer de l’Est ?
► Rendons nous à présent à l’Hôtel de ville pour écouter Paul Claval dont le dernier ouvrage s’intitule Approche culturelle et imaginaire en géographie, paru aux Editions Sérendip.
Paul Claval l’affirme, chaque civilisation a sa grammaire du pouvoir, à toutes les échelles.
Trois phases dans la construction des géographies du pouvoir sont à considérer :
- Le pouvoir venu d’en haut, tous les Etats en ont fait l’expérience, que ce pouvoir soit étatique, religieux, technocratique. Le pouvoir « d’en haut » s’assure de contrôler un territoire, terrestre ou maritime. Le monde fut d’abord dominé par des Etats impérialistes, puis post-coloniaux, qui furent remis en cause dès la fin du XIX ème par l’idéologie socialiste.
Il pourrait être balayé demain par « le Sud Global », avec donc, une nouvelle grammaire. Tout va si vite aujourd’hui !
- Le pouvoir venu d’en bas est plus important que ce que l’on croit. On peut l’exercer par l’inertie, la désobéissance civile, des sabotages, des mafias ou même des syncrétismes.
Nous n’avons pas oublié l’épisode des « gilets jaunes » qui a déconcerté le pouvoir d’en haut !
► A la cathédrale de Saint-Dié, pour un Grand entretien, allons écouter Mathieu Ricard.
Il vient présenter son dernier ouvrage dont le titre est Lumière (éditions Allary). Il est vêtu, comme toujours, en habit de moine bouddhiste, aux couleurs vives, alternant le jaune et le rouge.
Issu d’une famille cultivée, celle de Jean-François Revel, il côtoie dès son enfance les notables, les artistes, le photographe Henri Cartier Bresson. Ses études l’amènent à travailler à l’Institut Pasteur, en neurosciences.
Cependant, dès l’âge de 21 ans il part découvrir l’Himalaya, au Népal, au Tibet. Il va y rester 10 ans et son père finit par le rejoindre. Son dernier ouvrage, Lumière, raconte une expérience photographique de 60 ans, rappelant le lien profond entre le microcosme et le macrocosme dans la nature, mais aussi une exploration intérieure et méditative.
Le succès de ses conférences et de ses ouvrages lui ont permis d’engranger suffisamment d’argent pour fonder au Tibet : 25 écoles, 25 dispensaires, 18 ponts sur le Yangzijiand (Yang Tsé Kiang) et pas moins de 60 000 jardins potagers.
Loin des tracas du monde son intervention est apaisante.
Une autre question a été posée au FIG, celle d’un avenir forgé par l’IA (l’intelligence artificielle). Avec elle, tout peut être trafiqué. La question est donc de savoir si la puissance numérique peut « renverser la table ». Mais une autre interrogation s’impose : la mondialisation peut-elle être heureuse ?
Nous avons une année pour réfléchir à ces questionnements. L’année prochaine, le FIG explorera pour nous, deux pays : la Bulgarie et la Roumanie. Le thème aura un titre aussi court et aussi ambitieux que celui de cette année, à savoir, « Paysage ».
Maryse Verfaillie, octobre 2025 –
A lire
– ce numéro spécial de la revue La Géographie, où interviennent Béatrice Giblin, Michel Foucher, Philippe Pelletier, Ninon Blond, Frédéric Ramel, Henry Kenrick, Yohann Chanoir, Pierre Raffard, Christian Grataloup.
– L’ouvrage Cabinet de curiosités géographiques propose en 32 questions qui ont fait le tour du monde- chez autrement -2025 – de répondre à toutes vos questions. On y retrouve les grands noms de la géographie
– Autres revues incontournables de la géopolitique : Herodote –Echogéo –L’espace politique
Ont aussi honoré de leur présence les géographes : Jacques Lévy, Olivier Milhaud, Gilles Fumey ; les journalistes : Pierre Haski, Raphaëlle Bacqué, Laurent Mauduit et la présidente d’Amnesty International.

