A la rencontre d’Alexandre Yersin, l’homme qui a vaincu la peste

Samedi 15 octobre 2016, la salle du nouvel amphi de l’Institut de Géographie à Paris est bien remplie pour la rencontre-débat organisée autour de la figure d’Alexandre Yersin, l’homme qui a vaincu  la peste. Deux intervenants ont été invités pour cette occasion : Stéphane Kleeb, réalisateur suisse du film documentaire Ce n’est pas une vie que de ne pas bouger (2014) et Annick Perrot, auteur avec Maxime Schwartz, de Pasteur et ses lieutenants (Odile Jacob, 2013). Il s’agit de mieux faire connaître un personnage hors du commun, médecin et chercheur, explorateur et aventurier, découvreur du bacille de la peste, peu connu en Europe y compris dans sa Suisse natale mais considéré encore aujourd’hui comme un héros au Vietnam. La clé d’observation géographique semble bien appropriée pour atteindre cet objectif.

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Le film documentaire de Stéphane Kleeb

La rencontre commence par la projection du film documentaire de Stéphane Kleeb Ce n’est pas une vie que de ne pas bouger (2014), consacré à Alexandre Yersin, médecin et chercheur d’origine suisse, un personnage exceptionnel que le livre de Patrick Deville a contribué à faire connaître (Peste & choléra, 2012). L’excellent titre du film reprend une phrase extraite de l’abondante correspondance que le savant/aventurier a entretenue avec sa mère jusqu’à la mort de celle-ci. Quant à l’idée de faire un film sur Yersin, on la doit à l’ambassadeur de Suisse à Hanoi, Andrej Motyl, surpris de constater la célébrité du scientifique européen au Vietnam alors que celui-ci est presque inconnu dans son pays d’origine.

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France, Europe : Les territoires entre égalité et égoïsmes

Café géo du mardi 12 avril 2016 au Flore, avec Laurent Davezies, professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers, titulaire de la chaire « Economie et développement des territoires » et auteur notamment du Nouvel égoïsme territorial (Seuil, mars 2015) et Philippe Estèbe, directeur de l’Institut des Hautes Etudes d’Aménagement du Territoire (IHEDATE) et auteur notamment de L’égalité des territoires, une passion française (PUF, avril 2015).

Ce café géo rassemble deux auteurs qui ont publié sur le même sujet, mais avec des angles d’attaque apparemment opposés. Philippe Estèbe montre dans L’égalité des territoires, une passion française (PUF) qu’avec le temps, la France a créé un dispositif unique au monde d’égalité des territoires, à travers trois grands mécanismes : une redistribution financière très importante, une répartition inégalitaire des fonctionnaires d’État pour permettre une présence continue jusque dans les lieux les plus reculés, des grandes entreprises publiques assurant partout une continuité de prestation (La Poste, la SNCF, énergie, télécoms).

Laurent Davezies souligne quant à lui dans Le Nouvel Égoïsme territorial. Le grand malaise des nations (Le Seuil) qu’avec la montée du régionalisme, l’exigence d’autonomie, voire d’indépendance, on assiste aujourd’hui à une fragmentation des nations, dans les pays industriels comme dans les pays en développement. Les causes identitaires – anciennes – se combinent avec le fait – nouveau – que les régions riches ne veulent plus payer pour les régions pauvres. Plus largement, c’est le modèle de cohésion territoriale qui est remis en cause en France, en Europe et dans le monde.

Philippe Estèbe comme Laurent Davezies sont d’accord sur le résultat : en France comme ailleurs, les très grandes villes financent largement l’espace rural et commencent à contester le mécanisme de redistribution tandis que les personnes traversent les territoires au cours de leur trajectoire et les mettent en concurrence pour l’habitat, les services, l’emploi et les loisirs. Le dispositif d’égalité des territoires apparaît dès lors coûteux et inefficace.

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Pas simple d’être Belge ?

Café géo animé par Clotilde Bonfiglioli, doctorante à l’Université Reims Champagne-Ardenne, le dimanche 2 octobre 2016 au Bar Thiers (Saint-Dié-des-Vosges).

Photographies prises par Joseph Viney En haut : la rue Thiers, principale artère de Saint-Dié-des-Vosges aux couleurs du pays invité. En bas à droite : Clotilde Bonfiglioli au milieu des nombreuses personnes venues l’écouter ce dimanche 2 octobre au matin En bas à gauche : Clotilde Bonfiglioli interviewée par la chaîne Vosges Télévision

Photographies prises par Joseph Viney

En haut : la rue Thiers, principale artère de Saint-Dié-des-Vosges aux couleurs du pays invité.

En bas à droite : Clotilde Bonfiglioli au milieu des nombreuses personnes venues l’écouter ce dimanche 2 octobre au matin

En bas à gauche : Clotilde Bonfiglioli interviewée par la chaîne Vosges Télévision

Ce titre gentiment provocateur est-il la marque d’un humour français prompt à ironiser sur son voisin du Nord ou de l’autodérision dont les Belges font preuve à leur propre égard ?

Clotilde Bonfiglioli ne répond pas à cette question mais cherche à démonter dans son intervention les idées reçues trop simplistes des Français sur la Belgique.

La population du royaume n’oppose pas deux camps, Wallons et Flamands. Elle comprend aussi des gens qui se sentent avant tout Bruxellois, Liégeois, francophones de Flandre, néerlandophones de Wallonie, germanophones…et même Belges.

Première idée reçue : la Belgique serait « un Etat-tampon artificiel » créé au profit des intérêts britanniques en 1830.

Pas plus artificiel que ses voisins – notamment la France- démontre C. Bonfiglioli.

En fait c’est dès le XVIe siècle que les sujets catholiques des Habsbourg vivant dans les Pays-Bas méridionaux se révoltent contre les protestants au cri de « Un pays, une langue ». Toutes les élites sont alors francophones et les classes populaires parlent des dialectes variés.

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Exposition : « Agrandir le monde. Cartes géographiques et livres de voyages (XVe-XVIIIe siècle) » à la Bibliothèque municipale de Chambéry

Pendant quatre mois, Chambéry va vivre au rythme des voyages et des cartes anciennes. La Bibliothèque municipale a en effet eu l’heureuse idée de dévoiler une partie de ses trésors méconnus, à savoir une extraordinaire sélection de 85 cartes anciennes rentrées dans les collections au début du 20ème siècle après de multiples péripéties. Si l’on doutait encore de cette dimension maritime de la Savoie, les cartes de toutes les parties du monde, les atlas rares et anciens, les estampes exposées attestent cette curiosité pour la découverte du monde. La plupart des documents exposés sont imprimés, mais certaines cartes manuscrites (carte de la Nouvelle France en particulier) ont une valeur documentaire exceptionnelle, et l’on est tenté de s’arrêter longuement devant chaque vitrine.

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Compte tenu de l’espace disponible, les documents exposés s’arrêtent à la fin du XVIIIe siècle. Gageons que le fonds de cartes africaines du XIXe fournirait la matière d’une autre exposition d’aussi haute volée !

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Iles en Seine en aval de Paris

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La journée «  îles en Seine » a été préparée par Maryse Verfaillie pour l’association Les Cafés géographiques (de Paris). Nous ignorerons Boulogne, ville dotée d’un patrimoine exceptionnel des années 30, où sont nées l’automobile et l’aviation, entre bois et fleuve, tout près de la capitale.

Nous concentrerons nos découvertes sur Billancourt, la ville que Sartre ne voulait pas désespérer, mais qui n’existe plus. Une nouvelle ville pionnière, du XXI ème siècle,  est en cours d’édification sur la ZAC- Ile Seguin – Rives de Seine. Quatre communes sont associées au projet : Boulogne-Billancourt, Issy-les-Moulineaux, Meudon et Sèvres. Une nouvelle fois, les plus grands architectes  sont convoqués : Jean Nouvel, Norman Foster, Dominique Perrault, etc. Il suffit de passer des ponts, d’enjamber des îles  et c’est tout de suite l’aventure…

Historique

Landes, forêts et marécages ont dissuadé l’installation des hommes avant le Moyen Age dans le méandre de la Seine, royaume des lièvres ou repère des canailles. Mais lorsque Louis XIV, « le premier banlieusard » fit construire le château de Versailles en 1682, il fallut lancer un  pont sur la Seine. Il traversait alors l’île de Sèvres devenue île Seguin.

Dès le XVIII ème, les abords de la route royale se couvrent des demeures bourgeoises des commerçants et artisans du roi tandis que des châteaux aristocratiques, ceux des courtisans, s’élèvent sur les coteaux de Sèvres et de Meudon. A l’orée du XIX ème s’invitent les artistes, qui plantent leurs chevalets parmi les coquelicots de l’île Seguin.

Une ville bicéphale : de Boulogne à Boulogne-Billancourt

Au XIX ème, entre 1825 et 1840, un certain monsieur de Gourcuff achète une ferme  et crée un « village de Billancourt » avec son église, ses rues, ses maisons. Ce lotissement, centré sur la place Jules Guesde, est la première opération d’urbanisme billancourtois. De nombreuses usines s’implantent alors : céramique, chimie, parfumerie. Les blanchisseries très nombreuses sur la Seine s’industrialisent. La dernière ne disparaît qu’en 1995 ! Une architecture industrielle naît : de grands ateliers sont couverts de sheds –toits en dents de scie, asymétriques – et sont surplombés de grandes cheminées en brique. Bientôt Boulogne et Billancourt ne feront plus qu’une, résidentielle au nord, ouvrière au sud

Dans les années 1920-1930, les époux Kahnweiler, marchands d’art et mécènes, instituent les « dimanches à Boulogne ». Ils reçoivent : Braque, Satie, Artaud, Max Jacob, Man Ray, Diaghilev, Malraux, Juan gris …. Le maire, André Morizet, entouré d’architectes et d’urbanistes (Le Corbusier, Mallet Stevens, Tony Garnier, etc.) va faire de Boulogne une ville d’art. C’est ici que s’installent les premiers studios de cinéma, ceux qui créèrent le Napoléon d’Abel Gance et la Grande Illusion de Jean Renoir.

Boulogne-Billancourt, ville de modernité et d’inventivité

Et puis un jour, une rumeur mécanique enfle dans la ville, qui devait aboutir à la naissance de la 4 CV Renault, en 1945. Finie la pastorale. Les premiers tanks sont nés à Boulogne-Billancourt. Les usines ont chassé les guinguettes, les fumées ont chassé l’odeur de l’aubépine et du linge frais. Fini les dimanches à Boulogne, bonjour la ville ouvrière.

L’épopée Renault commence en 1898, lorsque Louis met au point sa première automobile. En 1899, il fonde avec ses frères la Société Renault, implantée à Billancourt. D’autres usines d’automobiles s’installent alors, puis des usines aéronautiques, celles des frères Farman et des frères Voisin. L’émulation et la compétition font rage.

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Comment peut-on être « montagnard » ?

Compte rendu du Café Géo animé par Bernard Debarbieux, le 13 avril 2016 à Chambéry.

Dans ce titre, deux mots s’imposent : « montagnard » et « comment ». Le titre retenu ne l’est pas par hasard, il fait écho aux Lettres persanes de Montesquieu (1721), qui raconte sous la forme d’une fiction épistolaire la découverte de Paris par deux Persans. L’ouvrage narre ainsi une série d’expériences, racontées sur un mode humoristique. C’est une sorte de conte philosophique dont l’objectif est de soulever les absurdités de la société française du début du XVIIIe siècle et d’ironiser sur la façon dont les Parisiens ont de comprendre et de percevoir l’altérité. Bien qu’ayant près de trois siècles, l’ouvrage évoque des situations transposables dans une période plus contemporaine, comme l’exprime la Lettre 30 de Montesquieu.

Dans cette lettre, Ouzbek raconte ses premiers jours à Paris lorsqu’il est exposé au regard des Parisiens : « lorsque j’arrivais je fus regardé comme si j’arrivais du ciel, les vieillards, les hommes, les femmes, les enfants, tout le monde voulait me voir, si je sortais tout le monde se mettait aux fenêtres, et si j’étais aux tuileries je voyais aussitôt un cercle se former autour de moi. Enfin, jamais homme n’a autant été vu que moi ». Dans un premier temps, il ne comprend pas bien pourquoi il suscite autant de curiosité, puis il se rend compte qu’il est habillé, accoutré d’une façon très particulière qui ne correspond certainement pas à une tenue traditionnelle persane mais aux habits d’apparat qu’il portait en raison de son invitation par d’importants personnages de la capitale. Un peu lassé de la curiosité qu’il suscitait, il s’habilla comme tout le monde et à la fin de sa lettre il confie ceci : « si par hasard quelqu’un apprenait que j’étais persan, j’entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement « ah ah Monsieur est persan », il fallait qu’il le dise, Monsieur est persan, c’est une chose bien extraordinaire. Comment peut-on être persan ? ». Autrement dit, les Parisiens ne se posent pas cette question lorsqu’il est accoutré comme ce qu’ils imaginent et ce qu’ils comprennent comme un accoutrement de persan, par contre s’il est habillé comme eux, les Parisiens se demandent alors comment il peut être persan car il n’a pas l’apparence d’un persan. Le sens de la question que pose Montesquieu, ce n’est pas le sens de la question qui sera adopté à l’occasion de ce café géo. Quand Montesquieu écrit « Comment peut-on être persan ? », il ironise sur la bêtise moyenne des personnes qu’Ouzbek rencontre, et qui se demandent ce que veut ou ce que doit signifier être persan.

Ici, pour comprendre le titre « Comment peut-on être montagnard ? », il faut entendre l’adverbe « comment » un peu différemment : de quelles façons peut-on être montagnard ?  De quelles façons sommes-nous reconnus comme montagnards ? De quelles façons se pense-t-on montagnard ? Est-ce ce caractère repose sur un accoutrement spécifique ? Est-ce qu’il s’agit d’une sorte d’essence qui n’est pas perceptible, comme pour Ouzbek une fois qu’il a quitté ses habits de Persan ? Est-ce que c’est une culture ? Un langage ? Le « comment » devient ainsi ontologique : qu’elle est la nature de l’être montagnard ? Comment est-ce qu’on est montagnard fondamentalement ? Pour explorer cette question immense, Bernard Debarbieux souhaite d’abord voir comment le public chambérien réagit à une série de petits énoncés, pour observer l’adhésion plus ou moins forte de la salle à une définition de l’être montagnard :

  • On est montagnard quant on habite en montagne.
  • On est montagnard au fil des générations : est ce que cela se transmet ? par les gènes ? par acculturation ?
  • On est montagnard parce qu’on pratique la montagne, parce qu’on aime la montagne.
  • On est montagnard parce qu’on est savoyard.

Cette petite exploration ouvre la réflexion quant aux différentes ontologies, aux différentes façons d’être montagnard. Est-ce qu’être montagnard est une question de nature profonde, une question existentielle ? Ou une question d’apparence, comme pour Ouzbek et son identité persane ? Est-ce que c’est un choix personnel ? Une revendication ? Une façon de se présenter dans la société ? Le fruit d’une validation sociale ?

Comprendre l’identité montagnarde doit ainsi se faire au regard de l’histoire de la construction de l’espace montagne et de ses habitants. D’une conception initiale très naturaliste, on voit peu à peu se mettre en œuvre des formes de revendications, d’affirmation, de souci de mise en scène de l’identité montagnarde. Globalement, la façon de parler et de penser les montagnards a été principalement naturaliste dans un premier temps, puis de plus en plus sociale, politique et culturelle, et enfin, depuis une vingtaine d’années, de nouvelles façons de se positionner vis-à-vis de la montagne émergent.

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Jura, nous voilà !

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Dans la haute chaîne du Jura, entre les Rousses et le lac de Joux en Suisse,  le car glissait comme un reptile. Le paysage défile comme un cinémascope, la silhouette effilée des sommets, les barres calcaires entre les sapinières, l’ovale des lacs bleu ciel dessinant un petit pan de ciel bleu sur la campagne verte et dont l’air était jauni par le soleil. Nous étions là, à chercher ce que la montagne pouvait nous raconter de nous mêmes que nous n’aurions même pas songé à trouver, une émotion, une surprise, une certitude, une inquiétude peut-être. Dans le défilé des sapins qui nous accompagneraient au lac de Malbuisson que Courbet voyait comme un trou noir, les vaches étaient indifférentes à notre passage. Mouthe et son clocher coiffé d’un bulbe aux couleurs froides offrait la sidération d’un village ordinaire du haut-Jura, rue principale élargie pour les congères hivernales de neige, maisons protégées du vent par des tôles dessinées comme des écussons, voitures stationnées en désordre, femme secouant un tapis à la fenêtre, maquignon montant dans un camion de bestiaux. C’était donc cela, le Jura. Un canton de l’univers où des gens nés-là étaient restés sans vraiment l’avoir voulu, ouvrant les fenêtres en cette fin d’été chaude et qui allaient s’apprêter pour la saison du grand manteau blanc.

Frontière

Dole

Dole

Pourtant, entre Dole et Besançon, les deux capitales du comté de Bourgogne, sept jours pleins n’ont pas suffi pour accumuler des images, questions, étonnements sur ces lieux dont personne ne sait s’il faut les nommer Jura, Comté, Franche-Comté, Revermont, Haut-Doubs, porte de Bourgogne, Haute-Saône. Sauf si les limites ont un sens qui est de tendre un miroir dans lequel on se regarde. De préférence avantageusement, face à l’autre, déprécié pour ne pas déchoir dans notre image de soi. De fait, tout semblait frontière, ligne, marquage. Invisibles : mine de sel du trias fixant les installations d’extraction, périmètre d’une appellation viticole ou fromagère, microclimat, limite indécise de la hêtraie-sapinière, frontière géopolitique. Ou visibles : vignobles peignés, champs marquetés des hauts plateaux, ruisseaux et rivières ourlés de saules, clochers traçant le chemin de la terre au ciel, horizons en enfilade des plis géologiques.

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Forêts : retours en enfance. Deux BD revisitées. Tintin et Astérix écologues ?

 

Paul Arnould, professeur de géographie à l’ENS de Lyon et chercheur à l’UMR 5600, Environnement Ville Société, évoque, le 16 septembre 2015, les « Forêts : retours en enfance. Deux BD revisitées. Tintin et Astérix écologues ? », au Café de la Cloche.

Spécialiste des forêts, il a écrit dernièrement « Au Plaisir des forêts. Promenade sous les feuillages du monde », où le sixième chapitre (sur 43) porte sur les plaisirs enfantins de la BD. De l’enfance à la BD, il n’y a alors qu’un pas. Sa jeunesse en forêt est marquée par les Vosges, les cabanes et les mini-défrichements pour faire du bois de feu. Elle est occupée aussi par la lecture des albums de Tintin et par l’abonnement au journal Pilote où paraissent les aventures d’Astérix le gaulois. Ayant lu son premier Tintin Objectif Lune a un peu plus de 7 ans, Paul Arnould, approchant des 77 ans, la deuxième date fatidique utilisée par les publicitaires pour borner le lectorat de Tintin, a décidé de revisiter Tintin au prisme de l’environnement. Y ajouter des constatations et des interrogations avec un autre héros au succès phénoménal, Astérix, permet de proposer une lecture jumelle des deux bandes dessinées.

Comment la forêt est-elle représentée par les auteurs de ces deux BD, comment les questions écologiques y sont-elles évoquées ? Tintin et Astérix peuvent-ils être considérés comme des spécialistes de l’environnement forestier ?

Tintin et Astérix sont, pour de nombreux bédéphiles, des BD un peu datées. Ces deux séries sont parmi les plus vendues dans le monde. Les chiffres sont impressionnants : 365 millions d’albums pour Astérix, plus de 230 millions pour Tintin. Le dernier Astérix « Le papyrus de César », paru en octobre 2015, a été tiré à plus de 4 millions d’exemplaires. Tintin est désormais traduit en plus de cent langues, Astérix en plus de 120.

Astérix est très lié à l’Hexagone (Le gaulois, la serpe d’or, le tour de Gaulele combat des chefs, le bouclier arverne, le chaudron, la zizanie, le domaine des dieux, les lauriers de César, le devin, en Corse, le cadeau de César…), mais avec une forte dimension européenne (Les Goths, les Bretons, les Normands, aux jeux olympiques, en Hispanie, chez les Helvètes, chez les Belges….). Astérix est incontestablement plus européanocentré que Tintin.

Tintin s’impose au premier abord comme un chasseur non-écologue, surtout dans Tintin au Congo, livre de massacres et de tueries d’animaux ; mais d’autres représentations vont progressivement nuancer cette posture simplificatrice.

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Lyon, porte des Alpes
Vue de Lyon depuis les hauteurs de Fourvière (Cliché Pierre-Louis Ballot, 24 juillet 2016)

Vue de Lyon depuis les hauteurs de Fourvière (Cliché Pierre-Louis Ballot, 24 juillet 2016)

En ce dimanche 24 juillet 2016, la vue depuis les hauteurs de Fourvière nous offre un superbe panorama de la cité lyonnaise : la Saône, le 2ème arrondissement (où l’on distingue nettement sur la droite la couleur ocre de la place Bellecour), les bords de Rhône (dont on devine la présence grâce aux nombreux arbres qui les jalonnent) et le quartier de la Part-Dieu (symbolisé par la tour de la Part-Dieu, surnommée le « crayon » ou encore, tout à gauche, la plus haute tour de la ville, la tour Incity, récemment achevée) apparaissent ainsi successivement sur les différents plans de la photographie. Puis, la ville semble ensuite s’étendre à perte de vue jusqu’aux collines, dont on peut tout au loin distinguer les premières formes.

Fasciné et subjugué par la vue proposée, je ne suis pourtant pas totalement satisfait : le temps, ce jour-là (et une fois de plus), ne me permet pas d’apercevoir et de contempler, à l’horizon, une partie de la chaîne des Alpes et son point culminant, le Mont Blanc. Un paysage qui, lorsque le ciel est des plus clairs et des plus dégagés, s’offre à qui s’aventure sur ces mêmes hauteurs de Fourvière ou encore sur les pentes de la Croix-Rousse, comme sur la photo ci-après.

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La crise du logement

Introduction de Judicaëlle Dietrich :

Marie Chabrol et Yankel Fijalkow sont deux chercheurs travaillant sur les thématiques du logement dans différents contextes de recomposition urbaine contemporaine dans le cadre de la métropolisation des villes européennes. Le sujet est vaste et nous aborderons ainsi la notion de crise mais aussi le lien entre crise et creusement des inégalités avec les vulnérabilités résidentielles.

Marie Chabrol est maître de conférence en géographie à l’Université de Picardie-Jules-Verne à Amiens, elle a fait sa thèse sur un quartier bien connu :Château Rouge la Goutte-d’Ori. Elle a questionné les relations entre les dynamiques résidentielles d’un quartier touché par le phénomène de gentrification et les dynamiques commerciales de ce quartier marqué par de fortes centralités africainesii. Elle mène actuellement ses recherches dans un quartier de Bruxelles qui partage nombre de caractéristiques avec la Goutte d’Oriii.

A ses côtés, Yankel Fijalkow, géographe, est Professeur à l’Ecole Nationale d’Architecture de Paris Val de Seine et auteur notamment d’ouvrages « ressources » : dans la collection « Repères » de « Sociologie du logement » et « Sociologie des villes »iv. Il mène des recherches sur les politiques publiques du logement.

Yankel Fijalkow et Marie Chabrol sont membres du réseau « Recherche-Habitat-Logement » et interviennent dans l’atelier « vulnérabilités résidentielles ». Ils collaborent dans ce cadre à un programme de recherche intitulé « Rester en Ville, résistance et résilience de la ville ordinaire » où sont comparés quatre quartiers de capitales européennes (Paris, Bruxelles, Vienne et Lisbonne)v.

Les notions de crise du logement, de mal logement, sont des expressions très utilisées dans les discours politiques et médiatiques et nous avons ici la chance d’avoir deux chercheurs aux travaux très actuels, très en prise avec le terrain. On essaiera ainsi à partir de leurs exemples et études de cas sur les villes françaises et européennes de saisir une des formes actuelles d’inégalités sociales les plus aiguës. On reviendra sur les questions de la gentrification, du logement et de la place des populations les plus pauvres en ville.

JD : Pourquoi parle-t-on de crise du logement et qu’est-ce qu’indique ce vocabulaire actuel ?

YF : C’est une question intéressante et importante !Il faut déjà déterminer qui est sous-entendu dans ce « on ». Car selon les époques, ceux qui évoquent cette notion sont assez différents. Par exemple, Henri Sellier (qui fut Maire de Suresnes, ministre de la Santé publique sous le Front Populaire, et dirigea l’Office départementale des Habitations à Bon Marché), soutint en 1921 une thèse de droit en trois volumes, intitulée « la crise du logement et l’intervention publique en matière d’habitat populaire ». A l’époque, ceux qui parlaient de la crise du logement appartenaient au courant réformateur et de la réforme sociale. Ensuite si on regarde le catalogue de la Bibliothèque Nationale de France, on trouve d’autres contemporains comme par exemple Charles Gide (professeur au collège de France) autour du mouvement coopératif ; ce fondateur de l’Economie Sociale ne défendait pas les mêmes idées que Sellier sur le rôle des pouvoirs publics. Ayant une représentation plus large de la crise du logement, il promouvait plutôt l’idée qu’il puisse exister des mouvements coopératifs de gens qui s’entraideraient pour accéder au logement. On trouve d’autres choses bizarres et amusantes aussi dans le catalogue BNF sur le thème de la crise. Par exemple un numéro des Belles histoires, intitulé « La crise du logement » où l’on raconte l’histoire d’un petit animal qui cherche un logement et qui rencontre un escargot qui a son propre hébergement, etc. Il faudrait se pencher plus attentivement sur ce texte, mais une chose est sure : en 1921 on faisait déjà des thèses sur la Crise et en 1987 on en parle encore et même aux enfants…. ! Je déduis de ce rapide parcours que le terme de crise qui signifie d’ordinaire un phénomène violent et soudain n’est peut-être pas approprié. Si on entend parler de manière cyclique des crises du logement ne sommes pas nous pas plutôt face à une difficulté structurelle de la société française, difficulté structurelle à loger ses ressortissants ?

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