Alimentation et environnement en Chine : l’équation urbaine

Café géographique du 21 janvier 2016

Etienne Monin, jeune docteur en géographie, agronome de formation qui vient de soutenir sa thèse intitulée « Formation agraire, nouveaux modèles agricoles et encadrements métropolitains à Shanghai »

Comment prendre en considération la durabilité des espaces agricoles chinois, dans la phase présente du développement du pays ? En référence à leur fonction alimentaire et en rapport avec l’environnement ?

En Chine, il y a une dynamique incontournable aujourd’hui : la métropolisation qui s’accompagne d’une forte hiérarchisation des villes dans l’espace régional, amenant une redéfinition des rapports entre villes et campagnes. Ces rapports sont un thème de recherche récurrent en France, qu’il s’agisse de la grille de lecture par la périurbanisation ou de la « géographie des relations » décrite dans les Suds. La question des échelles en Chine est primordiale pour comprendre les nouveaux agencements ville-campagne, en particulier ceux des régions métropolitaines en formation, et interpréter les interactions des aires urbanisées avec leurs périphéries agricoles et rurales. On est amené à s’interroger sur la façon dont fonctionnent ces espaces au plan des activités et des ressources qu’elles mobilisent, comment le développement urbain rejaillit localement, et quelles spécificités supportent les activités agricoles, à l’intersection de l’alimentation et de l’environnement.
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Anselm Kiefer

Anselm Kiefer
Centre Pompidou
16 décembre 2015- 18 avril 2016

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C’est à une traversée inédite de l’œuvre de l’artiste allemand, Anselm Kiefer que le Centre Pompidou nous invite. Elle retrace l’ensemble de sa carrière, de la fin des années soixante à aujourd’hui. Cette exposition est un événement à ne manquer sous aucun prétexte ! Kiefer est un titan dont l’œuvre est singulière, prolifique autant que monumentale. Il n’a pas d’autre but que de vous forcer à réfléchir sur l’histoire (celle de l’après deuxième guerre mondiale) et sur la mémoire. Il invente un nouveau langage qui convie en permanence les poètes, les penseurs et écrivains et affirme que la mélancolie est au cœur du processus créatif.

L’artiste Anselm Kiefer, un titan

Un homme solitaire

Il naît en Allemagne, dans le Bade Wurtemberg, entre Forêt Noire et lac de Constance en mars 1945. L’Allemagne n’est déjà que ruines de même que la maison dans laquelle il est né. En 1965 il entre à l’Université de Fribourg- en- Brisgau, où il étudie les lettres romanes. Il se rêve poète, mais le dessin est sa seconde passion. Après avoir lié amitié avec Le Corbusier et admiré son œuvre, il se lance finalement dans une formation artistique, puis installe son premier atelier à Karlsruhe.

C’est son propre portrait qu’il introduit dans le tableau ci-dessous.

Die Orden der Natcht [Les ordres de la nuit] 1996 Acrylique, émulsion et shellac sur toile 356 x463 cm Seattle Art Museum. Photo: © Atelier Anselm Kiefer

Die Orden der Natcht [Les ordres de la nuit] 1996 Acrylique, émulsion et shellac sur toile 356 x463 cm Seattle Art Museum. Photo: © Atelier Anselm Kiefer

Le peintre est allongé sous des tournesols géants. Il observe le firmament, ce qui lui permet de rapprocher les deux espaces : terrestre et céleste, de franchir les frontières par l’intermédiaire de son corps, membrane entre le macrocosme et le microcosme. Il investit le tournesol (plante dont le nom indique le lien direct avec l’astre) du pouvoir de transmission de la vie. Ses graines noires vont féconder le sol creux et sec.

Cette toile est immense, plus de deux fois la hauteur d’un homme. Sa palette, faite de matières aux couleurs sourdes, est identifiable à la quasi-totalité de son œuvre. L’homme et l’œuvre ne font qu’un pour Anselm Kiefer. Le monde est un tout sous le soleil noir de la mélancolie.
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La planète football

Compte-rendu  café géographique de Saint-Brieuc
26 novembre 2015
planete football

Julien Sorez est historien. Ses travaux de recherche portent sur l’histoire sociale et culturelle d’une pratique sportive, le football. Sa thèse « Football en Seine. Histoire sociale et culturelle d’une pratique sportive dans Paris et sa banlieue (fin XIXème siècle – 1940) » a été publiée en 2013 aux Presses Universitaires de France.

Pourquoi et comment peut-on parler de « Planète football » ? Julien Sorez se propose de livrer, à partir d’une approche historique et de sa dimension spatiale, quelques éclairages sur le succès d’une des pratiques les plus mondialisées.

1 – L’Angleterre, foyer du football moderne

C’est dans l’Angleterre de la RI à partir du XVIII° et XIX° siècles qu’apparait un ensemble d’activités de loisirs impliquant une dépense physique dans un cadre compétitif.

Depuis l’Antiquité, des formes d’affrontement physiques existaient mais la nouveauté, dans cette Angleterre industrialisée, c’est l’émergence d’un système sportif que l’on appelle moderne qui se caractérise par au moins quatre points singuliers qui créent une rupture par rapport aux pratiques physiques et ludiques antérieures.
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Métropole du Grand Paris : que peuvent changer les élections régionales ?

Compte rendu du Café géopolitique qui s’est tenu au Café de la Mairie, Paris 3e, le 9 novembre 2015

Présentation des intervenants :
Simon RONAI
Consultant en aménagement urbain, Simon RONAI est agrégé de géographie et diplômé de Sciences Po. Il intervient dans plusieurs régions et est impliqué dans les réflexions sur la métropole du Grand Paris depuis 2001.

Nicole SERGENT
Membre du Conseil Économique, Social et Environnemental Régional d’Île-de-France (CESER) et rapporteur de l’avis de ce dernier sur la Métropole du Grand Paris en date du 22 octobre 2015.

« La Métropole du Grand Paris (MGP) entrera officiellement en vigueur à partir du 1er janvier prochain. Évoquée depuis des décennies, sa construction fût semée d’embûches. Mêlant dossiers techniques et projets politiques, la définition des contours et des compétences de la MGP a été l’objet de féroces rivalités entre les différentes parties prenantes du projet (élus locaux, partis politiques, personnalités politiques, associations d’élus). Hasard des modifications du calendrier électoral, les Franciliens devront se prononcer sur la composition de leur futur exécutif régional quelques semaines avant l’entrée en fonction de la MGP. Les enjeux concernant la mise en place du Grand Paris et la division des compétences entre la nouvelle Métropole et le conseil régional d’Île-de-France se révèlent éminemment géopolitiques. Au cours de ce débat, nous reviendrons sur les diverses stratégies des uns et des autres ayant influencé la création de la MGP avant de nous intéresser, actualité oblige, plus spécifiquement aux enjeux des prochaines régionales en Ile-de-France. »

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Géographies des émotions, émotions des géographes

Compte rendu du Café Géographique du 13 octobre 2015 à Paris (Café de Flore), avec Pauline Guinard (MCF ENS Ulm, UMR Lavue-Mosaïques, UMR IHMC (associée)) et Bénédicte Tratnjek (doctorante en géographie). Animation Judicaëlle Dietrich et Michel Sivignon

Michel Sivignon rappelle dans un premier temps que les émotions ont longtemps été ignorées en géographie, parce que contraires à une vision objective et scientifique. Aujourd’hui, il existe un retour aux émotions, pas seulement dans le discours des sciences sociales, mais dans le vocabulaire quotidien Il donne des exemples comme le service Internet payant Canalplay qui fait sa publicité grâce au slogan : « des émotions à la demande » ou du magazine Elle qui titrait il y a peu : « Ne gardons que les émotions positives ». Il termine en affirmant que les émotions appartiennent à tout le monde.

Judicaëlle Dietrich explique rapidement la raison de l’invitation de Pauline Guinard et Bénédicte Tratnjek. Elle est en effet à l’initiative de ce café et du choix de cette thématique qui l’intéressait : « comment prendre en compte les émotions dans le fait de faire de la géographie ? ». Elle s’est donc intéressée au séminaire organisé à l’ENS Ulm par les deux intervenantes. Ce séminaire Géographie des émotions a accueilli lors de sa première année d’existence des chercheur.e.s spécialistes de ces questions comme pour n’en citer que quelques-un.e.s : Elise Olmedo, Anne Volvey et Jean-François Staszak. Parallèlement à ce séminaire, les intervenantes ont lancé un appel à articles sur la même thématique dans la revue Carnets de Géographes qui devrait sortir en 2016. Après avoir présenté les intervenantes, Judicaëlle Dietrich leur a demandé comment elles en étaient venues à réfléchir sur la géographie des émotions.

Pauline Guinard s’est intéressée à la question des émotions à partir de son terrain de thèse, Johannesburg, où elle a travaillé sur l’art dans les espaces publics et plus précisément sur ce que l’art peut faire à ces espaces (en termes de publicisation, de privatisation, etc.). Elle poursuit : « Quand on est une jeune fille blanche à Johannesburg, il arrive qu’on ait peur, notamment lorsque l’on fréquente le centre-ville de Johannesburg, en particulier la nuit. J’ai ainsi eu peur à plusieurs reprises, ce qui a parfois contraint mes déplacements et mes pratiques dans la ville ». Elle rappelle alors qu’une des questions qui revient le plus souvent dans les échanges ordinaires à Johannesburg est : « Is it safe ? » (« Est-ce sûr ? »). Elle a pris conscience que cette peur des usagers de la ville relevait en fait d’une intériorisation des normes sur ce qui est perçu comme sûr et ce qui ne l’est pas à Johannesburg. Elle voulait insister sur « cette peur, dont j’ai réussi partiellement à m’affranchir et avec laquelle j’ai fait mon terrain ». Pourtant, elle explique qu’il n’y a rarement de la place pour ce type de considération dans la recherche. Elle a donc fait un chapitre 0 dans sa thèse (Guinard, 2012), pour analyser la façon dont la peur (la sienne et celle des autres) avait contribué à façonner sa recherche, en l’incitant notamment à renoncer à étudier certains espaces-temps de la ville, à l’image des espaces publics du centre-ville la nuit. Puis elle explique que, pour poursuivre ce type de démarche réflexive et continuer sa réflexion sur la place des émotions en géographie, elle en a d’abord fait un cours. C’est dans ce cadre qu’elle a découvert l’article de Bénédicte Tratnjek sur les viols de guerre (2012). Elles se sont rencontrées et ont décidé de promouvoir ce débat dans la géographie française sous la forme d’un numéro spécial de revue, mais aussi d’un séminaire de recherche, organisé à l’ENS depuis 20151. Barbara Morovich et Pauline Desgrandchamps sont ainsi venues parler de la notion de quartiers sensibles et de la possibilité d’aborder les émotions par le son, Jean-François Staszak a analysé la place des émotions qu’il a appelées « post-coloniales » dans le cinéma, etc.

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Les nouvelles prisons. Enquête sur le nouvel univers carcéral français

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Les nouvelles prisons. Enquête sur le nouvel univers carcéral français

CHOLET Didier (dir.), 2015, Les nouvelles prisons, Rennes, PUR, 366 p.

Comme son titre l’indique, cet ouvrage porte sur les « nouvelles prisons », c’est-à-dire les établissements pénitentiaires construits à partir de 2007 dans le cadre du « plan 13 200 »1 qui vise à répondre à l’augmentation de la population carcérale et à l’inadaptation du parc pénitentiaire dont certains établissements, vétustes, offrent des conditions de détention déplorables et déplorées2.

La recherche dont rend compte le livre vise d’abord à répondre à la demande publique. Il s’agit en effet de voir dans quelle mesure ces nouveaux établissements peuvent servir de modèle : quels en sont les échecs et les réussites ? Les auteurs se donnent ainsi pour objectif de participer, par les résultats de leur étude, à l’amélioration des constructions futures. Ensuite, cette étude interroge les changements que ces constructions ont entraînés : permettent-ils à la prison de mieux remplir les fonctions qui lui sont assignées ?

Pour répondre à ces questions, cette recherche, qui aura duré 3 ans (2011-2014), a été menée par une équipe pluridisciplinaire rassemblant des juristes, des sociologues, des architectes, des économistes, des géographes et des spécialistes de l’aménagement du territoire. Elle repose sur des études de terrain et de documents, et sur la réalisation d’entretiens avec des personnes détenues, des agents pénitentiaires (surveillants, personnel de direction, conseiller pénitentiaires d’insertion et de probation), des architectes, des élus. Parmi les 30 nouveaux établissements pénitentiaires construits depuis 2007, 5 ont fait l’objet d’investigations approfondies : les maisons d’arrêt3 du Mans et de Nantes ; les centres pénitentiaires4 de Nancy, Poitiers et Rennes. Afin d’obtenir des éléments de comparaison, d’anciens établissements ont également été visités et étudiés (notamment l’ancienne maison d’arrêt de Nantes).

L’ouvrage, qui présente les résultats de cette recherche, est organisé en deux parties autour de la question de l’insertion : la première partie analyse l’insertion des établissements dans leur environnement juridique, économique et géographique ; la seconde aborde l’insertion des personnes dans les établissements étudiés sous l’angle architectural et micro-géographique.

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Quelques approches de la question de l’eau en Chine

Les Cafés Géo de Lyon accueillent Jean-Paul Bravard, Professeur émérite de géographie à l’Université Lyon 2, pour évoquer la gestion des grands fleuves en Chine. Plusieurs voyages au Vietnam, en Chine et dans les pays du Mékong dans le cadre de missions d’expertise ou de participations à divers colloques, lui ont permis d’accumuler certaines observations qu’il nous livre aujourd’hui.

  1. La répartition géographique de la ressource

Même si l’on peut noter une progressive ouverture, la question de la gestion de l’eau en Chine fait encore l’objet de peu de publications en raison notamment des enjeux politiques qu’elle soulève. Ce pays qui compte pas moins de 20% de la population mondiale ne représente que 7% des ressources en eau de la planète. L’eau est donc un enjeu primordial pour la société chinoise. 50% des fonds de la Commission nationale du développement et de la réforme lui sont d’ailleurs consacrés. Malgré tout, près de 400 villes et de 30 millions de ruraux sont rationnés en eau.

Pour synthétiser, une ligne est-ouest qui court de Shanghaï jusqu’à Chongqing à peu près différencie une Chine sèche d’une Chine humide. A l’ouest et au nord, le volume des précipitations annuelles est souvent inférieur à 400 mm d’eau. A titre de comparaison, le volume moyen en France est de 800 mm et le Bassin parisien, qui manque d’eau, compte en moyenne 600 mm de précipitation. En conséquence, le nord et l’ouest de la Chine sont confrontés à l’avancée des déserts et au phénomène des pluies acides ce qui n’est pas sans effet sur les sols. A contrario, la Chine du sud est bien mieux pourvue en eau.

Cette dichotomie nord-sud s’explique en bonne partie par l’impact du relief sur les masses d’air. Les chaînes de montagne du sud bloquent l’humidité de la mousson estivale. L’Himalaya notamment empêche les masses d’air humide de remonter par le sud ce qui explique la sécheresse du plateau tibétain. Les flux qui pénètrent par la Mer de Chine ne suffisent pas à pallier cette carence. Pékin par exemple est une ville froide en hiver qui ne connaît pas la mousson avant juillet alors qu’au sud, elle commence au mois de mai. Lorsque la mousson s’arrête dans le sud de la Chine, Pékin manque d’eau. Certes les barrages assurent une réserve conséquente en eau potable pour la population mais ils ne permettent pas d’alimenter en eau l’agriculture.

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Le panorama de Rouen

Chers ami(e)s des Cafés géo, vous pensiez que je vous présenterais

Cette photographie ?
Or, ce sera celle-là !
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Panorama de Rouen depuis Bonsecours[1] (côte Sainte-Catherine) (Mai 2014, Wikipédia) Panorama XXL (au fond, le pont Gustave Flaubert ; Cliché Denis Wolff)

Dans l’acception courante, un panorama est une « vaste étendue de pays qu’on découvre d’une hauteur » (dictionnaire Larousse). Pourtant, le terme existe également en peinture, pour désigner une oeuvre de grande dimension développée circulairement sur le mur intérieur d’une rotonde, c’est-à-dire d’un édifice cylindrique surmonté d’une coupole (par extension on appelle aussi panorama la rotonde, le bâtiment lui-même). En effet, le spectateur, après avoir parcouru un couloir et des escaliers assombris qui le désorientent, est le plus souvent placé sur une tribune au centre ; il voit les objets représentés sur le tableau comme si, sur une hauteur, « il découvrait tout l’horizon dont il serait environné » (dictionnaire Littré). Un autre dictionnaire[2] précise : « Les tableaux de ce genre imitent exactement l’aspect d’un site vu dans toutes les directions et aussi loin que l’oeil peut distinguer. » Ce dictionnaire précise : « La lumière vient d’en haut par une zone de vitres dépolies ménagées à la partie inférieure du comble et frappe spécialement le tableau. Un vaste parasol, suspendu à la charpente au-dessus de la tribune, qu’il dépasse en diamètre, couvre le spectateur d’une pénombre et lui cache en même temps les points d’où vient la lumière. » (voir photographies ci-dessous). La réalisation d’un panorama est longue et coûteuse : plusieurs mois de travail avec une équipe de plusieurs peintres.

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Patrimoine et patrimonialisation, de l’objet à la relation

Compte rendu du Café Géographique du 24 novembre 2015 à Paris (Café de Flore)

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Ce mardi 24 novembre, la salle du premier étage du Café de Flore est comble pour  un café géo consacré au sujet de géographie de l’année 2015-2016 des classes préparatoires au concours de l’ENS Ulm. Plutôt que l’intitulé officiel (« Géographie des patrimoines et des patrimonialisations ») le café géo a préféré un libellé un peu différent pour souligner la diversité de la notion de patrimoine et des processus de patrimonialisation (« Patrimoine et patrimonialisation, de l’objet à la relation »).

Deux éminentes spécialistes de cette question ont été invitées : Maria Gravari-Barbas, Professeur de géographie à l’IREST (Institut de Recherche et d’Etudes Supérieures du Tourisme) de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et Edith Fagnoni, Professeur de géographie à l’Université de Paris-Sorbonne-Paris 4. Elisabeth Bonnet-Pineau est chargée d’animer la soirée.

Elisabeth Bonnet-Pineau commence par introduire le sujet. Elle rappelle la définition du patrimoine relevée dans le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés de Jacques Lévy et Michel Lussault : « Ce qui est censé mériter d’être transmis du passé, pour trouver une valeur dans le présent » (…) « Le patrimoine est un ensemble d’attributs, de représentations, de pratiques fixé sur un objet non contemporain (chose, œuvre, idée, témoignage, bâtiment, site, paysage, pratique) dont est décrétée collectivement l’importance présente. » Puis la définition de la patrimonialisation : « processus s’appliquant aussi bien à un objet qu’à une réalité idéelle », définition qu’on peut compléter par celle d’Edith Fagnoni, pour qui « la patrimonialisation est un processus de reconnaissance et de mise en valeur d’édifices, d’espaces hérités, d’objets et de pratiques », et d’ajouter l’attribution d’une valeur et d’un sens collectif d’appartenance commune.

La problématique du patrimoine est d’abord l’affaire des historiens avec le rapport Guizot de 1830 sur le classement des monuments historiques, et la loi de 1913 sur les monuments historiques qui reste à ce jour le fondement du dispositif de la protection et de la conservation du patrimoine monumental et mobilier. La loi Malraux de 1962 étend la procédure d’inventaire à «  l’ensemble des monuments et  richesses artistiques de la France ». Bien après les historiens, les urbanistes, les sociologues et les ethnologues, les géographes vont s’impliquer dans la question du patrimoine par le biais de l’aménagement et du développement local, des constructions identitaires, des jeux d’acteurs, des conflits, des jeux de pouvoir, etc.

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L’Australie, une puissance attractive ?

 

Café Géographique de Paris (Flore) du 29 septembre 2015, avec Fabrice Argounès.

Joseph Viney nous dit le plaisir d’accueillir un spécialiste de l’Océanie, qui travaille au croisement de la géographie et de la science politique : Fabrice Argounès.

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Fabrice Argounès commence le café en rappelant combien la distance à l’Europe a construit la nation australienne. Pensons à sa population, massivement venue d’Europe, à la « tyrannie de la distance » de cet État-continent aux antipodes de la métropole britannique, aux relations très étroites avec Londres puis New York. Que cela ne fasse pas oublier que l’Australie a un environnement proche, qui constitue à la fois un relais de croissance et un espace redouté. L’Asie et l’Océanie sont LES voisins de l’Australie, certainement plus que ne le sont l’Occident européen ou nord-américain. Le planisphère Downunder est éclairant à ce sujet. Samuel Huntington présente dans son Choc des civilisations un monde de divisions, où il présente l’Australie comme un pays déchiré, malgré son appartenance à l’Occident dans son découpage.

C’est aussi le pays de la liminalité (Higgott, Nossal, 2005), du passage d’un monde à un autre, entre histoire occidentale et géographie asiatique. En effet, le pays vit d’un partage entre d’une part l’histoire d’un empire britannique, du Commonwealth, de l’ANZUS (Alliance en 1951 avec les États-Unis et la Nouvelle-Zélande), de l’anglosphère, des Nords, et de l’Occident et d’autre part des espaces d’appartenance : l’Australasie, l’Océanie, le Pacifique, l’Asie-Pacifique, l’Indo-Pacifique, l’hémisphère Sud.

Par cette histoire se trouvent des lieux de mémoire hors sol, à l’image du monument australien du souvenir à Londres pour les deux guerres mondiales. La construction de la nation australienne s’est faite au début du XX° avec la participation aux guerres impériales britanniques (Boers en Afrique du Sud, Boxers en Chine) et surtout les deux guerres mondiales. 6 000 Australiens se sont récemment déplacés à Villers-Bretonneux pour commémorer le sacrifice des soldats australiens venus stopper l’offensive des troupes allemandes qui cherchaient à prendre Amiens en avril 1918.

Le ministre australien des Affaires étrangères indiquait en 2006 que son pays, membre du G20, est la 13e économie mondiale entre l’Inde et la Corée du Sud. Bien sûr, face à la Chine, l’Inde, les États-Unis ou l’Europe, l’Australie apparaît comme une simple puissance moyenne et régionale.

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