Débat “Les frontières” animé par Michel Foucher (géographe et diplomate, ENS Ulm, Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, auteur, entre autres, de L’obsession des frontières), le mardi 26 mars 2013, de 19h30 à 21h30, au premier étage du Café de Flore, Paris, M° Saint-Germain.

Présentation :
Nous vivons sur une idée fausse et dangereuse : parce que le monde est devenu plus fluide et l’économie globalisée, les frontières seraient condamnées à disparaître. Or, depuis quinze ans, plus de 26 000 kilomètres de frontières politiques ont été tracées rien qu’en Europe et en Asie centrale, et autant ont fait l’objet d’accords internationaux. Plus grave, les conflits les plus durables et les plus disputés portent sur le bornage des territoires : entre Israël et ses voisins ; entre le Pakistan, l’Inde et l’Afghanistan. Partout, on délimite l’espace, on l’équipe de caméras et de portiques, on y patrouille, on le clôture. Les frontières, terrestres et maritimes, sont devenues un marché florissant, en même temps qu’une lancinante question : à quoi servent-elles dans le monde actuel ? Michel Foucher a multiplié les analyses de terrain avec sa qualité rare d’associer vision planétaire et réalités frontalières.

Ce soir-là, le Flore faisait salle comble… plus que comble… la chaise était un luxe pour écouter Michel Foucher sur son sujet de prédilection qui concentre cette année les attentions des élèves de classes prépa dans leur dernière ligne droite. Gilles Fumey présente Michel Foucher, géographe, diplomate ayant été ambassadeur (Pays Baltes) et membre de cabinet au Quai d’Orsay (à l’époque de Védrine). Il rappelle ses ouvrages récents, l’Atlas la Bataille des cartes et son dernier « petit » livre L’obsession des frontières, remarquable, qui se lit comme un roman. Ainsi il interroge d’emblée son invité :

Si les hommes en général ont l’obsession des frontières, et les Français en particulier dont l’ « angoisse » est rappelée en conclusion de votre livre, ne serait-ce plutôt pas vous, Michel Foucher, qui auriez cette obsession des frontières depuis longtemps ?
Pour répondre, Michel Foucher rappelle l’histoire de ce texte, qui suit et poursuit ce qui a été lancé par des précédents. Dès 1986 avec l’Invention des frontières et en 1988, le classique Fronts et frontières, il présente l’enjeu qu’il avait identifié comme essentiel avant même les grands changements entre 1989 et 2007 et la multiplication des frontières qui a eu lieu les 20 années qui suivirent. A l’époque, il était seul à s’interroger sur cet objet puisque la rhétorique de la fin des années 1980 valorisait plutôt une Europe sans frontières et le Grand marché. L’idée qui dominait alors est que la mondialisation allait abolir ces frontières qui renvoient aux nations (et la nation à l’époque « c’est pas bien ») et l’on allait voir émerger une communauté supranationale avec un modèle pour l’Union Européenne très fédéraliste. Pourtant, depuis 1989-91, en Europe et dans le monde, la question de la frontière fait retour. Ainsi, Michel Foucher défend l’idée que la frontière est un sujet important en géographie et pour les géographes à l’échelle internationale car c’est véritablement le moyen d’inscrire le politique dans l’espace à un moment donné, daté et qui produit des effets particuliers.

A Paris 8 avait lieu un séminaire dans le cadre du pôle Méditerranée sur les frontières du Proche Orient. Il a montré là-bas la fabrication des frontières de cette région du monde par Sykes (britannique) et Picot (français) à l’époque où deux visions dominaient sur l’avenir de la région : créer un grand Etat arabe rappelant les frontières de l’ancien empire ottoman ou favoriser la fragmentation communautaire ? Les décisions prises alors ont des conséquences actuelles entre autres sur la situation de la Syrie.
Les frontières sont en effet issues de décisions des traceurs, induisant des effets. Ce sont ces effets qui intéressent Michel Foucher.
En effet, en Europe, on a pu voir la prolifération des frontières liées à l’explosion des vraies/fausses fédérations (l’URSS, la Tchécoslovaquie, les frontières internes de Tito en ex-Yougoslavie) : il a fallu faire des choix, qui ont conduit à la guerre, et d’autres choix auraient eu probablement les mêmes conséquences. A cela s’ajoute la multiplication des règlements frontaliers (accords bilatéraux) notamment pour la Chine avec tous ses voisins sauf l’Inde, ou liés à des jugements de la Cour Internationale de Justice. Les frontières sont des points de passage essentiels et il faut avoir un accord sur leur tracé pour pouvoir y faire passer des gazoducs, des oléoducs, placer les péages et les points de passage, s’accorder sur leur trajet. Ainsi, il y a bien « mondialisation », mais « mondialisation des Etats-nations ». Parallèlement, on observe la permanence des contentieux, entre l’Inde et le Pakistan, l’inde et la Chine, l’Inde et le Bengladesh… et surtout l’essor des questions maritimes. La question des frontières a dons bien fait retour.
A l’Institut des Hautes études de la défense nationale, Pascal Perrineau, le directeur du CEVIPOF, évoquait l’attitude des Français par rapport au monde : le souhait d’ouverture n’est exprimé que par 14% d’entre eux, contre 66% affirmant leur volonté de repli. On voit ici le rôle du discours de démondialisation qui est plus efficace et plus populaire. Si on observe la géographie du vote sur le référendum de Maastricht : à l’exception de quelques grandes villes comme Lille, Strasbourg et autour de Genève (sauf l’Alsace), la majorité a voté non alors que les laboratoires d’européanité sont ces villes. Il existe le festival « des frontières et des hommes » à Thionville. L’histoire de la France et de la formation du territoire reprend bien cette idée : Vauban cherchait à créer un pré carré à l’abri de frontières fortifiées ; l’Alsace et la Lorraine étaient protégées par la ligne Maginot ; pour l’énergie nucléaire, on parle de « Vauban technologique », … Il reste un rêve de l’autosuffisance en France à l’abri des frontières nationales, avec aux extrêmes, l’idée d’un repli sur soi en sortant de l’Europe et de l’Euro. Pourtant, sans le commerce international, on meurt !

Comment évoquer la production des frontières, avec cette image qu’on les trace sur le sable ? Comment l’homme se place par rapport à l’espace matériel et comment comprendre le comportement de l’homme par rapport à ces frontières ?
L’homme individuellement a besoin d’une porte d’entrée, d’un sas : il y a une porte entre le couloir et la chambre, une zone intermédiaire entre le collectif et l’individuel, et ce dans beaucoup de maisons du monde. Il faut des espaces de respiration.
Les frontières sont toutes des constructions, toutes arbitraires à un moment donné, la limite entre le profane et le sacré. Les humains ont besoin de repères dans le temps et dans l’espace. Le voyage de Nicolas Bouvier (retranscrit dans l’Usage du Monde) porte ce discours sur le dedans et le dehors.
La limite est faite sur ce que l’on franchit : critique du front, éloge des frontières. Le problème de l’Union européenne est qu’on ne sait pas où elles sont, les frontières.
Marc Abélès, dans la revue Vingtième siècle (2013, n°117), a pointé le principal problème de l’UE : la construction européenne n’est jamais finie ; elle ne pourra finir que si c’est l’Europe instituée, mais là se pose la question de ses limites, que l’on refuse de fixer. Il y a toujours une raison de faire rentrer son voisin. L’Oural… cette limite vient d’un conseiller de Pierre Le Grand, Tatichtchev, historien et géographe à la cour du tsar, qui devait montrer de quel côté se situait la Moscovie. Il inventa l’Oural (comme limite) pour montrer que la Moscovie a un avenir européen, d’une Europe moderne avec des philosophes et des ingénieurs. Le but était donc de changer les représentations de la localisation de la Moscovie. Il y a des acteurs derrière l’Europe instituée. Si l’Europe est une « réalité géographique qui ne sait sur quelle base se poser », Lucien Febvre, c’est un ensemble en voie de différenciation majeure.

La géographie est une science du pouvoir. Le poste de « géographe du roi » est créé par Henri IV pour identifier les emplacements adéquats pour les forteresses. Ce sont des ingénieurs, des stratèges et des constructeurs.
On s’appuie sur la description du monde que l’on connaît, à un moment donné, de manière objective mais aussi subjective.
A Durban, le sommet des BRICS le 30 novembre 2011, a décidé de créer une banque de développement. La constitution de ce groupe a été permise par des banquiers d’affaire qui fabriquent notre géographie : Goldman Sachs regarde l’effondrement des tours de New York et comprend que la mondialisation qui est en marche ne sera plus américaine. Ainsi, des banquiers ont identifié des critères (surface, population, ressources (pétrole, terres rares, soja, blé, …), taux de croissance) et ont fait des projections. C’est un groupement artificiel mais qui fait choc chez les directeurs stratégiques des entreprises. C’est une nouvelle vision du monde. Les Etats-Unis ne sont plus un lieu de recours, ce qui a été aggravé d’ailleurs par leur « stupide intervention militaire criminelle en Irak ». Les représentations du monde sont sensibles aux descripteurs et aux descriptions dominantes du monde.
Michel Foucher, pour la troisième édition de son ouvrage La Bataille des cartes, sort en parallèle une application IPAD très interactive en français et en anglais. On y trouve des cartes mentales, des références de textes et la Carte du mois.
La géographie est en effet fondamentale dans l’aide à la décision. C’est pourquoi Védrine a fait appel à Michel Foucher dans son cabinet : « on va gérer des crises, t’as les cartes dans la tête, j’ai besoin de toi ! ». Foucher valorise ainsi la chaire de géopolitique appliquée, montant l’importance d’être actif avant d’être académique. La cartographie est complémentaire.
Le dessin de la frontière est essentiel. L’Angola ou la République Démocratique du Congo défendent l’idée d’un droit de poursuite géologique. Se développent les forages pétroliers obliques au Qatar au détriment de l’Iran, tout comme dans le Golfe de Guinée.

Quid des murs ? Pour se séparer, se protéger ?
C’est la manifestation par les Etats de leur puissance. Entre les Etats-Unis et le Mexique, c’est une frontière de conquête américaine au détriment du Mexique, ce que les Mexicains n’oublient pas. Il y a 450 millions de franchissements, dont 60 millions entre San Diego et Tijuana. Le plus important, ce n’est pas la frontière, mais le franchissement (avec les fast track pour les locaux et les camions). On défend la liberté de circulation des marchandises, des idées, des rumeurs… mais on établit de nombreux obstacles à la circulation des hommes… donc il y a des illégaux. L’image du mur est très photogénique, mais l’histoire des frontières c’est celle de leur contournement : Pensez aux délations entre passeurs de la ligne de démarcation en France : on vit du différentiel.
En Israël, le mur sécuritaire est principalement une clôture électrique depuis le Mont Sinaï. C’est clairement anti migratoire pour un pays riche entouré de pays en crise (Soudanais, Erythréens, …) ce qui a induit cette politique sécuritaire. En plus de la clôture, il y a une bande de sable pour voir s’il y a des pas à proximité. C’est la réinvention du limes.
Jean Gottmann, grand géographe, a travaillé pour le département d’Etat et mettait en évidence la « significance of territory », avec la dialectique du cloisonnement et de l’ouverture. La frontière est un point d’entrée.
La société française n’a pas choisi de considérer le vaste monde comme une opportunité alors que beaucoup ont besoin du savoir et des compétences des Français : il y a l’ENA mais aussi des compétences dans la gestion des risques et des crises, l’administration, le train, l’aménagement du territoire, la sécurité civile, la fonction publique, la ville durable, le traitement de l’eau… ce sont tous des produits d’exportation, pour la Chine par exemple. Mais il faut faire le choix du monde. Les jeunes ont compris… mais ne votent pas assez.
Un auditeur dans la salle réagit : mais comment expliquer que le gouvernement baisse le budget d’Erasmus ? Michel Foucher est catégorique : « c’est inacceptable de diviser par deux le budget d’Erasmus ! mais il faut se battre, assumez votre conscience politique et écrivez à votre député ! »

Comment penser la frontière entre les deux Corées : quelles en sont les conséquences ? Quel avenir est possible ?
C’est la frontière la plus militarisée au monde, et il y a aussi des tensions maritimes et des provocations pour le Président Obama appelle le Grand leader. Le régime est aux abois, mais il reste tout de même un million de soldat dans la soi-disante DMZ (zone démilitarisée). Mais il y a aussi le tampon chinois. La guerre froide n’est pas terminée, on le voit avec le problème des Kouriles. La période coloniale n’est pas terminée non plus, quand on voit les tensions entre la Chine et le Japon au sujet du massacre de Nankin (années 1930).

Que pensez-vous du Sahel, peut-on parler d’une frontière consistante ?
Le premier problème est que ce terme de « sahel » est faux scientifiquement, à tous niveaux : Le Sahel parle d’une bande climatique avec moins de 100 mm de pluie par an (dont le massif des Ifoghas). Cette erreur vient du PSI (Pansahelian Initiative), un programme américain de 2004, qui porte sur tout le Sahara (mythe sacré de là où il y a des problèmes). C’est en fait une région qui bénéficie de bonnes localisations avec les hautes vallées, d’où on peut voir loin, et avec des réserves d’eau grâce aux nappes. C’est une montagne frontalière où le trafic de l’essence est ancien. C’est donc dans le Sahara et non au Sahel, la confusion est dommageable. La dimension géographique de la reconstruction de l’Etat malien est importante comme le montre l’audition à l’Assemblée nationale portant sur le contrôle des frontières. La mise en valeur et le contrôle du territoire ne sont possible que par une bonne connaissance de ce même territoire. Il faut donc des outils techniques (cartes et recensement) qu’ils n’ont pas, ce qui témoigne de la faiblesse de l’Etat. D’où la possibilité d’existence d’AQMI. De plus, Denis Retaillé montre bien comment les Sahariens vivent dans des logiques de réseaux et non de territoire, grâce à une mobilité permanente.

Quel sens donnez-vous à l’expression « Méditerranée caribéenne » ?
La Méditerranée d’Amérique a des points de comparaison avec celle située au sud de la France : Miami = Marseille, comme capitale d’Amérique centrale. La mer est située au « milieu » du territoire, avec une inégalité Nord/Sud importante, des contrastes et du tourisme, des trafics et des croisières, mais aussi des migrations qui montrent le gradient Centre-Périphérie. Une question se pose : celle de Cuba, avec le contrôle du tourisme par les militaires. Le loisir est une zone refuge, une zone dollar. On peut aussi parler de méditerranée d’Asie du Sud-est, ou encore la Méditerranée baltique avec l’importance des échanges de la Hanse (Riga est fondée par l’évêque de Brême en 1201) : ce sont des concepts clairs qui permettent de penser.
Aujourd’hui, les logiques de réseau sont plus importantes mais les Etats pensent en territoire. Il faut repenser le rôle de l’Etat. C’est ce que montre internet qui pourtant a une vraie matérialité (les câbles optiques, dont il faut prendre compte pour faire sa géographie virtuelle). Et ce n’est pas que pour les islamistes. Le Sahara est un espace de circulation dont les Empires d’Afrique de l’ouest se servaient. Car il fallait faire appel à ceux capables d’assurer la sécurité des marchands et des marchandises (fer, or, encens). Et les logiques de réseaux coexistent avec les logiques d’Etat. Ce qui pose problème ce sont les réseaux financiers et la question du pouvoir des Etats. La même règle doit pouvoir être fixée par les Etats et par les opérateurs. Ainsi on assiste à une période de retour de l’Etat. En février 2013, Michel Foucher a rédigé un article pour la revue Esprit, « l’Etat ne doit pas rendre les armes » où il montre que l’Etat n’est plus un acteur économique direct mais garde des fonctions de régulation pour faire face aux réseaux. Les réseaux sociaux sont désormais une instance démocratique, tout en bas, comme en témoigne les révoltes arabes… mais ceux qui ont fait vivre les réseaux dans les révoltes arabes n’ont pas été élus. Il reste les partis politiques et les grands mouvements.

Comment penser la frontière linéaire par rapport à la frontière réticulaire ?
Les péages, les contrôles sont là où il y a les flux : à Roissy, il y a une délocalisation de la frontière pour entrer dans l’espace Schengen. 450 millions de personnes franchissent les frontières de Schengen qui sont aussi terrestres. C’est le rôle du lieu, du point de passage dans un monde de mobilité : 7 milliards d’humains mobiles et labiles ! Les réseaux sociaux ont-ils un faible poids politique ? En Italie, Pepe Grillo et son mouvement 5 étoiles parviennent tout de même à bloquer le politique.

La nouvelle génération a-t-elle cette obsession des frontières sans être dans un pays en guerre ?
L’importance de la langue et de la culture est différente des questions de fiscalisation et de marché de l’emploi. S’il faut abolir les distances, c’est qu’il y a des distances ! Il y a ceux qui sont dedans, et ceux qui sont dehors, et dans les grands récits historiques, il y a ceux qui ont fait la guerre et les autres. Les frontières apportent des limites et des repères qui sont structurants. En Israël, on ne voit plus de soldats du fait des barrières électriques. La frontière peut être facteur d’intégration. David Newman, géopoliticien et professeur dans le Nord du Néguev il y a 20 ans parlait du « ministère de l’absorption ». Alors qu’en Europe, on cherche à abolir les frontières, c’est totalement incompréhensible en Israël car le territoire est encore en formation. D’après Lucien Febvre, le mot de frontière s’est imposé plus que le terme de limite ou de confins du fait du service militaire et de la conscription.

Et le rôle d’internet alors ?
Les blogs etc. sont en fait des révélateurs du poids de la frontière et sont limités par la censure de l’Etat. Mais l’information et le droit à la circulation reste forts : la forme technique a changé mais ce sont les mêmes fonctions que les gazettes du XIXème siècle, les tracts et l’émergence du droit de la liberté de la Presse entre 1983 et 1988.

Pouvez-vous nous parler des pays baltes ?
La frontière est une zone de battement. Il y a 3 jours d’attente et 600 camions à la frontière. Pour obtenir la reconnaissance de Moscou de l’indépendance des pays baltes, il fallait passer par la reconnaissance des frontières par un traité… il n’y en a toujours pas entre la Russie et l’Estonie. La transition brutale de l’économie soviétique à l’économie de marché a produit des laissés pour compte. L’adhésion à l’OTAN et à l’UE, avec la Présidence de l’Union en 2015 montre la foi qu’ont ces Etats dans l’Europe comme garantie de sécurité. L’Estonie est le pays le plus informatisé avec le centre de cyber-attaque de l’OTAN. Il y a beaucoup d’émigration. Pendant son passage à l’Ambassade de France en Lettonie, Michel Foucher avait l’objectif de montrer l’histoire des relations bilatérales entre la France et l’Est de l’Europe. La construction de la souveraineté nationale est un élément culturel fort, qui donne confiance. Il a donc réalisé un Atlas bilingue, La Lettonie en Europe, chez Belin, en « faisant comme Tatichtchev » : montrer le changement de côté de la Lettonie, pour savoir où on est et comment on se projette afin de construire une stratégie.

Que penser du protectionnisme comme solution économique ?
L’élévation des droits de douanes sont une infraction à l’OMC, dirigée par un Français, et l’on s’expose à des représailles. Le commerce de la France avec l’Europe rapporte 250 milliards d’euros, et 200 milliards sont issus du commerce avec le reste du monde. C’est plus de 20% du PIB. En effet, cela représente autant que le budget de l’Etat (500 milliards pour les ministères, ou pour la sécurité sociale, ou encore pour les collectivités locales). Comment se couper de 520 à 550 milliards d’euros ? Cependant, on pourrait imposer quelques limites. Le transfert de technologie impose la construction sur place donc pas de productions d’emplois. De même Peugeot est victime de son patriotisme puisque +50% de son parc automobile est construit en France, l’entreprise est en difficultés. La fiscalité permettrait de réduire les disparités, car les sièges sociaux sont bien souvent placés dans des pays moins fiscalisés. Dans un monde ouvert, il est bien difficile de ne pas choisir une économie ouverte. Le protectionnisme est une illusion mais la régulation et la réciprocité peuvent être des règles. Le Salut, c’est l’exportation !

Quid de Kaliningrad ?
Enclave ou exclave, c’est un territoire avec le taux de Sida le plus important d’Europe, avec d’importants trafics. C’est un espace avec de trop fortes charges symboliques. Mais il n’y a pas de politique claire du gouvernement central. Il y a un accord de transit entre la Russie et la Pologne (le train peut passer sans s’arrêter).

Comment trancher l’adhésion de la Turquie dans l’UE ?
L’UE, c’est 27 Etats, 27 opinions publiques et démocratie. S’il y a un référendum, la réponse sera non (pour des raisons culturelles donc religieuses). Cela change la nature de l’Europe. Pour Schuman, l’enjeu c’était de rassembler ce qui se ressemble, avec l’héritage de l’espace carolingien. Pour Monnet, c’était de travailler ensemble. Actuellement la seule possibilité serait une politique turque sur mesure, avec des associations pour certaines choses. Car démocratiquement ce n’est pas possible (fossoyeur de l’idée d’Europe). Mais des collaborations bilatérales et une union douanière, c’est possible. Il y a une sorte de fatigue de l’élargissement : il faut s’arrêter. Il faut un « sas de décontamination ». D’ailleurs, pour la Turquie, l’UE est moins attractive : elle s’en sert pour marginaliser les militaires laïcs. L’enjeu pour l’Europe c’est l’approfondissement par l’amélioration de l’intergouvernementalité, grâce à des politiques communes, fiscales surtout. L’intérêt stratégique européen, c’est, par échelle :

  • La reconstruction de l’Europe de l’Ouest par l’aide américaine et le couple franco-allemand
  • 1989-1991 : l’élargissement pacifique
  • Repenser et compléter le projet européen à l’échelle mondiale du point de vue commercial, en tant que premier marché du monde, et de politique extérieure, où les questions de défenses sont très dispersées. Il faut trouver une définition collective de quelques intérêts stratégiques communs, et autrement qu’en termes commerciaux, car cela nous disperse.

Dans la perception des frontières, la géographie à prendre en compte dépend d’où on vient… Notamment pour les questions de visa. Une artiste indonésienne présentait 151 passeports, montrant le nombre de visas nécessaires pour circuler en tant qu’Indonésienne… Pour un Danois, 25 !
Les frontières ont été tracées par les Européens en Afrique. Elles sont aujourd’hui source de conflits, mais il y a possibilité de dépassement par les réseaux. Le 25 mai, à la réunion d’Addis-Abeba. Madame Zuma à la commission de l’Union africaine (sauf le Maroc et l’Erythrée) va présider les perspectives économiques pour les 50 prochaines années : l’Afrique émergente. Les découpages coloniaux ont parfois récupéré les découpages précoloniaux (comme entre l’Algérie et le Maroc) ; il y a eu aussi des sécessions : Kivu, Tchad, Libye. Mais il y aurait pu avoir beaucoup plus de conflits. En Juillet 1964 est déclarée l’intangibilité des frontières et réactualisée en 2014. La réponse, c’est l’intégration régionale avec la rhétorique européenne (création de sous régions telles que la SADC, CEDEAO, UMA – qui ne marche pas, tout comme l’IGAM). Les principaux problèmes sont les temps d’attente aux frontières : 30 à 40 jours en moyenne (contre 3 à Singapour) mais les premières ressources des Etats africains sont les droits de douanes. La privatisation de la fonction de péage est un véritable frein à la croissance pour ces Etats. L’émergence de communautés économiques serait une réponse pour atténuer les obstacles aux frontières entre pays homogènes.

Compte rendu rédigé par Judicaëlle Dietrich, relu et amendé par Michel Foucher