Sahel / Sahara, quelques clés de lecture de multiples interfaces

Café géographique de Toulouse, le 18 octobre 2017, avec Anne-Marie FREROT (Professeur de géographie, Université de Tours)

Il s’agit de déconstruire les clichés véhiculés par les médias, les oppositions trop faciles, les images fausses, bref les représentations erronées de ce territoire.

NOIRS/BLANCS

Un Targui ou un Toubou ont une couleur de peau bien noire, mais ils se définissent eux-mêmes comme « blancs ». Sahel et Sahara sont à la charnière du « Pays blanc » (Trab al Beydan) et du « Pays noir » (Trab as-Soudan).

Figure 1 Enfants

SAHEL/SAHARA

Ce sont deux ensembles territoriaux en continuité, situés entre les isohyètes 0 mm par an au Sahara et 600 mm au sud du Sahel. Il n’y a pas de rupture, mais un passage progressif, variable en latitude selon la pluviosité annuelle.

Sahel signifie « rivage », car le Sahara était représenté comme une mer par les voyageurs arabes ou portugais. Il s’étend sur 5500 km de l’est à l’ouest et 400 km du nord au sud. Comment le situer géographiquement : fait-il partie de l’Afrique du Nord, de l’Afrique occidentale, de l’Afrique subsaharienne, de l’Afrique tropicale ? Ces catégories ne sont pas adéquates pour le Sahel. De même, il ne tient pas compte des frontières des 14 pays qu’il traverse.

Sahara signifie « vide » en arabe, mais les Touareg l’appellent Ténéré quand il s’agit d’un erg (sableux) ou Tanezrouf quand il s’agit d’un reg (rocailleux) : pour un Saharien, c’est un grand pays mystérieux, dangereux, sans eau et peuplé de djinns. Aujourd’hui un espace de prédilection pour se cacher : bandits, terroristes. Rien à voir avec les représentations touristiques des Européens.

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Les noms de lieux de la France

Café géographique de Paris, Mardi 28 novembre 2017
Café de Flore, Paris

Intervenant : Roger Brunet.
Modérateur : Daniel Oster

Roger Brunet, l’un des meilleurs géographes français, a consacré ses travaux aux formes, à la production et à l’aménagement des territoires et des paysages par les sociétés humaines, aux régions de France, au vocabulaire scientifique et aux noms de lieux, aux cartes et aux atlas. Son dernier livre, Trésor du terroir. Les noms de lieux de la France (CNRS Editions, 2016), sert de support à ce café géographique. Autrement que par la lecture traditionnelle des toponymes proposée par les linguistes, R. Brunet a choisi de partir des lieux et non des langues. Cela nous donne une synthèse très riche et soucieuse de mettre en avant les exigences des sociétés humaines sur leurs territoires.

DO: Pouvez-vous nous éclairer sur le traitement géographique de l’étude toponymique, ce qui n’a pas été simple, je suppose, car vous avez dû surmonter un certain nombre de difficultés pour réaliser une telle synthèse ?

RB : Nous géographes, nous avons affaire à des lieux et à des contrées, ces lieux et ces contrées ont des noms, il est donc tout à fait naturel que nous nous intéressions à ces noms. Jusqu’ici ça n’a pas été fait de façon très systématique. Mais ayant déjà travaillé sur les mots de la géographie (cf Les mots de la géographie. Dictionnaire critique, Reclus-La Documentation Française, première édition en 1992), en ayant même créé quelques-uns au passage (allusion notamment à chorème, terme proposé en 1980), j’ai souhaité m’intéresser aux noms propres, donc aux noms de lieux et de contrées.

Il fallait d’abord défricher le sujet, c’est-à-dire aborder la littérature existante qui appartient essentiellement aux linguistes. Cela m’a permis de faire deux découvertes. D’une part, les linguistes qui ont travaillé sur les noms de lieux ont beaucoup de science et encore plus… d’imagination ; il est très rare qu’ils aient des certitudes. En règle générale, les noms de lieux n’ont pas d’acte de naissance et il n’y a pas de sources directes (penser aux relevés de scribes des VIIIe et IXe siècles qui écrivaient ce qu’ils entendaient et comme ils l’entendaient, avec des changements d’un siècle à l’autre). C’est la première difficulté. D’autre part, la plupart des langues utilisées sur le territoire français sont de la famille indo-européenne et les racines pour décrire un objet précis (montagne, rivière, etc.) ont donc toutes les chances d’être les mêmes. En outre, les noms sont déformés par l’usage, il y a aussi beaucoup d’homonymes, sans oublier qu’il est souvent difficile de savoir si l’on a affaire à un nom de personne ou à un nom commun. Ajoutons le fait que les linguistes (comme les géographes ou d’autres spécialistes) ont leurs écoles, leurs querelles et leurs évolutions. Ainsi ils ont longtemps pensé que la plupart des noms de lieux venaient de noms de personnes. Il y avait aussi des préférences culturelles : les auteurs germaniques du XIXe siècle alléguaient qu’une grande partie toponymie française était d’origine germanique, d’autres auteurs penchaient plutôt pour le celte, etc., en oubliant l’héritage des langues plus anciennes inconnues. Au total, beaucoup d’éléments d’incertitude…D’où ma conviction de pouvoir apporter quelque chose en tant que géographe, aux côtés des linguistes.

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Guerre des gaz et paix des ménages : les enjeux de la pollution atmosphérique dans les vallées alpines

Les Cafés géographiques recevaient le 17 novembre 2016 Nicolas Donner, géographe, chercheur associé au laboratoire PRODIG. Il a travaillé sur des terrains lointains, en Afrique centrale notamment, en lien avec des questions de pétrole. Mais il est là aujourd’hui pour nous parler d’un espace beaucoup plus proche : la vallée de l’Arve, où il a peut-être voulu chercher du pétrole… et il l’a trouvé dans l’atmosphère !

Nicolas Donner commence par dire quelques mots de sa thèse, qui portait sur le pétrole, et qui lui a permis de faire le lien avec l’air, et pas seulement pour en retrouver dans l’atmosphère. En effet, nous habitons de plus en plus exclusivement dans des environnements techniques : notre vie quotidienne entière est médiatisée par des outils techniques, des systèmes administratifs, des procédés scientifiques (pour traiter l’eau, pour faire rouler un bus, …). Il y a un « écran technique total », pour parler comme Jacques Ellul, qui s’intercale entre nous et l’environnement naturel. Dans les enclaves pétrolières par exemple, les pétroliers installent des milieux urbains en miniature, n’importe où sur la planète, que ce soit dans le Sahara ou en pleine mer : on apporte des containers, de quoi cuisiner, de quoi regarder la télé, on reconstitue le milieu urbain, tout est technicisé, tout est importé. Il y a une seule ressource qu’on consomme toujours sur place : c’est l’air. C’est la dernière ressource avec laquelle nous avons un rapport non médiatisé.

Et pourtant, c’est en train de changer : on commence à porter des masques dans certaines villes, et on climatise l’air. Jusqu’ici, la climatisation a essentiellement concerné la température ou l’humidité, mais on commence aussi à climatiser pour contrôler la qualité de l’air. Dans notre mode de fonctionnement technique aujourd’hui, la logique est à la climatisation. L’être humain d’un pays développé moyen passe 80% de son temps à l’intérieur : domicile, transports, bureau. On passe de moins en moins de temps à l’air libre, donc une des premières solutions les plus évidentes pour répondre à la pollution de l’air, c’est de se focaliser sur l’air intérieur et d’ajouter un système de traitement anti-pollution au système de climatisation de l’air intérieur, ce qui existe déjà dans les voitures.

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Océans, conteneurisation, mondialisation

Café géographique de Saint-Brieuc, le Vendredi 13 Octobre 2017

 

Antoine Frémont est agrégé de géographie et directeur de recherche à l’IFSTTAR (Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux). Il est l’auteur de l’ouvrage « Le monde en boîtes. Conteneurisation et mondialisation » Presses de l’INRETS, 2007. Il est également l’auteur avec Anne Frémont-Vanacore du dossier « Géographie des espaces maritimes » documentation photographique, mars/avril 2015. Il a dirigé avec Laetitia Dablanc l’ouvrage « La métropole logistique » Armand Colin, 2015.

« Océans, conteneurisation, mondialisation », les trois termes de l’intitulé du café géographique de ce soir revient à poser l’hypothèse que la mondialisation passe par la mer. C’est ce que propose de nous démontrer Antoine Frémont qui part d’un constat : alors qu’aujourd’hui 10 milliards de tonnes de marchandises empruntent la voie maritime, en 1950 le total s’élevait à 550 millions de tonnes ! Si le transport maritime a connu  plusieurs révolutions, parmi les plus récentes, celle qui date des années 1960, et certainement la plus marquante, est celle de la conteneurisation.

1 – La conteneurisation, une révolution

11 – Une idée simple…

L’américain Malcolm MacLean est considéré comme l’inventeur de la conteneurisation, dans la seconde moitié des années 1950. Son idée consiste à acheminer les marchandises dans des boîtes ou « containers » standards (vingt pieds ou quarante pieds) à forte capacité où l’on peut mettre tout ce que l’on veut (produits manufacturés vendus dans les grandes surfaces de distribution). Certains containers sont réfrigérés  pour le transport des produits alimentaires ou congelés, d’autres sont des containers-citernes pour les vracs liquides.

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Let’s go the mall

« Let’s go to the mall… » avec Myriam Houssay-Holzschuch et Pauline Guinard

A l’occasion du Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges édition 2017, Myriam Houssay-Holzschuch Professeure de géographie à l’Université Grenoble Alpes et Pauline Guinard Maître de conférences en géographie à l’ENS nous ont accueilli au bar Thiers à Saint-Dié-des-Vosges dimanche 1er octobre 2017 pour un café géo sur les espaces publics en Afrique du Sud

L’idée de départ était de placer ce café géo dans une galerie commerciale d’un hypermarché de Saint-Dié-des-Vosges mais le projet est abandonné pour des raisons logistiques.

Pourquoi un hypermarché ? Parce qu’en Afrique du Sud les espaces publics avec une mixité sociale et raciale sont rares et qu’il faut les chercher parfois dans ce type d’espace appelé « mall ».

Ainsi Let’s go to the mall…

Les paysages projetés lors du café géo. Photo F Arnal

La problématique centrale des deux géographes est de réfléchir à la notion d’espace public dans un contexte sud-africain. Pauline Guinard insiste en introduction sur le concept de « publicité » (publicness) des espaces publics, non au sens de la publicité commerciale des marques, mais au sens de ce qui fait qu’un espace est public, tant en termes d’accès au public à ces lieux, de la co-présence de publics divers dans ces lieux et de la possibilité que des débats s’y déploient.

Suivent alors des images projetées sur écran devant le public d’espaces ou de lieux choisis par les deux géographes. Sans nommer les lieux, le public du café s’interroge pour savoir si cet espace est public ou privé et selon quels critères.

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Fukushima, six ans après : politiques de retour et zone grise de l’accident nucléaire

Café Géo animé par Marie Augendre (Chambéry, 8 mars 2017)

Téléchargez l’intégralité du compte-rendu au format PDF : CR_café-géo_AUGENDRE_VF (PDF, 670ko)

En ce mercredi 8 mars 2017, les Cafés Géographiques de Chambéry-Annecy reçoivent Marie Augendre, maîtresse de conférences à l’Université Lyon 2. En cette journée internationale des droits des femmes, elle n’est pourtant pas venue nous présenter un café sur la géographie du genre. Son intervention porte sur l’accident de Fukushima, dont on commémore le sixième anniversaire le 11 mars.

Marie Augendre commence son intervention en rebondissant sur cette remarque. Certes, il ne s’agit pas d’un café genré, mais le sujet qui va être abordé l’est pourtant dans une certaine mesure. En effet, la place des femmes est considérable à Fukushima, notamment parce que ce sont souvent elles qui se sont trouvées en première ligne, et tout particulièrement pour protéger les enfants de la radioactivité. La place des femmes dans l’analyse de l’accident nucléaire n’est donc pas négligeable, quand bien même on parle du Japon, société réputée particulièrement clivée (le terme « okusan », qu’on traduit par « épouse », désigne en japonais « celle qui se tient au fond »). Toujours est-il qu’avec l’accident nucléaire, les femmes se sont découvert une capacité à agir sur la scène publique, et elles portent une bonne partie des actions citoyennes qui se mettent en place, tant concernant la mesure de la radioactivité, que l’organisation de vacances sanitaires pour les enfants ou encore la reconnaissance des droits des sinistrés.

  1. Territoires contaminés : zonage administratif et « zone grise » de l’accident

La cartographie des territoires contaminés est très variable dans le temps. Marie Augendre s’appuie sur la carte de la contamination réalisée à partir des données officielles, disponible en ligne et mise à jour régulièrement[1]. Les valeurs de contamination sont aux deux tiers plus basses aujourd’hui qu’au moment de l’accident. Cette baisse renvoie à la décroissance naturelle de la radioactivité, à la dilution liée au ruissellement ainsi qu’aux mesures qui ont été prises par les pouvoirs publics (décontamination des espaces habités). Mais il faut garder à l’esprit que localement, on peut observer des phénomènes de reconcentration de la contamination, voire de contamination secondaire (remobilisation de radionucléides en provenance de la centrale ou des forêts impossibles à décontaminer).

En fait, l’ampleur des retombées radioactives sur le territoire a en partie été limitée par les vents. Fukushima se situe à l’est de l’île de Honshū, et le Japon est soumis à des vents dominants d’ouest (les westerlies), qui ont chassé l’essentiel de la contamination vers l’océan. La carte de la contamination montre certes une concentration autour de Fukushima, mais également dans le nord-ouest et le sud-est de ce département, en particulier dans la région de Tokyo. Mais on ne parle pas de cette contamination-là. Parler de la « catastrophe de Fukushima » fait le silence sur d’autres zones ce qui arrange bien ces espaces ; il faut être conscient que la contamination ne se limite pas au département de Fukushima.

Il faut noter une ambiguïté première dans la radioactivité et sa mesure. Il y a de multiples manières de mesurer la radioactivité, et Marie Augendre détaille les deux principales unités de mesure. Les becquerels renvoient à une désintégration par seconde : il s’agit de la mesure de l’activité émise par les radionucléides (la radioactivité). Les microsieverts/heure (mSv/h) renvoient quant à eux à une tentative de convertir cette radioactivité en tenant compte de ses effets sur l’organisme. On ne mesure donc plus une activité mais une dose. En quelque sorte, les becquerels renvoient à une magnitude, et les sieverts à une intensité.

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La friche : un espace en marge ? Abandon, usages et innovations

La friche : un espace en marge ? Abandon, usages et innovations
Kaduna-Eve Demailly, LABEX Futurs Urbains. Université Paris-Est Marne-la-Vallée. Lab’URBA, chercheure associée au LADYSS.

Téléchargez l’intégralité du compte-rendu au format PDF : La friche : un espace en marge ? (PDF, 413ko)

Kaduna-Eve Demailly a soutenu une thèse en 2014 sur les espaces urbains vacants jardinés[1]. Il s’agissait d’étudier les jardins partagés installés sur des friches, et de comprendre en particulier les mécanismes de réappropriation par les habitants, sur des terrains essentiellement situés en Île-de-France.

Dans le cadre de ce café, on rentrera dans ce thème des friches par la notion de marge, au programme de l’agrégation de géographie et du CAPES d’histoire-géographie, et on se demandera dans quelle mesure les friches, comme espaces marginalisés, font aujourd’hui l’objet d’initiatives et sont en voie de réintégration ? En somme, comprendre les processus de marginalisation et de démarginalisation des friches, qui sont souvent des espaces de centralité économique, hier en marge, et aujourd’hui réinvestis, donc démarginalisés.

1. Définir la friche : une marge à plusieurs égards

Première remarque, les friches sont des indicateurs matérialisés de changement qui ont toujours existé, dès l’époque antique, même si on n’utilisait pas, alors, cette terminologie.

Un exemple est le territoire dit de « la Zone », espace originellement défensif, en périphérie de Paris, zone large de 250 m, 800 ha, où les populations défavorisées se sont installées au début du XXe siècle. Cette appropriation a alors donné lieu à une véritable ville à la frontière de Paris. La décision est prise de la détruire à la fin des années 1950-1960.

La friche peut-elle être envisagée comme un territoire qui redevient un espace ? On assiste en tout cas à un processus de désappropriation / réappropriation dans ces territoires

1.1. La formation du stock

« La friche résulte de l’inadaptation entre un contenu et un contenant » (Chaline, 1999). Elle est en fait le résultat de trois facteurs conjoints : les mutations et innovations technologiques, la localisation – délocalisation d’activités, et enfin l’urbanisme de création, vecteur de dévitalisation.

Les mutations et innovations technologiques

Parmi la grande variété des friches, on trouve les friches ferroviaires dont la plus connue est à Paris la « Petite Ceinture » de Paris, 30 km de voies pour du trafic de marchandises, mais qui ont été concurrencées par le métro et donc abandonnées dès les années 1930. Cette friche représente un terrain immense avec de grands enjeux fonciers et de biodiversité, ainsi qu’en termes de patrimoine, avec des lieux comme la gare de la Flèche d’Or reconvertie en lieu culturel et festif punk-rock.

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L’espace rural. Marge politique, cœur territorial

Café géographique de Lyon, Mercredi 11 octobre 2017, 
Café La Cloche, Lyon Bellecour

 

par Samuel Depraz, maître de conférences en Géographie et Aménagement à l’Université Lyon III. Spécialiste de la géographie des espaces naturels protégés, il travaille aujourd’hui sur les espaces ruraux européens, notamment sur les questions de définition des espaces ruraux et de démocratie locale en milieu rural. Sur cette question des marges, au programme des concours de l’enseignement, il est l’auteur d’un manuel : La France des marges : Géographie des espaces « autres », paru en 2017 aux éditions Armand Colin.

et Cédric Szabo, démographe de formation, directeur de l’Association des maires ruraux de France. Cette association, créée en 1971 et dont le siège se trouve à Lyon, représente les maires des communes de moins de 3 500 habitants en France dans le but de défendre et de promouvoir les enjeux spécifiques de la ruralité. 

Introduction. Définir la ruralité : des problèmes de représentations

La question de la ruralité est épineuse. On observe des distorsions selon que l’on mobilise un certain type de données ou un autre, ce qui rend difficile la question de la définition de la ruralité en France et peut introduire des biais idéologiques. Comparons quelques chiffres.

Cédric Szabo : Il y a autant d’habitants dans les communes de moins de 2 000 habitants que dans les 115 plus grandes villes de France, soit 15,5 millions d’habitants. À l’échelle de la population française, la population rurale n’est donc pas marginale. Les communes de moins de 3 500 habitants représentent 92 % des communes française, ce qui équivaut à un tiers (32,5 %) de la population française. En termes de population, les espaces ruraux ne peuvent donc pas être considérés comme une marge. On constate pourtant que la manière dont ils sont traités est sans proportion avec ce qu’ils représentent en termes de population.

Samuel Depraz : les outils mobilisés par l’AMRF remettent en question la définition des limites du rural. On peut prendre ici les chiffres de l’Insee. D’après cet institut, 82 % de la population est urbaine, ce qui laisse 18 % de ruraux en considérant le seuil de 2 000 habitants agglomérés pour définir l’espace urbain. L’écart est donc énorme avec les chiffres évoqués par Cédric Szabo. Cela interroge les représentations que nous avons de la ruralité, que nous définissons souvent en France par le négatif et en minorant les faits. Ainsi, le seuil de l’Insee des 2 000 habitants agglomérés par unité urbaine remonte à 1954 et pose aujourd’hui clairement la question de sa pertinence. Les fonctions urbaines ont évolué, se sont concentrées au détriment des bourgs. Marvejols, en Lozère, tient bien plus du monde rural que de l’urbain avec ses 4 000 habitants agglomérés ! Prenons d’autres chiffres de l’Insee, par exemple la mesure de l’influence des villes par les mobilités pendulaires (Zonage en Aires Urbaines). Selon ce découpage, 96 % des habitants en France sont sous influence urbaine. Il ne resterait donc que 4 % d’habitants « authentiquement » ruraux, si on veut être provocateur en utilisant ce mot. Mais un tel ratio vide de sens l’utilisation des deux termes ! On est donc bien dans des questions de représentations, voire d’idéologie que l’on projette sur le territoire. À quelles représentations faudrait-il donc se référer ? Celles du bon sens ? Celle des élus ? Des militants ? Ou d’autres encore ?

D’autres définitions scientifiques semblent cependant donner raison aux discours militants favorables à un calcul plus large du rural en France. On peut se pencher sur les analyses de l’Union Européenne (UE), produites dans le cadre de la mise en œuvre de la Politique Agricole Commune et du soutien au développement rural. Dans les derniers rapports de la Direction générale à l’agriculture, l’UE suit une définition du rural établie en 1992 par l’OCDE et actualisée en 2014 grâce à des méthodes de télédétection qui calculent des densités par grille de 1 km². L’UE propose ainsi une grille de lecture à trois niveaux : des espaces urbains, des espaces intermédiaires (petites villes et périurbain), et des espaces ruraux. Selon cette lecture par densité, la France serait à 38 % rurale (3e catégorie d’espaces prise isolément) quand la moyenne à l’échelle de l’UE est de 29 %.

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Le castor dans tous ses territoires ! Du Canada au ruisseau d’à côté 

A l’occasion du Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges, Rémi Luglia, historien, membre associé du Centre de Recherche d’histoire quantitative à l’Université de Caen-Normandie et Rémy Marion, photographe, naturaliste, spécialiste des régions polaires nous ont proposé un café exceptionnel à la Cabane au Darou, lieu parfaitement adapté pour l’occasion, samedi 30 septembre 2017 : « Le castor dans tous ses territoires ! Du Canada au ruisseau d’à côté »

Les deux intervenants alternent dans la présentation d’un animal dont l’histoire est liée à la nôtre et dont le capital de sympathie auprès des humains a varié selon les époques.

Une longue histoire de relations  avec les hommes

Deux cartes d’Europe permettent de comparer la présence des castors (castor fiber) au XIIème et à la fin du XIXème siècle. Très nombreux au cœur du Moyen Age, ils ne sont plus que quelques centaines, voire quelques dizaines d’individus à l’aube du XXème siècle, trop appréciés pour leur fourrure brillante et leurs propriétés dans la fabrication des parfums.

Au Canada, la tranquillité du castor (castor canadensis) a été fortement perturbée par la conquête européenne. A la fin du XVIème siècle, le vieux continent est un gros consommateur de sa fourrure brillante pour ses vêtements et surtout ses chapeaux de feutre. S’établit alors un gros trafic de pelleteries entre France et Nouvelle-France. Mais les autorités royales françaises ne comprennent pas toutes les potentialités de ce commerce et c’est à deux Anglais que revient la création de la Cie des Aventuriers. Expéditions consacrées aux fourrures et exploration du Canada vont alors de concert. La Cie de la Baie d’Hudson, fondée par le Prince Rupert fait fortune grâce aux peaux de castors exportées en Europe à partir de la Baie d’Hudson, et 40% du Canada échappe à la France.

Les Anglais se procurent les peaux en faisant du troc avec les autochtones dans les pourvoiries. Rapidement le castor devient une monnaie d’échanges (par exemple on achète deux peaux d’ours avec dix peaux de castor), ce qui traduit sa place prépondérante dans le commerce colonial.

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Les animaux comme symboles nationaux en Afrique : quels enjeux ?

 A l’occasion du Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges, Catherine Fournet-Guérin, professeure à l’université Paris-Sorbonne (Paris IV) nous a proposé un café sur le thème « territoires humains, mondes animaux » au bar 1507 dimanche 1er octobre 2017 : « Les animaux comme symboles nationaux en Afrique : quels enjeux ? »

Les animaux ont été choisis comme emblèmes nationaux par de nombreux Etats africains pour leurs liens avec le territoire ou leur symbolique. Quelle est la signification de ces choix ? Quelle lecture peut-on en faire en termes de géographie politique ?

  1. Etat des lieux : quels sont les animaux nationaux et où les trouve-t-on ?

Après les indépendances, beaucoup d’Etats ont choisi comme symbole national un animal valorisant la force, la vigueur, l’énergie, surtout des mammifères (lions, éléphants, panthères, léopards, antilopes, hippopotames, cheval) mais aussi des oiseaux de proie (aigle) ;

Peu de contre-exemples en-dehors du dauphin aux Seychelles et du Dodo à Maurice (animal disparu à la fin du XVIe siècle, que sa réputation de stupidité ne valorise pas) : cas original de choix d’un animal peu valorisé et incarnant la prédation humaine.

On ne retrouve ce choix d’animal exaltant la puissance ni en Amérique du Sud, ni en Asie à l’exception de l’Inde et de la Chine.

Présents sur armoiries, drapeaux, billets de banque, timbres…ces animaux sont largement utilisés par les équipes nationales de sport (les plus connus étant sans doute les Springboks, rugbymen d’Afrique du Sud). Là aussi il y a une surreprésentation des équipes africaines dans l’adoption d’un nom ou d’un surnom animalier, au niveau mondial.

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