Les risques naturels en France

Café géo du mardi 18 octobre 2016 avec Magali Reghezza-Zitt, maître de conférences à l’ENS Ulm

Au programme du Café du jour : la notion de risque naturel. S’il est connu qu’elle attire les (jeunes) chercheurs autant qu’elle capte les fonds, elle sera traitée et discutée en présence d’une des chefs de file de la spécialité en France. Auteure de nombreux ouvrages consacrés à la question, dont deux issus de ses travaux de thèse, engagée dans plusieurs programmes de recherche commandés par des collectivités – Magali Reghezza travaille en ce moment à Paris sur les risques d’inondation – elle est en même temps maître de conférences habilitée à diriger des recherches de géographie à l’ENS Ulm où elle assure notamment les cours de préparation à l’agrégation. Ses multiples casquettes devaient toutes être mobilisées dans cette intervention dynamique représentative de ses compétences « d’experte » et de pédagogue, mais surtout de sa capacité à les mobiliser simultanément dans un discours particulièrement abondant qui complique la tâche d’en rendre compte.

Puisqu’on concentrera surtout nos efforts de synthèse sur les manières dont Magali Reghezza a abordé et traité la thématique ce soir-là (car ce sont elles qui ont fait (le) débat) il faut d’abord comprendre la manière dont l’animatrice de la séance, Elisabeth Bonnet-Pineau, l’a problématisée. Elle a mis en lumière deux paradoxes : d’une part, la « recrudescence des catastrophes » en 2015, signalée par le CRED dans son dernier rapport, alors même que la connaissance et les techniques de prévention des risques semblent s’améliorer ; d’autre part, la contradiction intrinsèque entre la fréquence et l’intensité des catastrophes « naturelles » (les sécheresses s’avérant, d’après le CRED, les plus meurtrières d’entre elles à l’échelle de la planète). Le propos est déjà appelé à dépasser le sujet des « risques naturels en France », ce qu’a confirmé le déroulement de la séance : l’intervenante s’est en effet bien attachée à déconstruire, à l’aune d’un argumentaire pragmatique et précis, chacune des notions contenues dans le sujet de départ, dont il s’agissait d’évaluer le sens et la pertinence et, peut-être, de calmer les inquiétudes éventuelles dues, pour leur plus grande part, à un court-circuitage terminologique entre le « risque » et la « catastrophe » dont le public a pu s’extraire.

Des mots pour les risques, au(x) risque(s) des mots : la géographie des risques à l’heure du paradigme de la complexité.

Magali Reghezza propose d’entrer dans le sujet par l’épistémologie, suggérant ainsi que l’existence de telles problématiques, en sciences comme en société, s’explique au moins en partie par l’empilement des concepts relatifs aux risques en Géographie. Elle veut montrer, d’une part, que le champ d’étude des risques est à la mesure de ce que la Géographie en a fait : « la façon de traiter l’objet risque en Géographie montre que la discipline est vivante, qu’elle évolue (…). Et les débats qui s’y jouent se retrouvent point par point dans la façon d’envisager les risques ». Ainsi décèle-t-on, dans les premières (quand ? Elle ne les datera pas) approches des risques, l’empreinte structurelle et structurante de la discipline, des « géographes physiciens » qui s’attachent dès les années 1970 d’abord à comprendre leur paramétrage « naturel », préalable indispensable à la compréhension de ce qu’on qualifie alors parfois « nuisance » ou de danger ; par la suite, à l’heure où la géographie physique se renouvelle en une « géographie de l’environnement », les géographes insistent sur le rôle de l’anthropisation dans la transformation des processus physiques, sur l’importance des sociétés dans la fabrique des risques dits naturels, et cherchent in fine à dénaturaliser les catastrophes.

(suite…)

Itinéraires du commerce et de l’alimentation durables à Lyon

Les Cafés Géo de Lyon font leur rentrée le 16 novembre 2016 devant une salle bien pleine au Café de la Cloche. Deux intervenants vont proposer des itinéraires, notamment en termes de discours et de pratiques. Lisa Rolland est docteure en géographie de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense et ATER à l’Université Jean Moulin Lyon 3 rattachée à l’UMR 5600 Environnement Ville Société, ainsi que membre associée à « Saisir l’Europe – Europa las Herausforderung » au sein de l’axe développement durable. Axel Hernandez, gérant fondateur de « Cuisine Itinérante », traiteur de produits locaux et de saison, fondateurs de bistrots en circuits courts (« De l’autre côté du Pont » notamment) et développeur d’alternatives d’alimentation durable à Lyon

Lisa Rolland et Axel Hernandez ont souhaité cadré le sujet sur trois points : la consommation durable comme un itinéraire géographique et une manière de consommer ; un état des lieux de ce qui peut se faire à Lyon aujourd’hui ; et enfin, liens entre territoire et alimentation durable. On observe à ce titre un changement majeur récent : la ville devient espace et acteur de l’alimentation durable dans un contexte de forte demande sociale et de médiatisation, de renouvellement des acteurs.

Lisa Rolland propose un itinéraire discursif. De nombreux termes sont associés à l’alimentation durable. Hélas, le champ de l’alimentation durable en géographie n’est pas très développé. Max Sorre a été le premier à se pencher sur les notions de matière première, de famine, de faim. Bien que les géographes ruralistes étudient depuis plus de 50 ans les logiques de localisation agricoles et de filières, aujourd’hui la géographie de l’alimentation demeure un petit champ de recherche, promue par certains géographes comme Gilles Fumey, qui travaille sur le fait alimentaire en le replaçant dans des problématiques géo-culturelles. Les géographes ont tendance à penser l’alimentation comme une manière de manger en prenant en compte les métissages et les mélanges dans un contexte de mondialisation. De nombreux travaux ont porté sur l’agriculture urbaine et l’alimentation en repensant les liens entre acteurs et consommateurs dans un contexte d’émeutes alimentaires et de défis démographiques qui se poseront dans les prochaines années. Les sujets aux concours du CAPES et de l’agrégation « Nourrir les hommes » questionnaient d’ailleurs sur les limites de l’agriculture productiviste et les enjeux de l’alimentation mondiale. Dans un tel contexte, faut-il se pencher sur la problématique d’agriculture locale ? Comment appréhender cette notion de «local» ? L’alimentation et le commerce durables ne sont pas non plus associés à des notions clairement identifiées. Les concepts demeurent également assez flous.

Le commerce durable est-il un concept Nord-Nord ? La dimension Nord-Sud peut-elle être taxée de durable ? Le rôle de l’agriculture urbaine est avant tout de revisiter les fonctions de la ville. Le rôle des politiques publiques devient par ailleurs crucial aujourd’hui pour relayer notamment les initiatives citoyennes (AMAP, circuits courts…).

Que signifie commerce et alimentation durables ? Bio, local, Nord-Nord, Nord-Sud, responsable, équitable, éthique : tous ces termes sont associés au durable mais comment s’y retrouver et comment trouver une cohérence sémantique entre tous ces termes ? En géographie, on a tendance à se poser les questions suivantes : qui sont les acteurs de l’alimentation durable ? Comment fonctionne les jeux d’acteurs ? Quand cela se produit-il ? Où (Nord-Nord, local, Nord-Sud) ? Pourquoi (système de projection sur l’espace avec des imaginaires hérités d’une vision d’un tiers-mondisme dépassé) ?

(suite…)

Comprendre la mondialisation par la géographie

Café géographique de Saint-Brieuc du 13 octobre 2016

affiche-cg-st-brieuc-oct-2016

Daniel Oster, a longtemps enseigné la géographie en classes préparatoires au lycée Henri IV (Paris). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages universitaires dont “La mondialisation contemporaine” (Nathan, 2013, seconde édition à paraître en 2016) et “La Cartographie” (Nathan, 2014).

Daniel Oster se propose de nous donner ce soir quelques clefs pour comprendre ce que l’on appelle la mondialisation ; si elle nous concerne tous, elle n’est pas si simple à définir.

Nous pouvons, dans un premier temps, définir la mondialisation comme un processus de mises en relation et d’interactions des territoires dans une logique de production et d’échanges. Mais ce processus qui, depuis plusieurs décennies, est devenu incontournable pour expliquer les mutations du monde actuel, est complexe.

C’est cette complexité que Daniel Oster se propose de mettre en évidence dans la 1ère partie de son intervention. Des mécanismes  complexes, une interprétation qui fait débat, mais une mondialisation visible car elle s’inscrit dans l’espace et remodèle les territoires. La géographie, parce qu’elle est l’étude des lieux, apparaît donc comme essentielle pour lire et comprendre la mondialisation. C’est à partir de l’analyse de quelques cartes (l’outil du géographe) que Daniel Oster, dans une 2ème partie, soulignera l’importance de la mondialisation dans le bouleversement du monde.

1 – Définir la mondialisation pour mieux comprendre le processus

       1 – Est-il possible de définir et de dater la mondialisation ?

Le terme est apparu en 1961 dans sa version anglaise « globalization », mais il ne s’impose vraiment qu’au début des années 1980. Si le terme s’est popularisé depuis maintenant plus de trente ans, son contenu, sa signification fluctuent. Pourquoi ? Il est possible d’avancer plusieurs raisons. Alors que l’anglais n’a qu’un terme pour définir le processus, le français en a deux, mondialisation et globalisation qui n’ont pas toujours le même sens ; c’est, par ailleurs, un processus inédit en constante évolution, le terme à ses débuts n’évoquait que le volet économique du processus associé au triomphe du capitalisme-néo-libéral alors qu’en réalité, la mondialisation a des répercussions sur tous les aspects de l’organisation des sociétés et des territoires. Et ce grand basculement mondial fait débat. On charge la mondialisation de tous les maux ou de toutes les promesses de l’avenir ; il y a ceux qui l’encensent et ceux qui l’accusent de dérives préjudiciables à de vastes territoires et à des populations très importantes, voire à l’ensemble de la terre sur le plan environnemental.

(suite…)

L’inde vue à travers la mondialisation du yoga

Café Géographique du 12 octobre 2016 animé par Anne-Cécile Hoyez, chargée de recherche CNRS. UMR ESO/Université Rennes 2.

Quel est le lien entre la géographie et le yoga ?

En guise d’introduction, la chercheuse a présenté différentes photos qui illustrent l’évolution du yoga.

Qu’y a-t-il de « géographie » dans une école de garçons en Inde ?

Ce sont des enfants souples qui font des exercices dans la première école de yoga en Inde. A partir de 1920, le yoga commence à se structurer, on commence à en retrouver dans des écoles.

Il s’agit de trouver une légitimité au yoga en l’encrant dans les cadres de l’enseignement tels que les concevaient les colons britanniques.

Exemple des Beatles : l’émergence du Yoga à l’échelle internationale

Une autre des images présentées nous montre les Beatles qui se sont rendus en Inde.

George Harrison, membre du groupe a rencontré des musiciens et un gourou indien. Ils ont d’abord travaillé ensemble à Londres sur les apports de la méditation à la musique, puis se sont rendus en Inde.

C’est dans les années 60 que le yoga émerge à l’échelle internationale 

Exemple d’une grande salle de sport :

Nous pouvons observer une grande salle remplie d’individus venus pratiquer le yoga aux Etats-Unis, c’est un cours de Bikram Choudhury, un gourou célèbre pour avoir mis au point une série de postures de yoga pratiquées dans une salle surchauffée et dans des cours collectifs très fréquentés.

L’intérêt de cette photo est de rappeler qu’il a, dans les années 2000, essayé de breveter sa série de yoga ce qui a poussé l’Etat indien à réagir et à travailler sur la mise en place de propriétés intellectuelles sur les postures de yoga ou encore la médecine indienne.

Pourquoi Anne-Cécile a-t-elle choisi le yoga comme objet d’étude ?

La chercheuse n’a jamais pratiqué le yoga.

C’est un travail de maîtrise de géographie de la santé qui l’a poussée à étudier ce sujet.

Ce qui l’a intéressée dans ce travail de terrain en Inde est l’observation des parcours de soin des patients et le pluralisme médical.

En Inde, les individus ont pour habitude d’avoir des recours alternés à différents systèmes de soins, incluant des rites religieux de guérison.

La chercheuse a, dans le cadre de son étude, visité pour la première fois un centre de méditation et a pu s’entretenir avec un gourou qui l’a informée que plusieurs disciples étaient disséminés un peu partout dans le monde grâce à ce centre.

(suite…)

A la rencontre d’Alexandre Yersin, l’homme qui a vaincu la peste

Samedi 15 octobre 2016, la salle du nouvel amphi de l’Institut de Géographie à Paris est bien remplie pour la rencontre-débat organisée autour de la figure d’Alexandre Yersin, l’homme qui a vaincu  la peste. Deux intervenants ont été invités pour cette occasion : Stéphane Kleeb, réalisateur suisse du film documentaire Ce n’est pas une vie que de ne pas bouger (2014) et Annick Perrot, auteur avec Maxime Schwartz, de Pasteur et ses lieutenants (Odile Jacob, 2013). Il s’agit de mieux faire connaître un personnage hors du commun, médecin et chercheur, explorateur et aventurier, découvreur du bacille de la peste, peu connu en Europe y compris dans sa Suisse natale mais considéré encore aujourd’hui comme un héros au Vietnam. La clé d’observation géographique semble bien appropriée pour atteindre cet objectif.

yersin-01

Le film documentaire de Stéphane Kleeb

La rencontre commence par la projection du film documentaire de Stéphane Kleeb Ce n’est pas une vie que de ne pas bouger (2014), consacré à Alexandre Yersin, médecin et chercheur d’origine suisse, un personnage exceptionnel que le livre de Patrick Deville a contribué à faire connaître (Peste & choléra, 2012). L’excellent titre du film reprend une phrase extraite de l’abondante correspondance que le savant/aventurier a entretenue avec sa mère jusqu’à la mort de celle-ci. Quant à l’idée de faire un film sur Yersin, on la doit à l’ambassadeur de Suisse à Hanoi, Andrej Motyl, surpris de constater la célébrité du scientifique européen au Vietnam alors que celui-ci est presque inconnu dans son pays d’origine.

(suite…)

Découvrir la géoéthique à travers le territoire brésilien : justice et injustice spatiales

Pour ce premier café géo de la saison 2016-2017, les Cafés Géographiques de Chambéry-Annecy reçoivent M. Bernard Bret, professeur émérite à l’Université de Lyon, qui vient nous parler de la justice spatiale, une thématique qu’il a largement étudiée au cours de sa carrière. Il fait en effet figure de pionnier, en langue française, des travaux visant à rapprocher une interrogation d’ordre philosophique autour de la justice et une approche de l’inégalité telle qu’elle est inscrite dans l’espace, ou même telle qu’elle peut naître de l’espace. D’autre part, Bernard Bret a beaucoup travaillé sur le Brésil, un pays marqué par des clivages socio-spatiaux extrêmement forts. Pour ce café géo, il a donc choisi de coupler cette réflexion thématique sur la justice à son terrain de prédilection, le Brésil. Le propos sera largement d’ordre théorique, bien qu’appuyé sur des faits brésiliens, dans la mesure où la théorie doit servir à comprendre le réel.

cg-geoethique-b-bret

Dans le titre de ce café géo, deux termes appellent des explications. La géoéthique : c’est un néologisme récent qui renvoie à l’idée d’introduire la réflexion éthique dans la démarche géographique. La justice et l’injustice spatiales : il ne s’agit pas de la justice entre les lieux, ce qui n’a pas beaucoup de sens, mais bien du contenu territorial, spatial, géographique, de la justice ou de l’injustice sociale. Cette réflexion s’inscrit dans l’ordre du socio-spatial, dans la mesure où l’on comprend la géographie comme la réflexion sur l’expression spatiale que prend le lien social. Dans cette optique, on peut considérer que l’organisation des lieux est une porte d’entrée possible pour mieux comprendre la société. Retenons donc que quand on dit justice spatiale, il faut comprendre justice socio-spatiale, soit l’expression spatiale de la justice ou de l’injustice entre les personnes.

Incorporer l’éthique dans la démarche géographique : précautions méthodologiques

Il faut bien sûr s’interroger sur la légitimité scientifique de procéder de cette façon. C’est la précaution méthodologique que le sociologue Max Weber avait signalée dans Le savant et le politique[1]. Dans ce livre, il attire l’attention sur le fait qu’il y a une nécessité de neutralité scientifique (ou axiologique) : la science cherche à dire le vrai et il faut la distinguer de l’éthique, qui cherche à dire le juste ou le bien. Si on mélange les deux sans précaution méthodologique, on risque de passer d’un discours scientifique à un discours partisan. Pour autant, on ne peut pas évacuer la réflexion éthique dans une démarche de sciences humaines, auxquelles la géographie sociale appartient. Il est clair qu’à Rio de Janeiro ou à São Paulo, le contraste entre les quartiers élégants et les favelas, qui comptent dans chacune de ces villes un million d’habitants, choque l’intuition morale que chacun a en lui-même.

On ne peut certes pas rester de marbre devant de telles réalités, mais il faut se départir du risque de s’en tenir à une intuition morale d’injustice. Celle-ci n’autorise pas ipso facto à qualifier la situation d’injuste, au sens d’une qualification recevable par les sciences sociales, dans la mesure où il peut y avoir d’autres interprétations possibles. Il faut donc construire une base théorique pour assumer l’intuition que l’on a, éventuellement la corriger, et dans tous les cas, rester sous le registre du savoir. C’est une question d’honnêteté intellectuelle que de dire à quelle théorie on se réfère et de construire un propos en cohérence avec cette théorie, tout en ayant conscience que d’autres auront d’autres points de vue, et que cela fait partie du débat scientifique (et démocratique).

(suite…)

Géographier aujourd’hui au collège et au lycée

« Géographier aujourd’hui au collège et au lycée », avec Bertrand Pleven, PRAG à l’ESPE de Paris, doctorant, UMR Géographie-Cités, EHGO, au Bar de la Poste (FIG – Saint-Dié-des-Vosges) le dimanche 2 octobre 2016.

geographier_couverture

Sous la direction de Marie-Claire Robic et Muriel Rosemberg avec les contributions de Bertrand Pleven, Arnaud Brennetot, Julien Champigny, Guilhem Labinal, Caroline Leininger-Frézal, Didier Mendibil, Marielle Wastable, 340 pages, 30 €

L’invité du dernier Café géographique de l’édition 2016 du Festival International de Géographie est Bertrand Pleven. Ses trois interventions de ce week-end ont fait apparaître ses multiples casquettes : celle d’un doctorant engagé dans la réalisation d’une thèse de géographie sur « les territoires urbains dans le cinéma contemporain », puis celle du professeur à l’ESPE de Paris, où il prépare les étudiants au CAPES de Géographie. C’est en tant que contributeur à l’ouvrage Géographier aujourd’hui : enseigner la géographie au collège et au lycée (dir. Marie-Claire Robic et Muriel Rosemberg), paru en 2016 aux éditions ADAPT/SNES, qu’il s’exprime lors de cette rencontre qui, bien qu’elle ait repris dans son intitulé le nom de l’ouvrage, se veut informelle, non publicitaire et ouverte à la construction d’une réflexion collective autour de trois questionnements que le conférencier propose comme lignes directrices du débat : il s’agira d’abord de se demander « où nous situent les programmes », pour réfléchir à « quelles balises utiliser » pour « géographier » et enfin interroger « la carte de la géographie scolaire aujourd’hui », qu’il faudrait connaître et comprendre pour savoir comment « l’habiter », « s’y mouvoir », bref, pour ne pas « subir » les programmes, mais « les transcender ». Bertrand Pleven ouvre ainsi une conversation dont la dimension réflexive est double : il s’adresse ici aux enseignants soucieux de réfléchir (à) leurs pratiques, leurs positionnements et leurs trajectoires, mais aussi aux géographes, enjoints à observer les géographies universitaire et scolaire comme des espaces différents entre lesquels l’enjeu reste de « faire des ponts ».

On voudrait, dans ce compte rendu, tenter de composer avec la complexité des trajectoires prises par la discussion enclenchée, dans l’optique de produire un discours cohérent et intelligible pour un lecteur non auditeur. On voudrait aussi y restituer une des originalités de ce Café Géographique, qui tient à la forte mobilisation du vocabulaire de l’espace pour désigner et décrire des ensembles dont on n’interroge que rarement la spatialité. C’est moins comme une métaphore que comme un levier de mise en lumière des enjeux et un moyen particulièrement stimulant de penser la géographie (on se réfère par ce terme à la discipline et, plus largement, au corps des savoirs produits afin de penser l’espace) qu’il est ici repris.

(suite…)

D’où vient notre carte de l’Antarctique ? Géohistoire polaire et dernier partage du monde

« D’où vient notre carte de l’Antarctique ? Géohistoire polaire et dernier partage du monde », avec Fabrice Argounès, enseignant en géographie à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et chercheur associé à l’UMR Géographie-Cités au Bar l’Actuel (FIG – Saint-Dié-des-Vosges) le vendredi 30 septembre 2016

Pour beaucoup, la connaissance de l’Antarctique se réduit à celle d’un continent glacé autour du pôle Sud, son histoire à celle de quelques expéditions héroïques où des hommes d’exception  (Amundsen, Scott…) ont lutté – victorieusement – contre des éléments hostiles. Pas de brutalité contre des populations indigènes, pas de cupidité dans la domination territoriale. L’Antarctique serait l’exemple même de la « bonne » conquête qui n’a laissé aucune culpabilité dans la mémoire des puissances occidentales.

Pourtant l’appropriation de l’Antarctique par quelques Etats s’insère bien dans une histoire coloniale  secouée par les rivalités. Et cette histoire peut être divisée en plusieurs périodes : âge de l’exploration avant 1885, âge héroïque (1885-1922), âge mécanique (1922-1959), puis âge scientifique après la signature du Traité de l’Antarctique en 1959.

Mais comment délimiter un territoire impérial  à une époque où les cartes ne montrent qu’un tracé très approximatif des côtes et où l’intérieur n’est pratiquement pas connu ?

 

D’où vient notre carte de l’Antarctique ? Fabrice Argounès – Café l’Actuel (FIG à Saint-Dié-des-Vosges)

D’où vient notre carte de l’Antarctique ?
Fabrice Argounès – Café l’Actuel (FIG à Saint-Dié-des-Vosges)

Le Royaume-Uni, première puissance à revendiquer une souveraineté sur l’Antarctique, impose le « modèle canadien » élaboré par Pascal Poirier en 1907 pour l’Arctique. D’après sa « théorie des secteurs », chaque Etat s’approprie le territoire situé entre deux lignes tracées du pôle à la côte, un quadrant. Sur le terrain, la prise de possession se marque l’installation d’un drapeau. Et en baptisant, dès 1923, les terres connues de noms anglais, les Britanniques en font des dépendances du royaume. Cette conception est adoptée par l’Australie et la Nouvelle-Zélande, membres du Commonwealth.

(suite…)

Les prisons : un monde immobile ?

Café géo du 30 septembre 2016, avec Olivier Milhaud, maître de conférences en géographie à Paris 4 et Lucie Bony, chargée de recherche au CNRS, à l’UMR Passages de Bordeaux. Ils ont notamment contribué au numéro 702-703 (2015) des Annales de Géographie consacré aux géographies de l’enfermement.

Le sujet de ce café géographique a été choisi par rapport au thème du Festival International de Géographie 2016 : « Un monde qui va plus vite ? ». Il s’agit ici de prendre le contrepied du thème du festival: au-delà du lieu commun d’une société hypermobile, ne se cache-t-il pas un monde des marges, qui semble ne pas changer ?

Olivier Milhaud et Lucie Bony ont évoqué trois dimensions de l’espace apparemment immobile des prisons : d’abord, il s’agissait d’appréhender les changements et permanences de la prison comme institution, avant de se pencher sur la prison comme lieu : quels changements dans les localisations des prisons françaises ? Comment leur architecture a-t-elle évolué ? Ces transformations amenaient alors à s’interroger sur l’enfermement comme expérience géographique : comment la punition par l’espace se traduit en termes d’immobilité ?

  1. Appréhender la prison. Une institution entre clôture et décloisonnement

Cette institution s’est généralisée dans le monde entier : « elle a été finalement reprise dans tous les contextes politiques et sociaux. Cela a été une si formidable invention, et si merveilleuse qu’elle s’est répandue presque comme la machine à vapeur et est devenue une forme d’encadrement général de la plupart des sociétés modernes, qu’elles soient capitalistes ou qu’elles soient socialistes » (Foucault, 1994). Mais la durabilité de l’institution s’explique aussi peut-être par les nombreuses tentatives de réforme qu’elle a connu.

Olivier Milhaud précise qu’à propos de la prison, il ne faut pas confondre les notions de changement et de réforme. Dans Surveiller et Punir, Michel Foucault explique qu’il est consubstantiel à la prison de vouloir la réformer, car c’est une institution qui n’arrive pas à remplir ses fonctions, qui est condamnée à l’insatisfaction. Il faut dire que c’est l’institution chargée de réussir là où toutes les autres ont échoué (famille, école, religion, monde du travail, etc). Il semble qu’on lui demande trop : résoudre la crise de l’illettrisme, du lien social (on y trouve massivement des SDF, des « paumés »), de la prise en charge de la santé mentale (que de cas psychiatriques en détention), de la masculinité (en France, les femmes représentent seulement 4% des détenus) et depuis peu, on lui demande aussi de déradicaliser. On a donc d’un côté une insatisfaction, qui appelle à la réforme, mais cette dernière ne suffit jamais. Ce paradoxe donne alors à l’institution une impression d’immobilisme, d’un échec reconduit et répété.

Lucie Bony récapitule alors brièvement l’historique de l’institution carcérale pour montrer l’ampleur des réformes que cette dernière a connu, en s’appuyant sur les travaux de Michelle Perrot, historienne de la prison. La prison « moderne » nait avec la loi pénale de 1791, avec l’idée de corriger les détenus. C’est à cette époque, dans le contexte des Lumières et de la Révolution française, qu’émerge alors l’idée d’une « bonne peine », qui a pour objectif de transformer le détenu par le travail et la discipline. Le système est réformé au début du XIXe siècle, et notamment en 1819 avec la création de la Société Royale pour l’amélioration des prisons, puis vient la disparition des peines infâmantes (1830) et l’abolition du pilori (1848).

Fin XIXe, la question carcérale est mise de côté. Il faut attendre la deuxième partie du XXe siècle pour voir d’autres réformes de l’institution. Dans les années 1970 sont engagées des mesures pour libéraliser les conditions de détention suite aux révoltes de 1970, 1971 et 1974 : autorisation de la presse, de fumer, élargissement des conditions de semi-liberté. Les miroirs sont également autorisés : le détenu peut désormais voir son visage se transformer avec le temps. Cela a été perçu comme une véritable révolution dans l’expérience individuelle de la prison.

Les années 1980 constituent un second tournant. L’arrivée de la gauche au pouvoir entraîne une rupture avec la politique pénitentiaire sécuritaire du ministère Peyrefitte. On autorise le port de vêtements civils, le téléphone, les parloirs sans séparation. Après l’abolition de la peine de mort en octobre 1981, le ministère de Robert Badinter met en place des peines de substitution en 1983. Cela montre une volonté de lier la peine à la réinsertion.

Dans les années 2000, la question pénitentiaire revient à l’agenda politique suite à la publication du livre de Véronique Vasseur, Médecin-chef à la Santé (2000), où elle décrit les conditions terribles de détention. Un certain nombre de rapports parlementaires indiquent la nécessité d’une nouvelle réforme. Mais celle-ci est tributaire de l’ambiance sécuritaire qui caractérise l’élection présidentielle de 2002. Malgré tout, quelques changements ont lieu dans les prisons des années 2000 : des sites pilotes sont choisis pour adopter les règles pénitentiaires européennes, ou encore la loi pénitentiaire de 2009 qui modifie les modalités d’exécution des peines.

La prison n’est donc plus la même qu’au XVIIIe siècle. Aujourd’hui, de nouveaux problèmes sont pointés du doigt (radicalisation, surpopulation) et donnent à voir un système carcéral marqué par une sensation d’inertie. La politique pénitentiaire tente d’échapper à la critique, mais ne comporte dans les faits que peu d’ambitions, sans réflexion sur le sens de la peine et sur le lieu prison.

Cependant, il faut aller au-delà de ces réformes législatives pour voir ce qu’elles impliquent dans la vie quotidienne des prisons : peut-on parler d’une normalisation de l’institution carcérale ?

(suite…)

France, Europe : Les territoires entre égalité et égoïsmes

Café géo du mardi 12 avril 2016 au Flore, avec Laurent Davezies, professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers, titulaire de la chaire “Economie et développement des territoires” et auteur notamment du Nouvel égoïsme territorial (Seuil, mars 2015) et Philippe Estèbe, directeur de l’Institut des Hautes Etudes d’Aménagement du Territoire (IHEDATE) et auteur notamment de L’égalité des territoires, une passion française (PUF, avril 2015).

Ce café géo rassemble deux auteurs qui ont publié sur le même sujet, mais avec des angles d’attaque apparemment opposés. Philippe Estèbe montre dans L’égalité des territoires, une passion française (PUF) qu’avec le temps, la France a créé un dispositif unique au monde d’égalité des territoires, à travers trois grands mécanismes : une redistribution financière très importante, une répartition inégalitaire des fonctionnaires d’État pour permettre une présence continue jusque dans les lieux les plus reculés, des grandes entreprises publiques assurant partout une continuité de prestation (La Poste, la SNCF, énergie, télécoms).

Laurent Davezies souligne quant à lui dans Le Nouvel Égoïsme territorial. Le grand malaise des nations (Le Seuil) qu’avec la montée du régionalisme, l’exigence d’autonomie, voire d’indépendance, on assiste aujourd’hui à une fragmentation des nations, dans les pays industriels comme dans les pays en développement. Les causes identitaires – anciennes – se combinent avec le fait – nouveau – que les régions riches ne veulent plus payer pour les régions pauvres. Plus largement, c’est le modèle de cohésion territoriale qui est remis en cause en France, en Europe et dans le monde.

Philippe Estèbe comme Laurent Davezies sont d’accord sur le résultat : en France comme ailleurs, les très grandes villes financent largement l’espace rural et commencent à contester le mécanisme de redistribution tandis que les personnes traversent les territoires au cours de leur trajectoire et les mettent en concurrence pour l’habitat, les services, l’emploi et les loisirs. Le dispositif d’égalité des territoires apparaît dès lors coûteux et inefficace.

(suite…)

« Page précédentePage suivante »