Les forêts d’exception, une labellisation inégalitaire ?

Café Géographique Annecy 1er mars 2018 avec Paul Arnould

Paul Arnould, Professeur émérite à l’ENS de Lyon, membre du Comité Scientifique de l’Office National des Forêts (ONF), a longuement étudié les questions forestières, en France et en Europe surtout, du point de vue biogéographique comme du point de vue territorial, socio-économique et politique. Il a été d’abord biogéographe, mais a aussi été président du Comité Scientifique de l’ONF, où il fut le premier à venir des Sciences sociales et non des Sciences naturelles.

Le choix du thème du café s’inscrit dans le cadre d’un intérêt plus global pour le marketing territorial, d’une réflexion sur l’ensemble des démarches de labellisation, en vue d’une promotion de produits, de territoires. L’ONF, créé en 1965 par E. Pisani mais vieille institution s’il en est, puisque héritière d’une longue histoire de l’administration étatique des eaux et forêts depuis Philippe Auguste, a donc franchi le pas de cette pratique. Il sera intéressant de comprendre quand, comment, pourquoi, avec quels enjeux locaux pour des acteurs aussi divers que les collectivités, les acteurs économiques, associatifs.

La labellisation est une pratique proliférante, pour les territoires locaux notamment, entraînant une hiérarchie (du Patrimoine Mondial aux « plus beaux villages de France »), une profusion de candidatures, souvent « retoquées », d’initiatives pour inventer des « auto-labellisations » à usage unique et local (« Villages de pierres et d’eau en Charente- Maritime »).

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La Russie un siècle après la Révolution d’octobre : la renaissance d’un pouvoir impérial ?

Denis ECKERT, Directeur de recherche au CNRS, Centre Marc Bloch, Berlin.

Résumé :

La chute de l’Empire tsariste et surtout la prise de pouvoir par les bolcheviks avaient marqué en 1917 la fin officielle de la référence impériale, et la proclamation de la construction d’un Etat de type radicalement nouveau. L’évolution ultérieure de l’URSS a donné corps à la théorie du retour des logiques impériales, notamment lors des phases d’expansion impulsées par Staline. Lors de l’éclatement de l’URSS en 1991, on a pu croire à la fondation d’une nouvelle Russie, « plus petite mais meilleure », apte à se développer dans des frontières sûres et reconnues. Mais est-on aujourd’hui, après les multiples interventions russes des dernières années (Géorgie, Ukraine), en train d’assister à la résurgence de ce qu’on pourrait qualifier d’une puissance impériale, pour laquelle la volonté d’expansion territoriale et de contrôle des marges deviennent centrales dans l’idéologie politique ?

L’intervention de Denis Eckert s’est faite dans le cadre du centenaire de la révolution russe d’octobre 1917. Ce dernier s’est questionné sur un éventuel retour de la logique impériale en Russie. En évoquant ce territoire, nous nous concentrons donc sur l’espace européen post soviétique.

I. La non revendication d’un héritage historique.

Dans un premier temps, notre intervenant a voulu se pencher sur un éventuel témoin de la révolution d’octobre, qui pourrait être une analyse des commémorations en Russie. Mais il se trouve qu’il n’y en a pas eu : aucune manifestation commémorative de la révolution ne s’est faite en Russie. De plus, en Ukraine, des centaines de statues et de rues ont été rebaptisées, afin de faire disparaitre la mémoire communiste.

Il y a pourtant bien eu une parade militaire le 7 novembre 2017 sur la Place Rouge. Mais cette dernière s’est faite dans le cadre de la commémoration non pas de la révolution mais de la parade militaire de 1941 (qui fut un événement mythique de l’URSS en guerre, durant lequel les soldats partirent directement de la parade vers le front, contre les Allemands).

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Vues de côtes : le panorama au service des marins

Dessin du géographe N° 70  (Roland Courtot)

 

Fig. 1. Deux vues de la côte ouest de l’Ile Shouten et de la presqu’île Freycinet, Tasmanie , dessinées  par Charles André Lesueur (in François Péron, Voyage de découverte aux terres Australes, tome 1, Atlas, Planche IV : Australie, par Lesueur et Petit)

Légende des deux vues de côte :

  • Vue générale de l’île Schouten : le Cap Sonnerat (f) restant au S I/4 SO
  • Suite de l’île Schouten (g) Détroit du Géographe (h) Cap Degérando (I) partie Sud de la Presqu’île de Freycinet (k)

C.A.Lesueur del(ineavit), J.Milbert direx(it), Fortier sculp(sit)

Fig.2 : Planche IV de l’Atlas de Lesueur et Petit

Légende complémentaire :

1 : Vue du Cap Forestier (a) de la Baie Thouin (b) et du Cap Tourville (c)

2 : Vue du Pic d’Arcole (d) et du Piton Champigny (e)

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b2300134q/f4.item.r=expédition%20aux%20terres%20australes.zoom

Ces deux vues de côte ont été exposées à l’ambassade d’Australie à Paris, lors de l’exposition « L’œil et la main » à l’été 2016. Elles font partie des dessins et aquarelles de Lesueur et Petit, rapportés par l’expédition Baudin sur les côtes de l’Australie et de la Tasmanie, en 1800-1804. Elles représentent, en 2 profils qui se suivent du sud au nord, la côte est de l’île Shouten (du nom du navigateur hollandais qui avait reconnu la Tasmanie en 1642, appelée Terre de Diemen) pour le premier, la côte est de la presqu’île Freycinet (nom donné par l’expédition Baudin) pour le second. Les reliefs et les indentations dessinés par Lesueur sont bien visibles sur des vue obliques de Google earth.

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Le développement durable, un concept éphémère ?

Café Géo, Annecy, jeudi 29 Mars 2018, par Marie Forget (USMB)

Dans le cadre de la « Semaine du développement durable » d’Annecy il a été demandé aux Cafés Géo une participation, qui a pris la forme d’un café où la notion de développement durable (DD) puisse être mise en perspective, interrogée dans sa …. durabilité, et sa pertinence, la genèse de son emploi, de sa généralisation, voire de son usure et de son remplacement.

Marie Forget, Maître de conférence à l’Université Savoie Mont Blanc, qui a réalisé de nombreux travaux de recherche sur des questions environnementales (sur le fleuve Paranà tout spécialement), de transition énergétique, et de construction et d’exploitation des ressources naturelles (eau et énergie principalement), était tout spécialement compétente pour une telle tentative de traiter de façon non militante, sans plaidoyer ni réquisitoire, une notion sur-utilisée.

Une expression très à la mode il y a 20 ans, en relative perte de vitesse : qu’en reste -t-il ?

Une requête sur Google images donne l’impression confortable que la notion va de soi, qu’elle recouvre plus ou moins toujours les mêmes contenus : image des trois cercles, écologique, économique, social, se recoupant en une zone qui sera celle du DD, image/échelle le plus souvent planétaire de cette notion (avenir commun, « soin » dédié à la planète unique et commune), omniprésence du vert, qui souligne la disproportion fréquente au profit du « pilier » environnemental de la notion. Pourtant, au-delà d’un apparent consensus, le DD apparaît comme une notion souvent décriée : ambigüité fréquente, voire contradiction, des emplois devenus proliférants dans des discours multiples, médiatiques, militants, mais aussi par les sciences sociales et naturelles. Mieux vaudrait donc parler DES développements durables tant il apparaît que le concept (en est-ce encore un si l’on admet qu’un concept est un outil ?) « nomadise », fluctue dans ses contenus selon les finalités poursuivies par ceux qui l’utilisent.

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Aujourd’hui et demain, les réfugiés

Céline Schmitt
Porte-parole du UNHCR à Paris
[Haut Commissariat  des Nations Unies pour les réfugiés
11 janvier 2017
Société Industrielle de Mulhouse
Festival  Vagamondes 2017

La problématique des réfugiés est devenue une question de tous les jours. Je travaille pour le HCR depuis 9 ans et me réjouis que cette conférence ne soit qu’une des expressions de cette thématique, très présente dans le festival Vagamondes. Le HCR travaille avec African Artists for Development  qui a conçu avec Salia Sanou le spectacle « Désir d’Horizons » et utilise la danse comme vecteur de réconciliation, comme message de paix

Le monde compte en 2016 65,3 millions de déplacés de force, un chiffre sans précédent. Sur ce chiffre, la grande majorité, 37,5 millions, est déplacée à l’intérieur du pays et 21,3 millions cherchent refuge dans les pays voisins

Pour le HCR, un réfugié est quelqu’un qui se trouve hors du pays dont il la nationalité où il qui craint d’être persécuté en raison de sa race, de sa religion, de ses idées politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social et qui ne peut, en raison de cette crainte, être protégé par les autorités de son pays.

Le HCR s’occupe aussi des 10,3 millions d’apatrides qui ont besoin de protection.

Créé à l’origine pour 5 3 ans et doté de 34 employés à sa fondation en 1950, le HCR en emploie aujourd’hui  10 700. En 2016, 146 pays ont signé sa convention et le HCR a reçu deux prix Nobel pour son action en 1954 et en 1981.

Le HCR travaille depuis la guerre des Balkans dans les zones même de conflit et est présent sur tous les terrains car le XXIème siècle doit gérer un chiffre record de plus de 65 millions de réfugiés. Il travaille en partenariat avec les autres agences onusiennes, les ONG, avec l’appui des gouvernements, des citoyens car les besoins sont énormes.

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Ces gares TGV qui font débat. Vers un modèle français de localisation des gares nouvelles ?

Café géo de Montpellier du 16 janvier 2018, avec Laurent Chapelon, professeur des universités à l’Université Paul Valéry de Montpellier.

Résumé :

La restructuration des dessertes TGV des villes françaises conjointement au déploiement de la grande vitesse ferroviaire relève d’enjeux multiples, variables selon les échelles territoriales concernées. Alors que les liaisons à longue distance demandent des dessertes périurbaines de courte durée minimisant les temps de parcours, des enjeux régionaux et locaux militent pour une desserte centrale des agglomérations. La présentation s’attachera à objectiver les choix possibles de localisation des gares nouvelles et à montrer l’existence d’un modèle français caractéristique en la matière.

Pour les villes qui sont desservies par la grande vitesse ferroviaire, l’implantation des gares TGV constitue un enjeu majeur : elles orientent les pratiques de déplacements ainsi que la mobilité de la population. Mais a-t-on un modèle type de gares nouvelles ? Ce modèle est-il adapté ? Peut-on l’améliorer ?

Le point de départ de la réflexion, ce sont les gares implantées en rase campagne. Prenons pour exemple la gare « Lorraine TGV » mise en service en 2007. C’est une gare de « non décision » entre Metz et Nancy. En effet, les deux villes ont émis le souhait de bénéficier d’une telle infrastructure. Par conséquent, la gare a été implantée entre les deux agglomérations, à 35km de Nancy et 25km de Metz, sans connexion TER. Cette gare est dès lors et avant tout un vaste parking de 950 places, avec une fréquentation d’usagers qui viennent quasi exclusivement en voiture.

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La « Belt &Road Initiative »,  l’Europe et la Chine

Café de géographie de Mulhouse
Mardi 25 février 2017
Xavier Richet

Xavier Richet est Professeur émérite d’économie de Paris Sorbonne-nouvelle,
Chaire Jean Monnet ad personam d’économie de l’intégration européenne
Co-animateur du Séminaire BRIC, FMSH, www.bric.hypotheses.org

“Si tu veux te développer, construis une route…”  proverbe chinois

Dans cette présentation, on expose les objectifs généraux de l’ambitieux projet porté par le gouvernement chinois : One Belt, One Road (OBOR), récemment renommé Bridge and Road initiative (BRI), sa conception, les motivations à son origine, les modalités de financement et sa mise en œuvre. Le projet envisage deux routes, l’une terrestre, qui rejoint l’Europe, l’autre maritime, qui arrive au sud de l’Europe et contourne l’Afrique. La route terrestre, elle-même divisée en plusieurs routes, traverse l’Asie centrale et occidentale. Elle traverse, en Asie, de grands espaces, des économies riches en matières premières mais peu peuplées et peu développées, dont certaines étaient des Républiques de l’ancienne Union soviétique (Figure 1). En Europe, à la sortie de l’Union économique euro-asiatique (UEE) une construction supranationale récente à l’initiative de la Russie (parfois considérée comme une tentative de re-soviétisation) elle transite ensuite dans les nouveaux Etats membres de l’Union européenne et les pays en accession des Balkans, la destination finale étant le cœur de l’Europe (Allemagne, France, Grande Bretagne).

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La vie nocturne de Beyrouth : espaces publics et régimes de visibilité 

Café Géo du 28 février 2018

Marie Bonte est docteure en Géographie, membre du laboratoire PACTE à l’Université de Grenoble Alpes et ATER à l’Université Lyon III Jean Moulin. Elle a soutenu sa thèse en 2017, intitulée « Beyrouth, états de fête. Géographie des loisirs nocturnes dans une ville post-conflit », sous la direction de Myriam Houssay-Holzschuch et Karine Bennafla.

Le travail de thèse de Marie Bonte étudie la vie nocturne de la ville de Beyrouth au Liban au prisme des espaces publics. Ses recherches proposent de questionner et d’enrichir la notion d’espaces publics, une notion centrale en Géographie qui reste plurielle et a parfois du mal à faire consensus.

Marie Bonte présente son objet de recherche, les espaces de la vie nocturne à Beyrouth, comme un objet pluriel : à la fois espace physique des bars et des boîtes de nuits organisé par une diversité d’acteurs qui produisent, régulent consomment ces espaces, à la fois un ensemble de pratiques et de sociabilités, et enfin des discours et des représentations.

L’approche des villes par leurs nuits est une dimension récente des études urbaines : la dimension temporelle des espaces a été bien souvent jusque-là négligée, la nuit apparaissant comme une « dimension oubliée de la ville » (Gwiazdzinski 2002).

Pourtant, étudier la nuit en ville pose un certain nombre d’enjeux : des enjeux d’aménagement (où sont ces lieux, comment sont-ils réglementés, comment y accède-t-on ? Question de l’éclairage urbain), des enjeux socio-économiques (qui a accès aux établissements nocturnes par exemple ?), des enjeux d’inégalités notamment de genre (quelle place pour les femmes dans l’espace public nocturne ?). Il y a donc un véritable intérêt à étudier les espaces urbains la nuit.

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Quelle présence chinoise en  Afrique?

Thierry Pairault. EHESS/CNRS
La Filature

Vagamondes
17 janvier 2018

Je me bats régulièrement contre l’expression « Chinafrique » car elle enferme la pensée dans un cadre prédéfini. Si on l’écrit en deux mots : « Chine-Afrique », on a de fait un gros problème impliquant la perception d’une Afrique homogène alors qu’elle se décompose en 54 entités avec des histoires, des trajectoires économiques et sociales différentes. L’Afrique est tout sauf homogène, donc il ne saurait y avoir une politique mais des politiques fondées de fait sur des accords bilatéraux

L’expression « Chinafrique », avec le e gommé rappelant la « Françafrique » est une autre hérésie. Même si, un des acteurs de cette Françafrique, Pierre Falcone, œuvre à présent à l’établissement de rapports entre la Chine et l’Afrique après l’avoir fait pour la France, cette acception renvoie l’analyse à des rapports de domination hors de tout contexte réel.

Je combats partout cette expression qui nous impose un jugement, une démarche, nous enferme dans une réflexion déterministe et nous interdit de jeter un regard froid sur les réalités de cette présence chinoise.

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L’avenir incertain de l’Europe

La construction européenne est aujourd’hui vieille de près de huit décennies. Depuis plus de dix ans sa dynamique semble s’être enrayée au point d’apparaître en péril pour n’avoir pu lever les ambiguïtés qui ont présidé à sa naissance et à son développement. D’autant plus qu’une part importante des sociétés européennes la rend responsable des difficultés liées à la mondialisation croissante et à la nouvelle donne géopolitique, économique et technologique. Crise, rebond possible, désir, nécessité, tout se mêle aux yeux des opinions publiques comme des dirigeants politiques.

1.Une crise profonde : le projet européen dans l’impasse ?

Depuis le plan Schuman de 1950 (à l’origine de la Communauté européenne du charbon et de l’acier), une histoire cyclique a marqué les avancées et les reculs du projet d’unification européenne qui a néanmoins avancé vers l’approfondissement et l’élargissement. Des étapes majeures ont été franchies : le traité de Rome (1957), l’accord de Schengen (1985), le traité de Maastricht (1992), la création de l’euro (2002). Mais depuis 2005 la construction européenne piétine, une succession de crises révèle que ses fondements même sont menacés. Trois crises majeures ont ébranlé le projet européen : la crise financière mondiale de 2008, la crise migratoire à partir de 2013, le Brexit en 2016.

La crise financière mondiale de 2008 a mis à rude épreuve l’Union économique et monétaire (UEM) avec le risque d’un éclatement de la zone euro. Une série de réponses européennes a permis de surmonter cette crise de l’euro mais la divergence des trajectoires économiques en Europe s’est poursuivie, creusant toujours plus le fossé entre le nord et le sud de l’Europe.

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