Quand le géographe-missionnaire devient un géographe-voyageur (Ourania, Le Clézio)

Ourania, roman de Jean-Marie Gustave Le Clézio (Gallimard, 2006), raconte l’histoire de Daniel Sillitoe, jeune géographe français envoyé en mission au centre du Mexique[1], et qui, au fil des jours et de sa présence dans la région, va découvrir tout un monde qu’il ne s’attendait pas à rencontrer, dont, entre autre, une cité idéale du nom de Campos.

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A travers l’itinéraire personnel de Daniel Sillitoe ce livre nous invite à réfléchir à la question du voyage et de la géographie, en posant plus précisément les questions suivantes : un individu qui voyage sans motifs particuliers (si ce n’est celui de découvrir un lieu) adopte-il nécessairement une vision de géographe face aux divers éléments qu’il peut être amené à rencontrer tout au long de son périple (par exemple, différents types de paysages) ? A l’inverse, le géographe, même s’il voyage dans le cadre d’une mission qui lui a été confiée, est-il pour un autant un voyageur au sens propre du terme (c’est-à-dire pour découvrir de nouveaux horizons, un nouveau pays, une nouvelle ville, des paysages différents de ceux dont il a l’habitude) ? Autrement dit, la figure du voyageur est-elle indissociable de celle du géographe ?

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Ecrire le paysage

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Lors des 14es Rencontres littéraires en pays de Savoie organisées par la Fondation Facim à Chamonix le 7 juin 2014 sur le thème « Ecrire le paysage »,  Maylis de Kerangal  lit  des extraits de son dernier livre paru sous le titre « à ce stade de la nuit » dans la collection « Paysages écrits » (éditions Guérin/Fondation Facim, 2014).

Depuis 2010 avec le prix Médicis décerné à son roman Naissance d’un pont, l’œuvre de Maylis de Kerangal rencontre une audience grandissante que vient confirmer  le très grand succès de Réparer les vivants paru en 2014. La plupart des livres de cet écrivain témoignent d’un intérêt marqué pour la question de l’espace géographique et en particulier pour celle des paysages. Cela nous vaut une merveille de petit texte (76 pages) que viennent de publier les éditions Guérin dans la collection « Ecrire le paysage » sous le titre  à ce stade de la nuit , avec un « à » minuscule comme pour souligner la place incertaine de pensées nocturnes dérivant sans logique autre que les rebonds d’un esprit qui se laisse emporter de digressions en digressions.

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Le désert de J.M.G. Le Clézio
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Le désert est longtemps resté un espace répulsif. Seuls quelques guerriers et quelques explorateurs osèrent, pendant des siècles, s’aventurer dans ces étendues vides et inhospitalières. Pourtant, le désert est désormais devenu un espace attractif, source d’inspiration et de fascination pour les touristes, les scientifiques, et tous ceux qui – pour une raison ou pour une autre – attachent un intérêt particulier à ces espaces quasi vierges susceptibles d’être exploités (parfois de manière particulièrement lucrative, si l’on en croit les projets sahariens menés par plusieurs firmes pétrolières).

Longtemps considéré comme une contrainte, le désert est désormais devenu une ressource à valoriser, voire même à préserver. Cette redécouverte du désert s’accompagne d’un intérêt littéraire renouvelé pour cet objet.
Dans un contexte de colonisation, nombre d’écrivains firent du désert un de leurs espaces de prédilection. En 1894, Pierre Loti raconte, dans Le désert , sa traversée du Sinaï. Quelques décennies plus tard, Saint Exupéry place au cœur de plusieurs de ses récits le désert, cette « prison de sable » effrayante et attirante. Après un long oubli pendant la deuxième moitié du 20 ème siècle (période marquée par une forte poussée urbaine, qui imprègne largement la littérature), le désert réapparaît, à l’aube du 21 ème siècle, comme espace privilégié d’expression d’une préoccupation environnementale montante. C’est dans ce courant que s’inscrit Jean-Marie Gustave Le Clézio.

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Un abécédaire géolittéraire (3/26) : C comme Campagne
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La vallée de la Santoire (Cantal), le « pays premier » de Marie-Hélène Lafon

Il y a près d’un demi-siècle, le sociologue Henri Mendras annonçait la « fin des paysans », sous l’effet de la mécanisation inexorable et de l’urbanisation conquérante (La fin des paysans, Gallimard, 1967). A peine plus tard, le géographe Armand Frémont proposait un beau portrait des paysans de Normandie en combinant remarquablement la rigueur des analyses scientifiques et l’évocation de la vie paysanne avec un indéniable talent d’écriture (Paysans de Normandie, Flammarion, 1982). Aujourd’hui, plusieurs décennies après le « grand chambardement des campagnes », selon l’expression de Fernand Braudel, la notion de « ruralité » tend à prendre le pas sur le mot  « campagne » comme si celui-ci s’avérait incapable de rendre compte d’une réalité devenue complexe et de plus en plus liée aux dynamiques urbaines.

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Un abécédaire géolittéraire (2/26) : B comme Balcon

un_balcon_en_foretUn géographe qui voyage cherche assez vite à «  prendre de la hauteur », non par un quelconque complexe de supériorité mais plutôt pour embrasser le paysage qu’il découvre. Cette position lui permet d’exercer ses capacités d’analyse spatiale liées à sa formation géographique. Julien Gracq appartient à cette catégorie d’écrivains pour qui un paysage révèle plus facilement ses secrets depuis un promontoire ou un belvédère, ce qui lui fait préférer les vues panoramiques, les vastes espaces et les horizons vertigineux. Dans Un balcon en forêt (1958), dès les premières pages du livre, le personnage principal s’arrête un instant sur un point haut aménagé au bord de la route en lacets pour regarder le paysage de la vallée en contrebas :

« De là le regard effleurait le sommet du versant d’en face, un peu moins élevé ; on voyait les bois courir jusqu’à l’horizon, rêches et hersés comme une peau de loup, vastes comme un ciel d’orage. A ses pieds, on avait la Meuse étroite et molle, engluée sur ses fonds par la distance, et Moriarmé terrée au creux de l’énorme conque de forêts comme le fourmilion au fond de son entonnoir. La ville était faite de trois rues convexes qui suivaient le cintre du méandre et couraient étagées au-dessus de la Meuse à la manière des courbes de niveau ; entre la rue la plus basse et la rivière, un pâté de maisons avait sauté, laissant un carré vide que rayait sous le soleil oblique un stylet sec de cadran solaire : la place de l’église. Le paysage tout entier lisible, avec ses amples masses d’ombre et sa coulée de prairies nues, avait une clarté sèche et militaire, une beauté presque géodésique (…) »

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Un abécédaire géolittéraire (1/26) : A comme Abécédaire

abecedaireLa littérature contemporaine aime les listes, témoignant ainsi de la fécondité des formes de l’abécédaire, du dictionnaire, du florilège et de l’inventaire. Un écrivain comme Gérard Genette, a consacré sa carrière professionnelle à l’étude de la théorie littéraire, notamment le sens du discours et les aspects du langage. Mais il occupe désormais une partie de sa retraite à écrire des ouvrages à la fois savoureux et érudits qui prennent la forme d’abécédaires où l’émotion le dispute à la clairvoyance. C’est ainsi qu’après Bardadrac (2006) ont suivi Codicille (2009) et Apostille (2012). Dans ces trois livres où l’auteur regarde avec humour et tendresse son passé, la géographie n’est pas négligée. Accordant une place importante à son goût des villes et des rivières, aux lacs et aux ponts, aux Etats-Unis et à la France, à ses rêveries géographiques, Gérard Genette révèle une inclination géographique évidente en  même temps qu’un regard capable d’analyser l’espace avec lucidité.

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Remonter une rivière (3/3) : la Marne de Jean-Paul Kauffmann

remonter-la-marneAvec 525 kilomètres, la Marne est la plus longue rivière française, traçant un arc de cercle depuis sa confluence avec la Seine à Charenton-le-Pont jusqu’à sa source sur le plateau de Langres. Cependant, elle occupe une place restreinte dans la mémoire nationale, même si elle est associée à une bataille décisive de la Grande Guerre, celle du sursaut de septembre 1914. C’est pourtant cette rivière que Jean-Paul Kauffmann a choisi de remonter à pied tout au long de son parcours, pour procéder à un inventaire personnel du pays auquel il est attaché par une relation de « dépendance psychique et physique », cette France qui l’a façonné par son histoire, sa littérature, sa langue, ses églises et ses paysages. Lui qui est né dans un village des marches de la Bretagne revendique « un fort tropisme de l’Est »,  probablement dû à ses lointaines origines alsaciennes, et son choix d’un périple marnais au sein d’un territoire largement méconnu ne résulte sans doute pas du seul concours des circonstances mais peut-être aussi d’une aspiration inconsciente à arpenter une sorte de territoire des origines. D’ailleurs, la question de suivre la Marne vers l’aval ou vers l’amont ne s’est pas posée, la remontée de la rivière vers sa source s’est imposée naturellement, comme pour aller vers la vie et la renaissance. De cette expérience qui a duré un mois et demi, à la fin d’un été et au début d’un bel automne, est né un livre-quête[i] tout en retenue, laissant s’échapper parfois quelques fulgurances pour mieux rendre compte du génie des lieux mais aussi de l’ambiguïté des choses et des êtres.

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Remonter une rivière (2/3) : l’Evre de Julien Gracq

Les Eaux étroites développent une thématique simple : l’évocation d’un site associé aux enchantements de l’enfance, la remontée d’une petite rivière à proximité du bourg natal. Il s’agit d’une sorte d’exploration, longtemps après, de lieux d’enfance privilégiés le long d’un « chemin d’eau », en l’occurrence l’Evre, « petit affluent inconnu de la Loire qui débouche à quinze cents mètres de Saint-Florent ». L’écriture des Eaux étroites – huit fragments rédigés à des moments rapprochés en 1973 – puise uniquement dans la mémoire, sans aucune nostalgie, cherchant seulement à décrire le paysage remémoré avec la plus grande précision possible.

Barques le long de l’Evre

Barques le long de l’Evre

L’auteur « se promène » dans une barque sur la rivière et, lorsque la berge s’élève, il n’aperçoit plus devant lui que le plan d’eau étroit. Bien sûr, à l’occasion de l’élargissement de la vallée, il remarque un château ou une chapelle, la pente des coteaux ou encore la falaise boisée, mais les paysages parcourus sont surtout aquatiques avec leurs bordures de roselières ou d’herbes noires. Cet itinéraire-rêverie ne concerne qu’une petite partie de la vallée de l’Evre, la seule navigable, entre le pont-barrage du Marillais, situé tout près de la confluence avec la Loire, et le moulin à eau de Coulaines un peu plus en amont. Dans la réalité géographique, l’Evre déroule ses méandres encaissés sur quelque quatre-vingt-dix kilomètres dans la région des Mauges. Mais pour Gracq, « l’Evre, comme certains fleuves fabuleux de l’ancienne Afrique, n’avait ni source ni embouchure qu’on pût visiter. Du côté de la Loire, un barrage noyé (…) empêche de remonter la rivière à partir du fleuve (…). Vers l’amont, à cinq ou six kilomètres, un barrage de moulin, à Coulènes, interdit aux barques de remonter plus en avant. » L’émoi poétique des promenades enfantines de Gracq le long de l’Evre sort renforcé de cette concentration géographique d’une rivière réduite à un bief très court, déconnecté de ses prolongements fluviaux et, de plus, encadré par des versants pentus voire abrupts. Le lecteur-géographe, habitué à regarder des paysages en les resituant dans des espaces de dimensions variables, associe la puissance d’imaginaire des lieux évoqués par l’écrivain et l’acuité d’une vision géographique qui intègre les profils longitudinal et transversal de la rivière.

L’itinéraire remémoré fait défiler des paysages – comme un « diorama » pour reprendre le terme de Gracq – avec des lieux privilégiés marquant des étapes, des « stations jalonnant le chemin d’eau élu de l’enfance ». Tout d’abord, le point de départ, le pont-barrage du Marillais quand « on s’embarquait (…) au bas d’un escalier de planches qui dégringolait la haute berge glaiseuse ». Puis le passage en vue de la ferme de la Jolivière, seul point de tout le trajet « où un témoin désenchantant de la terre cultivée fût un instant en vue ». Vient ensuite l’endroit où « la rivière se resserre et se calibre » et qui précède de peu le bateau-lavoir et le manoir de la Guérinière. Bientôt, survient le véritable clou de la promenade de l’Evre, l’écaille de la Roche qui boit, détachée en avant de la falaise boisée. Enfin, la gorge devient une vallée simplement étroite et encaissée jusqu’au barrage d’amont marquant la fin du bief navigable. Un lecteur doté d’une culture géographique peut enrichir la lecture des Eaux étroites grâce à sa connaissance  d’un vocabulaire particulier, grâce  surtout à des attitudes et des curiosités qui lui sont propres, autrement dit une certaine manière d’être sensible au monde.

L’Evre près de son confluent avec la Loire, point de départ des promenades de Julien Gracq sur les « eaux étroites »

L’Evre près de son confluent avec la Loire, point de départ des promenades de Julien Gracq sur les « eaux étroites »

Si Les eaux étroites décrivent la promenade sur l’Evre, la promenade de l’enfance entre toutes préférée, les images qui se succèdent devant la barque ne forment pas un continuum géographique car elles sont disjointes par des réflexions et des digressions sur des écrivains, des lectures et des tableaux qui servent de supports à une rêverie associative. Le récit esquisse une théorie de la rêverie par l’intermédiaire des sensations, le passage constant du réel à la littérature contribue à sonder le fonctionnement de l’imaginaire. Face aux pouvoirs de la rêverie  le regard géographique apparaît peu utile et même désarmé. Ainsi, nous pensons qu’un autre livre de Gracq, La forme d’une ville, qui, pourtant, prolonge le jeu de la mémoire écrite commencé avec Les eaux étroites, se prête bien mieux au filtre de l’esprit géographique.

Essayons tout de même d’explorer le versant de la rêverie associative dans Les eaux étroites. Le spectacle du monde de la rivière sollicite tous les sens. D’abord la vue, bien sûr, sensible à « la variété miniaturiste des paysages que longe le cours sinueux » de l’Evre ainsi qu’ « aux accidents de l’ombre et de la lumière ». Mais aussi l’ouïe : « L’oreille, non moins que l’œil, recueille les changements qu’apporte presque chaque méandre ». Gracq souligne que « les bruits qui voyagent sur l’eau, et qu’elle porte si loin » lui ont été familiers de bonne heure. Tous ces bruits s’associent naturellement à l’élément liquide avec la « résonance creuse que leur prêtait la vallée captivée par son ruban d’eau dormante. » Le géographe sait bien qu’il n’existe pas de paysage indépendamment du regard porté sur une portion de l’espace terrestre et que la dimension subjective du paysage n’est pas seulement liée au regard de l’observateur mais également aux autres sens de celui-ci.

Les « eaux étroites » de l’Evre

Les « eaux étroites » de l’Evre

Dans Les eaux étroites le défilé des paysages s’organise en voyage initiatique. Un voyage rythmé avec ses moments de calme et de lenteur quand la barque n’avance presque pas, et ses moments de glisse plus rapide lorsque l’esquif semble comme attiré. Le voyage initiatique commence naturellement par des rites préliminaires : « Aller sur l’Evre se trouvait ainsi lié à un cérémonial assez exigeant… »,  et il suppose la séparation d’avec le monde du quotidien pour entrer dans le monde de l’autre vie : « Presque tous les rituels d’initiation, si modeste qu’en soit l’objet, comportent le franchissement d’un couloir obscur, et il y a dans la promenade de l’Evre un moment ingrat où l’attention se détourne, et où le regard se fait plus distrait. »

Au-delà de la puissance des symboles – le fil de l’eau, la barque, les heures du jour, les âges de la vie – chaque lieu de la promenade aquatique suggère des images par le biais de la rêverie. Pourquoi suis-je devenu cet écrivain ? semble dire Gracq. Les eaux de l’Evre apparaissent comme la métaphore de la création littéraire. La rêverie associative est analysée avec précision : « Mon esprit est ainsi fait qu’il est sans résistance devant ces agrégats de rencontre, ces précipités adhésifs que le choc d’une image préférée condense autour d’elle anarchiquement ; bizarres stéréotypes poétiques qui coagulent dans notre imagination, autour d’une vision d’enfance, pêle-mêle des fragments de poésie, de peinture ou de musique. » Ainsi sont convoqués tour à tour, Edgar Poe, Nerval, Rimbaud, Balzac, Alain-Fournier, Jules Verne, mais aussi Vermeer, Titien et la peinture chinoise. « Aucune peinture autant que la peinture chinoise – et particulièrement celle des paysagistes de l’époque Song – n’a été hantée par le thème pourtant restreint de la barque solitaire qui remonte une gorge boisée. Le charme toujours vif qui s’attache à une telle image tient sans doute au contraste entre l’idée d’escalade, ou en tout cas d’effort physique rude et de cheminement pénible, qu’évoque la raideur des versants, et la planitude, la facilité irréelle du chemin d’eau qui se glisse indéfiniment entre les à-pics : le sentiment de jubilation qui naît, dans l’esprit du rêveur, de la solution incroyablement facile des contradictions propre au rêve, s’ancre ici concrètement dans la réalité. »

Peinture chinoise de l’époque Song

Peinture chinoise de l’époque Song

 Mais c’est sans doute l’œuvre d’Edgar Poe  qui, pour Gracq révèle le mieux les vertus de la rêverie associative : « Je parle d’Edgar Poe et voici qu’il ne va plus guère me quitter tout au long de cette excursion tant de fois recommencée… ». Le domaine d’Arnheim, nouvelle publiée en 1847, apparaît même comme la préfiguration imaginaire de la promenade sur l’Evre avec sa route d’eau et sa végétation luxuriante ; Edgar Poe écrit : « Pendant quelques heures, on filait à travers les méandres de ce canal, l’obscurité augmentant d’instant en instant, quand tout à coup, la barque, subissant un brusque détour, se trouvait  jetée comme si elle était tombée du ciel, dans un  bassin circulaire d’une étendue très considérable, comparée à la largeur de la gorge. »

 En analysant le fonctionnement de son imaginaire, Gracq distingue deux types de rêverie : la « rêverie fascinée » conduisant « vers ces régions frontières où l’esprit se laisse engluer par le monde… », et la « rêverie ascensionnelle » tendant « vers la totale liberté d’association qui remet sans trêve dans le jeu les significations et les images… ». Ces formes de rêverie  expliquent le tropisme de Gracq pour « certains confins endormis de la Terre », pour les « ravins ingrats de la lande occidentale », pour les « friches sans âge et sans chemin » : « le sentiment de sa liberté vraie n’est jamais entièrement séparable pour moi de celui de terrain vague ». L’œuvre de Julien Gracq est une littérature des confins – régions-frontières, régions marginales, d’avant-postes -, ce que le géographe appelle des discontinuités spatiales formées par le contact de deux ensembles spatiaux différenciés. Cette littérature des confins correspond certainement à une inclination personnelle mais celle-ci a été accentuée par une formation universitaire et des lectures géographiques et historiques.

Daniel Oster

 

Remonter une rivière (1/3) : le Faou de Philippe Le Guillou

L’intimité de la rivière de Philippe Le Guillou, petit livre paru en 2011, file la métaphore de la remontée d’une rivière (modeste) pour évoquer la plénitude de l’enfance, la superposition des souvenirs et la naissance d’une vocation d’écrivain tandis qu’une imprégnation paysagère constante sous-tend une véritable initiation géographique.

Avec L’intimité de la rivière, Philippe Le Guillou se réapproprie les lieux de son enfance bretonne à travers une promenade-rêverie qui célèbre les sortilèges d’un territoire-monde propice à l’enchantement. Ce court récit – moins de cent  pages – reprend le thème d’un roman précédent, Les marées du Faou, écrit dix ans auparavant, qui lui aussi met en scène un narrateur arrivé à l’âge de maturité et revisitant les lieux de son enfance. L’intimité de la rivière apparaît comme un écho de ce roman, plus intime, ayant perdu toute visée sociologique, pour se consacrer uniquement à l’écrivain-promeneur immergé dans la nature qui a éveillé sa vocation d’écriture. Cette réplique épurée correspond sans doute à la nécessité irrépressible d’un retour aux sources, d’une plongée dans l’environnement spatio-temporel fondateur d’une existence. Profondément inscrit dans l’espace, ce récit relève d’un véritable exercice d’ « autobio-géographie » pour reprendre le mot de Michel Collot.

Le village du Faou au fond de la ria avec son église et son pont

Le village du Faou au fond de la ria avec son église et son pont

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Archives – Littérature

Retrouvez toutes les archives de la rubrique Littérature, à consulter et télécharger au format PDF.

Tonoharu (Lars Martinson), Bénédicte Auvray, 19 mars 2013
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Julien Gracq,  un écrivain-géographe (post-scriptum) : les « photographies recomposées » de Gérard Bertrand, Daniel Oster, 19 janvier 2013
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Julien Gracq, un écrivain-géographe (3/3) : mutations et organisation de l’espace, Daniel Oster, 6 janvier 2013
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Julien Gracq, un écrivain-géographe (2/3) : une géographie sentimentale, Daniel Oster, 9 décembre 2012
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Julien Gracq, un écrivain-géographe (1/3) : des mots et des paysages, Daniel Oster, 18 novembre 2012
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