Voyage en Ecosse (juin 2018)

Outre ses lochs, ses châteaux et son whisky, l’Ecosse a beaucoup à apprendre au voyageur géographe en matière de transformation urbaine et d’aspirations identitaires, ce que nous avons essayé d’appréhender en quelques jours.

Que redoute un Français voyageant au Royaume-Uni ? Subir la pluie et mal manger. Or les parapluies sont restés au fond du sac et les produits locaux (poissons et agneau) ont satisfait les gourmands. Nous étions donc dans les meilleures conditions pour apprécier nos visites.

  • Edimbourg

Le site, l’architecture et les jardins font d’Edimbourg une métropole européenne, originale et attachante (les très nombreux touristes attestent de cet intérêt).

Construite sur des collines volcaniques érigées à l’ère tertiaire, Edimbourg offre des dénivelés conséquents au promeneur. La ville est divisée par une zone d’effondrement creusée par les glaciers du quaternaire dans les roches tendres qui entouraient les blocs de basalte. Au Sud, Old town s’est étendue au pied de son château dont les premières constructions remontent au XIème siècle. Elle a gardé sa structure médiévale avec ses ruelles (« closes ») qui descendent de la colline, mais beaucoup de bâtiments ont été reconstruits ultérieurement. La surpopulation est telle au milieu du XVIIIème siècle qu’il faut envisager un nouvel urbanisme au Nord du fossé, New town, ce qu’a réalisé James Craig. La « ville nouvelle » a un plan ordonné par de larges rues perpendiculaires et d’élégantes places.

(suite…)

Rencontres en prison

Je suis allée en prison… de mon plein gré… et pendant quelques heures. Il n’est donc pas question ici de faire une analyse, ni même de donner un avis motivé sur l’univers carcéral. Des sociologues, psychologues et même géographes ont fait ce travail (voir la belle thèse d’Olivier Milhaud publiée chez CNRS Editions en 2017, Séparer et punir. Géographie des prisons françaises). Le but de ce petit texte est de transmettre quelques impressions ressenties lors d’une rencontre avec des détenues dans le cadre d’une expérience culturelle qu’elles ont suivie pendant un an. La prison, c’est certainement le surpeuplement, la promiscuité, des conditions matérielles et psychologiques souvent dégradantes, mais ce peut être aussi autre chose.

Le centre de détention de Réau est situé non loin d’une autoroute, au voisinage d’une banlieue banale de Seine et Marne. De loin on pourrait le prendre pour un centre de vacances avec ses bâtiments de moyenne hauteur, aux murs jaunes, enserrant des cours intérieures. Le bâtiment est récent (il a été inauguré par le président Sarkozy) ; aussi ne souffre-t-il pas de la vétusté de la plupart des prisons françaises.

Réau comprend une centrale pour les hommes condamnés à de longues peines et une partie réservée aux femmes qui y purgent de longues ou courtes peines (le faible pourcentage des femmes dans la population carcérale ne justifie pas de faire la distinction).

La coordinatrice culturelle qui introduit notre petit groupe à l’intérieur des murs, explique rapidement quelles sont les activités offertes aux détenu.e.s pour faciliter leur réinsertion future. Formations professionnelles et cours dispensés par l’Education nationale permettent à des gens dont le niveau varie de l’analphabète au doctorant d’acquérir un diplôme à leur sortie. Plusieurs activités culturelles (théâtre, arts plastiques…) sont aussi proposées. Seule une minorité souhaite y participer, mais, ici comme « au-dehors », la proportion des femmes est trois fois supérieure à celle des hommes.

Nous ne sommes pas à Réau pour suivre une conférence sur le monde pénitentiaire, ni pour faire une visite guidée, mais pour rencontrer des femmes, non parce qu’elles sont prisonnières mais parce qu’elles ont sculpté la terre pendant un an pour exprimer leurs émotions et que leurs réalisations sont exposées au cœur de la prison. L’artiste Marion Lachaise, plasticienne et vidéaste, a guidé ce travail et fait une vidéo, Antiportraits à Réau (2017), dans laquelle images et voix se combinent pour laisser entrevoir les personnalités des huit femmes qui ont participé à l’expérience. Leur parole accompagne la projection de leurs créations sur lesquelles se superposent un œil, un sourire, le coin d’une joue.

(suite…)

La pax sinisensa

Le mercredi 29 novembre 2017, s’est tenu à la Maison de la Mutualité un colloque intitulé « Les Nouvelles Routes de la Soie ». Il était organisé par l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) et l’Ambassade de Chine. Le petit texte ci-dessous n’est pas un compte rendu des communications qui y ont été données, mais une réaction subjective à quelques propos entendus.

Détail d’une carte nautique catalane représentant l’Asie du XIIIe siècle, Majorque, 1375, Bibliothèque Nationale de France, Paris (www.lemonde.fr)

Les villes historiques de Mésopotamie sont détruites  les unes après les autres par des bombes, des massacres ethniques ravagent le sud-Soudan, la menace nucléaire est régulièrement brandie par la Corée du Nord….Face au chaos du monde, l’ONU n’émet que quelques timides recommandations et les objurgations des Grandes Puissances restent vaines. Faut-il désespérer ?

Non. Une solution existe. C’est le « remède chinois ». Après la  Pax romana, limitée au monde méditerranéen, et la  Pax americana  qui voulut imposer un ordre mondial à son profit,  la  Pax sinisensa  va rééquilibrer la mondialisation économique, défendre le multilatéralisme et construire les infrastructures dont le manque est un « piège à pauvreté ». Quelques grands principes chinois encadrent ce beau programme dont le « dialogue politique », l’« esprit de construction », le « gagnant-gagnant », la « consultation »…L’ « esprit inclusif » (savoir dialoguer) des Chinois devrait rassurer tous ceux qui émettraient  quelques inquiétudes à l’encontre des intentions chinoises.

(suite…)

Le castor dans tous ses territoires ! Du Canada au ruisseau d’à côté 

A l’occasion du Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges, Rémi Luglia, historien, membre associé du Centre de Recherche d’histoire quantitative à l’Université de Caen-Normandie et Rémy Marion, photographe, naturaliste, spécialiste des régions polaires nous ont proposé un café exceptionnel à la Cabane au Darou, lieu parfaitement adapté pour l’occasion, samedi 30 septembre 2017 : « Le castor dans tous ses territoires ! Du Canada au ruisseau d’à côté »

Les deux intervenants alternent dans la présentation d’un animal dont l’histoire est liée à la nôtre et dont le capital de sympathie auprès des humains a varié selon les époques.

Une longue histoire de relations  avec les hommes

Deux cartes d’Europe permettent de comparer la présence des castors (castor fiber) au XIIème et à la fin du XIXème siècle. Très nombreux au cœur du Moyen Age, ils ne sont plus que quelques centaines, voire quelques dizaines d’individus à l’aube du XXème siècle, trop appréciés pour leur fourrure brillante et leurs propriétés dans la fabrication des parfums.

Au Canada, la tranquillité du castor (castor canadensis) a été fortement perturbée par la conquête européenne. A la fin du XVIème siècle, le vieux continent est un gros consommateur de sa fourrure brillante pour ses vêtements et surtout ses chapeaux de feutre. S’établit alors un gros trafic de pelleteries entre France et Nouvelle-France. Mais les autorités royales françaises ne comprennent pas toutes les potentialités de ce commerce et c’est à deux Anglais que revient la création de la Cie des Aventuriers. Expéditions consacrées aux fourrures et exploration du Canada vont alors de concert. La Cie de la Baie d’Hudson, fondée par le Prince Rupert fait fortune grâce aux peaux de castors exportées en Europe à partir de la Baie d’Hudson, et 40% du Canada échappe à la France.

Les Anglais se procurent les peaux en faisant du troc avec les autochtones dans les pourvoiries. Rapidement le castor devient une monnaie d’échanges (par exemple on achète deux peaux d’ours avec dix peaux de castor), ce qui traduit sa place prépondérante dans le commerce colonial.

(suite…)

Les animaux comme symboles nationaux en Afrique : quels enjeux ?

 A l’occasion du Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges, Catherine Fournet-Guérin, professeure à l’université Paris-Sorbonne (Paris IV) nous a proposé un café sur le thème « territoires humains, mondes animaux » au bar 1507 dimanche 1er octobre 2017 : « Les animaux comme symboles nationaux en Afrique : quels enjeux ? »

Les animaux ont été choisis comme emblèmes nationaux par de nombreux Etats africains pour leurs liens avec le territoire ou leur symbolique. Quelle est la signification de ces choix ? Quelle lecture peut-on en faire en termes de géographie politique ?

  1. Etat des lieux : quels sont les animaux nationaux et où les trouve-t-on ?

Après les indépendances, beaucoup d’Etats ont choisi comme symbole national un animal valorisant la force, la vigueur, l’énergie, surtout des mammifères (lions, éléphants, panthères, léopards, antilopes, hippopotames, cheval) mais aussi des oiseaux de proie (aigle) ;

Peu de contre-exemples en-dehors du dauphin aux Seychelles et du Dodo à Maurice (animal disparu à la fin du XVIe siècle, que sa réputation de stupidité ne valorise pas) : cas original de choix d’un animal peu valorisé et incarnant la prédation humaine.

On ne retrouve ce choix d’animal exaltant la puissance ni en Amérique du Sud, ni en Asie à l’exception de l’Inde et de la Chine.

Présents sur armoiries, drapeaux, billets de banque, timbres…ces animaux sont largement utilisés par les équipes nationales de sport (les plus connus étant sans doute les Springboks, rugbymen d’Afrique du Sud). Là aussi il y a une surreprésentation des équipes africaines dans l’adoption d’un nom ou d’un surnom animalier, au niveau mondial.

(suite…)

Comment faire cohabiter hommes et requins à l’île de La Réunion ?

A l’occasion du Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges édition 2017, François Taglioni, professeur à l’université de La Réunion, et Emmanuelle Surmont, doctorante à l’université Bordeaux-Montaigne, ont tenté de répondre à une question sensible devant un public nombreux venu les écouter au bar Thiers ce vendredi 29 septembre 2017 : « Comment faire cohabiter hommes et requins à l’île de La Réunion ? »

Depuis 2011, les attaques de requins sont plus fréquentes sur les côtes américaines et australiennes, mais c’est l’île de La Réunion, et particulièrement sa côte ouest, qui est relativement la plus concernée.

Pour essayer de comprendre ce phénomène, François Taglioni a constitué une base de données sur ces attaques afin d’analyser les variables environnementales, contextuelles et individuelles du jour des attaques. Certes le moustique reste l‘animal le plus dangereux pour l’homme, mais le taux de mortalité qui découle des attaques de requins (sur les 24 intervenues entre 2011 et 2017, 40% ont été mortelles) inquiète la population. Surtout que le nombre de personnes à risque est bien plus élevé face à l’aléa piqure de moustique que morsure de requin.

La zone dans laquelle se concentrent les attaques, correspond à celle des activités balnéaires. Les sports de glisse sont les premiers concernés, mais il n’y a aucune relation entre la forme de la planche du surfeur et les attaques (la planche, plus longue, du surfeur constitue, au contraire une protection plus efficace que celle du bodyboarder). Les attaques par le requin-bouledogue, causant les blessures les plus délétères, sont la principale raison de cette surmortalité à La Réunion.

(suite…)

Jérusalem et ses frontières

Compte rendu du Café géo du 25 avril 2017 au Café de Flore (Paris)
Intervenant : Emmanuel Ruben

Modérateur : Daniel Oster

Emmanuel Ruben, normalien, est géographe de formation, mais après une courte période d’enseignement en banlieue parisienne, il décide de se consacrer à une œuvre littéraire ainsi qu’à un travail de dessinateur et d’aquarelliste. Obsédé par le thème des frontières, il a vécu dans un certain nombre de villes-frontières comme Istanbul, Riga, Kiev et Novi Sad. Et il a séjourné deux fois à Jérusalem en 2010 et 2014. De cette expérience il a tiré un ouvrage Jérusalem terrestre (Editions Inculte, 2015), support privilégié de ce Café géo.

Comment votre rapport à la géographie a-t-il évolué à travers vos livres ? Comment expliquer le choix de Yalta dans votre premier roman, Halte à Yalta (2010) ?

E. Ruben rappelle le caractère mythique du lieu où aurait été décidé le partage de l’Europe, sujet correspondant à son intérêt pour les frontières. Il rappelle que Khrouchtchev a fait « cadeau » de la Crimée à l’Ukraine en 1954. Pour un géographe romancier, il est aussi intéressant de rappeler l’espoir déçu de Julien Gracq qui voulait faire une thèse de géomorphologie sur la Crimée.

 Dans La ligne des glaces, roman publié en 2014, vous écrivez une sorte de fable géopoétique sur l’infini des frontières, située dans un archipel de la Baltique. Le héros doit en cartographier la frontière maritime. Quel est le rapport entre géographie et fiction ?

Le pays imaginaire (« La Grande Baronnie ») est une synthèse des trois pays baltes. Il représente un futur dystopique de ce que pourrait devenir l’Union européenne dans un contexte de confrontation à la Russie.

Et dans Icecolor (2014) ?

Dans ce texte consacré à l’artiste danois Per Kirkeby, peintre et géologue de formation, E. Ruben a voulu montrer que, dans sa tentative de déchiffrage géopoétique du Grand Nord, il faisait des tableaux stratigraphiques.

Dans Les ruines de la carte (2015), quelle relation explorez-vous entre le pouvoir imaginaire des cartes et la fiction ?

La fascination d’E. Ruben pour les cartes trouve un écho dans sa passion pour des peintres ou des écrivains.

Le livre part d’une réflexion sur la carte représentée au fond du tableau de Vermeer L’art de la peinture. Il y élabore une théorie qu’on peut rapprocher de celle de Borges dans L’art de la cartographie. Le Gréco a aussi suscité son intérêt avec Vue et plan de Tolède (1610-1614) où le peintre juxtapose carte et paysage.

(suite…)

Gentrifications

Compte-rendu du Café du 28 mars 2017 au Flore

La soirée commence par un hommage à Matthieu Giroud assassiné au Bataclan le 13 novembre 2015,  à 38 ans. Ce jeune géographe avait consacré son travail de chercheur aux mobilités urbaines, notamment aux formes de résistance ordinaire à la gentrification. Dans son ouvrage Villes contestées. Pour une géographie critique de l’urbain, publié avec Cécile Gintrac en 2014, il se montrait soucieux d’une géographie engagée.

Il a été l’un des principaux animateurs de l’ouvrage Gentrifications (Ed Amsterdam, 2016), travail collectif auquel ont participé nos deux intervenants de la soirée. Lydie Launay et Hovig Ter Minassian rappellent les nombreuses discussions préparatoires à sa rédaction, animées par le souci de mélanger les disciplines (sociologie, géographie, sciences politiques), de croiser les regards, les terrains (Paris, Lyon, Londres, Barcelone, Sheffield, Lisbonne), et les méthodes d’enquête.

On peut définir la « gentrification » comme le processus socio-spatial de transformation globale des quartiers populaires anciens. L’aspiration d’une catégorie sociale moyenne/moyenne supérieure à vivre dans un quartier populaire amène une mutation globale de l’habitat, une nouvelle utilisation des espaces collectifs et une montée en gamme des commerces.

On peut aussi approcher le phénomène selon une logique capitalistique. Investir dans un quartier peu cher est une opportunité pour les promoteurs et les petits propriétaires.

Comment justifier le pluriel de Gentrifications ?

L’ouvrage avait pour objectif de prendre de la distance avec les descriptions désormais classiques mais très mécanistes de la gentrification (une première étape d’arrivée des « pionniers », une deuxième étape de généralisation des gentrifieurs, une troisième étape de basculement). L Launay et H Ter Minassian insistent sur la diversité des contextes et des processus, accélérés ou ralentis, sur la distinction des acteurs, publics ou privés, sur la mobilité des gentrifieurs dont certains souhaitent se retirer au bout d’un certain temps, pouvant ainsi provoquer l’effondrement des prix immobiliers.

(suite…)

Paris Haussmann. Modèle de ville

Exposition du 31 janvier 2017 au 7 mai 2017
Paris, Pavillon de l’Arsenal

 

L’Arsenal ne présente pas une énième exposition sur l’histoire de l’urbanisme parisien ni sur les travaux du célèbre préfet qui donnèrent un cadre prestigieux à la « fête impériale ». Rien de pittoresque ou d’immédiatement attractif. Pas de tableaux de Caillebotte sur le quartier Saint-Lazare, ni d’extraits du Pot-Bouille de Zola. C’est une présentation austère de quelques archives mais surtout de dessins d’architectes et de plans accompagnés de photos contemporaines de grandes perspectives et de façades d’immeubles.

Ce qui rend passionnante la visite, c’est la problématique choisie par les commissaires : les choix urbanistiques d’ Haussmann (préfet de la Seine de 1853 à 1870) constituent-ils des modèles pour la ville d’aujourd’hui et de demain ? Le titre prend alors tout son sens. Haussmann est-il un inspirateur pour les concepteurs de la smart city, équilibrée, globale et connectée ? Il semble que oui.

Qu’est-ce qu’une ville ? Un ensemble de pleins (le bâti) et de vides (voies, cours etparcs). C’est du rapport entre ces deux éléments que résultent son harmonie et le bien-être de ses habitants.

Quelle est l’originalité de Paris parmi les principales métropoles mondiales ? Sa densité : 20 000 hab/km². Quelques maquettes permettent la comparaison avec New-York, Londres, Brasilia, Amsterdam, Shangaï… , toutes moins denses. Pourtant cette forte densité est bien acceptée. Y vivre y est  moins oppressant que dans les espaces ponctués de tours et de de barres, moins denses.

(suite…)

Paysages et territoires du sel

Café de géo Paris, le 14 décembre 2016

Paysages et territoires du sel par Micheline Huvet-Martinet, Agrégée d’Histoire, Docteure ès Lettres, ex prof CPGE Lycée Claude Monet Paris. Ses thèmes de recherche initiaux ont porté sur le Faux-saunage en France sous l’Ancien Régime, élargis à la fiscalité et l’histoire du sel. Gildas Buron qui devait intervenir a malheureusement été empêché.

Michèle Vignaux  se charge d’ouvrir la séance en rappelant l’originalité du produit : vital, abondant dans la nature, devenu le condiment par excellence aux usages multiples, mais aussi  produit mythique à haute valeur symbolique très tôt associé au divin.

Le café de géo de ce jour  s’intéresse aux  différents paysages correspondant aux territoires actuels du sel. Il est rappelé le caractère indispensable mais surtout insubstituable du sel qui explique son poids dans les économies et les sociétés pré-industrielles quand  la chaîne du froid n’était pas maîtrisée. Le sel, là où il existe, a été un facteur d’appropriation d’espaces devenus des territoires identifiables, structurés par des sociétés organisées autour de sa recherche, sa production, sa transformation, son raffinage, son conditionnement, son transport, sa distribution et son commerce. L’industrie du sel était dans les salines continentales une entreprise complexe et double, constituée à la fois  d’installations de surfaces et d’équipements souterrains. C’était une industrie  industrialisante générant de multiples activités et des emplois induits. Les salins littoraux ont été dévoreurs d’espaces qu’ils ont structurés tout en  organisant des sociétés humaines.

Or de nos jours, le sel est devenu un produit banal. En effet, au XIX°s  l’industrialisation, le développement du chemin de fer (qui libera la production de sel de sa dépendance millénaire à la mer en rompant l’isolement des salines continentales comme en Lorraine) et les concentrations capitalistes  (qui permirent de dégager des investissements pour moderniser la production) ont bouleversé les marchés nationaux et le marché international du sel provoquant la ruine tant de la saliculture du littoral atlantique européen (et même de certains salins méditerranéens) que des vieilles salines de l’Europe continentale (dans le Salzkammergut ou en Franche-Comté) ainsi que celle des mines de sel gemme (à Wieliczka en Pologne).

Le sel, produit recherché s’est totalement banalisé en devenant  abondant alors que dans le même temps ses usages se multipliaient et se différenciaient.  De ce fait, actuellement, on peut considérer qu’il existe assez peu de territoires du sel proprement dit au sens où le sel serait l’unique ressource créatrice des activités. En France le sel ne représente que 5000 emplois. Pourtant, les territoires du sel sont à l’origine de paysages spécifiques élaborés au cours des temps. Le sel continue à témoigner de son importance en s’imprimant dans la toponymie: Salins, Salies, Marsal, Lons-le-Saunier; Salzbourg, Salzkammergut… mais aussi avec sa racine Hall (halite nom du sel gemme  vient du grec Halos=sel) Hallstatt, Hallein, Schwäbish Halle.

(suite…)

« Page précédentePage suivante »