Untaking space, philosophie nomade, les écotopies aux Etats-Unis

Café géo du 4 mai 2017, avec Damien Delorme, professeur de Philosophie

Qu’est-ce que la philosophie nomade au travers de ce projet « Untaking space » ? Comment le fait pour un philosophe, de partir en voyage lui permet de penser l’espace ? Qu’est-ce que le voyage à vélo apprend au philosophe sur l’habitation de l’espace ?

Le voyage

Voyage de janvier à Aout 2016, tracer une ligne verte de Miami à Vancouver

Il lui a permis de faire la synthèse de 3 aspects, l’expérience du voyage à vélo, l’expérimentation pédagogique et la recherche en philosophie. Il a relié à vélo 30 écotopies. Ce sont des lieux en résistance avec le modèle dominant de développement économique et d’exploitation de la nature, qui inventent de nouvelles relations avec cette dernière. Ce sont, entre autres, des fermes urbaines, des fermes bios, des parcs naturels, des écovillages, des départements de philosophie de l’environnement.

Concept de philosophie nomade 

Voyager à vélo lui permet de philosopher, c’est une expérience existentielle, spirituelle et philosophique. Une « field-philosophy » qui passe par 4 aspects :

– une réincarnation : être dans le corps, et puis après verbaliser.

– une concrétisation : ne pas partir dans des abstractions, faire naitre des idées précises d’expériences précises.

– cela complexifie le rapport la réalité, fait émerger un pluralisme des opinions, et apprend à se méfier des généralités

– humilité :  le cycliste se retrouve en position de vulnérabilité, il devient réceptif à la sagesse, c’est une ouverture nouvelle

I- Le concept d’écotopies

Concept d’Ernest Callenbach issu de son roman Ecotopia (1976) : Le fait de désigner des lieux qui reprennent la question d’organiser la vie commune autour des questions écologiques. Replacer la question centrale de l’écologie sur la question d’habiter. On entend « utopie » dans écotopies, donc quelque chose qui ne pourrait pas se réaliser en apparence.

Mais en fait cela rouvre l’imaginaire politique, ainsi les écotopies sont des lieux où l’on invente. Si l’on revient à l’étymologie, on entend deux racines grecques, oikos qui est le domaine et topos qui le lieu.  Ainsi c’est aussi une interrogation profonde de ce qu’est habiter. L’habitation d’un territoire peut s’articuler sur des problèmes locaux, (stocker de l’eau, produire de la nourriture) et aussi une préoccupation qui comprend des préoccupations environnementales globale, afin d’inventer un nouveau modèle.

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Jérusalem et ses frontières

Compte rendu du Café géo du 25 avril 2017 au Café de Flore (Paris)
Intervenant : Emmanuel Ruben

Modérateur : Daniel Oster

Emmanuel Ruben, normalien, est géographe de formation, mais après une courte période d’enseignement en banlieue parisienne, il décide de se consacrer à une œuvre littéraire ainsi qu’à un travail de dessinateur et d’aquarelliste. Obsédé par le thème des frontières, il a vécu dans un certain nombre de villes-frontières comme Istanbul, Riga, Kiev et Novi Sad. Et il a séjourné deux fois à Jérusalem en 2010 et 2014. De cette expérience il a tiré un ouvrage Jérusalem terrestre (Editions Inculte, 2015), support privilégié de ce Café géo.

Comment votre rapport à la géographie a-t-il évolué à travers vos livres ? Comment expliquer le choix de Yalta dans votre premier roman, Halte à Yalta (2010) ?

E. Ruben rappelle le caractère mythique du lieu où aurait été décidé le partage de l’Europe, sujet correspondant à son intérêt pour les frontières. Il rappelle que Khrouchtchev a fait « cadeau » de la Crimée à l’Ukraine en 1954. Pour un géographe romancier, il est aussi intéressant de rappeler l’espoir déçu de Julien Gracq qui voulait faire une thèse de géomorphologie sur la Crimée.

 Dans La ligne des glaces, roman publié en 2014, vous écrivez une sorte de fable géopoétique sur l’infini des frontières, située dans un archipel de la Baltique. Le héros doit en cartographier la frontière maritime. Quel est le rapport entre géographie et fiction ?

Le pays imaginaire (« La Grande Baronnie ») est une synthèse des trois pays baltes. Il représente un futur dystopique de ce que pourrait devenir l’Union européenne dans un contexte de confrontation à la Russie.

Et dans Icecolor (2014) ?

Dans ce texte consacré à l’artiste danois Per Kirkeby, peintre et géologue de formation, E. Ruben a voulu montrer que, dans sa tentative de déchiffrage géopoétique du Grand Nord, il faisait des tableaux stratigraphiques.

Dans Les ruines de la carte (2015), quelle relation explorez-vous entre le pouvoir imaginaire des cartes et la fiction ?

La fascination d’E. Ruben pour les cartes trouve un écho dans sa passion pour des peintres ou des écrivains.

Le livre part d’une réflexion sur la carte représentée au fond du tableau de Vermeer L’art de la peinture. Il y élabore une théorie qu’on peut rapprocher de celle de Borges dans L’art de la cartographie. Le Gréco a aussi suscité son intérêt avec Vue et plan de Tolède (1610-1614) où le peintre juxtapose carte et paysage.

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Hyper-lieux, les nouvelles géographies de la mondialisation

Les Cafés Géo de Lyon accueillent le 5 avril 2017 Michel Lussault, professeur de géographie et d’études urbaines à l’ENS de Lyon, chercheur à l’UMR 5600 Environnement Ville Société, directeur de l’Institut français de l’Éducation. Les quatre livres L’homme spatial, De la lutte des classes à la lutte des places, L’avènement du monde et Hyper-lieux doivent être lus ensemble. Hyper-lieux clôt ce cycle. Ces livres s’inscrivent dans la continuité d’un colloque co-organisé avec J. Lévy sur les « Logiques de l’espace, esprit des lieux. Géographies à Cerisy », dont les actes ont été publiés en 2000.

Deux fils directeurs irriguent ces travaux :

  • La volonté de comprendre la mondialisation sans la réduire à la globalisation économique. Il ne s’agit pas de nier la globalisation économique. La mondialisation est rattachée à l’urbanisation généralisée du monde avec des conséquences sur l’espace et sur l’individu. Les hyper-lieux sont des « prises » de la mondialisation : la mondialisation s’y met en jeu, en scène, en exergue.
  • L’individu comme acteur spatial. L’individu agit avec l’espace, quand les sociétés organisent leur espace. Le point de départ est donc des individus à l’épreuve de l’espace. Exister c’est régler les problèmes que l’espace nous pose, dans les traces de Perec (« vivre c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner»). L’accent est souvent mis sur le temps qui nous contraint en tant qu’être fini, mais il s’agit ici de mettre la lumière sur notre relation à l’espace.

Comprendre un individu passe par la manière d’organiser son espace de vie au quotidien, qui se heurte à trois types d’épreuves.

  • La première épreuve est la distance. Tout individu doit régler au quotidien doit régler ses rapports de distance avec autrui, les objets et les non-humains. Le cinéma burlesque trouve un de ses ressorts comique dans la tension entre proche et lointain : le mauvais rapport de distance entraîne un comique de situation.
  • La deuxième épreuve spatiale est l’épreuve du placement. Ne pas savoir se placer a pu poser par exemple des problèmes de bienséance, qui est étymologiquement l’art de bien se tenir assis.
  • La troisième épreuve spatiale est le franchissement : il s’agit de savoir traverser les seuils, les sas, les frontières…

Pour un migrant, ces trois épreuves, dans les espaces publics et privés, peuvent permettre d’assurer la survie.

Hyper-lieux prend naissance dans une perplexité, ressentie à différentes lectures.

  • Dans le monde est plat, Thomas Friedman étudie des vecteurs d’aplatissement du monde, c’est-à-dire d’une standardisation ou d’une homogénéisation du monde. Or la géographie étudie la différenciation spatiale.
  • De plus, Zygmunt Bauman a théorisé la société liquide : tout circule tout le temps, tout coule, plus rien ne s’arrête, c’est une société sans ancrage, l’espace disparaît, la matière s’efface, la prise matérielle n’est plus là. Pourtant, les géographes voient que les rugosités n’ont pas disparu.
  • Marc Augé dans Non-lieux montre que les espaces fonctionnels liés à la nécessité de la mondialisation se multiplient, mais sans authenticité de l’expérience humaine : il en fait des espaces d’aliénation, en opposition à la demeure ou à la maison (le lieu anthropologique). Comme exemples de non-lieux, il cite les gares, les aéroports, les grands centres commerciaux : l’expérience est alors uniquement fonctionnelle.

Et si le non-lieu était en fait un « lieu mal observé » ? Le processus d’homogénéisation existe : il y a une tendance à la standardisation. Mais un travail de terrain montre un regain d’importance des individus dans l’expérience au lieu. La standardisation n’est pas aussi claire : le rapport au lieu des individus n’a peut-être jamais aussi été important.

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Les États-Unis, espaces de la puissance, espaces en crises

Six mois après la parution de leur Atlas des États-Unis. Un colosse aux pieds d’argile [https://www.autrement.com/ouvrage/atlas-des-etats-unis-christian-montes-pascale-nedelec-cyrille-suss], et au lendemain de l’investiture du président Donald Trump, les cafés géo de Lyon accueillent, 1e 1er février 2017, Pascale Nédélec et Christian Montès pour une présentation à deux voix intitulée « Derrière le choc des urnes, des mutations radicales ? Le regard de l’Atlas des États-Unis 2016 ». Pascale Nédélec est docteure en géographie et AGPR à l’École normale supérieure. Sa thèse de doctorat [https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00946236/PDF/NEDELEC_DA_construire_Las_Vegas.pdf] propose une réflexion sur l’urbanité et la citadinité de Las Vegas. Elle a coordonné un dossier régional sur « les États-Unis, espaces de la puissance, espaces en crises » sur Géoconfluences [http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/etats-unis-espaces-de-la-puissance-espaces-en-crises].

Christian Montès est professeur des universités à l’université Lumière Lyon 2 et est rattaché à l’UMR 5600 EVS. Nous avons déjà eu le plaisir de l’accueillir pour plusieurs cafés géo dont l’un portait sur les capitales d’État aux États-Unis [https://cafe-geo.net/les-capitales-detat-des-etats-unis-small-is-powerful/] et l’autre sur les transports urbains à Lyon [http://cafe-geo.net/les-transports-dans-l-amenagement-urbain-a-lyon/]. Il a récemment publié un ouvrage en anglais sur la géohistoire des capitales d’État américaines [http://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/A/bo16720894.html].

Introduction

La question qui guide leur présentation est ce savoir si en travaillant sur leur atlas, ils sont parvenus à voir des mutations profondes aux États-Unis qui expliqueraient le vote pour Donald Trump.

Christian Montès commence d’emblée par préciser qu’ils n’ont pas fait de pronostics dans leur atlas, mais qu’à travers les cartes et les graphiques qu’ils commenteront ce soir le public pourra mesurer le niveau de surprise des auteurs à l’égard des résultats de l’élection de novembre.

Qu’est-ce qu’un atlas et qu’y trouve-t-on ?

Pascale Nédélec et Christian Montès ont été contactés par les éditions Autrement pour faire un atlas sur les États-Unis. Pascale Nédélec explique que c’est un exercice très codifié, mais qu’ils ont bénéficié d’une très grande liberté éditoriale. Ils ont cherché un équilibre entre présenter des informations et des visuels que l’on trouve (presque) partout et insuffler des choses plus originales, notamment leurs propres centres d’intérêt pour la géographie des États-Unis et leurs propres sujets de recherche. Il s’agissait, sans négliger les passages obligés, de proposer d’autres éclairages que ceux habituels pour participer à une meilleure compréhension des États-Unis. Les atlas sont des ouvrages qui périment très vite ; la rédaction a commencé au début de l’année 2016 car les éditions Autrement souhaitaient sortir l’ouvrage avant les élections. Les auteurs ont cherché à mettre en avant des dynamiques structurelles et des éléments plus conjoncturels. Selon eux, l’élection de Donald Tump s’inscrit dans une évolution sur le temps long. Faire un atlas suppose d’utiliser un certain nombre de données. Dans le cas des États-Unis, on n’en manque pas, et la difficulté est plutôt celle des choix à faire tant les sources à utiliser sont nombreuses. Les auteurs ont donc essayé de prendre les données les plus parlantes, les plus fiables, et avec beaucoup de profondeur historique. Cet ouvrage s’adresse à des universitaires, des étudiants, mais aussi le grand public, ce qui explique l’alternance entre des pages très codifiées et des pages plus originales ou même amusantes…

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New York City : ville globale, ville duale

Compte rendu, Café Géo de Montpellier – 17 janvier 2017
Aurélie Delage -Maître de conférences en aménagement et urbanisme – Université de Perpignan.

Une personne sans domicile fixe en train de fouiller des poubelles, une jeune femme à l’allure chic : c’est la première image que l’on peut présenter de l’extrême polarisation sociale de New York et des inégalités que l’on perçoit dans  LA ville globale.

On y retrouve les disparités spatiales et ethniques classiques aux E.U: la périphérie (suburbs) de NYC est occupée par une population blanche et aisée qui s’installe dans les nouvelles banlieues modernes laissant une population plutôt noire dans le centre-ville où le bâti se dégrade (Skid Row).

Pourtant, ces dernières années, les nouvelles  générations manifestent un intérêt plus  marqué pour les quartiers centraux, leurs équipements et les ressources urbaines qu’ils offrent.  La mobilité intra-urbaine est, depuis peu valorisée, les  plus jeunes préférant  désormais la marche à pied à la voiture. Les classes les plus aisées quant à elles, regagnent les centres villes et alimentent un processus de  gentrification qui repousse parfois les plus pauvres vers les périphéries.

La ville globale : fondements de la puissance de New York City

Son ouverture sur la façade Atlantique et la navigabilité de la rivière Hudson sur de longues distances vers l’intérieur ont donné à NYC le rôle de porte d’entrée historique. Elle est au XIXème un véritable point de passage pour les migrants accueillis au sud de Manhattan. Au XXème siècle, ce site favorable permet au port commercial de NYC d’être une place financière forte.

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Alice, une géographe au pays des merveilles

Compte rendu du café géographique de Saint-Brieuc – 10 mars 2017

Yann Calbérac est maître de conférences à l’Université de Reims Champagne-Ardenne. Il a soutenu sa thèse « Terrains de géographes, géographes de terrain. Communauté et imaginaire disciplinaires au miroir des pratiques de terrain des géographes français du XXème siècle » en 2010. Ses travaux de recherche actuels interrogent la production, la circulation et la réception des savoirs géographiques, et notamment l’émergence d’un tournant spatial dans les sciences humaines et sociales contemporaines.

« Marotte personnelle », c’est ainsi que Yann Calbérac présente Les Aventures d’Alice au pays des merveilles, son livre de chevet lorsqu’il était enfant. Ce qui l’intéresse aujourd’hui, en tant que chercheur, c’est de retrouver tous les questionnements qui sont les siens à travers les deux romans de Lewis Carroll : Qu’est-ce que la géographie comme science ? Qu’est-ce que l’espace ? Et surtout de trouver des réponses à ses questionnements. À la fin de son intervention, il précise que ces deux romans ont été une aide précieuse, durant ses études, pour comprendre la géographie anglo-saxonne et post-moderne (cf. travaux de Jean-François Staszak). Il s’agit plus d’hypothèses et d’intuitions que de thèses lourdement appuyées.

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Gentrifications

Compte-rendu du Café du 28 mars 2017 au Flore

La soirée commence par un hommage à Matthieu Giroud assassiné au Bataclan le 13 novembre 2015,  à 38 ans. Ce jeune géographe avait consacré son travail de chercheur aux mobilités urbaines, notamment aux formes de résistance ordinaire à la gentrification. Dans son ouvrage Villes contestées. Pour une géographie critique de l’urbain, publié avec Cécile Gintrac en 2014, il se montrait soucieux d’une géographie engagée.

Il a été l’un des principaux animateurs de l’ouvrage Gentrifications (Ed Amsterdam, 2016), travail collectif auquel ont participé nos deux intervenants de la soirée. Lydie Launay et Hovig Ter Minassian rappellent les nombreuses discussions préparatoires à sa rédaction, animées par le souci de mélanger les disciplines (sociologie, géographie, sciences politiques), de croiser les regards, les terrains (Paris, Lyon, Londres, Barcelone, Sheffield, Lisbonne), et les méthodes d’enquête.

On peut définir la « gentrification » comme le processus socio-spatial de transformation globale des quartiers populaires anciens. L’aspiration d’une catégorie sociale moyenne/moyenne supérieure à vivre dans un quartier populaire amène une mutation globale de l’habitat, une nouvelle utilisation des espaces collectifs et une montée en gamme des commerces.

On peut aussi approcher le phénomène selon une logique capitalistique. Investir dans un quartier peu cher est une opportunité pour les promoteurs et les petits propriétaires.

Comment justifier le pluriel de Gentrifications ?

L’ouvrage avait pour objectif de prendre de la distance avec les descriptions désormais classiques mais très mécanistes de la gentrification (une première étape d’arrivée des « pionniers », une deuxième étape de généralisation des gentrifieurs, une troisième étape de basculement). L Launay et H Ter Minassian insistent sur la diversité des contextes et des processus, accélérés ou ralentis, sur la distinction des acteurs, publics ou privés, sur la mobilité des gentrifieurs dont certains souhaitent se retirer au bout d’un certain temps, pouvant ainsi provoquer l’effondrement des prix immobiliers.

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Les enjeux de l’eau dans et autour de la métropole de Montpellier

Le Mardi 13 Décembre 2016 s’est tenu un café géo au Gazette Café présenté par Thierry Ruf sur «  Les enjeux de l’eau dans et autour de la métropole de Montpellier »

Thierry Ruf est Géographe, Directeur de Recherche à l’IRD, spécialiste de gestion sociale de l’eau. Il est Vice-président du Conseil d’Administration de la Régie Publique de l’Eau de la Métropole de Montpellier Méditerranée.

Dans une approche géopolitique de la question de la gouvernance de l’eau, Thierry Ruf aborde son analyse en commençant par un cadrage historique de la place de l’eau, puis il poursuit l’expansion urbaine de Montpellier et de ses périphéries au XXIème siècle, avant de mettre au grand jour les enjeux actuels anciens et actuels.

Premièrement, aborder la question de l’eau, c’est aborder la question des territoires. Dans notre région l’eau a une dimension culturelle et patrimoniale importante. Montpellier a souvent été présentée comme une ville à problème d’eau. Elle a construit son histoire sur la captation des eaux souterraines par des puits, ce qui a eu pour effet en retour, de polluer la nappe phréatique.  Même si l’idée remonte au XIIème siècle, il faut attendre le XVIIIème siècle pour voir apparaitre les premières arrivées d’eau de surface captée à la source de Saint Clément et conduite jusqu’au Peyrou avec l’aqueduc construit par Pitot. La ville dispose de fontaines publiques en plus des puits toujours en service. Dans la deuxième partie du XIXème siècle, après de nombreux conflits et procès, la conduite de Pitot reçoit enfin de l’eau de la source du Lez (c’était le projet initial). Dès lors, l’accès à l’eau potable peut se faire par immeuble. C’est donc à la fin du XIXème siècle qu’une première régie municipale de l’eau est instaurée avec un règlement de l’eau. La mise en place de cette régie va avoir un impact sur le développement de la ville tandis que les périphéries restent encore tributaires d’alimentation en eau par de nombreux puits publics ou privés. Dans le département de l’Hérault, la crise de l’eau va justifier l’organisation d’un Congrès de l’eau en 1923 qui appelle à une nouvelle gouvernance entre les différents territoires ruraux sous-équipés et les villes.

Cependant, au cours du XXème siècle, Montpellier continue à s’étendre sans se préoccuper des villages qui l’entourent. Il faudra attendre les années 1950 pour voir les communes se fédérer en trois grandes entités territoriales (les communes de la vallée du Lez, celles du sud-ouest qui forment le « syndicat du Bas Languedoc » et celles du nord-est qui forment le « syndicat Garrigues-Campagne ». Un quatrième ensemble plus limité réunit quelques communes proches du Salaison dans le « syndicat du Salaison ».

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Peinture et géographie. Rencontre avec Roland Courtot

Exposé de la conférence-débat du 25 février 2017 avec Roland Courtot à l’Institut de Géographie de Paris.

La rencontre, programmée dans un des hauts lieux de la géographie française (une salle de cours de l’Institut de Géographie de la rue St Jacques à Paris) aurait pu s’appeler aussi « le Peintre et le Géographe », car l’exposé a porté autant sur les deux disciplines et leurs acteurs que sur les relations qu’elles entretiennent depuis longtemps. Cette invitation de la part de l’équipe des Cafés Géographiques s’inscrivait dans la continuité de la page web du dessin du géographe publiée le 1/2/2017 (http://cafe-geo.net/quelques-croquis-dexcursions-geographiques-au-debut-du-19eme-siecle/) et d’une rencontre antérieure avec le géographe aquarelliste Simon Estrangin (café géographique du 15 mars 2016, voir le compte rendu par Michel Sivignon : http://cafe-geo.net/simon-estrangin-et-la-geographie-sur-le-vif/).

J’ai limité ces réflexions aux rapports entre les œuvres graphiques des peintres (peintures, dessins,  fresques, etc.) et la géographie, qu’on pourrait situer dans la « géographie  des œuvres d’art », afin de la distinguer de la « géographie de l’art » telle qu’elle est définie par Boris Grésillon dans son ouvrage déclaratif de 2014 (« Géographie de l’art » Economica, 2014) comme une branche de la géographie culturelle, celle du système socio-spatial de l’art et des activités urbaines qui l’accompagnent.

On peut, en introduction, rappeler quelques parallèles entre la géographie et l’art graphique et pictural, rappeler quelques liens que ces deux « arts » entretiennent depuis longtemps, au moins dans l’histoire européenne. Ils possèdent un objet en commun, le paysage, ils l’observent sur le terrain et voyagent en remplissant des carnets de dessins, ils en construisent des images selon des techniques semblables : sur un plan, en deux dimensions, avec des points, des traits, et des surfaces. Rien d’étonnant à ce qu’ils se soient mutuellement nourris et enrichis.

Bien sûr leur finalité n’est pas la même : le peintre traduit les formes et les impressions esthétiques et sensibles du paysage, le géographe analyse les formes d’organisation de l’espace pour comprendre la façon dont les sociétés humaines l’occupent et dont les logiques naturelles le façonnent. Sensibilité d’un côté, raison de l’autre ? Ce n’est pas aussi tranché, puisqu’il existe une géographie du vécu et du sensible, et que des peintres ont introduit dans leurs paysages des logiques raisonnées pour l’interpréter (comme les formes géométriques du cubisme par exemple).

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De la roche au paysage : comment se construisent les géopatrimoines ?

Introduction

Claire PORTAL est maître de conférences en Géographie à l’Université de Poitiers. Elle étudie les formes du paysage (géomorphologie) et leur patrimonialisation soit les processus qui permettent d’identifier et de reconnaître des paysages remarquables qui conduisent à la protection, à la conservation et à la valorisation des formes du relief. Ses recherches s’intéressent à l’ouest de l’Europe et plus largement au monde occidental. Sa présentation va être l’occasion de comprendre l’invention d’une nouvelle forme de patrimoine associée à l’attribution de nouvelles valeurs aux roches et des paysages géomorphologiques. Nous verrons comment les géopatrimoines sont apparus et comment ils sont valorisés.

La présentation porte ainsi sur la patrimonialisation des roches mais surtout des formes de reliefs. On a souvent cru que les roches et plus largement les formes de reliefs étaient indestructibles parce que très anciennes et non vivantes. Cependant, dans les années 1990, des « lanceurs d’alertes » géologues et géomorphologues ont montré que leur destruction entraine la disparition irréversible d’un héritage indispensable pour la compréhension de l’histoire de la planète et de l’histoire des hommes, roches et reliefs résultant d’une histoire naturelle mais aussi culturelle.

La présentation a été structurée en quatre points :

I – Patrimoine géologique, patrimoine géomorphologique et géodiversité
II – Un patrimoine naturel, reflet de l’histoire de la Terre
III – Un patrimoine culturel, témoin des interactions Nature/Sociétés
IV – Evaluer, conserver et transmettre les géopatrimoines

I- Définir les concepts

La géologie, c’est une science qui a pour objet d’étude la terre et particulièrement de la lithosphère (composition et déformations des roches).

La géomorphologie est une science qui a pour objet la description et l’explication des formes du relief terrestre, continental et sous-marin.

Ces deux sciences sont des sciences de terrain (observations, relevés) et de laboratoire.

La prise de conscience que les héritages géologiques et géomorphologiques pouvaient disparaître apparait dans les années 1990 en Tasmanie. Des chercheurs se sont alors penchés sur la manière dont ils pourraient protéger ces héritages abiotiques donnant ainsi naissance à la notion de géodiversité définie comme «  la variété, la diversité des caractéristiques géologiques (substrat), géomorphologiques (relief) et pédologiques, leur combinaison, leurs systèmes et leur processus. Elle inclut des témoins de la vie passée, les écosystèmes et l’environnement de l’histoire de la terre comme les processus atmosphériques, hydrologiques et biologiques agissant de façon récurrente sur les roches, les formes du relief et les sols. » (Zwolinski, 2004)

Plus largement, il s’agit de déterminer les liens entre les sciences de la terre, la vie sauvage et la société au sein d’un environnement ou d’un système, dans l’objectif de protéger les héritages géologiques et géomorphologiques. La déclaration internationale des droits de la mémoire de la terre a été signée à Digne-les-Bains en 1991 et l’UNESCO intègre ces nouveaux patrimoines depuis 2015 dans son programme Sciences de la terre, impulsant une reconnaissance à l’échelle internationale.

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