Les risques naturels en France

Café géo du mardi 18 octobre 2016 avec Magali Reghezza-Zitt, maître de conférences à l’ENS Ulm

Au programme du Café du jour : la notion de risque naturel. S’il est connu qu’elle attire les (jeunes) chercheurs autant qu’elle capte les fonds, elle sera traitée et discutée en présence d’une des chefs de file de la spécialité en France. Auteure de nombreux ouvrages consacrés à la question, dont deux issus de ses travaux de thèse, engagée dans plusieurs programmes de recherche commandés par des collectivités – Magali Reghezza travaille en ce moment à Paris sur les risques d’inondation – elle est en même temps maître de conférences habilitée à diriger des recherches de géographie à l’ENS Ulm où elle assure notamment les cours de préparation à l’agrégation. Ses multiples casquettes devaient toutes être mobilisées dans cette intervention dynamique représentative de ses compétences « d’experte » et de pédagogue, mais surtout de sa capacité à les mobiliser simultanément dans un discours particulièrement abondant qui complique la tâche d’en rendre compte.

Puisqu’on concentrera surtout nos efforts de synthèse sur les manières dont Magali Reghezza a abordé et traité la thématique ce soir-là (car ce sont elles qui ont fait (le) débat) il faut d’abord comprendre la manière dont l’animatrice de la séance, Elisabeth Bonnet-Pineau, l’a problématisée. Elle a mis en lumière deux paradoxes : d’une part, la « recrudescence des catastrophes » en 2015, signalée par le CRED dans son dernier rapport, alors même que la connaissance et les techniques de prévention des risques semblent s’améliorer ; d’autre part, la contradiction intrinsèque entre la fréquence et l’intensité des catastrophes « naturelles » (les sécheresses s’avérant, d’après le CRED, les plus meurtrières d’entre elles à l’échelle de la planète). Le propos est déjà appelé à dépasser le sujet des « risques naturels en France », ce qu’a confirmé le déroulement de la séance : l’intervenante s’est en effet bien attachée à déconstruire, à l’aune d’un argumentaire pragmatique et précis, chacune des notions contenues dans le sujet de départ, dont il s’agissait d’évaluer le sens et la pertinence et, peut-être, de calmer les inquiétudes éventuelles dues, pour leur plus grande part, à un court-circuitage terminologique entre le « risque » et la « catastrophe » dont le public a pu s’extraire.

Des mots pour les risques, au(x) risque(s) des mots : la géographie des risques à l’heure du paradigme de la complexité.

Magali Reghezza propose d’entrer dans le sujet par l’épistémologie, suggérant ainsi que l’existence de telles problématiques, en sciences comme en société, s’explique au moins en partie par l’empilement des concepts relatifs aux risques en Géographie. Elle veut montrer, d’une part, que le champ d’étude des risques est à la mesure de ce que la Géographie en a fait : « la façon de traiter l’objet risque en Géographie montre que la discipline est vivante, qu’elle évolue (…). Et les débats qui s’y jouent se retrouvent point par point dans la façon d’envisager les risques ». Ainsi décèle-t-on, dans les premières (quand ? Elle ne les datera pas) approches des risques, l’empreinte structurelle et structurante de la discipline, des « géographes physiciens » qui s’attachent dès les années 1970 d’abord à comprendre leur paramétrage « naturel », préalable indispensable à la compréhension de ce qu’on qualifie alors parfois « nuisance » ou de danger ; par la suite, à l’heure où la géographie physique se renouvelle en une « géographie de l’environnement », les géographes insistent sur le rôle de l’anthropisation dans la transformation des processus physiques, sur l’importance des sociétés dans la fabrique des risques dits naturels, et cherchent in fine à dénaturaliser les catastrophes.

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A la rencontre d’Alexandre Yersin, l’homme qui a vaincu la peste

Samedi 15 octobre 2016, la salle du nouvel amphi de l’Institut de Géographie à Paris est bien remplie pour la rencontre-débat organisée autour de la figure d’Alexandre Yersin, l’homme qui a vaincu  la peste. Deux intervenants ont été invités pour cette occasion : Stéphane Kleeb, réalisateur suisse du film documentaire Ce n’est pas une vie que de ne pas bouger (2014) et Annick Perrot, auteur avec Maxime Schwartz, de Pasteur et ses lieutenants (Odile Jacob, 2013). Il s’agit de mieux faire connaître un personnage hors du commun, médecin et chercheur, explorateur et aventurier, découvreur du bacille de la peste, peu connu en Europe y compris dans sa Suisse natale mais considéré encore aujourd’hui comme un héros au Vietnam. La clé d’observation géographique semble bien appropriée pour atteindre cet objectif.

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Le film documentaire de Stéphane Kleeb

La rencontre commence par la projection du film documentaire de Stéphane Kleeb Ce n’est pas une vie que de ne pas bouger (2014), consacré à Alexandre Yersin, médecin et chercheur d’origine suisse, un personnage exceptionnel que le livre de Patrick Deville a contribué à faire connaître (Peste & choléra, 2012). L’excellent titre du film reprend une phrase extraite de l’abondante correspondance que le savant/aventurier a entretenue avec sa mère jusqu’à la mort de celle-ci. Quant à l’idée de faire un film sur Yersin, on la doit à l’ambassadeur de Suisse à Hanoi, Andrej Motyl, surpris de constater la célébrité du scientifique européen au Vietnam alors que celui-ci est presque inconnu dans son pays d’origine.

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Les prisons : un monde immobile ?

Café géo du 30 septembre 2016, avec Olivier Milhaud, maître de conférences en géographie à Paris 4 et Lucie Bony, chargée de recherche au CNRS, à l’UMR Passages de Bordeaux. Ils ont notamment contribué au numéro 702-703 (2015) des Annales de Géographie consacré aux géographies de l’enfermement.

Le sujet de ce café géographique a été choisi par rapport au thème du Festival International de Géographie 2016 : « Un monde qui va plus vite ? ». Il s’agit ici de prendre le contrepied du thème du festival: au-delà du lieu commun d’une société hypermobile, ne se cache-t-il pas un monde des marges, qui semble ne pas changer ?

Olivier Milhaud et Lucie Bony ont évoqué trois dimensions de l’espace apparemment immobile des prisons : d’abord, il s’agissait d’appréhender les changements et permanences de la prison comme institution, avant de se pencher sur la prison comme lieu : quels changements dans les localisations des prisons françaises ? Comment leur architecture a-t-elle évolué ? Ces transformations amenaient alors à s’interroger sur l’enfermement comme expérience géographique : comment la punition par l’espace se traduit en termes d’immobilité ?

  1. Appréhender la prison. Une institution entre clôture et décloisonnement

Cette institution s’est généralisée dans le monde entier : « elle a été finalement reprise dans tous les contextes politiques et sociaux. Cela a été une si formidable invention, et si merveilleuse qu’elle s’est répandue presque comme la machine à vapeur et est devenue une forme d’encadrement général de la plupart des sociétés modernes, qu’elles soient capitalistes ou qu’elles soient socialistes » (Foucault, 1994). Mais la durabilité de l’institution s’explique aussi peut-être par les nombreuses tentatives de réforme qu’elle a connu.

Olivier Milhaud précise qu’à propos de la prison, il ne faut pas confondre les notions de changement et de réforme. Dans Surveiller et Punir, Michel Foucault explique qu’il est consubstantiel à la prison de vouloir la réformer, car c’est une institution qui n’arrive pas à remplir ses fonctions, qui est condamnée à l’insatisfaction. Il faut dire que c’est l’institution chargée de réussir là où toutes les autres ont échoué (famille, école, religion, monde du travail, etc). Il semble qu’on lui demande trop : résoudre la crise de l’illettrisme, du lien social (on y trouve massivement des SDF, des « paumés »), de la prise en charge de la santé mentale (que de cas psychiatriques en détention), de la masculinité (en France, les femmes représentent seulement 4% des détenus) et depuis peu, on lui demande aussi de déradicaliser. On a donc d’un côté une insatisfaction, qui appelle à la réforme, mais cette dernière ne suffit jamais. Ce paradoxe donne alors à l’institution une impression d’immobilisme, d’un échec reconduit et répété.

Lucie Bony récapitule alors brièvement l’historique de l’institution carcérale pour montrer l’ampleur des réformes que cette dernière a connu, en s’appuyant sur les travaux de Michelle Perrot, historienne de la prison. La prison « moderne » nait avec la loi pénale de 1791, avec l’idée de corriger les détenus. C’est à cette époque, dans le contexte des Lumières et de la Révolution française, qu’émerge alors l’idée d’une « bonne peine », qui a pour objectif de transformer le détenu par le travail et la discipline. Le système est réformé au début du XIXe siècle, et notamment en 1819 avec la création de la Société Royale pour l’amélioration des prisons, puis vient la disparition des peines infâmantes (1830) et l’abolition du pilori (1848).

Fin XIXe, la question carcérale est mise de côté. Il faut attendre la deuxième partie du XXe siècle pour voir d’autres réformes de l’institution. Dans les années 1970 sont engagées des mesures pour libéraliser les conditions de détention suite aux révoltes de 1970, 1971 et 1974 : autorisation de la presse, de fumer, élargissement des conditions de semi-liberté. Les miroirs sont également autorisés : le détenu peut désormais voir son visage se transformer avec le temps. Cela a été perçu comme une véritable révolution dans l’expérience individuelle de la prison.

Les années 1980 constituent un second tournant. L’arrivée de la gauche au pouvoir entraîne une rupture avec la politique pénitentiaire sécuritaire du ministère Peyrefitte. On autorise le port de vêtements civils, le téléphone, les parloirs sans séparation. Après l’abolition de la peine de mort en octobre 1981, le ministère de Robert Badinter met en place des peines de substitution en 1983. Cela montre une volonté de lier la peine à la réinsertion.

Dans les années 2000, la question pénitentiaire revient à l’agenda politique suite à la publication du livre de Véronique Vasseur, Médecin-chef à la Santé (2000), où elle décrit les conditions terribles de détention. Un certain nombre de rapports parlementaires indiquent la nécessité d’une nouvelle réforme. Mais celle-ci est tributaire de l’ambiance sécuritaire qui caractérise l’élection présidentielle de 2002. Malgré tout, quelques changements ont lieu dans les prisons des années 2000 : des sites pilotes sont choisis pour adopter les règles pénitentiaires européennes, ou encore la loi pénitentiaire de 2009 qui modifie les modalités d’exécution des peines.

La prison n’est donc plus la même qu’au XVIIIe siècle. Aujourd’hui, de nouveaux problèmes sont pointés du doigt (radicalisation, surpopulation) et donnent à voir un système carcéral marqué par une sensation d’inertie. La politique pénitentiaire tente d’échapper à la critique, mais ne comporte dans les faits que peu d’ambitions, sans réflexion sur le sens de la peine et sur le lieu prison.

Cependant, il faut aller au-delà de ces réformes législatives pour voir ce qu’elles impliquent dans la vie quotidienne des prisons : peut-on parler d’une normalisation de l’institution carcérale ?

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France, Europe : Les territoires entre égalité et égoïsmes

Café géo du mardi 12 avril 2016 au Flore, avec Laurent Davezies, professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers, titulaire de la chaire “Economie et développement des territoires” et auteur notamment du Nouvel égoïsme territorial (Seuil, mars 2015) et Philippe Estèbe, directeur de l’Institut des Hautes Etudes d’Aménagement du Territoire (IHEDATE) et auteur notamment de L’égalité des territoires, une passion française (PUF, avril 2015).

Ce café géo rassemble deux auteurs qui ont publié sur le même sujet, mais avec des angles d’attaque apparemment opposés. Philippe Estèbe montre dans L’égalité des territoires, une passion française (PUF) qu’avec le temps, la France a créé un dispositif unique au monde d’égalité des territoires, à travers trois grands mécanismes : une redistribution financière très importante, une répartition inégalitaire des fonctionnaires d’État pour permettre une présence continue jusque dans les lieux les plus reculés, des grandes entreprises publiques assurant partout une continuité de prestation (La Poste, la SNCF, énergie, télécoms).

Laurent Davezies souligne quant à lui dans Le Nouvel Égoïsme territorial. Le grand malaise des nations (Le Seuil) qu’avec la montée du régionalisme, l’exigence d’autonomie, voire d’indépendance, on assiste aujourd’hui à une fragmentation des nations, dans les pays industriels comme dans les pays en développement. Les causes identitaires – anciennes – se combinent avec le fait – nouveau – que les régions riches ne veulent plus payer pour les régions pauvres. Plus largement, c’est le modèle de cohésion territoriale qui est remis en cause en France, en Europe et dans le monde.

Philippe Estèbe comme Laurent Davezies sont d’accord sur le résultat : en France comme ailleurs, les très grandes villes financent largement l’espace rural et commencent à contester le mécanisme de redistribution tandis que les personnes traversent les territoires au cours de leur trajectoire et les mettent en concurrence pour l’habitat, les services, l’emploi et les loisirs. Le dispositif d’égalité des territoires apparaît dès lors coûteux et inefficace.

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La crise du logement

Introduction de Judicaëlle Dietrich :

Marie Chabrol et Yankel Fijalkow sont deux chercheurs travaillant sur les thématiques du logement dans différents contextes de recomposition urbaine contemporaine dans le cadre de la métropolisation des villes européennes. Le sujet est vaste et nous aborderons ainsi la notion de crise mais aussi le lien entre crise et creusement des inégalités avec les vulnérabilités résidentielles.

Marie Chabrol est maître de conférence en géographie à l’Université de Picardie-Jules-Verne à Amiens, elle a fait sa thèse sur un quartier bien connu :Château Rouge la Goutte-d’Ori. Elle a questionné les relations entre les dynamiques résidentielles d’un quartier touché par le phénomène de gentrification et les dynamiques commerciales de ce quartier marqué par de fortes centralités africainesii. Elle mène actuellement ses recherches dans un quartier de Bruxelles qui partage nombre de caractéristiques avec la Goutte d’Oriii.

A ses côtés, Yankel Fijalkow, géographe, est Professeur à l’Ecole Nationale d’Architecture de Paris Val de Seine et auteur notamment d’ouvrages « ressources » : dans la collection « Repères » de « Sociologie du logement » et « Sociologie des villes »iv. Il mène des recherches sur les politiques publiques du logement.

Yankel Fijalkow et Marie Chabrol sont membres du réseau « Recherche-Habitat-Logement » et interviennent dans l’atelier « vulnérabilités résidentielles ». Ils collaborent dans ce cadre à un programme de recherche intitulé « Rester en Ville, résistance et résilience de la ville ordinaire » où sont comparés quatre quartiers de capitales européennes (Paris, Bruxelles, Vienne et Lisbonne)v.

Les notions de crise du logement, de mal logement, sont des expressions très utilisées dans les discours politiques et médiatiques et nous avons ici la chance d’avoir deux chercheurs aux travaux très actuels, très en prise avec le terrain. On essaiera ainsi à partir de leurs exemples et études de cas sur les villes françaises et européennes de saisir une des formes actuelles d’inégalités sociales les plus aiguës. On reviendra sur les questions de la gentrification, du logement et de la place des populations les plus pauvres en ville.

JD : Pourquoi parle-t-on de crise du logement et qu’est-ce qu’indique ce vocabulaire actuel ?

YF : C’est une question intéressante et importante !Il faut déjà déterminer qui est sous-entendu dans ce « on ». Car selon les époques, ceux qui évoquent cette notion sont assez différents. Par exemple, Henri Sellier (qui fut Maire de Suresnes, ministre de la Santé publique sous le Front Populaire, et dirigea l’Office départementale des Habitations à Bon Marché), soutint en 1921 une thèse de droit en trois volumes, intitulée « la crise du logement et l’intervention publique en matière d’habitat populaire ». A l’époque, ceux qui parlaient de la crise du logement appartenaient au courant réformateur et de la réforme sociale. Ensuite si on regarde le catalogue de la Bibliothèque Nationale de France, on trouve d’autres contemporains comme par exemple Charles Gide (professeur au collège de France) autour du mouvement coopératif ; ce fondateur de l’Economie Sociale ne défendait pas les mêmes idées que Sellier sur le rôle des pouvoirs publics. Ayant une représentation plus large de la crise du logement, il promouvait plutôt l’idée qu’il puisse exister des mouvements coopératifs de gens qui s’entraideraient pour accéder au logement. On trouve d’autres choses bizarres et amusantes aussi dans le catalogue BNF sur le thème de la crise. Par exemple un numéro des Belles histoires, intitulé « La crise du logement » où l’on raconte l’histoire d’un petit animal qui cherche un logement et qui rencontre un escargot qui a son propre hébergement, etc. Il faudrait se pencher plus attentivement sur ce texte, mais une chose est sure : en 1921 on faisait déjà des thèses sur la Crise et en 1987 on en parle encore et même aux enfants…. ! Je déduis de ce rapide parcours que le terme de crise qui signifie d’ordinaire un phénomène violent et soudain n’est peut-être pas approprié. Si on entend parler de manière cyclique des crises du logement ne sommes pas nous pas plutôt face à une difficulté structurelle de la société française, difficulté structurelle à loger ses ressortissants ?

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Le retour du vélo dans les villes européennes

Café géographique de Paris (Café de Flore), 31 mai 2016

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Pour traiter du vélo en ville, deux intervenants sont réunis au Café de Flore, un économiste et urbaniste, Frédéric Héran, auteur de Le retour de la bicyclette. Histoire des déplacements urbains en Europe. 1817-2050, La Découverte, 2014, et un homme de terrain, Alain Boulanger, fonctionnaire à la Mairie de Paris chargé de piloter le « Plan vélo ».

Le travail de Frédéric Héran repose sur la thèse suivant laquelle les aménagements cyclables ne suffisent pas à relancer la pratique du vélo en ville. Il faut aussi prendre en compte la modération de la circulation dans son ensemble, tous modes compris.

Les modes de déplacement des citadins sont en concurrence. Les nouveaux cyclistes étant principalement d’anciens piétons et usagers des transports publics, le gain pour l’environnement serait faible s’ils ne laissaient des places dans les bus, trams et métros, ce qui pourrait inciter les automobilistes à renoncer à leur véhicule personnel.

Deux approches structurent cette étude l’une historique, l’autre comparatiste (à l’échelle des villes européennes).

Dans les années 30, le vélo est massivement utilisé par toutes les classes sociales, urbaines et rurales, pour le travail (y compris les livraisons) comme pour le loisir. Les embouteillages de vélos ne sont pas rares. Et l’engouement pour ce mode de déplacement est équivalent en France et en Allemagne. C’est la baisse de son prix d’achat qui en explique l’explosion des ventes.

Cette situation perdure jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. On pouvait alors se procurer une carte Michelin des environs de Paris donnant toutes les informations utiles à un cycliste (routes pavées, côtes, pistes cyclables…).

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L’Asie centrale, des empires à la mondialisation

Julien Thorez est géographe, chargé de recherche au CNRS, membre du laboratoire « Mondes iranien et indien ». Il a récemment dirigé la publication d’un ouvrage intitulé Asie centrale : des indépendances à la mondialisation.

L’expression « Asie centrale » désigne une entité géographique dont les limites diffèrent suivant les périodes, les approches, les auteurs. Dans le cadre de cette conférence, Julien Thorez s’intéresse à l’Asie centrale post-soviétique, aujourd’hui composée de cinq états indépendants : le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan. Au cœur du continent eurasiatique, cette région du monde turco-iranien été au centre du « grand jeu » entre l’empire britannique et l’empire russe au XIXe siècle. Après avoir été colonisée par l’Empire tsariste puis intégrée à l’Union soviétique, elle entre dans la mondialisation.

I] Qu’est-ce que l’Asie centrale ?

L’Asie centrale post-soviétique

L’Asie centrale est donc une région aux contours flous, englobant des réalités très variées, au point d’être considérée comme une région à géométrie –et d’autant plus à géographie- variable.  Dans son acceptation la plus large, l’Asie centrale s’étale de l’Anatolie jusqu’au désert de Gobie. Même en la restreignant aux cinq pays post-soviétiques, c’est une région très vaste de quatre millions de kilomètres carrés, néanmoins peu peuplée avec seulement soixante-cinq millions d’habitants. Sa voisine orientale, la Mongolie, constitue le pays à plus faible densité.

 Kazakhstan  Kirghizistan  Ouzbékistan  Tadjikistan  Turkménistan  Asie Centrale
Population (en M)  16,009  5,362  29,993  7,564  ~5,100  64,028
Superficie (en M de Km²)  2,717  0,198  0,447  0,143  0,488  3,993
Densité (hab/km²)  6  27  67  39  10  16

Sources : recensement 2009/2010, estimations

Les pays qui la constituent sont indépendants depuis 1991, séparés par quinze mille kilomètres de frontières dont l’existence est inédite. Leur indépendance a été en réalité plus acceptée que recherchée ; contrairement  aux pays baltes ou caucasien,  les pays d’Asie centrale n’ont pas connu de puissants mouvements indépendantistes.

Ces pays deviennent indépendants au moment où disparait le système politique qui les a engendrés – l’URSSS. Ces entités politiques n’existaient pas avant qu’elles soient créées dans le cadre de la soviétisation de l’Asie centrale avec comme principe de fonder des territoires nationaux. La carte politique est élaborée dans les années 1920-1930.

Depuis leur indépendance en 1991, les Etats centrasiatiques conduisent une politique de consolidation de l’Etat et de la nation dans le cadre politique et territorial hérité de la période soviétique. Les autorités post-soviétiques s’inscrivent dans la continuité des élites politiques soviétiques car, dans la plupart des pays, ceux qui accèdent à la présidence de la république étaient des dirigeants des partis communistes. Actuellement, les présidents ouzbékistanais (Islom Karimov) et kazakhstanais  (Noursoultan Nazarbaïev) qui étaient les leaders de leur République socialiste soviétique, sont toujours au pouvoir.

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Simon Estrangin et la géographie sur le vif

Café géographique de Paris,
15 Mars 2016

La géographie de Simon Estrangin est le fruit d’une insatisfaction ou du moins d’une inquiétude. Il semble à Simon Estrangin que la géographie classique, appelons-la académique, passe à côté de ce qu’il appelle l’existant En d’autres termes, en revendiquant une position scientifique, qui pendant longtemps a penché du côté des sciences naturelles, la géographie a renoncé à rendre compte du subjectif, de l’instantané, de l’immédiat, au profit d’une forme de déterminisme qui enferme ses catégories d’analyse dans des limites fixes et intangibles. . Par là même cette géographie a tendance à tuer la sensibilité du géographe

Simon Estrangin ne se contente pas du tout de cette position négative, parce qu’il entretient un rapport passionné à la géographie. A coup sûr, sa géographie est une « égogéographie »terme qu’il refuserait sans doute, où les catégories subjectif et objectif ne sont pas mobilisées.

Ce 15 mars il a choisi de nous présenter sa géographie « sur le vif »

C’est une nouvelle étape d’un parcours personnel jalonné par des intérêts successifs, dont la ligne directrice est celle du voyage.

Après une étude sur les voyageurs français en Russie au 18° siècle, Simon Estrangin s’est posé une question : pourquoi les géographes, gens qui voyagent plus que la moyenne de leurs contemporains, parlent-ils si peu de leurs voyages ? Rares sont en effet les livres de géographes qui sont des récits de voyages. A ce titre, le livre de Jacques Weulersse « Noirs et blancs » fait figure d’exception. Paru en 1931, ce livre relate le voyage de Dakar au Cap réalisé grâce à une bourse fournie par le mécène Albert Kahn. C’est un récit où les impressions figurent à l’état spontané, portées par un étonnant bonheur d’écriture. Quelle fraîcheur ! Ce qui provoque une autre question : celle de l’exclusion des sentiments ou des émotions accumulées au cours des voyages, depuis que l’ambition scientifique l’a emporté.  C’est cet appauvrissement que Simon Estrangin récuse. Ce faisant, il s’interroge sur l’orientation même de la géographie depuis qu’elle a revendiqué son statut scientifique, au milieu du XIX° siècle.

Joignant alors le geste à la parole, Simon Estrangin publie alors en 2015 « Traversations sud-américaines, pour une géographie du voyage » dont on trouvera par ailleurs un compte-rendu sur notre site. Cette longue traversée de l’Amérique du Sud est moins un récit de voyage qu’une réflexion sur le voyageur lui-même, sur le voyageur-géographe, sur ses rencontres avec les gens et les paysages.

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La 3ème révolution agricole du numérique et de la connaissance

Ce mardi 26 Janvier 2016, le thème de la soirée est la 3ème révolution agricole du numérique et de la connaissance.

Michel Sivignon nous présente Rémi Dumery, « cultivateur expérimentateur en agriculture sociétale » et grand fan des nouvelles technologies et de l’innovation. Rémi Dumery possède une exploitation de 130 ha en Beauce, au Sud-ouest de Paris, à Boulay-les-Barres. Il cultive des céréales, mais aussi des oléagineux et des betteraves. L’agriculteur beauceron aime parler de son métier et de sa manière de travailler. Passionné d’informatique, Rémi Dumery aime surfer sur internet et tweeter ses followers sur les réseaux sociaux : c’est, pour lui, une façon de transmettre à un large public ses connaissances et ses savoir-faire en agriculture. Et c’est une manière de répondre à l’un des grands enjeux du XXIe siècle : la 3ème révolution agricole du numérique et de la connaissance.

Car l’homme moderne est plein de paradoxes, nous explique Michel Sivignon. Dans un monde mondialisé, les « gens de la ville » sont en effet devenus des « animaux d’appartement » et ont perdu leurs racines campagnardes. Ces gens de la ville manifestent aujourd’hui une réelle envie de renouer avec la campagne, de revenir aux terroirs. Le terroir est de plus en plus présenté – à tort ou à raison – comme le véritable territoire authentique. Mais le lien que l’homme moderne veut conserver avec la nature et le lien qui s’y rattache réellement n’est plus le même que celui qui existait encore au XXe siècle (50% de la population active était agricole en 1929, et depuis cette part ne cesse de décliner). L’époque où les jeunes allaient passer quelques jours à la campagne chez le grand-père ou chez un oncle et où ils revenaient avec une idée – même vague – du fonctionnement du métier, est bel et bien révolue. Cependant, malgré ce déclin du secteur agricole, nous dit Michel Sivignon, une vision idéologisée – bien relayée notamment par le mouvement écologique – demeure ancrée dans nos mentalités : l’homme de la ville est le premier à s’inquiéter du déclin des campagnes. Pour l’urbain, c’est une question de priorité : il faut sauver l’agriculture. Mais avant de vouloir sauver l’agriculture, ne faut-il pas déjà savoir ce que c’est ? Ne faut-il pas déjà connaître ceux qui en sont les acteurs, c’est-à-dire les agriculteurs ? Car derrière ces propos marqués par les mots d’authenticité, de typicité et de pérennité, les contenus restent vagues. Et c’est à nous, citoyens du XXIe siècle, qu’il incombe de modérer cette distance béante entre une profonde et dangereuse méconnaissance de l’agriculture, et une vision chimérique, rêvée et fantasmée d’une agriculture menacée que l’on doit impérativement sauver.

Lors de ce Café Géo à la pointe de l’actualité, Rémi Dumery intervient sur un sujet qu’il connait bien pour sensibiliser et alerter le public de la situation de l’agriculture et surtout des agriculteurs. Car si les Français adorent leur paysannerie et leurs agriculteurs, ils se méfient au contraire de leur agriculture qu’ils ont finalement tendance à méconnaître et à stéréotyper.

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Géographies des émotions, émotions des géographes

Compte rendu du Café Géographique du 13 octobre 2015 à Paris (Café de Flore), avec Pauline Guinard (MCF ENS Ulm, UMR Lavue-Mosaïques, UMR IHMC (associée)) et Bénédicte Tratnjek (doctorante en géographie). Animation Judicaëlle Dietrich et Michel Sivignon

Michel Sivignon rappelle dans un premier temps que les émotions ont longtemps été ignorées en géographie, parce que contraires à une vision objective et scientifique. Aujourd’hui, il existe un retour aux émotions, pas seulement dans le discours des sciences sociales, mais dans le vocabulaire quotidien Il donne des exemples comme le service Internet payant Canalplay qui fait sa publicité grâce au slogan : « des émotions à la demande » ou du magazine Elle qui titrait il y a peu : « Ne gardons que les émotions positives ». Il termine en affirmant que les émotions appartiennent à tout le monde.

Judicaëlle Dietrich explique rapidement la raison de l’invitation de Pauline Guinard et Bénédicte Tratnjek. Elle est en effet à l’initiative de ce café et du choix de cette thématique qui l’intéressait : « comment prendre en compte les émotions dans le fait de faire de la géographie ? ». Elle s’est donc intéressée au séminaire organisé à l’ENS Ulm par les deux intervenantes. Ce séminaire Géographie des émotions a accueilli lors de sa première année d’existence des chercheur.e.s spécialistes de ces questions comme pour n’en citer que quelques-un.e.s : Elise Olmedo, Anne Volvey et Jean-François Staszak. Parallèlement à ce séminaire, les intervenantes ont lancé un appel à articles sur la même thématique dans la revue Carnets de Géographes qui devrait sortir en 2016. Après avoir présenté les intervenantes, Judicaëlle Dietrich leur a demandé comment elles en étaient venues à réfléchir sur la géographie des émotions.

Pauline Guinard s’est intéressée à la question des émotions à partir de son terrain de thèse, Johannesburg, où elle a travaillé sur l’art dans les espaces publics et plus précisément sur ce que l’art peut faire à ces espaces (en termes de publicisation, de privatisation, etc.). Elle poursuit : « Quand on est une jeune fille blanche à Johannesburg, il arrive qu’on ait peur, notamment lorsque l’on fréquente le centre-ville de Johannesburg, en particulier la nuit. J’ai ainsi eu peur à plusieurs reprises, ce qui a parfois contraint mes déplacements et mes pratiques dans la ville ». Elle rappelle alors qu’une des questions qui revient le plus souvent dans les échanges ordinaires à Johannesburg est : « Is it safe ? » (« Est-ce sûr ? »). Elle a pris conscience que cette peur des usagers de la ville relevait en fait d’une intériorisation des normes sur ce qui est perçu comme sûr et ce qui ne l’est pas à Johannesburg. Elle voulait insister sur « cette peur, dont j’ai réussi partiellement à m’affranchir et avec laquelle j’ai fait mon terrain ». Pourtant, elle explique qu’il n’y a rarement de la place pour ce type de considération dans la recherche. Elle a donc fait un chapitre 0 dans sa thèse (Guinard, 2012), pour analyser la façon dont la peur (la sienne et celle des autres) avait contribué à façonner sa recherche, en l’incitant notamment à renoncer à étudier certains espaces-temps de la ville, à l’image des espaces publics du centre-ville la nuit. Puis elle explique que, pour poursuivre ce type de démarche réflexive et continuer sa réflexion sur la place des émotions en géographie, elle en a d’abord fait un cours. C’est dans ce cadre qu’elle a découvert l’article de Bénédicte Tratnjek sur les viols de guerre (2012). Elles se sont rencontrées et ont décidé de promouvoir ce débat dans la géographie française sous la forme d’un numéro spécial de revue, mais aussi d’un séminaire de recherche, organisé à l’ENS depuis 20151. Barbara Morovich et Pauline Desgrandchamps sont ainsi venues parler de la notion de quartiers sensibles et de la possibilité d’aborder les émotions par le son, Jean-François Staszak a analysé la place des émotions qu’il a appelées « post-coloniales » dans le cinéma, etc.

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