La crise migratoire en Europe

Compte rendu du café géographique du 31 janvier, avec A. Spire et C. Schmoll

Avec Amandine Spire et Camille Schmoll, maîtresses de conférences à l’université Paris-Diderot (Paris VII). Amandine Spire a notamment travaillé sur les migrations en Afrique de l’Ouest. Elle s’intéresse actuellement davantage aux problématiques de droit à la ville et de productions de normes sociales et spatiales dans les sociétés urbaines. Camille Schmoll est spécialiste des migrations dans l’espace euro-méditerranéen. Elle s’intéresse notamment aux migrations féminines, à travers une approche par le genre.

Le thème de ce café géographique s’articule autour d’une question d’actualité, mais a aussi pour objectif de discuter la notion de « crise » : est-ce qu’il s’agit de l’acmé d’un mouvement qui a débuté anciennement ou bien plutôt d’un phénomène récent ? Quelles en sont les causes principales ?

Les limites spatiales de cette crise sont également problématiques. Parler de crise migratoire européenne, c’est d’une part s’interroger sur les limites spatiales de l’Europe : un certain nombre de pays qui ne font pas partie de l’Union Européenne sont également touchés. D’autre part, cette crise interroge également les limites politiques de l’Europe : est-ce que la crise migratoire ne serait finalement pas un révélateur d’autres crises, des frontières européennes, de l’hospitalité, de la solidarité entre Etats-membres ou encore du projet européen dans son ensemble ?

Camille Schmoll propose de croiser les approches temporelles et spatiales afin de mieux recontextualiser le phénomène actuel. Elle revient sur la notion de « crise » : en partant d’une conception gramscienne, elle explique que la crise est un moment de transition, où quelque chose se meurt mais sans savoir sur quoi il va s’ouvrir[1].

I. Caractériser les flux migratoires contemporains

Quantification des flux migratoires contemporains

Camille Schmoll commence en expliquant que depuis 2011, on remarque une hausse des traversées méditerranéennes, qui correspond au déclenchement des Printemps arabes : les premiers flux sont majoritairement constitués de Tunisiens. Mais, à partir de 2014, le nombre de personnes qui traversent la Méditerranée augmente précipitamment, en lien avec la guerre civile syrienne. Cette augmentation brutale des traversées maritimes s’explique par la fermeture des routes terrestres : bien entendu il n’a pas fallu attendre 2011 pour que l’Europe devienne une destination migratoire.

En 2016, sur les 363 000 arrivées recensées, 176 000 personnes sont arrivées en Grèce, notamment sur les îles de la mer Egée. L’accord signé, en mars 2016, entre l’Union Européenne et la Turquie[2] a crée un déplacement des flux vers la Sicile. En termes de nationalités, ces flux sont essentiellement constitués de Syriens, de personnes venant d’Asie centrale, d’Afrique Orientale (Erythrée, Somalie, Ethiopie, Soudan) et dans une moindre mesure d’Afrique occidentale (Nigéria, Gambie, Côte d’Ivoire). Le profil des migrants a tendance à se modifier : de plus en plus de mineurs isolés (ils représenteraient 20% des déplacés) mais également des femmes seules prennent le parti de traverser la Méditerranée.

(suite…)

L’Afrique des routes

L’Afrique des routes
31 janvier – 12 novembre 2017
Musée du Quai Branly -Jacques Chirac

 

 

Si vous croyez que l’Afrique est un continent sans histoire, vous avez tout faux ! L’Afrique n’est pas entrée dans l’histoire avec l’arrivée des Européens et elle n’est pas seulement le berceau de l’humanité.

Le musée du Quai Branly – Jacques Chirac expose 300 objets qui témoignent de l’ancienneté des contacts et des échanges entre l’Afrique (surtout subsaharienne), l’Asie et l’Europe.

A l’entrée de l’exposition un dépliant vous offre une carte politique et une chronologie qui s’étire sur 7 millions d’années, du crâne fossile d’hominidé trouvé à Toumaï (Tchad ) jusqu’à l’élection d’une femme à la Présidence de la République du Libéria en 2006.

Regardez bien le masque de Guinée Conakry retenu pour l’affiche de l’exposition. Taillé dans un seul morceau de bois (belle prouesse) il est porté par un jeune homme lors de son passage à l’age adulte et raconte sa vie future. Il représente un pélican transportant par voie aérienne un colon reconnaissable à son casque. L’homme blanc porte un petit masque, celui de D’mba, figure de fertilité. Il est encadré par deux femmes noires. L’artiste a réalisé cet objet polychrome avec des peintures venant d’Europe.

Vous aviez des idées simples sur l’Afrique, l’exposition veut vous démontrer que vous avez tort. L’Afrique est à l’honneur cette année, c’est une bonne nouvelle.  Elle sera aussi à l’affiche de l’Institut du monde arabe, de la Fondation Vuitton et du festival de La Villette. Profitez-en.

L’Afrique : un continent oublié, méconnu, méprisé

« Comme les requins sont précédés de leurs poissons-pilotes, notre regard est précédé d’un regard-pilote, qui propose un sens à ce qu’il regarde… Nous nous croyons bien à tort libres de ce regard » André Malraux, L’Intemporel.

S’agissant de l’Afrique, la métaphore de Malraux témoigne de la méconnaissance du continent et des préjugés tenaces qui forment autant d’obstacles à sa connaissance. Il en va de l’histoire comme des arts africains longtemps jugés « primitifs ».

(suite…)

Anatomie du chemin noir. A propos d’un récent ouvrage de Sylvain Tesson.

Sylvain Tesson,Les chemins noirs, Gallimard, 2017

Un écrivain, Sylvain Tesson, vient de fouler ce qu’il baptise la France des chemins noirs. Sur les chemins d’une France en berne, il promène sa nostalgie d’un monde perdu, idéal, fait de ruines et de ronces, de parenthèses et d’interstices, perpétuellement défait par des générations d’hommes pressés. Du Mercantour au Cotentin, en passant par le Perche et l’Aubrac, la Margeride et le Bas-Vivarais, il arpente une France intérieure propice à cette « géographie de l’instant » dont il a, mieux que l’intuition, la vocation. Il est tombé, il a mûri, sa prose est devenue mature, plaisante, facile, trop facile peut-être, se révélant sommaire.

Une existence en surchauffe

Cet homme infatigable, dont on ne sait s’il voyage pour écrire ou s’il écrit pour voyager, est certainement aujourd’hui l’écrivain-voyageur français contemporain le plus en vue, et l’un des plus connus du lectorat. Pareille fortune mérite attention, parce qu’au-delà de ce qu’elle nous apprend de l’auteur lui-même, cette popularité est le miroir d’une demande sociale, d’une aspiration croissante vers un je ne sais quoi d’extravagant – au sens premier du mot : menant hors de la voie normale – qu’il faudra interroger. Elle nous renseigne sur une personne, mais surtout, elle nous enseigne sur une époque : arrêtons-nous sur le renseignement, qui peut-être nous dira un peu de l’enseignement.

Partout, on le sait, S. Tesson a roulé sa bosse. À peine sorti de l’adolescence, on le voit pédaler en Islande (1991), non sans une grande part d’improvisation, à une époque où le tourisme y est à la veille d’entamer son grand essor. Trois ans plus tard, il entreprend un tour du monde au long cours, à bicyclette, avec son camarade Alexandre Poussin (1994) : première d’une longue série de cavalcades amicales. Bientôt, il s’enhardit : c’est à l’Himalaya qu’il s’attaque (1997). En surchauffe constante, courant de pics en cols, de cimes en défilés, de parois montagneuses en façades urbaines, cet Homo viator, tour à tour alpiniste, acrobate, cavalier et escaladeur, surfeur et parachutiste, a fait choix de vivre dangereusement, de mener, selon le joli mot de L. Febvre, une existence « de plein vent ».

(suite…)

De « yak-driver » à « taxi-driver » : les pratiques de mobilité des Sherpa du Khumbu (Népal) à New York

Changement de lieu et d’ambiance pour le Café Géo du mercredi 12 octobre à Chambéry : c’est dans la petite salle comble du bar-restaurant Le Bruit Qui Court qu’Ornella Puschiasis guide le public d’Himalaya aux États-Unis, sur les traces des Sherpa. Postdoctorante au Centre d’Études himalayennes, la géographe évoque ses recherches actuelles avec enthousiasme et pédagogie. Dans le texte qui suit, elle livre les grandes lignes de ses travaux.

Retrouvez également ce compte rendu au format PDF (800 ko).

Quelques mots à propos de mes recherches conduites en thèse sont nécessaires pour mieux comprendre la problématique migratoire que j’étudie aujourd’hui. Avant de s’intéresser à la diaspora des Sherpa, il convient donc d’évoquer quelques éléments concernant le Khumbu (Népal) qui est leur territoire d’origine.

Ma thèse, soutenue en 2015, s’inscrivait dans un projet interdisciplinaire regroupant géographes, glaciologues, hydrologues, et modélisateurs du climat autour de l’analyse des conséquences des variations climatiques sur l’évolution du couvert neigeux, sur le retrait des glaciers et sur la disponibilité en eau en Himalaya. J’ai plus particulièrement mené mes recherches dans la région de l’Everest, appelée localement Khumbu, un site de haute montagne qui s’étage entre 2835 m et 8848 m d’altitude au nord-est du Népal. Cette région est incisée par trois vallées qui drainent les apports en eau et dont la confluence marque la limite sud avec la vallée du Pharak. Le Khumbu est une vallée internationalement connue et reconnue, tout d’abord grâce au plus haut sommet du monde qui la surplombe, l’Everest objet de conquête et de convoitise, qui a largement contribué à la mise en lumière de la région. Sa population est un autre élément de fascination : en effet, les trois quarts des 3 500 habitants du Khumbu appartiennent au groupe ethnolinguistique sherpa, dont le nom participe à la construction d’un mythe.

Carte topographique du Khumbu (Puschiasis, 2015)[1]

Par ailleurs la vallée est inscrite dans la zone cœur d’un parc national : le Parc national de Sagarmatha.  Au sein de ce dernier, j’ai plus spécifiquement travaillé sur le territoire réticulé de Pangboche au sein de la vallée de l’Imja, un des derniers villages d’habitat permanent sur le sentier qui mène à l’Everest.

Le Khumbu est un lieu emblématique pour étudier les variations climatiques puisque les scientifiques le considèrent souvent comme un « hot spot » du changement climatique, notamment depuis le quatrième rapport du GIEC en 2007. C’est ainsi un espace au cœur des débats et des enjeux contemporains en raison de la hausse des températures plus élevée que la moyenne mondiale qu’il connaît. En outre, cette vallée est aussi un espace historique de migration.

(suite…)

Bernard Debarbieux : le public et ses places

Pour le premier Café Géo de Lyon de 2017, le 26 janvier 2017, Florent Chossière, de l’équipe des Café Géo de Lyon, a invité Bernard Debarbieux, professeur en géographie à Genève. Bernard Debarbieux commence par remercier les Café Géo de Lyon pour cette invitation et souligne que s’il a peu écrit sur le thème précis de l’intitulé, il s’est intéressé aux places et aux formes de spatialités qu’elles mobilisent dans ses écrits, notamment dans son ouvrage sorti en 2015, L’espace de l’imaginaire, essais et détours [http://www.cnrseditions.fr/geographie/7163-l-espace-de-l-imaginaire.html].

Places, publics et spatialités

En guise d’introduction, Bernard Debarbieux explore les différentes façons de concevoir la notion de « public » et la pertinence d’interroger les « places » de ce point de vue.

La notion de public a en effet beaucoup été travaillée par la philosophie politique, les sciences politiques, le droit, et de manière plus générale, les sciences sociales. Les acceptions sont nombreuses et diverses.

Bernard Debarbieux propose de faire une distinction entre deux grands types de public(s).

D’abord, le « public audience » correspond au public d’un conférencier, d’une performance artistique. Il s’agit de l’acception de la plus basique du terme. On retrouve le « public audience » lors d’un match sportif, même s’il y a évidemment une différence en termes de performateur.

Le second type de public désigne un collectif circonscrit par des références communes à des médiations diverses. Il peut s’agir d’un lectorat, d’un public qui consomme des informations à la télévision ou qui interagit sur le web. Ce public est composé de personnes qui accèdent de manière simultanée à l’information même si elles ne constituent pas une audience. Le public des affaires publiques (qui renvoie à l’étatique, au débat public) rejoint ce second sens du terme public. Cette acception de public se distingue des usages dominants des notions de peuple ou de nation. En effet, alors qu’on a tendance à objectiver, voire à essentialiser, le peuple ou la nation, il n’est pas possible d’objectiver le public. Le public implique des formes de subjectivité que les notions de nation et de peuple, dans leur usage dominant, ont tendance à gommer.

Bernard Debarbieux précise ensuite les formes de spatialité associées aux deux types de publics qu’il vient de décrire. L’hypothèse qui guide l’ensemble de sa réflexion est la suivante : tout public serait institué par un imaginaire social de l’espace aux caractéristiques propres.

Le public audience, le public des conférences ou des matchs requiert la coprésence. Cette coprésence est spatialement organisée sur un mode tantôt informel (attroupements), tantôt très formel (des stades, des théâtres, des amphithéâtres, etc.). Qu’ils soient formels ou informels, ces agencements distinguent clairement les places et espaces occupés par le public, les acteurs de la performance et, le cas échéant, les intermédiaires. Cet espace peut être très normalisé comme c’est le cas pour les stades de foot avec le terrain, les tribunes, les gradins… : le public n’occupe qu’une place spécifique et le terrain construit une autre relation au public.

(suite…)

Paysages et territoires du sel

Café de géo Paris, le 14 décembre 2016

Paysages et territoires du sel par Micheline Huvet-Martinet, Agrégée d’Histoire, Docteure ès Lettres, ex prof CPGE Lycée Claude Monet Paris. Ses thèmes de recherche initiaux ont porté sur le Faux-saunage en France sous l’Ancien Régime, élargis à la fiscalité et l’histoire du sel. Gildas Buron qui devait intervenir a malheureusement été empêché.

Michèle Vignaux  se charge d’ouvrir la séance en rappelant l’originalité du produit : vital, abondant dans la nature, devenu le condiment par excellence aux usages multiples, mais aussi  produit mythique à haute valeur symbolique très tôt associé au divin.

Le café de géo de ce jour  s’intéresse aux  différents paysages correspondant aux territoires actuels du sel. Il est rappelé le caractère indispensable mais surtout insubstituable du sel qui explique son poids dans les économies et les sociétés pré-industrielles quand  la chaîne du froid n’était pas maîtrisée. Le sel, là où il existe, a été un facteur d’appropriation d’espaces devenus des territoires identifiables, structurés par des sociétés organisées autour de sa recherche, sa production, sa transformation, son raffinage, son conditionnement, son transport, sa distribution et son commerce. L’industrie du sel était dans les salines continentales une entreprise complexe et double, constituée à la fois  d’installations de surfaces et d’équipements souterrains. C’était une industrie  industrialisante générant de multiples activités et des emplois induits. Les salins littoraux ont été dévoreurs d’espaces qu’ils ont structurés tout en  organisant des sociétés humaines.

Or de nos jours, le sel est devenu un produit banal. En effet, au XIX°s  l’industrialisation, le développement du chemin de fer (qui libera la production de sel de sa dépendance millénaire à la mer en rompant l’isolement des salines continentales comme en Lorraine) et les concentrations capitalistes  (qui permirent de dégager des investissements pour moderniser la production) ont bouleversé les marchés nationaux et le marché international du sel provoquant la ruine tant de la saliculture du littoral atlantique européen (et même de certains salins méditerranéens) que des vieilles salines de l’Europe continentale (dans le Salzkammergut ou en Franche-Comté) ainsi que celle des mines de sel gemme (à Wieliczka en Pologne).

Le sel, produit recherché s’est totalement banalisé en devenant  abondant alors que dans le même temps ses usages se multipliaient et se différenciaient.  De ce fait, actuellement, on peut considérer qu’il existe assez peu de territoires du sel proprement dit au sens où le sel serait l’unique ressource créatrice des activités. En France le sel ne représente que 5000 emplois. Pourtant, les territoires du sel sont à l’origine de paysages spécifiques élaborés au cours des temps. Le sel continue à témoigner de son importance en s’imprimant dans la toponymie: Salins, Salies, Marsal, Lons-le-Saunier; Salzbourg, Salzkammergut… mais aussi avec sa racine Hall (halite nom du sel gemme  vient du grec Halos=sel) Hallstatt, Hallein, Schwäbish Halle.

(suite…)

Claude Simon : géographie de la mémoire

Café géographique du 25 janvier 2017,
animé par Jean-Yves LAURICHESSE
(Professeur de Littérature à l’Université de Toulouse 2 Jean-Jaurès)

Retrouvez les diapositives de présentation de ce café géo au format PDF (3 Mo)

Claude Simon naît à Tananarive en 1913 et meurt à Paris en 2005. Il est l’auteur d’une œuvre abondante (La Route des Flandres en 1960, Histoire en 1967, L’Acacia en 1989, Le Jardin des plantes en 1997…) couronnée par le prix Nobel de littérature en 1985. Ses œuvres en deux volumes sont publiées dans la bibliothèque de la Pléiade. Il dit lui-même composer des « romans à base de vécu ». Comme il l’évoque dans « Lieu » en 1977, tout paysage s’assimile chez lui à un « paysage intérieur » :

« Tout spectacle, tout paysage […] qui font l’objet d’une description (ou d’une peinture) sont, […] avant tout, la description (ou la peinture) de l’univers particulier et constitutif de celui qui tient la plume ou le pinceau ».
(Claude Simon, « Lieu », 1977)

L’œuvre de Claude Simon, qui prête ainsi une attention toute particulière à l’espace du dehors et aux paysages, interroge le rapport entre la géographie et la mémoire. Le parcours proposé ici s’organise en cinq étapes qui permettent de prendre en considération à la fois une géographie du vécu, à travers certains éléments biographiques, et une géographie de la fiction qui met davantage l’accent sur le contenu des œuvres.

1. Initiations

Claude Simon est comme sensibilisé à l’histoire par la géographie. Son plus lointain souvenir d’enfance est la recherche, avec sa mère et ses tantes, de la tombe du père dans les anciens champs de bataille de la Grande Guerre Par son travail littéraire, il relève les empreintes des conflits sur les paysages, les traces de la guerre. Il met ainsi en relation le conflit et la terre, l’activité militaire et l’activité agricole :

« […] il pleuvait sur le paysage grisâtre, le cercle de collines sous lesquelles achevaient de pourrir les corps déchiquetés de trois cent mille soldats, sur les champs grisâtres, les maisons grisâtres – ou plutôt ce qu’il en restait, c’est-à-dire comme si tout, collines, champs, bois, villages, avait été défoncé ou plutôt écorché par quelque herse gigantesque et cahotante […]. »
(L’Acacia, p. 19)

Né à Madagascar, Claude Simon, après la mort de son père à Verdun en 1915, est élevé par sa mère, issue d’une famille catalane, à Perpignan. Il met ainsi en dialogue ses deux pays d’enfance :

« Vivant la majeure partie de l’année dans un pays méditerranéen, je quittais quelques semaines, l’été, cet univers un peu emphatique, éblouissant de lumière, desséché et poussiéreux, sa mer trop bleue, son ciel trop bleu, pour leur contraire : un monde à la fois simple et enchanté, verdoyant, aux forêts humides, aux mousses, aux senteurs de foin et d’herbe coupée, aux prés émaillés de fleurs, aux eaux vives. Peut-être, en dehors d’autres facteurs affectifs, […] n’avaient-ils (n’ont-ils encore) tant de prix pour moi que parce qu’ils m’apparaissaient comme la matérialisation soudaine, passagère, annuelle et éphémère d’entités qu’autrement je ne connaissais que par mes lectures, comme les forêts des contes de fées, ces glaciers ou ces déserts mentionnés dans les manuels de
géographie aux chapitres de la Suisse ou de l’Afrique […]. »
(« Lieux »)

Les deux univers s’opposent sur le plan géographique, mais aussi sur le plan des valeurs. D’un côté, un univers de l’excès, de l’autre, un univers enchanté. Les « facteurs affectifs » dont il est question correspondent au lien paternel : le père donne au pays un surplus de prestige. Le contraste entre les deux pays apporte à l’enfant une expérience géographique et un savoir vécu, non livresque, qui s’apparente à une expérience du « dépaysement » (pour reprendre le titre du livre de Jean-Christophe Bailly). Mais la géographie de l’enfance est aussi une géographie sociale qui est marquée par une différence de classe qui joue dans le contraste. Dans les deux cas, il existe bien un rapport à la terre mais, d’un côté, il s’agit d’un domaine viticole de grand propriétaire terrien, un peu décadent, de l’autre, d’une petite propriété de paysans qui se tuent à la tâche.

(suite…)

Les nouveaux bourgeois des campagnes : vers une éviction rurale ?

Jeudi 19 mai 2016, 18h30
Café librairie BD Fugue, centre Bonlieu

Par Samuel Depraz, agrégé de géographie et maître de conférences à l’Université Jean Moulin / Lyon 3. Ses thèmes de recherche portent sur les espaces ruraux, le développement local et les espaces naturels protégés en France, en Allemagne et à l’échelle européenne.

Retrouvez également ce compte rendu au format PDF (600 ko).

L’intervention de ce jour a pour cadre général la « renaissance rurale », cette tendance à l’augmentation de la population et à la reprise progressive de bâtiments anciens observée dans la plupart des campagnes françaises. Une tendance qui s’accompagne d’autres signaux, plus discrets, avec la mise en place de nouveaux conseils municipaux, d’une offre commerciale et artisanale plus diversifiée, ou encore d’actions culturelles plus fréquentes. Ce renouvellement laisse parfois apparaître de nouvelles tensions entre habitants de l’espace rural, mais également des complémentarités accrues avec la ville, autour d’une effervescence globale qui nous éloigne de l’ancien « rural profond » et de toute idée d’ « exode rural » – un terme aujourd’hui révolu.

Ces transformations multiples seront ici illustrées à partir de l’exemple voisin du Parc naturel régional (PNR) du Massif des Bauges, pour lequel S. Depraz interrogera un processus en particulier : en quoi est-ce qu’un espace naturel protégé tel qu’un PNR est non seulement vecteur d’une transformation  positive de l’image des espaces ruraux, donc d’une renaissance rurale, mais aussi d’une forme d’embourgeoisement des campagnes ? Cet « embourgeoisement » doit être questionné aujourd’hui par le fait que la ruralité se reconstruit de manière sélective au profit d’une certaine tranche de la population, plutôt aisée. Les espaces protégés ont alors un effet qui déborde de leur mission première, celle de protéger la nature et les paysages : ils ont un impact social bien réel, qu’il s’agit ici d’évaluer dans le cadre des PNR en particulier.

  1. Le processus général de renaissance rurale

La renaissance rurale est une évolution au long cours connue par les campagnes de France et d’Europe depuis plus d’une génération. L’expression de « renaissance rurale » est un terme ancien (1990) proposé à la discussion par le géographe Bernard Kayser[1] à une époque où cela n’était pas forcément évident. Ce phénomène fait alors l’objet d’un débat en géographie rurale entre deux visions contradictoires : d’une part celle de la poursuite de la déprise rurale engagée depuis le milieu du XIXe siècle, avec l’affirmation d’un « rural profond » et le constat – parfois nostalgique de la part des chercheurs[2] – de la disparition d’une certaine société rurale centrée sur l’agriculture et le village isolé ; de l’autre côté, l’émergence de signaux encore faibles de reprise démographique par des catégories de population très diverses et qui font le choix de la ruralité, à l’écart des centres urbains. Les deux processus étaient, dans les faits, concomitants et d’importance variable selon les espaces. On a cependant constaté la progression du phénomène de renaissance rurale et des logiques de recomposition qui lui sont propres. Les nouveaux arrivants, rassemblés sous l’appellation de « néo-ruraux », ont d’abord été perçus comme des « alternatifs », en quête d’une rupture avec le mode de vie urbain. Peu à peu, ces populations nouvelles se sont diversifiées et représentent un ensemble d’habitants aux profils sociologiques plus variés.

(suite…)

A la recherche de l’accélération à travers l’affiche ferroviaire

Café animé par Kevin Sutton, maître de conférences en géographie à l’Université Grenoble Alpes, le samedi 1er octobre 2016 au Nova Bowling (Saint-Dié-des-Vosges)

Associer recherche de vitesse et train est une banalité, mais  analyser l’ « accélération » suppose que l’on pose un référent extérieur et que l’on définisse le domaine de l’accélération. C’est à cette tâche que Kevin Sutton nous invite en introduisant son exposé par la présentation de deux petits films ; l’un  de Jean Mitry, illustré par un poème symphonique d’ A. Honegger, montre la machine à vapeur Pacific 231 en 1949 , l’autre, de 2005, est une publicité pour le TGV.

En cinquante ans la représentation visuelle de l’idée d’accélération a changé. Dans le premier cas, le référent est une péniche et les images magnifient la puissance de la locomotive et la prouesse technique. Dans le second, l’accélération est montrée par des hommes-oiseaux qui franchissent tous les obstacles dans un mouvement continu sans bouger (comme dans un avion), pouvant ainsi optimiser leur temps.

A partir de ces deux exemples, trois problématiques se dégagent : accélérer, c’est aller de plus en plus vite ; accélérer, c’est aller plus vite que les autres ; accélérer, c’est accroitre les possibles. Pour les traiter, Kevin Sutton s’appuie sur plusieurs affiches publicitaires des chemins de fer français et suisses.

Plusieurs affiches mettent en valeur la performance. Sur trois affiches, de dates différentes, l’exceptionnalité de la performance technique est mise en scène. L’excellence est liée à la vitesse : en 1935, le PLM propose un Paris-Lyon en 4h50 ; en 2007 c’est le record de 574,8 km/h que glorifie la SNCF; et plus récemment l’affiche du CNAM sur « Les défis du rail » montre l’AGV (automotrice à grande vitesse) avec le slogan « Toujours plus vite » (ce successeur du TGV a été mis en service en Italie en 2012). Par quel graphisme suggérer la vitesse ?

Affiche du CNAM (2009) « Toujours plus vite! Les défis du rail »

Sur un tableau de 1937 à l’iconographie classique, F. Aubet ne porte l’idée de vitesse que par l’affirmation textuelle « Le train va plus vite ». Mais en 1960 les trois termes de la performance « Vitesse, Exactitude, Confort » s’inscrivent dans la forme simplifiée de l’hexagone suggérant ainsi visuellement que la vitesse est domestiquée. La SNCF a aussi fait appel pour sa publicité à des artistes renommés. Salvador Dali conçoit en 1969 une série d’affiches dans lesquelles l’idée de diffusion de la vitesse est représentée par de grands faisceaux. Aujourd’hui la perception du mouvement est liée à l’inclinaison même des lettres TGV.

(suite…)

Chine ancestrale ou éveillée

Chine ancestrale ou éveillée, 20 octobre – 2 novembre 2016

Le voyage a été organisé par Maryse Verfaillie, pour l’association Les Cafés géographiques (de Paris).
Entre Chine ancestrale et Chine éveillée, entre montagnes et littoraux, nous avons balayé 13 siècles d’histoire en 13 jours. Un véritable défi !
Le présent compte rendu est exceptionnel. Il s’agit de la publication du Carnet de voyage du participant Jean-Marie Renard, dessinateur et caricaturiste de son métier.
En dernière page, vous sera également offerte la reproduction d’un tableau réalisé par une autre participante, Marie-Laure Viney.

Le voyage a été réalisé avec l’agence Arts & Vie. Le compte rendu a été mis en page par Bernard Verfaillie, puis publié sur le site par notre webmestre.

Il est constitué de 38 croquis réalisés à partir des sites visités (les croquis 13 et 14, puis 33 et 34 peuvent être vus comme des doubles pages). Il est suivi de caricatures représentant les participants au voyage.

Carnet de voyage en Chine de Jean-Marie Renard

Croquis 1

Croquis 1

(suite…)

« Page précédentePage suivante »