Derrière la place Tahrir (Le Caire, Égypte, septembre 2014)

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La photo est de piètre qualité. La forte et intimidante présence policière à proximité de la place Tahrir au Caire, où a été prise cette dernière en septembre 2014, n’aide pas à faire les bons réglages. Suspendue à un mur de pierre, une banderole blanche dit en substance : « Aidez-nous à rouvrir nos rues » ! Cet appel au secours attire notre attention sur ce qui constitue probablement l’une des principales victimes collatérales des soubresauts de la transition politique en Égypte, à savoir l’usager du centre-ville du Caire.

Sur la douzaine de murs construits entre fin 2011 et début 2012 afin d’empêcher les rassemblements, sur la place Tahrir, d’opposants au régime militaire qui assurait alors l’intérim après le départ de Moubarak, il en reste plus de la moitié aujourd’hui. On assiste donc depuis près de trois ans dans certains quartier du centre-ville du Caire, à la dégradation des conditions de circulation automobile et piétonnière, à l’effondrement des économies de quartier (commerces fermés, livraisons et entretien non assurés) et, désormais, à la montée d’une forte colère.

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Géographie et sexualités : repolitiser la ville

Café géographique au Café de Flore, Paris
Mardi 27 mai 2014

Avec Charlotte Prieur et Rachele Borghi (Université Paris-Sorbonne)
Animation Judicaëlle Dietrich

Rachele Borghi revient sur ces thématiques courantes mais peu connues, car invisibilisées ou ignorées. On pense parfois que ces questions ne concernent pas la géographie. L’idée est d’expliquer comment des géographes regardent la ville, et plus largement l’espace, en ajoutant une catégorie d’habitude cantonnée à la chambre à coucher. A travers la sexualité, on mélange les autres catégories pour faire sortir quelque chose du chapeau.

La géographie des sexualités est assez ancienne

Les lectures des sexualités dans les espaces urbains datent déjà des années 1970 aux Etats-Unis. On s’est alors surtout penché sur les formes spatiales des communautés gays et lesbiennes qui polarisaient les questionnements initiaux : les sexualités autres. Le principal apport de la géographie à l’époque était de cartographier des zones résidentielles gays dans les villes américaines. Culture, consommation, espace urbain : les communautés gays interviennent dans le processus de gentrification des villes. Dans les années 1990, la question est abordée différemment : comment l’hétéronormativité influence l’espace public. L’espace public n’est pas qu’un support, une scène, mais il est conçu selon des normes hétérosexuelles et influence les normes sexuelles. L’hétéronormativité apparaît comme une injonction, une obligation. On la transforme en norme. Les hétérosexuel.le.s ont un accès légitime à l’espace public. Les sexualités produisent des espaces d’inclusion et d’exclusion. On abandonne l’approche cartographique et on se concentre sur les rapports entre espace, identité et pouvoirs. On crée des espaces de pouvoir, avec des catégories dominantes. La géographie féministe renouvelle ces questionnements. L’idée était de rendre visibles les sexualités dissidentes, afin de résister à l’hétéronormativité. S’y ajoutent l’étude de la bisexualité, et l’étude des trans. Ces sexualités et ces genres non normatifs ont un impact sur l’espace.

Les points faibles sont les suivants : la production scientifique est très liée au contexte gay, des hommes blancs étudient des zones commerciales, où la culture gay était prévalente. Le point fort creusait le lien entre sexualité et espace. Cela éclaire la production de connaissances géographiques – des connaissances situées, qui viennent d’un certain point de vue. Il faut voir comment le monde académique est lui aussi hétéronormé. Le prisme de la sexualité visibilise le caractère situé de la production de la connaissance, surtout assurée par des hommes blancs, riches, hétérosexuels.

En France, les études en géographie de la sexualité sont de plus en plus répandues. Le travail de Marianne Blidon a porté l’attention sur le fait que les personnes ne se questionnaient pas sur ces problématiques de recherche. Le monde académique français devait alors considérer un objet jusque-là considéré comme illégitime.

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Chungking Express (Wong Kar Wai, 1994)

Chungking Express (Wong Kar Wai, 1994)
102 minutes, Hong Kong

« Hong Kong est un personnage (…). La ville, les rues et le mouvement global du lieu remplacent même parfois les êtres de chair ».

Wong Kar Wai, 1998.

Hong Kong, l’espace originel

Chez Wong Kar Wai, Hong Kong est bien davantage qu’un décor. Plus encore qu’un cadre. Les films, leurs intrigues et leurs protagonistes battent au rythme de la ville. Ils en épousent les contours et prêtent leur voix à ce territoire complexe.

Chungking Express, réalisé en 1994, est le deuxième film où Wong Kar Wai pose sa caméra dans un Hong Kong contemporain. Le premier à mettre au centre de sa trame scénaristique et visuelle l’hyper-urbanité du territoire. Le film est composé de deux morceaux de vies parallèles aux trajectoires similaires : deux âmes désorientées dans le dédale urbain, deux hommes perdus dans le souvenir d’un amour passé qu’ils voudraient ressusciter. La première demi-heure, consacrée au policier matricule 223 incarné par Takeshi Kaneshiro, se déroule à Kowloon, dans le quartier de Tsim Sha Tsui autour des Chungking Mansions[1]. Un lieu populaire, cosmopolite, commerçant. Un espace sinisé, bariolé, dense, labyrinthique. Le reste du film, consacré au policier matricule 663 interprété par Tony Leung Chiu-wai, se déroule sur Hong Kong Island, dans le district de Central. Un quartier dédié à la finance. Celui des traders, de l’hypermodernité. Un espace globalisé, occidentalisé, structuré.

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Un schéma géomorphologique express …dans les montagnes du Daghestan

Dessin du géographe n°50

Ce schéma a été réalisé très rapidement au cours du Colloque franco-soviétique Alpes-Caucase de 1982*, qui nous avait permis de découvrir les aspects des montagnes du Daghestan et des régions adjacentes, dans le cadre d’ études comparatives sur les montagnes sèches semi-méditerranéennes. Ce colloque avait été organisé dans le cadre des relations bilatérales franco-soviétiques, initiées depuis 1974 par J. Dresch et l’Académicien I. P. Gerasimov (Guérassimov en transcription française) sur le thème général Alpes-Caucase, avec une succession de réunions sur le terrain, alternativement dans le Caucase (puis en Crimée) et en France. Avec quelques collègues aixois et autres**, dont les  regrettés Y. Bravard et M. Julian, nous étions les premiers géographes français à parcourir ces montagnes sauvages. Dans le cadre de cette mission scientifique nous sommes restés plusieurs jours à Gounib, bourgade haut-perchée, au cœur du pays des Avars dans les montagnes du Daghestan.

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Jodhpur, une ville indienne

Jodhpur est l’une des capitales princières du Rajputana, devenu Etat du Rajasthan (en sanskrit « terre des rois ») après l’indépendance de l’Union indienne. Situé au nord-ouest de l’Inde, cet Etat est grand comme les 3/4 de la France et rassemble environ 40 millions d’habitants, ce qui est peu pour l’Inde, mais s’explique par un climat semi désertique.

Situé sur les routes des grandes invasions et des caravanes, le Rajasthan a été rapidement peuplé de clans Rajput, d’origine aryenne. Ces clans, très tôt assimilés à des Ksatriyas (en sanskrit « caste des guerriers ») ont su, à travers les siècles, conserver une forte identité. Retranchés dans leurs forteresses, ils ont résisté aux invasions musulmanes. Plus tard ils se sont battus puis ralliés aux nouveaux maîtres du sous-continent : les Moghols puis les Britanniques.

Jodhpur, palais-forteresse

Le fort de Meherangarh (photo de Maryse Verfaillie, mars 2013)

Le fort de Meherangarh (photo de Maryse Verfaillie, mars 2013)

Le fort de Meherangarh (en sanskrit « fort en majesté »)  est l’un des plus imposants du pays. Il a été édifié en 1459 par le prince du Marwar, Rao Jodha (Jodhpur est la ville de Jodha). Le Marwar (en sanskrit « pays de la mort ») est aux mains d’un clan de guerriers Rajput depuis le XIIe siècle.

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Des dessins pour interpréter les perceptions du rural par les citadins chinois aujourd’hui

Dessin du géographe n°49 par Emmanuel Véron

Nous proposons dans le cadre de la rubrique « Dessins du géographe » d’exposer un échantillon de dessins issus de travaux de recherches sur l’analyse de nouvelles ruralités en Chine, en prenant l’exemple du delta du Yangzi. Ces dessins sont l’œuvre de citadins chinois de différentes classes d’âges. Ces individus ont fait partie d’une enquête sur le tourisme rural et les pratiques des citadins sur des lieux touristiques aménagés pour ces derniers. Ces lieux sont comme un sas entre le quotidien urbain et les espaces ruraux fantasmés. De plus, cette enquête s’inscrit dans un travail de recherche plus large concernant une analyse des lieux touristiques, le rôle des communautés et les gouvernements locaux dans le tourisme dans les espaces ruraux.

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Ecrire le paysage

maylis_de_kerangal

Lors des 14es Rencontres littéraires en pays de Savoie organisées par la Fondation Facim à Chamonix le 7 juin 2014 sur le thème « Ecrire le paysage »,  Maylis de Kerangal  lit  des extraits de son dernier livre paru sous le titre « à ce stade de la nuit » dans la collection « Paysages écrits » (éditions Guérin/Fondation Facim, 2014).

Depuis 2010 avec le prix Médicis décerné à son roman Naissance d’un pont, l’œuvre de Maylis de Kerangal rencontre une audience grandissante que vient confirmer  le très grand succès de Réparer les vivants paru en 2014. La plupart des livres de cet écrivain témoignent d’un intérêt marqué pour la question de l’espace géographique et en particulier pour celle des paysages. Cela nous vaut une merveille de petit texte (76 pages) que viennent de publier les éditions Guérin dans la collection « Ecrire le paysage » sous le titre  à ce stade de la nuit , avec un « à » minuscule comme pour souligner la place incertaine de pensées nocturnes dérivant sans logique autre que les rebonds d’un esprit qui se laisse emporter de digressions en digressions.

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Bird People (Pascale Ferran)
Bird People, Pascale Ferran, 2014, France.

Bird People, Pascale Ferran, 2014, France.

Il faut changer d’échelle pour modifier son regard ou, plutôt, multiplier les échelles d’observation pour épuiser la connaissance et la compréhension d’un lieu. Un beau texte de Michel de Certeau rappelle la nécessité de descendre du gratte-ciel pour se mêler à la foule, d’abandonner la vision zénithale, la position d’Icare, pour se mêler aux promeneurs et (re)découvrir la ville à hauteur d’homme, avec ses micro-événements, ses petites bousculades. C’est à ce genre d’exercice de va-et-vient entre points de vue et entre échelles que nous convie Bird People, par une suite d’artifices permettant d’épuiser un lieu aux ramifications spatiales infinies, ce connecteur mondial qu’est l’aéroport de Roissy.

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Un bloc diagramme des falaises d’Ouessant

Dessin du géographe n°48

Par Julien Gayraud (Etudiant en Géographie, option Gestion de l’Environnement – Parcours « Environnement, Territoires et Acteurs » – Université Rennes 2)

bloc Gayraud contrasté

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L’Ouest à la dérive
(<i>The Homesman</i>, Tommy Lee Jone, 2014, USA)

(The Homesman, Tommy Lee Jone, 2014, USA)

Repartir vers l’Est. Cinq semaines à travers le Mid-West, tour à tour glacial et balayé par le vent, avec en point de mire le Missouri, mais pour le franchir à l’envers, contre le sens de l’histoire. Fuir. Échapper à la Wilderness, devenue enfer, épreuve insoutenable, impasse à ciel ouvert, territoire de la diphtérie, de la famine, de la nature indomptée et pour toujours hostile. Tenter, dans un dernier face à face avec les éléments, de rallier la Civilisation, seul espoir de salut. In fine, opter pour le retour, la résignation, ultime aveu de faiblesse, d’impuissance : désolés mais non, impossible, on ne le fera pas, on rentre à la maison, conquérir l’Amérique rend trop fou, ou trop idiot, et puis l’Ouest, vraiment, ce n’est pas ce qu’on nous avait promis.

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