Jura, nous voilà !

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Dans la haute chaîne du Jura, entre les Rousses et le lac de Joux en Suisse,  le car glissait comme un reptile. Le paysage défile comme un cinémascope, la silhouette effilée des sommets, les barres calcaires entre les sapinières, l’ovale des lacs bleu ciel dessinant un petit pan de ciel bleu sur la campagne verte et dont l’air était jauni par le soleil. Nous étions là, à chercher ce que la montagne pouvait nous raconter de nous mêmes que nous n’aurions même pas songé à trouver, une émotion, une surprise, une certitude, une inquiétude peut-être. Dans le défilé des sapins qui nous accompagneraient au lac de Malbuisson que Courbet voyait comme un trou noir, les vaches étaient indifférentes à notre passage. Mouthe et son clocher coiffé d’un bulbe aux couleurs froides offrait la sidération d’un village ordinaire du haut-Jura, rue principale élargie pour les congères hivernales de neige, maisons protégées du vent par des tôles dessinées comme des écussons, voitures stationnées en désordre, femme secouant un tapis à la fenêtre, maquignon montant dans un camion de bestiaux. C’était donc cela, le Jura. Un canton de l’univers où des gens nés-là étaient restés sans vraiment l’avoir voulu, ouvrant les fenêtres en cette fin d’été chaude et qui allaient s’apprêter pour la saison du grand manteau blanc.

Frontière

Dole

Dole

Pourtant, entre Dole et Besançon, les deux capitales du comté de Bourgogne, sept jours pleins n’ont pas suffi pour accumuler des images, questions, étonnements sur ces lieux dont personne ne sait s’il faut les nommer Jura, Comté, Franche-Comté, Revermont, Haut-Doubs, porte de Bourgogne, Haute-Saône. Sauf si les limites ont un sens qui est de tendre un miroir dans lequel on se regarde. De préférence avantageusement, face à l’autre, déprécié pour ne pas déchoir dans notre image de soi. De fait, tout semblait frontière, ligne, marquage. Invisibles : mine de sel du trias fixant les installations d’extraction, périmètre d’une appellation viticole ou fromagère, microclimat, limite indécise de la hêtraie-sapinière, frontière géopolitique. Ou visibles : vignobles peignés, champs marquetés des hauts plateaux, ruisseaux et rivières ourlés de saules, clochers traçant le chemin de la terre au ciel, horizons en enfilade des plis géologiques.

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Forêts : retours en enfance. Deux BD revisitées. Tintin et Astérix écologues ?

 

Paul Arnould, professeur de géographie à l’ENS de Lyon et chercheur à l’UMR 5600, Environnement Ville Société, évoque, le 16 septembre 2015, les « Forêts : retours en enfance. Deux BD revisitées. Tintin et Astérix écologues ? », au Café de la Cloche.

Spécialiste des forêts, il a écrit dernièrement « Au Plaisir des forêts. Promenade sous les feuillages du monde », où le sixième chapitre (sur 43) porte sur les plaisirs enfantins de la BD. De l’enfance à la BD, il n’y a alors qu’un pas. Sa jeunesse en forêt est marquée par les Vosges, les cabanes et les mini-défrichements pour faire du bois de feu. Elle est occupée aussi par la lecture des albums de Tintin et par l’abonnement au journal Pilote où paraissent les aventures d’Astérix le gaulois. Ayant lu son premier Tintin Objectif Lune a un peu plus de 7 ans, Paul Arnould, approchant des 77 ans, la deuxième date fatidique utilisée par les publicitaires pour borner le lectorat de Tintin, a décidé de revisiter Tintin au prisme de l’environnement. Y ajouter des constatations et des interrogations avec un autre héros au succès phénoménal, Astérix, permet de proposer une lecture jumelle des deux bandes dessinées.

Comment la forêt est-elle représentée par les auteurs de ces deux BD, comment les questions écologiques y sont-elles évoquées ? Tintin et Astérix peuvent-ils être considérés comme des spécialistes de l’environnement forestier ?

Tintin et Astérix sont, pour de nombreux bédéphiles, des BD un peu datées. Ces deux séries sont parmi les plus vendues dans le monde. Les chiffres sont impressionnants : 365 millions d’albums pour Astérix, plus de 230 millions pour Tintin. Le dernier Astérix « Le papyrus de César », paru en octobre 2015, a été tiré à plus de 4 millions d’exemplaires. Tintin est désormais traduit en plus de cent langues, Astérix en plus de 120.

Astérix est très lié à l’Hexagone (Le gaulois, la serpe d’or, le tour de Gaulele combat des chefs, le bouclier arverne, le chaudron, la zizanie, le domaine des dieux, les lauriers de César, le devin, en Corse, le cadeau de César…), mais avec une forte dimension européenne (Les Goths, les Bretons, les Normands, aux jeux olympiques, en Hispanie, chez les Helvètes, chez les Belges….). Astérix est incontestablement plus européanocentré que Tintin.

Tintin s’impose au premier abord comme un chasseur non-écologue, surtout dans Tintin au Congo, livre de massacres et de tueries d’animaux ; mais d’autres représentations vont progressivement nuancer cette posture simplificatrice.

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« Iles de la Seine » au Pavillon de l’Arsenal, jusqu’au 2 octobre 2016

Beaucoup rêvent d’îles… forcément lointaines, tropicales aux essences parfumées ou océaniques battues par les tempêtes. L’île est le lieu du retrait du monde, de l’Utopie (« île » et « isolement » ont la même étymologie latine : insulatus). Pourtant la Seine, si familière, nous offre l’exploration de territoires divers, sauvages ou saturés d’histoire (117 îles qui s’égrènent de Conflans Sainte Honorine à Rouen).

L’exposition de l’Arsenal a pour objectif de faire découvrir à un public très large l’existence de ces îles qu’on traverse en oubliant leur insularité (l’île de la Cité) ou auxquelles on ne jette qu’un regard distrait du tram ou de la route. En complément de la visite, plusieurs activités ludiques sont proposées aux enfants (le thème de l’île au trésor est toujours attractif). Les adultes sont aussi invités à prolonger leur parcours par des balades sur le terrain. Sur un mur, 30 îles sont identifiées par une photo et une fiche détachable, informant de leur localisation, de leur taille, des moyens d’accès et des événements et lieux remarquables. Pour chaque île choisie, un texte et quelques photos (cartes postales anciennes, gravures, tableaux ou photos récentes). Quelques petits films tirés des archives de l’INA expriment les joies ou les déceptions des résidents et des promeneurs des décennies passées face aux transformations de « leur » île.

Le caractère original de chaque île tient à plusieurs facteurs, souvent historiques, mais aussi géographiques, écologiques, sociologiques, économiques. Le mythe y a aussi sa place, comme à l’île de Villennes dans les Yvelines où un trésor viking – pas encore trouvé – expliquerait son surnom d’  « Ile des Milliardaires ».

En naviguant d’amont en aval, nous pourrions aborder quelques îles au gré de notre curiosité.

La moins hospitalière est l’Ile Saint-Etienne au centre de Melun, occupée par un centre pénitentiaire depuis le début du XIXème siècle. Napoléon décide, en 1803, de faire d’un ancien Hôtel-Dieu tenu par des religieuses une prison pour femmes, prison-modèle devant servir d’exemple à tout le pays. Reconstruite et agrandie sous le II Empire et au début de la IIIème République, elle sert de Maison Centrale jusqu’en 1977 où elle devient un centre de détention pour détenus en courte peine ou en fin de détention.

Figure 1 île Saint-Etienne. Gravure de 1835

Figure 1 île Saint-Etienne. Gravure de 1835

Depuis le rattachement de l’île Louviers à la rive droite au milieu du XIXème siècle, deux iles occupent le cœur de Paris, lieux de prédilection des Parisiens comme des touristes, l’Ile Saint-Louis et l’Ile de la Cité.

Malgré leur proximité (elles sont reliées par le court pont Saint-Louis), peu de ressemblance entre les deux îles. La première, sans trace archéologique, n’est l’objet d’un premier projet d’urbanisation que sous Henri IV et Marie de Médicis. On y prévoit alors un lotissement au plan régulier et la construction de moulins à eau. Mais ce sont les beaux hôtels édifiés au XVII ème siècle, notamment par Louis Le Vau (par exemple l’hôtel Saint-Lambert), qui lui donnent son aspect actuel très homogène.

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La tragédie malienne: comment en est-on arrivé là?

Compte rendu du café géo albigeois du 10 décembre 2013
Présentation par Stéphanie Lima et Patrick Gonin,
Géographes, MCF au Centre universitaire J.-F. Champollion d’Albi, LISST-CIEU, et Professeur des Universités à l’Université de Poitiers, Migrinter.

Depuis juillet 2013, la France se désengage militairement du Mali après une opération de plusieurs mois, mais, pour autant, le Mali est-il revenu à une situation de stabilité ?

Sur le terrain, la menace djihadiste semble contenue, et les élections présidentielles et législatives ont pu avoir lieu dans des conditions satisfaisantes pour les observateurs internationaux. Cependant, le pays est-il sur le chemin de la reconstruction ?

Ramener la tragédie malienne à la montée en puissance de l’islam radical dans cette zone de turbulences qui va de la Somalie à la Mauritanie serait réducteur. Une lecture purement internationale de la crise peut s’avérer trompeuse : le Mali est en réalité confronté à de graves défis internes, que pas un de ses gouvernements n’est jusqu’alors parvenu à résoudre (par exemple la réforme de décentralisation, la gestion des migrations).

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Patrick Gonin, introduit son propos en contextualisant la place du Mali dans le monde. Pour comprendre comment le Mali s’est retrouvé dans cette situation instable, il propose une approche de géographie politique et de géostratégie. Il existe plusieurs causes profondes qui expliquent le conflit : la faillite de l’Etat depuis plusieurs années, la montée d’un islam radical (qui s’étend de la Somalie à la Mauritanie en passant par le Sahara), un djihadisme local très ancien (qui remonte à plusieurs décennies, voire plusieurs siècles) le terrorisme transnational, les poussées indépendantistes, des zones de non droits (trafic de drogue, d’armes, et de migrants), les tentatives sécessionnistes (cinq révoltes Touaregs avant et après l’indépendance), les émeutes de la faim (insécurité alimentaire).

Ainsi, on peut se demander s’il existe une dimension globale à cette crise ? L’hypothèse centrale du livre La tragédie malienne  (Editions Vendémiaire) est donc que pour comprendre le nord du pays, il faut aussi regarder le sud. Il faut également s’intéresser de plus près aux problèmes internes du pays.

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Lyon, porte des Alpes
Vue de Lyon depuis les hauteurs de Fourvière (Cliché Pierre-Louis Ballot, 24 juillet 2016)

Vue de Lyon depuis les hauteurs de Fourvière (Cliché Pierre-Louis Ballot, 24 juillet 2016)

En ce dimanche 24 juillet 2016, la vue depuis les hauteurs de Fourvière nous offre un superbe panorama de la cité lyonnaise : la Saône, le 2ème arrondissement (où l’on distingue nettement sur la droite la couleur ocre de la place Bellecour), les bords de Rhône (dont on devine la présence grâce aux nombreux arbres qui les jalonnent) et le quartier de la Part-Dieu (symbolisé par la tour de la Part-Dieu, surnommée le « crayon » ou encore, tout à gauche, la plus haute tour de la ville, la tour Incity, récemment achevée) apparaissent ainsi successivement sur les différents plans de la photographie. Puis, la ville semble ensuite s’étendre à perte de vue jusqu’aux collines, dont on peut tout au loin distinguer les premières formes.

Fasciné et subjugué par la vue proposée, je ne suis pourtant pas totalement satisfait : le temps, ce jour-là (et une fois de plus), ne me permet pas d’apercevoir et de contempler, à l’horizon, une partie de la chaîne des Alpes et son point culminant, le Mont Blanc. Un paysage qui, lorsque le ciel est des plus clairs et des plus dégagés, s’offre à qui s’aventure sur ces mêmes hauteurs de Fourvière ou encore sur les pentes de la Croix-Rousse, comme sur la photo ci-après.

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Enjeux environnementaux et géopolitiques au lac Tchad

90ème Café de géographie de Mulhouse,
avec Roland Pourtier, Professeur émérite, Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne,
le 23 mars 2016, au Carré des associations

Le lac Tchad est au centre d’une région bouleversée par le terrorisme, où sévit Boko Haram qui a fait allégeance à DAECH.

Suite à un Forum du développement durable à N’Djamena, en 2010, il a été décidé de faire un atlas du lac Tchad, le premier du genre, qui regroupe toutes les problématiques sur ce lac, partagé entre 4 États. Un espace unique au sein du Sahel, le seul grand lac de la région, la seule grande zone humide.

Longtemps ignoré des Européens mais au cœur des empires Bornou et Kanem, on n’a commencé à s’y intéresser qu’au XIXème après des voyages d’exploration dont celui d’Heinrich Barth en 1851. A cette occasion, une cartographie approximative en représente les contours pour la première fois.

Sauver le lac Tchad est depuis longtemps une préoccupation majeure bien avant que les exactions de Boko Haram ne s’y déroulent car la menace sur le lac Tchad est d’abord climatique.

Face au changement climatique certains ont craint la disparition de ce lac, situé au contact entre Sahara et Sahel [un mot qui veut dire la bordure, le rivage]. Le Sahel est fragile. L’agriculture, l’élevage sont aléatoires. Les sécheresses récurrentes (1970- 1990) ont entraîné une rétraction du lac Tchad.

Entre 1963 et 2001, le lac a, d’après les images satellites, perdu une bonne partie de ses eaux. Les cartes établies à partir de ces images sont destinées à mobiliser l’opinion, les ONG, les OIG pour les pousser à agir : on veut attirer leur attention

  • En 1963, le lac présentait une surface de 25 000 km2 en eau, à l’achèvement d’un cycle humide caractérisé par des débits élevés du Chari, principal tributaire du lac.
  • En 1973, c’est le début des sécheresses larvées depuis 1969. Se cumulent des déficits pluviométriques et une baisse du débit des fleuves.
  • En 1997, l’effet des sécheresses persiste

Ce lac est marqué par des fluctuations constantes. Ses contours bougent sans arrêt. On s’interroge depuis le début du XXème sur sa disparition potentielle. Situé à une altitude de 280 mètres, il est exposé à un risque de capture par la Bénoué, le grand affluent du Niger.

Les images satellites montrent les variations des surfaces en eau mais les images indiquent l’année et non pas la saison ! Selon la période de crue ou d’étiage, cela change tout. Il faudrait que les photos soient toujours prises au même moment pour être comparables.

Surtout, il faut différencier les eaux libres où l’on circule aisément en pirogue et les eaux marécageuses, encombrées de végétation aquatique mais qui font partie du lac, la profondeur pouvant atteindre un mètre. Les représentations cartographiques qui ne tiennent pas compte de ces deux faciès du lac faussent la réalité.. C’est ainsi qu’en 2013, au moment de la crue, le lac (eaux libres et marécageuses) couvrait plus de 13 000 km2, Il était à peu près identique à ce que révèle la première cartographie dressée par la mission Tilho en 1908. Les marécages servent de frayères, de réservoir de biodiversité. Ils ont une utilité indéniable. Un lac ne se résume pas à ses seules eaux libres.

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La crise du logement

Introduction de Judicaëlle Dietrich :

Marie Chabrol et Yankel Fijalkow sont deux chercheurs travaillant sur les thématiques du logement dans différents contextes de recomposition urbaine contemporaine dans le cadre de la métropolisation des villes européennes. Le sujet est vaste et nous aborderons ainsi la notion de crise mais aussi le lien entre crise et creusement des inégalités avec les vulnérabilités résidentielles.

Marie Chabrol est maître de conférence en géographie à l’Université de Picardie-Jules-Verne à Amiens, elle a fait sa thèse sur un quartier bien connu :Château Rouge la Goutte-d’Ori. Elle a questionné les relations entre les dynamiques résidentielles d’un quartier touché par le phénomène de gentrification et les dynamiques commerciales de ce quartier marqué par de fortes centralités africainesii. Elle mène actuellement ses recherches dans un quartier de Bruxelles qui partage nombre de caractéristiques avec la Goutte d’Oriii.

A ses côtés, Yankel Fijalkow, géographe, est Professeur à l’Ecole Nationale d’Architecture de Paris Val de Seine et auteur notamment d’ouvrages « ressources » : dans la collection « Repères » de « Sociologie du logement » et « Sociologie des villes »iv. Il mène des recherches sur les politiques publiques du logement.

Yankel Fijalkow et Marie Chabrol sont membres du réseau « Recherche-Habitat-Logement » et interviennent dans l’atelier « vulnérabilités résidentielles ». Ils collaborent dans ce cadre à un programme de recherche intitulé « Rester en Ville, résistance et résilience de la ville ordinaire » où sont comparés quatre quartiers de capitales européennes (Paris, Bruxelles, Vienne et Lisbonne)v.

Les notions de crise du logement, de mal logement, sont des expressions très utilisées dans les discours politiques et médiatiques et nous avons ici la chance d’avoir deux chercheurs aux travaux très actuels, très en prise avec le terrain. On essaiera ainsi à partir de leurs exemples et études de cas sur les villes françaises et européennes de saisir une des formes actuelles d’inégalités sociales les plus aiguës. On reviendra sur les questions de la gentrification, du logement et de la place des populations les plus pauvres en ville.

JD : Pourquoi parle-t-on de crise du logement et qu’est-ce qu’indique ce vocabulaire actuel ?

YF : C’est une question intéressante et importante !Il faut déjà déterminer qui est sous-entendu dans ce « on ». Car selon les époques, ceux qui évoquent cette notion sont assez différents. Par exemple, Henri Sellier (qui fut Maire de Suresnes, ministre de la Santé publique sous le Front Populaire, et dirigea l’Office départementale des Habitations à Bon Marché), soutint en 1921 une thèse de droit en trois volumes, intitulée « la crise du logement et l’intervention publique en matière d’habitat populaire ». A l’époque, ceux qui parlaient de la crise du logement appartenaient au courant réformateur et de la réforme sociale. Ensuite si on regarde le catalogue de la Bibliothèque Nationale de France, on trouve d’autres contemporains comme par exemple Charles Gide (professeur au collège de France) autour du mouvement coopératif ; ce fondateur de l’Economie Sociale ne défendait pas les mêmes idées que Sellier sur le rôle des pouvoirs publics. Ayant une représentation plus large de la crise du logement, il promouvait plutôt l’idée qu’il puisse exister des mouvements coopératifs de gens qui s’entraideraient pour accéder au logement. On trouve d’autres choses bizarres et amusantes aussi dans le catalogue BNF sur le thème de la crise. Par exemple un numéro des Belles histoires, intitulé « La crise du logement » où l’on raconte l’histoire d’un petit animal qui cherche un logement et qui rencontre un escargot qui a son propre hébergement, etc. Il faudrait se pencher plus attentivement sur ce texte, mais une chose est sure : en 1921 on faisait déjà des thèses sur la Crise et en 1987 on en parle encore et même aux enfants…. ! Je déduis de ce rapide parcours que le terme de crise qui signifie d’ordinaire un phénomène violent et soudain n’est peut-être pas approprié. Si on entend parler de manière cyclique des crises du logement ne sommes pas nous pas plutôt face à une difficulté structurelle de la société française, difficulté structurelle à loger ses ressortissants ?

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L’œil et la main, dessins de Lesueur et Petit, dessinateurs de l’expédition Baudin

L’œil et la main, dessins de Lesueur et Petit dessinateurs de l’expédition Baudin (1800-1804) sur les côtes méridionales de l’Australie. Ambassade d’Australie en France, jusqu’au 30 Août 2016.

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L’exposition des dessins de Lesueur et Petit à l’ambassade d’Australie est d’un grand intérêt.

Elle témoigne d’une étape importante du progrès des connaissances géographiques et elle est révélatrice de l’élargissement des curiosités depuis les sciences naturelles jusqu’à l’anthropologie. Comme c’était la règle, l’expédition de Nicolas Baudin, préparée sous le Consulat embarqua des dessinateurs. Après la défection des dessinateurs officiels qui s’échappèrent à l’escale de l’île de France (aujourd’hui Maurice), Petit et Lesueur furent promus dessinateurs officiels de l’expédition. Si Lesueur a une formation de dessinateur, elle est plus sommaire chez Petit, au départ aide-canonnier. Leur travail doit beaucoup aux directives de François Péron, à la fois zoologue et ce que nous appellerions aujourd’hui anthropologue.

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Le travail des deux compères ressortit d’abord à la cartographie. Au moment du voyage de Baudin, on sait qu’il n’existe pas de « continent austral », à l’existence duquel on a cru longtemps et les voyages de Cook ont tracé les grandes lignes des terres émergées dans le Pacifique Sud. Par ailleurs, le Pacifique et ses prolongements en Asie méridionale sont devenus depuis le XV° siècle un champ d’affrontement des Espagnols, des Portugais, des Néerlandais(L’Australie est alors la Nouvelle Hollande), qui furent les principaux découvreurs, et plus tardivement des Anglais. Les Anglais ont pris possession de l’Australie et en ont entrepris la colonisation en 1788 en s’installant à Sydney. Les Français tentent depuis plusieurs décennies de s’introduire dans le Pacifique : le voyage de Bougainville est entré dans la littérature avec la publication par Diderot du Supplément au voyage de Bougainville. On se rappelle aussi les voyages de La Pérouse et d’Entrecasteaux et l’intérêt qu’ils suscitèrent. Vraie ou imaginée, la question de Louis XVI montant à l’échafaud : « A-t-on des nouvelles de Monsieur de La Pérouse ? » reste étonnante ; elle fait référence à l’intérêt très vif de ce roi géographe qui avait donné lui-même ses lettres de mission au capitaine de La Pérouse, en 1785.
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Géographie et littérature (2/2)

Une première version de ce dossier a été mise en ligne le 9 février 2013. Nous remettons en ligne ce dossier suite à la mise à jour de notre site, les articles cités en références étant à nouveau disponibles. Cette seconde version du second dossier sur « Géographie et littérature » (après un premier dossier consacré à l’œuvre de Julien Gracq), a été actualisée consciencieusement avec les liens vers les articles tels que republiés sur le nouveau site des Cafés géographiques. Le complément bibliographique n’a pas été retouché et est republié tel que lors de sa première parution.

Après le dossier sur « Julien Gracq et la géographie » et comme « lancement » de la nouvelle rubrique « Littérature » des Cafés géographiques, voici le deuxième volet consacré aux liens entre « Géographie et littérature ». La rencontre de la géographie et de la littérature par les écrivains-géographes (Julien Gracq, Lucien Gachon, Michel Bussi, etc.), mais aussi par l’ensemble des écrivains, se poursuit dans ce dossier par d’autres récits, de Jules Verne à Simenon, des spatialités du vin dans la littérature au paysage-outil des écrivains et/ou géographes, de la géopoétique à la bande dessinée et au manga. De la géographie de la « consommation » des livres comme produits culturels à l’analyse de la géographie imaginaire dans les récits (en mots ou en dessins), les liens entre géographie et littérature sont décryptés par les géographes comme révélateurs des liens entre géographie et imaginaire, entre espaces de vie et espaces représentés et/ou fantasmés. Les métaphores de l’amour ou de la haine de tel ou tel espace (urbaphobie pour les uns, urbaphilie pour les autres ; attirance pour la forêt-écran pour les uns, peur de la forêt-danger pour les autres ; le désert entre espace de brutalité, espace-refuge et espace de l’espoir ; etc.), les espaces du récit traduisent, par leurs descriptions poétiques, des pratiques, des représentations et des imaginaires spatiaux. « Parce que le moindre lieu, manie de géographe, est porteur de sens »1.

L’imaginaire de l’île au trésor Source : Frédéric Durand et Marie Redon, « Qu’est-ce qu’une île aujourd’hui ? », Cafés géographiques, rubrique Des Cafés, compte rendu du café géographique du 25 avril 2007, 25 avril 2007.

L’imaginaire de l’île au trésor
Source : Frédéric Durand et Marie Redon, « Qu’est-ce qu’une île aujourd’hui ? », Cafés géographiques, rubrique Des Cafés, compte rendu du café géographique du 25 avril 2007, 25 avril 2007.

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Jean-Pierre Raison (1937-2016)

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Jean-Pierre RAISON nous a quittés. Il nous avait rejoints une dernière fois aux Cafés-géo, lors d’un repas en décembre 2014, dans un de nos « restau-géo », malgache en l’occurrence, qu’avait animé Françoise, son épouse, spécialiste de l’histoire contemporaine de Madagascar. Tous deux avaient vécu plus de huit ans à Madagascar et sa thèse « Les hautes terres de Madagascar et leurs confins occidentaux. Enracinement et mobilité des sociétés rurales », publiée en 1984 a constitué un des travaux majeurs de la géographie tropicale de langue française, dans la lignée de Paul Pélissier qui fut son maître et inspirateur, et de Gilles Sautter. Depuis 1989 il avait été mon collègue au Département de Géographie de Nanterre, dont aux Cafés-géo nous avons accueilli bien des géographes qui étaient tous ses élèves : Alain Dubresson, Philippe Gervais-Lambony, Frédéric Landy, Emmanuel Lézy, Sophie Moreau.

Jean-Pierre RAISON avait acquis  de la société malgache une connaissance intime dont je peux témoigner moi qui ai eu la chance de le suivre dans le dédale des sentiers qui relient les villages de Hautes Terres. « Le géographe est forcément un sensuel » disait Jean-Pierre dont la curiosité était sans limites.

Au-delà de ce terrain, Jean-Pierre Raison avait été un acteur très important des débats et remises en cause qui ont animé la géographie tropicale de langue française à partir de 1960.

Un livre d’évocations, d’hommages, de souvenirs, dont le ton inattendu, est celui d’une « autre géographie » est fortement recommandé à tous : « Les raisons de la géographie, itinéraires au Sud avec Jean-Pierre Raison » Karthal, 2007                                             

Michel Sivignon  Le 21/07/2016

Alain Dubresson, son continuateur à Nanterre,  nous a autorisés à reproduire le texte qui suit.

Jean-Pierre Raison, professeur émérite de Géographie, nous a quittés dans la nuit du 16 au 17 juillet 2016. Il s’est éteint sur le sol du Livradois auquel le liait une profonde passion, partagée avec les hautes terres malgaches et les campagnes africaines. Né le 8 août 1937, ce « sédentaire contrarié », comme il s’est défini lui-même, n’a cessé de pratiquer d’incessants va-et-vient entre les institutions d’une part et ses terrains de prédilection d’autre part.

Ancien élève de l’École Normale Supérieure (Ulm) de 1957 à 1962, reçu premier à l’agrégation de Géographie en 1961, il débute sa carrière d’enseignant au Lycée Eugène Fromentin à La Rochelle. En 1964, détaché à l’Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-mer (ORSTOM, aujourd’hui Institut de Recherche pour le Développement, IRD), il est affecté à Tananarive et y devient chef de la Section de Géographie. Nommé en 1977 Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), il prend en charge la chaire de géographie des petits espaces ruraux. Mis à la disposition du ministère des Relations extérieures après 1981, Jean-Pierre Raison devient sous-directeur de la Recherche et de l’Information scientifique, puis il est élu professeur à l’université de Paris X-Nanterre (chaire de géographie tropicale) en 1989. Il y exerce les fonctions de Directeur adjoint de l’UFR SSA et de responsable pédagogique du premier cycle et dirige le laboratoire Géotropiques (EA 375) de 1997 à 2001.
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