Les Cafés géographiques reçoivent, ce mardi 15 octobre, Philippe Etienne, diplomate qui a exercé sa carrière dans plusieurs villes européennes (Belgrade, Bonn, Moscou, Bruxelles, Bucarest) avant d’être nommé ambassadeur de France aux Etats-Unis de 2019 à 2023. Il a donc une bonne connaissance des deux mondes qui se font face de part et d’autre de l’Atlantique nord et de l’évolution de leurs relations, dans un contexte international dangereux et complexe (terrorisme, transition climatique…). 80 ans après la Libération, la guerre en Ukraine a ramené l’Europe dans un monde brutal alors que l’U.E., fille de la IIe Guerre mondiale, était censée lui apporter paix et prospérité « éternellement ». Comment aujourd’hui nos démocraties peuvent-elles défendre nos valeurs ? (suite…)
Après le Congo et le Tigre et l’Euphrate, CNRS Editions vient de publier un nouvel ouvrage dans la collection « Géohistoire d’un fleuve », cette fois-ci consacré au Mississipi. Christian Montès, géographe spécialiste des Etats-Unis, est l’auteur inspiré de ce livre non seulement instructif mais aussi très bien écrit et n’hésitant pas à accorder une grande place aux aspects culturels comme le prouve l’éclectisme d’une bibliographie fort pertinente en fin de volume. S’il rend hommage aux travaux de géographes anciens et contemporains comme Elisée Reclus et Jacques Béthemont, il n’oublie pas d’évoquer de nombreuses sources qui elles-mêmes renvoient souvent à des citations dans le corps du texte ou à des notes rejetées en fin d’ouvrage. Mais rien de lourd ou d’indigeste ne vient gâter un réel plaisir de lecture qui invite à considérer l’espace du Mississipi et de son bassin comme un portrait à sa manière de la nation américaine.
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Comment peut-on avoir une concentration touristique inégalée avec une architecture sans équivalent (bulle de rêve, de débauche, de démesure), et en même temps une aire urbaine de plus de 2 millions d’habitants qui habitent à l’ombre des casinos ? Dans quelle mesure l’aspect touristique déforme le revers de Las Vegas ? Par Pascale Nédélec, professeure agrégée de géographie en CPGE au lycée Janson-de-Sailly (Paris), normalienne, docteure en géographie, compte rendu des Cafés Géo de Saint Brieuc du 17 septembre 2021.
Reconnaissance tardive de la bravoure des natifs ou construction d’un nouveau mythe national intégrateur aux conséquences symboliques malvenues ?
1. Le crazy horse memorial, une réponse au Mont Rushmore ?
Le Crazy Horse Memorial est un ensemble architectural en cours de construction dans les Black Hills, des montagnes de l’état du Dakota du Sud. Le site est considéré comme sacré par les natifs Lakotas, mais la découverte d’or dans la région engendra leur expulsion par la force. L’appropriation de l’espace et son aménagement sont deux axes d’explication majeurs de ce conflit qui dure jusqu’à nos jours entre le gouvernement étasunien et les Lakotas. Effectivement, avec à la construction du Mont Rushmore dans les Blacks Hills l’identité étasunienne s’incarne à travers des présidents conquérants. Il s’agit, en effet, d’une sculpture titanesque réalisée entre 1927 et 1941 et représentant quatre grands présidents américains ayant contribué à l’agrandissement et à l’unification du territoire fédéral. Cette identité est inscrite dans le paysage naturel fantasmé de la wilderness, ici domptée, et que l’on retrouve sur cette image à travers la dense forêt de conifères rappelant les parcs nationaux américains.
On peut replacer la controverse sur le Crazy Horse Memorial dans le cadre plus large des affrontements mémoriels qui ont lieu dans les États où des peuples autochtones ont été refoulés, massacrés, confinés par des colons venus d’Europe entre le XVIIₑ et le XIXₑ siècles (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande…). Ils ne représentent plus aujourd’hui que des groupes très minoritaires (5% pour les Aborigènes australiens, 7% pour les Maoris néo-zélandais). Au cours du XXₑ siècle, les gouvernements ont tergiversé sur la politique à mener à leur égard : assimilation ou maintien des structures tribales ? Avec la fin du XXₑ siècle et le début du XXIₑ est venu le temps de la repentance officielle [1] et des aménagements juridiques.
Dans ces États où les victoires des uns se sont effectuées sur l’humiliation des autres, comment commémorer les grands moments du passé ?
Récemment l’IRIS a présenté un webinaire où plusieurs chercheurs de l’Institut ont exposé leur analyse du rapport de forces entre les deux premières puissances mondiales, les Etats-Unis et la Chine.
Cette problématique n’est pas récente mais elle a trouvé une nouvelle actualité avec l’élection de Joe Biden.
Nous tenterons de faire une synthèse des idées échangées.
En introduction, Pascal Boniface assure que le changement de président amènera vraisemblablement peu de changement dans les relations entre les Etats-Unis et la Chine. Leur rivalité qui revêt de nombreux aspects, peut-elle être qualifiée de « Guerre froide » ? Malgré quelques points semblables, la situation géopolitique diffère beaucoup de celle qui a suivi la IIe Guerre Mondiale. La Chine ne cherche pas à prendre la tête d’une coalition internationale afin de détruire à terme les Etats-Unis. Elle ambitionne « seulement » d’occuper la première place mondiale, ce qui est source d’une grande angoisse chez son rival.
Le dernier film de David Fincher, Gone Girl, qui s’est attiré des éloges critiques quasi-unanimes lors de sa sortie l’été dernier, témoigne d’un indiscutable désir géographique, d’une envie affichée de montrer quelque chose de l’Amérique (profonde) contemporaine. La caméra alerte du réalisateur de Panic Room circule dans les suburbs du Missouri, où il scrute le quotidien d’Amy et Nick Dunne, secoué par la soudaine disparition de la première. Couple glamour et, en apparence, idéal, les deux journalistes branchés new-yorkais ont abandonné Brooklyn pour rejoindre la ville natale de Nick et y accompagner les derniers jours de sa mère.
Fincher profite de cet évanouissement inexpliqué pour s’attaquer avec un humour féroce au système médiatique et montrer comment la disparition d’une femme peut devenir, en quelques jours, une question nationale, sur laquelle des animateurs de télévision en mal d’événements choc brodent à l’envi, se repaissant des moindres entailles dans l’image parfaite du couple. Il décrit avec un style chirurgical la montée en épingle de l’affaire, la manière dont les soupçons commencent insidieusement à se porter sur le mari et, surtout, comment l’image des uns et des autres fluctue au gré de sa fabrication continue dans la marmite puritaine du cirque médiatique et de son alternance entre anathèmes définitifs et exercices imposés de contrition publique.
Frances Ha, Noah Baumbach (Etats-Unis)
Frances a 27 ans, rêve de devenir chorégraphe mais se contente d’un travail de doublure dans une compagnie de danse, boit des bières, fume des cigarettes, fréquente des soirées branchées, regarde des films dans son lit avec sa coloc’… Tout pourrait aller pour le mieux mais la jeune New-yorkaise native de Sacramento se demande, avec une perplexité renouvelée lorsque son inséparable colocataire décide d’emménager avec une autre dans un quartier plus chic, de quoi demain sera fait : à l’approche de la trentaine, une certaine liberté lui échappe inexorablement, au rythme où l’espoir de rencontrer le prince charmant s’estompe, alors que plusieurs de ses ami(e)s se marient, trouvent un vrai travail, ont des enfants…
Aidé de la co-scénariste et actrice Greta Gerwig – désarmante de candeur, de gaucherie et de sincérité – Noah Baumbach filme une tranche de vie de la jeunesse bourgeoise new-yorkaise, qu’il découpe, avec un sens aigu de l’ellipse, en quatre chapitres. Belle idée s’il en est, il leur donne des adresses en guise de titres, faisant des logements successifs de l’héroïne entre Brooklyn et Manhattan le fil conducteur du film et de l’habiter son véritable sujet. Ce qui donne une jolie mise en récit des diverses stratégies que chacun met en place au quotidien pour s’approprier l’espace, montrant comment notre existence prend sens par d’innombrables arbitrages en termes de logement et de mobilité, arbitrages pouvant aussi bien, lorsque capitaux économique, social ou/et spatial viennent à manquer, relever du déchirement.
Aborder le nouveau volet de Superman avec un regard d’abord géographique ouvre d’intéressantes perspectives sur la manière dont les États-uniens perçoivent leur espace et le monde en général.
Un monde centré sur les États-Unis mais avec un questionnement sur le futur bien spécifique.
Un film centré d’abord sur les États-Unis, comme ensemble constitué
À plusieurs reprises des vues d’ensemble de la Terre sont présentes à l’écran, comme des images prises par des satellites. Elles sont dans leur grande majorité centrées sur les États-Unis et plus précisément sur la côte Est. On peut en particulier penser au moment où est à l’écran une image de la Terre vue de nuit ce qui fait alors ressortir la lumière émise par la Mégalopolis, rappelant d’ailleurs les travaux de R. Florida sur le light-based regional product où la lumière est d’abord signe de puissance.
D’autre part l’ultimatum envoyé à la Terre par le général Zod est en théorie reçu par la totalité des humains : outre les États-uniens, on voit des Espagnols, des Chinois et des nomades (d’abord d’Asie centrale puis du Sahara semble-t-il) le regarder. Cependant l’universalité s’arrête là, il n’y a visiblement aucune réaction d’autres autorités politiques ou militaires lors des affrontements sur Terre ou dans l’espace. Il faut croire que les autres puissances sont moins inquiètes face aux discours belliqueux.
The Bling Ring, Sofia Coppola / Spring Breakers, Harmony Korine
Plongées en géographie obsessionnelle états-unienne
« Aujourd’hui, l’abstraction n’est plus celle de la carte, du double, du miroir ou du concept. La simulation n’est plus celle d’un territoire, d’un être référentiel, d’une substance. Elle est la génération par les modèles d’un réel sans origine ni réalité : hyperréel », J. Baudrillard, Simulations et simulacres
Sur les plages de Miami ou dans les villas de Beverly Hills, deux groupes d’adolescents, majoritairement féminins plongent en pleins hauts lieux médiatiques. The Bling Ring, cinquième long métrage de Sofia Coppola rappelle, dans une certaine mesure, le film d’Harmony Korine, Spring Breakers, sorti au printemps. La tendance est nettement au fluo et à l’utilisation des actrices à contre-emploi : des actrices pillées à Disney pour Spring Breakers, une héroïne de Harry Potter pour The Bling Ring. Des corps et des décors passent du petit écran au grand format : pourquoi ? Pour élever au rang d’art une esthétique « télé réalité » et remettre en scène encore et encore des lieux saturés d’images impossibles à réinventer ? Ou au contraire, pour tenter de jouer la carte de l’imposture pour mieux rendre compte et des comptes à un réel devenu, là plus qu’ailleurs, simulacre ?