Les Cafés Géographiques de Chambéry – Annecy

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Une fois par mois environ, à 18h30 au O’Cardinal’s à Chambéry (place Métropole) ou à 18h au Café Terra Natura à Seynod (67 av. des Neigeos), venez découvrir la géographie autour d’une tasse ou d’un verre !

Des géographes de tout horizon, parfois accompagnés d’autres spécialistes, viennent analyser les grands enjeux de nos sociétés et de leurs espaces, nous aident à comprendre nos territoires proches ou lointains à différentes échelles. Les Cafés géographiques de Chambéry-Annecy offrent un moment convivial pour débattre des défis d’ici et d’ailleurs, d’aujourd’hui et de demain.

Nous vous invitons aussi à adhérer ou à renouveler vos adhésions aux Cafés géo de Chambéry-Annecy !

Dorénavant vous avez la possibilité d’adhérer ou de nous faire un don sur la plateforme gratuite et sécurisée Hello Asso : https://www.helloasso.com/associations/cafes-geographiques-de-chambery-annecy

Vous pouvez également utiliser notre bulletin d’adhésion afin de souscrire : Café-géo-Bulletin-adhesion (PDF).

 

Pourquoi votre soutien régulier nous est-il si précieux ? 

L’association prend en charge les frais de transport de ses invité·es et le cas échéant leurs frais d’hébergement. Entre 2015 et 2023, le coût médian d’un Café était de 60 € et le coût moyen de 80 € (avec un coût minimum autour de 20 € et un coût maximum de plusieurs centaines d’euros). Ce coût est principalement fonction de la provenance de nos invité·es, ce qui n’est pas anodin pour une association située dans une ville universitaire de taille modeste. Entre 2015 et 2023, le vivier local (Annecy, Chambéry, Grenoble) n’a alimenté que 21 % des 58 Cafés géo que nous avons organisés tandis que que la majorité de nos invité·es provenait des universités parisiennes et franciliennes (34 %), suivi·es de collègues lyonnais·es (28 %), de géographes d’autres régions françaises (10 %) comme Limoges, Montpellier, Bordeaux ou Strasbourg, et enfin de voisin·es suisses (7 %).

Nos recettes proviennent des adhésions ainsi que des dons qui peuvent nous être faits par des particuliers comme par des entreprises. La crise sanitaire a porté un coup dur à nos finances : la diminution du nombre de Cafés (3 annulations sur 9 en 2019-2020, un unique Café en 2020-2021 et seulement 5 en 2021-2022, contre une moyenne supérieure à 7 auparavant) a entraîné la baisse des adhésions et des dons, faisant progressivement fondre nos réserves. Plus que jamais, votre soutien est donc précieux !

Retrouvez notre actualité sur les réseaux sociaux : sur le compte Instagram, sur la page Facebook et sur le compte twitter @Cafegeo7374.

Contact : cafesgeo.chambery.annecy@gmail.com

 

Programme 2024

 

  • 10 janvier 2024 : Sale temps pour les glaciers, Avec Philip Deline. Chambéry, O’Cardinal’s,18h30.
  • 7 février 2024 : Faire du tourisme avec du patrimoine: l’art rupestre alpin, avec Yoann Collange, Chambéry, O’Cardinal’s, 18h30.

  • 15 février 2024 : Les outres mers européens, avec Jean-Christophe Gay, Seynod, Le Café Terra Natura, 18 h.
  • 28 mars 2024 : Restaurer la nature en Europe, vaste chantier, avec Laurent Simon, Seynod, Le Café Terra Natura, 18h.

Programme automne 2023

 

Les prochains événements annoncés :
Pas d'événement prévu à ce jour

Le Tour fait-il le tour de la France ? L’alimentation au Groenland

Le Café Géo qui s’est déroulé à Chambéry le 6 décembre 2022 accueillait deux intervenants qui ont présenté leurs travaux de recherche conduits en master. Antonin van der Straeten, actuellement doctorant au sein du laboratoire EDYTEM à l’Université Savoie Mont Blanc, a commencé avec un regard géographique sur le Tour de France, évènement sportif qui a été au cœur de ses mémoires de Master 1 et Master 2. Ce fut ensuite à Nina Parmantier, aujourd’hui en Master 2 Géosphères (Master recherche en géographie) à l’Université Savoie Mont Blanc, d’aborder un sujet diamétralement différent : la question de l’alimentation au Groenland., une thématique qu’elle continue d’explorer cette année.

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L’Amérique latine, des territoires disputés

Le mercredi 28 septembre 2022, l’équipe des cafés géographiques de Chambéry-Annecy a reçu Sébastien Velut (Sorbonne Nouvelle, Institut des hautes études de l’Amérique latine) à La Base à Chambéry autour du thème : « l’Amérique latine, des territoires disputés ».

Afin de rendre la présentation plus interactive, Sébastien Velut a essayé de répondre aux questions de Marie Forget, dont il a été le directeur de thèse.

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« Vivre ou être alpin dans la mondialisation. Une transition socioculturelle des hautes-vallées touristiques. » (Conférence de Jordan CHENU, géographe)

La présentation dispensée par Jordan Chenu devait se tenir à l’automne 2020, elle avait été repoussée pour les raisons que l’on connaît tous. Celle-ci retrace les grandes lignes des travaux de master du conférencier, avec une approche de géographies sociale et culturelle ; le cœur du propos réside dans les hautes-vallées de Tarentaise et de l’Arve, dans les départements de Savoie et de Haute-Savoie.

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L’Arctique : changements environnementaux, développements régionaux, ambitions géopolitiques

Compte rendu du café géographique du jeudi 16 janvier 2020, à 18h30 à Annecy (Café librairie BD Fugue Centre Bonlieu). “L’Arctique : changements environnementaux, développements régionaux, ambitions géopolitiques” par Eric Canobbio, maître de conférences à l’université Paris-VIII Saint-Denis et chercheur spécialisé dans la régionalisation du domaine arctique canadien et ses enjeux géopolitiques.

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Ni domestiques, ni sauvages, les relations socio-culturelles des Inuits du Nunavik (Québec) aux chiens

Café Géographique d’Annecy, le 14 novembre 2019 avec Laine Chanteloup (Université de Lausanne

Présentation de l’invitée :
Laine Chanteloup est actuellement professeure assistante à l’Université de Lausanne. Diplômée de l’Institut d’Études Politiques de Rennes et d’un Master de géographie de l’Institut de Géographie Alpine de Grenoble, elle a effectué sa thèse en géographie et en ethno-écologie en cotutelle entre le laboratoire EDYTEM de l’Université de Savoie et l’Université de Montréal au Canada. Après une année d’ATER de géographie à l’université Joseph Fourier de Grenoble, elle a réalisé un post-doctorat au sein de l’observatoire Hommes-Milieux du Nunavik soutenu dans le cadre du labex DRIIHM CNRS. Maître de conférences à Limoges, membre associé de l’UMR GEOLAB, elle a tout récemment pris un poste de professeure assistante à l’Institut de Géographie et Durabilité de l’Université de Lausanne, elle est rattachée au Centre Interdisciplinaire de Recherche sur la Montagne (CIRM) sur le site de Sion. Ses travaux portent sur l’Arctique et les territoires de montagne (elle a notamment travaillé sur le massif des Bauges). Ses thèmes de recherche sont non seulement géographiques mais ethno-géographiques voire ethno-écologiques sur les questions des relations humains/animaux).

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Tou·te·s au lac ? La privatisation des rives lacustres : éclairages historiques, juridiques et géographiques

Tou·te·s au lac ? La privatisation des rives lacustres : éclairages historiques, juridiques et géographiques

Café Géo animé par Alice Nikolli (Annecy, 26 septembre 2019)

 

Pour ce premier café géo de la saison, Alice Nikolli, ATER en géographie à l’ENS de Lyon, nous présente les principaux résultats de sa thèse sur la privatisation des rives des lacs périalpins, qu’elle a préparée à l’Université Savoie Mont Blanc, au sein du laboratoire EDYTEM, et qu’elle soutiendra dans un mois.

 

Elle va aujourd’hui insister sur une tension autour de ces rives lacustres qui font l’objet d’une forte demande sociale, d’une fréquentation importante, mais qui sont également sujettes à des restrictions d’accès auxquelles on va se heurter si l’on veut accéder au bord du lac ou le longer. L’accès est selon elle une notion empirique, à l’échelle du corps, du déplacement physique. Ses terrains de thèse sont le lac d’Annecy, le lac du Bourget, le Léman et le lac de Côme, mais son propos de ce soir se focalisera principalement sur le cas du lac d’Annecy.

 

Dans le cadre de sa thèse, elle pose deux principales questions :  les rives du lac sont-elles ou non accessibles au grand public, sont-elles des espaces publics au sens de la pratique ? L’autre pan de la réflexion consiste à se demander dans quelle mesure, depuis quand et selon quelles modalités cette question de l’accès public au lac est devenue un sujet de débat, un problème public.

 

Il s’agira ce soir de s’intéresser au phénomène de privatisation des rives, qui fait régulièrement débat localement, afin d’apporter des éclairages à la fois juridiques, historiques et géographiques. Son exposé s’organise donc en quatre temps : (i) un éclairage juridique, (ii) un état des lieux de la situation d’un point de vue géographique, (iii) une reconstitution historique du processus qui a abouti à la situation actuelle et (iv) une analyse des politiques que les pouvoirs publics ont mis en place – ou tenté de mettre en place – pour « publiciser » le front de lac.

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Compte rendu du Café Géo « Spécial Master » – mercredi 9 octobre 2019

Le 9 octobre 2019 les Cafés Géo de Chambéry-Annecy ont accueilli au Café Le Beaujolais de Chambéry trois étudiants de l’Université Savoie Mont Blanc venus présenter leur sujet de mémoire réalisé durant leur Master de géographie. Par ce Café Géo singulier, les travaux de recherche d’étudiants en géographie ont été mis en lumière, en suscitant le grand intérêt voire l’inspiration d’un public en grande partie étudiant.
Les trois sujets présentés ont été développés par Fabien Pouillon, Thomas Matheret et Axelle Egon qui ont respectivement traité du grindadráp aux îles Féroé, du geocaching, et des conflits liés à la ZAD de Roybon et à son projet de Center Parcs.

 

Le grindadráp aux îles Féroé : spatialités d’une controverse environnementale

Situées dans l’océan Atlantique Nord à égale distance de l’Islande et de l’Écosse, les dix-huit îles composant l’archipel féroïen sont depuis les années 1980 régulièrement soumises à la critique internationale pour la pratique de chasse aux petits cétacés s’y déroulant (le grindadráp). Opposant ONG environnementalistes et certains Féroïens, la controverse autour du grindadráp intéresse le géographe à plusieurs titres : pratique de chasse locale mobilisant des organisations internationales, elle implique des échelles différentes et soulève des débats sociaux majeurs.
En dépassant l’image très désordonnée diffusée par les vidéos exposant l’abattage et visant à susciter le dégoût, les logiques spatiales de la chasse sont présentées au travers de ses différentes étapes. Du repérage du banc de cétacés à la distribution du produit de la chasse, l’organisation du grindadráp au sein de la société féroïenne est particulièrement expliquée et dévoile une pratique réglementée, socialement codifiée et hiérarchisée.
Dans un second temps, les modalités de la controverse sont développées. Les positions des opposants et des partisans sont tout d’abord commentées au travers de diagrammes représentant les principaux champs d’argumentation mobilisés dans la controverse. Des pétitions aux campagnes de sabotage et d’interposition menées par l’ONG Sea Shepherd sur l’archipel, les différentes formes de la controverse sont ensuite situées dans leur chronologie et hiérarchisées selon le niveau de violence employé.
Enfin, l’efficacité des méthodes employées par les ONG environnementalistes et de la médiatisation de la controverse est remise en question. Si les mobilisations internationales ont conduit à une amélioration des conditions de prélèvement des animaux, elles participent aussi à la pérennisation de la chasse par son adaptation et par la valeur identitaire – à défendre – qu’elles induisent.

Fabien Pouillon, Master 2 Géographie et Aménagement, Université Savoie Mont Blanc

 

Le geocaching : entre processus de territorialisation et (re)connaissance patrimoniale

En tant que pratique ludique relativement peu populaire, le geocaching est d’abord remis dans son contexte avec une première approche localisée (un lieu du geocaching dans le centre de Chambéry). Le geocaching est défini comme une pratique ludique et gratuite, permettant de faire connaître des histoires, des lieux, des modes de vie, des monuments relativement peu institutionnalisés du point de vue patrimonial ou touristique. Cette pratique, née aux États-Unis au début des années 2000, a été ensuite rapidement mondialisée, se heurtant tout de même aux aléas géopolitiques et restant surtout une pratique ludique occidentale.
Cette pratique est permise par la mise en place d’une application, puis par la recherche de géocaches grâce au GPS et à des indices. C’est là que l’on voit l’approche patrimoniale qui peut être faite de la pratique, par la description des lieux, le placeur de la géocache participe de sa mise en mot, de sa valorisation et du changement de regard envers ce lieu. En revanche, l’absence de critères patrimoniaux et l’absence de protection limite le processus de patrimonialisation. Mais la dimension sensible qui en résulte se retrouve également dans l’approche territoriale du geocaching. En effet, il est rapidement visible que des territoires de géocaches apparaissent avec les différents placeurs. À une échelle plus fine, la création toponymique participe de la création de lieux (exemple de « L’église désertique de la Combe »).
Si les territoires paraissent à première vue cloisonnés, une véritable communauté se met en place avec des « Events » (évènements) et avec certains objets « de valeur » comme les objets voyageurs, allant de géocache en géocache. Cette communauté est de plus en plus instrumentalisée par les différentes affiches éditées par l’entreprise Groundspeak Corporation. On voit sur celles-ci la logique de front pionnier telle que valorisée par les pratiquants (itinéraires dessinés par ceux-ci), et entrant dans la logique des fronts pionniers de certaines élites occidentales comme le montre André Suchet en 2010. Cette logique n’étant pas visible que dans le « geocaching vert » visible sur les affiches, mais également dans les villes comme à Chambéry. C’est ainsi que de plus en plus, certaines communautés de communes et certains offices du tourisme récupèrent de plus en plus des géocaches (ainsi que leurs placeurs) afin de valoriser leur territoire de travail. Ceci devenant alors un problème pour certains pratiquants car voulant justement se défaire des logiques institutionnelles. Des conflits d’acteurs commencent ainsi à apparaître et à questionner l’avenir de la pratique du geocaching.

Thomas Matheret, agrégé de Géographie, Université Savoie Mont Blanc

 

ZAD en état de résistance et jeux d’acteurs, dans le Center Parcs de Roybon

Lancé en 2007, le projet du Center Parcs situé à Roybon (Isère) fait face depuis dix ans à une bataille juridique sans fin. Le projet consiste en un aménagement d’un nouveau pôle touristique au cœur de 200 hectares de forêt et 76 hectares de zones humides. En s’implantant dans la commune rurale de Roybon faisant face à une désertification des services de proximité et des difficultés économiques, le groupe promet la création de nombreux emplois ainsi que de développer le tourisme dans la partie ouest du département de l’Isère.
Si ce projet est soutenu par l’ensemble des collectivités locales et une partie de la population roybonnaise, il est cependant intensément contesté par des opposants locaux ainsi que des associations de défense de l’environnement. En effet, dans un contexte territorial complexe, l’opposition rencontrée par le groupe Pierre & Vacances – Center Parcs est forte. La destruction d’une partie de la forêt et de la zone humide induit une forte protestation de la part des opposants. Par ailleurs, ce conflit d’aménagement s’inscrit dans un contexte national où d’autres projets d’aménagement ont été remis en cause.
L’apparition d’une Zone À Défendre sur le site du projet en 2014 intensifie le conflit, avec cette radicalisation de la contestation qui met à mal le projet bloquant les travaux. À l’instar de Notre-Dames-Des-Landes et aujourd’hui d’Europacity, les opposants espèrent ainsi faire annuler le projet. Toutefois, la ZAD soulève aussi un nouveau questionnement, est-elle ici simplement pour défendre l’environnement ou alors pour défendre un nouveau mode de vie en marge de la société, loin des normes sociales ?

Axelle Egon, Master 1 Géographie et Aménagement, Université Savoie Mont Blanc

« L’Afrique, un continent émergent ? » par Alain Dubresson

Alain Dubresson est l’invité des Cafés géographiques de Chambéry-Annecy pour esquisser une synthèse de la situation africaine en cette fin d’année 2018. Il est notamment le co-auteur avec Géraud Magrin et Olivier Ninot de l’Atlas de l’Afrique dont une nouvelle édition vient de paraître chez Autrement, et à l’instar du sous-titre de l’ouvrage il nous propose de questionner l’émergence de ce continent.

https://cafe-geo.net/events/l-afrique-un-continent-emergent/

Il débute son intervention en soulignant d’abord l’importance du point d’interrogation dans l’intitulé du café géo « L’Afrique, un continent émergent ? ». En préambule, il rappelle que les regards sur l’Afrique ont beaucoup changé durant les dernières décennies. Alors que le regard était globalement afro-pessimiste à la fin du XXe siècle en considérant l’Afrique comme un continent en crise quasi permanente, le début du XXIe siècle fut caractérisé par un rebond économique africain entre 2000 et 2015 et, par conséquent, les regards sur ce continent changèrent au profit d’un optimisme retrouvé, voyant en l’Afrique un nouvel espace de l’émergence. Alain Dubresson rappelle que cette notion d’émergence est particulièrement floue, mais qu’elle évoque cependant l’idée d’un changement, d’une transformation profonde de la société. Il s’interroge ainsi sur cette phase de croissance économique des années 2000 pour savoir s’il s’agit d’une étape dans la transformation structurelle du continent africain contribuant à son émergence ou, au contraire, s’il s’agit simplement d’une parenthèse de croissance qui ne permet pas à l’Afrique de sortir de sa situation de dépendance qui la caractérise depuis les traites négrières. À partir de ce questionnement, Alain Dubresson propose d’examiner la situation ambivalente de l’Afrique en constatant que ce continent est caractérisé à la fois par des facteurs et des marqueurs importants du changement et, en même temps, par des freins et des processus qui limitent la transformation de la société africaine. (Lire la suite…)

« La société sherpa à l’ère du Yak Donald’s. Évolution des pratiques et paysages touristiques de la région de l’Everest », par Étienne Jacquemet

Café géo de Chambéry, 10 avril 2019

Étienne Jacquemet a récemment soutenu une thèse de géographie sur l’accès aux ressources dans la région touristique de l’Everest. Berceau du trekking et haut-lieu de l’himalayisme, cette région du Népal a évolué au gré d’une société sherpa qui cherche à profiter de l’intérêt des touristes du monde entier pour l’Everest et ses alentours.

  1. Quel imaginaire touristique ?

Le développement touristique de la région du Khumbu est fortement en lien avec la présence de l’Everest. La majorité des touristes viennent voir ce sommet emblématique et nombreux sont ceux qui envisagent un trek jusqu’à son célèbre camp de base d’où partent les alpinistes. Le motif premier des touristes est ainsi de s’immerger dans des paysages de haute montagne où sont rassemblés de nombreux sommets spectaculaires comme le Cho Oyu, l’Ama Dablam, le Nuptse, le Lhotse, et, bien sûr, l’Everest. Chez les jeunes trekkeurs notamment, l’une des motivations est de parcourir le même territoire que celui des héros de l’himalayisme. Edmund Hillary et Tensing Norgay, mais aussi Junko Tabei et Pasang Sherpa ont contribué à forger cette mythologie de la conquête de l’Everest : les touristes d’aujourd’hui souhaitent s’inscrire dans leur sillage en portant également des valeurs comme le courage, l’endurance ou la quête d’une vie moins conventionnelle. Des lieux de mémoire sont érigés en référence à ces grands noms de l’Himalaya, ils sont marqués par des cairns ou des chortens qui deviennent des lieux de pèlerinage touristique.

Cet imaginaire de la montagne, très bien étudié par J.P. Bozonnet (Monts et mythes : l’imaginaire social de la montagne, 1992), est également renforcé par de nombreux films, récits et bandes dessinées (voir par exemple le récent film Everest de Baltasar Kormákur ou le manga Le Sommet des Dieux de Jirô Taniguchi). Alors que deux tiers des trekkeurs rencontrés par Etienne Jacquemet n’avaient jamais mis les pieds en haute altitude, les pratiques de ces touristes sont fortement influencées par un tel imaginaire : ils se mettent en scène pour des photos ou des vidéos afin d’apparaître eux-mêmes comme des héros, dans une totale logique de distinction sociale.

Le développement touristique du Khumbu relève en partie de l’attrait pour une région hétérotopique. En effet, les grandes caractéristiques des hétérotopies proposées par Michel Foucault se perçoivent dans cette région du Népal ; le Khumbu serait alors un « lieu autre » marqué par diverses discontinuités et difficultés d’accès. Cette région était interdite d’accès aux Occidentaux jusque dans les années 1950, la situation géopolitique du Népal entre l’Inde et la Chine est proche de l’isolationnisme, le petit aéroport de Lukla est une porte d’entrée dangereuse et souvent fermée à cause des intempéries et du vent, des permis de trek sont nécessaires pour entrer dans le Parc national de Sagarmatha, une population supposément autochtone et qui vivrait coupée du monde… autant d’éléments qui contribuent à l’hétérotopie du Khumbu et qui nourrissent l’imaginaire touristique.

  1. Quelle évolution des paysages et des pratiques touristiques ?

En 2016, la région du Khumbu comptait plus de 300 lodges alors qu’ils n’étaient qu’une vingtaine à la fin des années 1970. Ces chiffres reflètent bien l’évolution du nombre de trekkeurs qui est passé de quelques milliers à près de 50 000 ces dernières années. La densification du bâti et la construction de lodges est très visible dans les villages situés sur les itinéraires de trekking, mais un tel développement marque surtout une inversion du système de valeurs associé au foncier. En effet, traditionnellement les espaces propices à l’agriculture et les lieux situés sur les itinéraires caravaniers étaient valorisés, mais aujourd’hui ce sont les terrains qui jouxtent les principaux itinéraires de randonnée et qui bénéficient d’une situation de belvédère qui sont particulièrement prisés. Sous forme de Khumbupoly, Etienne Jacquemet propose ainsi de réinterpréter la géographie du Khumbu à l’aune du célèbre jeu de société où la fortune s’acquiert par des opérations immobilières. Plus prosaïquement, il rappelle que les revenus pour un propriétaire de lodge oscillent entre 7 000 et 40 000 $/an alors que le revenu annuel moyen au Népal est de 1000 $.

Le développement touristique s’exprime aussi par une montée en gamme de l’offre de services. Aujourd’hui le confort des lodges s’aligne sur les standards de l’hôtellerie internationale avec l’apparition de chambres et salles de bain privatives, ou des moyens de télécommunication (Internet, télévisions voire vidéosurveillance). Ces aménagements supposent le développement de nombreuses infrastructures mais ils n’impliquent pas nécessairement des pressions fortes sur la ressource en eau : les enjeux sont davantage d’ordre techniques et socio-économiques dans un contexte concurrentiel entre les propriétaires de lodges appartenant à différentes communautés (sherpa, tamang, raï). Au-delà des services d’hébergement, les Sherpas les plus fortunés investissent dans les agences de trekking et de transport, dans des pubs ou des salons de thé en s’appuyant sur une fine connaissance des modes de consommation occidentaux et mondialisés.

En ce sens, le tourisme serait moins un facteur de pression sur la région du Khumbu qu’un véritable levier de développement économique et social. Etienne Jacquemet observe un basculement d’une hétérotopie de confins s’appuyant sur l’authenticité à une hétérotopie globale où s’intriquent les cultures locales et occidentales, à l’instar du célèbre Yak’Donald’s.

  1. Le rôle des Sherpas dans la transformation du Khumbu 

Le développement touristique du Khumbu n’est pas un hasard et ne saurait s’expliquer par la seule présence de l’Everest. En plus du capital économique qu’ils ont su faire fructifier et réinvestir, les Sherpas ont aussi développé leur capital social en entretenant des contacts en Europe et aux États-Unis, notamment par le biais des touristes et guides occidentaux pour lesquels ils travaillaient dans un premier temps. Ils ont aussi acquis des compétences culturelles et linguistiques, non seulement pour échanger facilement avec les touristes mais aussi pour mieux connaître leurs goûts et leurs modes de pensée afin d’adapter l’offre touristique. Par ailleurs, les Sherpas deviennent eux-mêmes de plus en plus touristes, au Népal ou à l’étranger. Ainsi, dans les bourgs les plus touristiques, un tiers de la population s’est déjà rendue en Occident (pour étudier, travailler, rendre visite à de la famille ou des amis ou simplement pour visiter) et un quart des familles ont au moins un enfant qui vit en Occident (parfois pour étudier dans de prestigieuses universités américaines ou européennes).

Aujourd’hui, alors que les paysans ne représentent qu’à peine 20% de la population du Khumbu, la grande majorité des Sherpas vit du tourisme en étant pleinement consciente des modes de vie et des attentes de la clientèle occidentale. Cela se constate à travers de nombreux produits et services qui mobilisent un ethno-marketing sherpa et sur une identité territoriale forte, tout en étant souvent des productions délocalisées.

 

En somme, l’évolution des pratiques et des paysages du Khumbu relève d’une forme d’entre-deux, elle n’est ni le parfait reflet de la culture sherpa, ni pleinement issue d’une culture globale. Sur fond de mondialisation et de dialectique local/global, le développement touristique a modifié en profondeur certains territoires et une grande partie de la communauté sherpa. Mais à l’écart des principaux pôles touristiques, il reste une véritable différence en le Yak et le MacDonalds.

« Après les frontières ? »

« Après les frontières ? » tel était le titre café géo qui s’est déroulé le jeudi 21 Mars 2019, au café librairie BD Fugue du Centre Bonlieu d’Annecy. Valéry Pratt, professeur de Philosophie au lycée Berthollet d’Annecy, s’est attelé à la question en s’interrogeant notamment sur la manière par laquelle on pourrait penser la frontière dans un contexte de mondialisation. La transdisciplinarité était à l’œuvre lors de ce rendez-vous.

Philippe Piercy, professeur de Géographie au lycée Berthollet d’Annecy ouvre cette conférence-débat en qualifiant la frontière de « fait social total » (Mauss), qu’aucune discipline ne peut s’approprier en exclusivité, et en soulignant la précocité de l’étude géographique de la frontière. En effet, explique-t-il, la frontière a très tôt fait l’objet d’une étude géographique. La géographie académique du XIXème siècle s’est davantage intéressée à la question des frontières interétatiques particulièrement à travers l’invention de la Géopolitique par Ratzel, dont l’expression « espace vital » devient centrale chez Karl Haushofer. Selon Philippe Piercy, la Géographie adopte deux grandes directions d’étude de la frontière. La première s’intéresse à la ligne, sa genèse, ses supports, ses marquages, et traduit la conception tardive de la frontière comme ligne, qui apparaît sous la Révolution française, avec une frontière entendue comme naturelle. Dans une autre direction, les géographes s’intéressent à la zone frontalière entendue comme le terrain d’un ensemble d’effets de la proximité frontalière ; la limite de souveraineté se traduit en effet par un ensemble de différentiels (économiques, juridiques, culturels…) dans la proximité géographique, constituant la notion de « l’effet-frontière », entre porosité et étanchéité, continuité et obstacle. Avant de laisser la parole à Valéry Pratt, Philippe Piercy conclut : « Qu’elle joue comme barrière ou comme charnière, comme coupure ou comme suture, la frontière ne disparaît jamais ». La formule laisse donc entendre que la frontière est enracinée, comme une « mémoire » du territoire, tant dans l’espace que dans nos représentations, ce qui interroge sur un « après », ou un au-delà.

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Espaces et hiérarchies des ports mondiaux, quelles mutations contemporaines ?

Annecy, jeudi 31 janvier 2019

Ce café-géo nous a été présenté par Antoine Frémont, né à Caen, qui a une histoire havraise non négligeable. Il est agrégé de géographie et directeur de recherche à l’IFSTTAR.

Le transport maritime est d’abord un service puisqu’il est au service du commerce international. C’est une industrie de sous-traitance. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux facteurs, autres que le transport maritime, expliquent la croissance du commerce international, dont notamment le fait que l’on soit entré dans un monde de libre-échange, soutenu par les États-Unis jusqu’à une date très récente.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les navires sont des outils à transporter de grosses quantités de marchandises sur de grandes distances et à très bas coût. En retour de ses services rendus au commerce international, le transport maritime a une très forte influence sur celui-ci. Sans le transport maritime, il n’y aurait pas eu de mondialisation. La conteneurisation permit d’effectuer des transports sur des milliers de kilomètres avec une très grande fiabilité et à très bas coût.

Le transport maritime a permis d’internationaliser les chaînes de valeur. Un produit est conçu à un endroit, assemblé ailleurs, et distribué encore ailleurs.

Le transport maritime est un élément important de la métropolisation. Aujourd’hui, l’activité est concentrée dans les grandes villes mondiales. Pour aborder les mutations contemporaines des espaces et des hiérarchies portuaires, il faut mettre en relation le commerce international, le transport maritime et la métropolisation.

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Tintin plus marin que montagnard ? Planète bleue et monde blanc 

Café géo du 20 septembre 2018 – Annecy

Pour ce premier café géo de la saison, Paul Arnould se fait géographe tintinophile et nous propose une sorte d’hergéographie.

Il commence par retracer la manière, dont le géographe forestier qu’il est, en est venu à s’intéresser à Tintin. Tout commence avec son livre Au plaisir des forêts, pour lequel il planche sur un chapitre « Au plaisir enfantin de la BD ». Ensuite, les occasions de croiser Tintin et géographie se multiplient, dans le cadre du Labo Junior « Sciences dessinées » à l’ENS de Lyon[1], d’une conférence sur « Tintin forestier » à la Société de géographie[2], et enfin d’un colloque scientifique autour de Tintin en janvier 2017[3], qui a donné lieu à la publication des Géographies de Tintin en avril 2018[4].

Ce qu’il propose pour ce café géo, c’est de relire les Aventures de Tintin, en géographe, à partir d’une série de notions et d’archétypes géographiques.

  1. Tintin, la mer et la montagne

En écho à la localisation annécienne de ce café, il commence par souligner que l’univers de Tintin est beaucoup plus marin que montagnard.

Parmi les couvertures des albums de Tintin, 6 font directement référence à la mer, tandis que la montagne est beaucoup moins présente : elle figure seulement sur la couverture de Tintin au Tibet et de L’Affaire Tournesol, auxquels on pourrait ajouter les deux albums se déroulant sur la lune, sur la couverture desquels l’on aperçoit le relief lunaire.

Deux dictionnaires sont récemment parus qui permettent de nourrir la comparaison. Dans son Dictionnaire amoureux de Tintin (2016), Albert Algoud ne propose ni d’entrée « Mer », ni d’entrée « Montagne », et la seule allusion à l’univers marin concerne quelques erreurs sur la codification des grades dans la marine. A l’inverse, dans le Dictionnaire Tintin (2017) de Robert Nattiez, on trouve une entrée « Mer » et une entrée « Montagne » proposant des informations de qualité mais ne permettant pas de départager les deux milieux.

Dans l’ouvrage  « Les Géographies de Tintin », trois communications ont trait à la mer (Alain Miossec ; Laurence Le Dû-Blayo, Jean-Louis Tissier). Aucune ne concerne la montagne. Le désert n’a pas plus suscité de propositions.

Les injures du capitaine Haddock, quant à elles, n’ont pas de registre géographique privilégié et jouent plutôt sur l’euphonie, l’exotisme et les jeux de mots. Comme le souligne Aymeric Landot dans un chapitre des Géographies de Tintin, intitulé « Bachi Bouzouk et autres Tonnerres de Brest : des insultes géographiques ? » 10% des injures du capitaine font référence à l’univers marin (« mille millions de mille sabords », bien sûr, mais aussi « bougre d’amiral de bateau-lavoir » ou encore « simili-martien à la graisse de cabestan ») auxquelles s’ajoute toute la gamme des « corsaires, forbans. flibustiers, frère de la côte, négriers, pirates ». Seules 3 des injures d’Haddock ont trait à la montagne (« bougre d’extrait de crétin des Alpes », et son pendant tibétain « crétin de l’Himalaya », ainsi que crétin des Balkans).

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Rohingya de Birmanie : origine, enjeux, horizons

Compte-rendu du Café géo de Chambéry du mercredi 28 mars 2018. Retrouvez également ce compte-rendu en téléchargement, au format PDF.

Par Martin Michalon, Doctorant à l’EHESS/Centre d’Études d’Asie du sud-est

Alors que la crise des Rohingya est évoquée de manière plus ou moins approfondie dans les médias, par exemple lors de la visite du pape en Birmanie en novembre 2017, Martin Michalon nous propose un éclairage géographique pour mieux comprendre la genèse et l’évolution d’une telle situation, pour bien en décrypter toute la complexité.

En observant un camp de réfugiés de la ville de Sittwe, capitale de l’État d’Arakan, on constate que les familles Rohingya vivent dans des abris de fortune, dans un dénuement certain et dans un profond désespoir, comme si elles étaient dans une prison à ciel ouvert. La situation semble bloquée ; elle résulte d’une cristallisation d’enjeux divers qui dépassent le quotidien des réfugiés.

  1. Un contexte ethnique et politique complexe

La Birmanie, à la jonction entre l’Asie du Sud et l’Asie du Sud-Est, apparaît comme une zone de friction, au contact de plusieurs entités culturelles et territoriales. Il s’agit d’un pays vaste (650 000 km²) et peuplé (51 millions d’habitants), administrativement divisé en sept États, dont l’État d’Arakan qui est frontalier du Bangladesh et qui est particulièrement concerné par la crise des Rohingya. La Birmanie se caractérise aussi par sa grande diversité ethnique : 135 groupes ethniques sont officiellement reconnus par le gouvernement et ils se répartissent globalement selon une logique centre/périphérie. Au centre, dans la large vallée du fleuve Irrawaddy, se trouvent majoritairement les Bamar (environ 70% de la population birmane) et dans les périphéries montagneuses habitent une grande diversité de minorités ethniques qui entretiennent des liens souvent conflictuels avec la majorité Bamar. Une telle domination des Bamar sur les autres minorités est un héritage historique et aujourd’hui les groupes ethniques minoritaires sont toujours considérés comme des citoyens de seconde zone en situation de relégation, par exemple ils ne peuvent pas accéder à des postes à responsabilité dans l’administration ou dans l’armée. En revanche, la religion apparaît comme un facteur d’unité. En effet, environ 90% de la population birmane est bouddhiste, 6% est chrétienne et 4% musulmane. En raison de cette répartition religieuse, une assimilation un peu rapide a été faite dans les années 1990-2000 entre birmanité et bouddhisme.

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Les forêts d’exception, une labellisation inégalitaire ?

Café Géographique Annecy 1er mars 2018 avec Paul Arnould

Paul Arnould, Professeur émérite à l’ENS de Lyon, membre du Comité Scientifique de l’Office National des Forêts (ONF), a longuement étudié les questions forestières, en France et en Europe surtout, du point de vue biogéographique comme du point de vue territorial, socio-économique et politique. Il a été d’abord biogéographe, mais a aussi été président du Comité Scientifique de l’ONF, où il fut le premier à venir des Sciences sociales et non des Sciences naturelles.

Le choix du thème du café s’inscrit dans le cadre d’un intérêt plus global pour le marketing territorial, d’une réflexion sur l’ensemble des démarches de labellisation, en vue d’une promotion de produits, de territoires. L’ONF, créé en 1965 par E. Pisani mais vieille institution s’il en est, puisque héritière d’une longue histoire de l’administration étatique des eaux et forêts depuis Philippe Auguste, a donc franchi le pas de cette pratique. Il sera intéressant de comprendre quand, comment, pourquoi, avec quels enjeux locaux pour des acteurs aussi divers que les collectivités, les acteurs économiques, associatifs.

La labellisation est une pratique proliférante, pour les territoires locaux notamment, entraînant une hiérarchie (du Patrimoine Mondial aux “plus beaux villages de France”), une profusion de candidatures, souvent « retoquées », d’initiatives pour inventer des « auto-labellisations » à usage unique et local (« Villages de pierres et d’eau en Charente- Maritime »).

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Le développement durable, un concept éphémère ?

Café Géo, Annecy, jeudi 29 Mars 2018, par Marie Forget (USMB)

Dans le cadre de la « Semaine du développement durable » d’Annecy il a été demandé aux Cafés Géo une participation, qui a pris la forme d’un café où la notion de développement durable (DD) puisse être mise en perspective, interrogée dans sa …. durabilité, et sa pertinence, la genèse de son emploi, de sa généralisation, voire de son usure et de son remplacement.

Marie Forget, Maître de conférence à l’Université Savoie Mont Blanc, qui a réalisé de nombreux travaux de recherche sur des questions environnementales (sur le fleuve Paranà tout spécialement), de transition énergétique, et de construction et d’exploitation des ressources naturelles (eau et énergie principalement), était tout spécialement compétente pour une telle tentative de traiter de façon non militante, sans plaidoyer ni réquisitoire, une notion sur-utilisée.

Une expression très à la mode il y a 20 ans, en relative perte de vitesse : qu’en reste -t-il ?

Une requête sur Google images donne l’impression confortable que la notion va de soi, qu’elle recouvre plus ou moins toujours les mêmes contenus : image des trois cercles, écologique, économique, social, se recoupant en une zone qui sera celle du DD, image/échelle le plus souvent planétaire de cette notion (avenir commun, « soin » dédié à la planète unique et commune), omniprésence du vert, qui souligne la disproportion fréquente au profit du « pilier » environnemental de la notion. Pourtant, au-delà d’un apparent consensus, le DD apparaît comme une notion souvent décriée : ambigüité fréquente, voire contradiction, des emplois devenus proliférants dans des discours multiples, médiatiques, militants, mais aussi par les sciences sociales et naturelles. Mieux vaudrait donc parler DES développements durables tant il apparaît que le concept (en est-ce encore un si l’on admet qu’un concept est un outil ?) « nomadise », fluctue dans ses contenus selon les finalités poursuivies par ceux qui l’utilisent.

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Rio de toutes les crises

Café géographique du 11 janvier 2018 avec Mickaël CHÉTRY (université fédérale fluminense, rio de janeiro, Brésil )

La ville de Rio est au centre des attentions aujourd’hui et connaît une situation critique : l’État est en faillite, de nombreux fonctionnaires ne sont plus payés, le chômage augmente et on assiste à une recrudescence de la violence. On ne peut comprendre la crise alarmante touchant actuellement cette métropole internationale, dont l’agglomération compte pas moins de 11 millions d’habitants, sans revenir sur sa trajectoire historique et notamment le fait que pendant plus de 200 ans elle a été la capitale de l’empire puis de la république : pourquoi la crise nationale actuelle touche-t-elle tout particulièrement Rio de Janeiro ?

La particularité de cette ville réside dans le fait qu’elle a été conçue comme un espace national. Rio a été fondée en 1565 ; elle était originellement une petite ville portuaire et un poste militaire. La fondation de la ville repose sur un double enjeu stratégique : celui de sécuriser la côte pour protéger le territoire colonial portugais d’éventuelles intrusions, en permettant dans le même temps l’exploration et l’exploitation des ressources de l’intérieur des terres. La position géographique de la ville, à la fois ouverte sur la baie de Guanabara et surplombée par de hauts reliefs, répond particulièrement bien à ce double objectif.

Pendant un siècle et demi, la ville reste relativement modeste, ce qui change au XVIIe grâce à la découverte de l’or dans la région voisine qui deviendra l’État du Minas Gerais : l’axe économique de la colonie portugaise se déplace alors du Nordeste (jusqu’alors très dynamique grâce au cycle du sucre de canne) vers le Sudeste, ce qui élève Rio de Janeiro en position de principal centre d’exportation de métaux précieux. Le port voit aussi son flux d’importation d’esclaves et de nourriture accru. Cette transition économique s’accompagne en 1763 du transfert de la capitale du vice royaume de Salvador à Rio de Janeiro afin de mieux contrôler cette nouvelle économie et réduire les évasions fiscales. L’importance acquise par la ville portuaire mène à une diversification des activités économiques et des exportations, cependant l’intégralité des exportations reste alors destinée au Portugal.

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Quand le déjeuner devint petit, le Monde était devenu grand

Quand le déjeuner devint petit, le Monde était devenu grand

Café Géo animé par Christian Grataloup (Chambéry, 31 janvier 2018)

Si des rayonnages entiers de librairies sont consacrés à l’alimentation, à l’histoire de la gastronomie, aux recettes de cuisine, ces ouvrages se focalisent sur les repas de milieu et de fin de journée, tandis que le petit-déjeuner reste un angle mort. C’est en effet un repas répétitif, modeste, qui peut sembler peu intéressant. Et pourtant, l’adjectif « petit » nous fournit un indice sur le caractère récent de ce repas, qu’on peut interroger à la fois sous l’angle de son historicité et de ce qu’il nous dit de notre rapport au monde.

Christian Grataloup part du glissement sémantique qui se joue entre le tableau de François Boucher de 1739, intitulé Le Déjeuner – tout court – et celui de Juan Gris, de 1915, intitulé Le Petit déjeuner.

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Luxe, richesse et entre-soi dans les stations de sports d’hiver

 

Philippe Piercy : « Lise a soutenu sa thèse à l’université de Savoir Mont Blanc et est désormais géographe « professionnelle » puisqu’elle est impliquée dans les métiers de l’aménagement. Elle a un pied sur les deux terrains de la géographie.

Les stations de ski sont un vieil objet d’étude de la géographie. C’est dès les années 1970 que des thèses ont été faites sur les stations de ski. En géographie les stations de ski ont plutôt été étudiées sous l’angle de l’aménagement du territoire, de l’aménagement de la montagne, sous des angles urbanistiques. Avec le travail de Lise, ce qui nous intéressait, c’était d’aborder la question du tourisme hivernal comme question de géographie sociale. Les stations de ski comme laboratoire pour étudier plutôt les sociétés que les politiques d’aménagement.  Et ce passage géographie du tourisme-géographie sociale me semblait bien intéressant. »

Lise Piquerey : « Ma thèse portait sur les stations de sport d’hiver haut de gamme en Autriche en France et en Suisse. La première idée lorsque l’on souhaite questionner les stations touristiques c’est de réfléchir à leur essence même, comme lieu touristique. Le lieu touristique peut se définir comme un agencement d’aménagements à des fins récréatives. Les stations de sport d’hiver bien qu’étant particulièrement tournées vers les sports d’hiver comme le ski, les sports de glisse ou alors le patinage lors de leur naissance, sont pour certaines des lieux et des espaces de la distinction.

Au sein de l’arc alpin et plus particulièrement en Autriche en Suisse et en France, certaines stations de sport d’hiver peuvent être identifiées et qualifiées comme étant des stations de sport d’hiver haut de gamme. Pour la France, vous avez à titre d’exemple, Megève, Courchevel, Val d’Isère et Val Thorens dans une moindre mesure puisqu’elle tend à devenir une station de sport d’hiver haut de gamme. Pour la Suisse, vous avez par exemple Gstaad, Zermatt, Cran Montana et Saint Moritz qui est une station de renom. Et en Autriche de façon un peu plus discrète, vous avez une station de sport d’hiver qui se présente comme haut de gamme, celle de Kitzbühel. Dans ces lieux touristiques, l’idée, c’est de questionner leur aménagement non plus seulement aux vues des pratiques touristiques mais de questionner leur aménagement au regard de la distinction sociale qui s’y tient. Cette distinction sociale elle peut apparaitre à travers des marqueurs physiques qui sont visuellement repérables dans le territoire, qui impactent le paysage des stations et puis également par des jeux de passage de transition entre différents espaces qui sont marqués par différentes communautés ou groupes sociaux. C’est dans ces espaces que se joue un des termes utilisés pour le titre de ce café géo : l’entre soi.

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Guerre des gaz et paix des ménages : les enjeux de la pollution atmosphérique dans les vallées alpines

Les Cafés géographiques recevaient le 17 novembre 2016 Nicolas Donner, géographe, chercheur associé au laboratoire PRODIG. Il a travaillé sur des terrains lointains, en Afrique centrale notamment, en lien avec des questions de pétrole. Mais il est là aujourd’hui pour nous parler d’un espace beaucoup plus proche : la vallée de l’Arve, où il a peut-être voulu chercher du pétrole… et il l’a trouvé dans l’atmosphère !

Nicolas Donner commence par dire quelques mots de sa thèse, qui portait sur le pétrole, et qui lui a permis de faire le lien avec l’air, et pas seulement pour en retrouver dans l’atmosphère. En effet, nous habitons de plus en plus exclusivement dans des environnements techniques : notre vie quotidienne entière est médiatisée par des outils techniques, des systèmes administratifs, des procédés scientifiques (pour traiter l’eau, pour faire rouler un bus, …). Il y a un « écran technique total », pour parler comme Jacques Ellul, qui s’intercale entre nous et l’environnement naturel. Dans les enclaves pétrolières par exemple, les pétroliers installent des milieux urbains en miniature, n’importe où sur la planète, que ce soit dans le Sahara ou en pleine mer : on apporte des containers, de quoi cuisiner, de quoi regarder la télé, on reconstitue le milieu urbain, tout est technicisé, tout est importé. Il y a une seule ressource qu’on consomme toujours sur place : c’est l’air. C’est la dernière ressource avec laquelle nous avons un rapport non médiatisé.

Et pourtant, c’est en train de changer : on commence à porter des masques dans certaines villes, et on climatise l’air. Jusqu’ici, la climatisation a essentiellement concerné la température ou l’humidité, mais on commence aussi à climatiser pour contrôler la qualité de l’air. Dans notre mode de fonctionnement technique aujourd’hui, la logique est à la climatisation. L’être humain d’un pays développé moyen passe 80% de son temps à l’intérieur : domicile, transports, bureau. On passe de moins en moins de temps à l’air libre, donc une des premières solutions les plus évidentes pour répondre à la pollution de l’air, c’est de se focaliser sur l’air intérieur et d’ajouter un système de traitement anti-pollution au système de climatisation de l’air intérieur, ce qui existe déjà dans les voitures.

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Fukushima, six ans après : politiques de retour et zone grise de l’accident nucléaire

Café Géo animé par Marie Augendre (Chambéry, 8 mars 2017)

Téléchargez l’intégralité du compte-rendu au format PDF : CR_café-géo_AUGENDRE_VF (PDF, 670ko)

En ce mercredi 8 mars 2017, les Cafés Géographiques de Chambéry-Annecy reçoivent Marie Augendre, maîtresse de conférences à l’Université Lyon 2. En cette journée internationale des droits des femmes, elle n’est pourtant pas venue nous présenter un café sur la géographie du genre. Son intervention porte sur l’accident de Fukushima, dont on commémore le sixième anniversaire le 11 mars.

Marie Augendre commence son intervention en rebondissant sur cette remarque. Certes, il ne s’agit pas d’un café genré, mais le sujet qui va être abordé l’est pourtant dans une certaine mesure. En effet, la place des femmes est considérable à Fukushima, notamment parce que ce sont souvent elles qui se sont trouvées en première ligne, et tout particulièrement pour protéger les enfants de la radioactivité. La place des femmes dans l’analyse de l’accident nucléaire n’est donc pas négligeable, quand bien même on parle du Japon, société réputée particulièrement clivée (le terme « okusan », qu’on traduit par « épouse », désigne en japonais « celle qui se tient au fond »). Toujours est-il qu’avec l’accident nucléaire, les femmes se sont découvert une capacité à agir sur la scène publique, et elles portent une bonne partie des actions citoyennes qui se mettent en place, tant concernant la mesure de la radioactivité, que l’organisation de vacances sanitaires pour les enfants ou encore la reconnaissance des droits des sinistrés.

  1. Territoires contaminés : zonage administratif et « zone grise » de l’accident

La cartographie des territoires contaminés est très variable dans le temps. Marie Augendre s’appuie sur la carte de la contamination réalisée à partir des données officielles, disponible en ligne et mise à jour régulièrement[1]. Les valeurs de contamination sont aux deux tiers plus basses aujourd’hui qu’au moment de l’accident. Cette baisse renvoie à la décroissance naturelle de la radioactivité, à la dilution liée au ruissellement ainsi qu’aux mesures qui ont été prises par les pouvoirs publics (décontamination des espaces habités). Mais il faut garder à l’esprit que localement, on peut observer des phénomènes de reconcentration de la contamination, voire de contamination secondaire (remobilisation de radionucléides en provenance de la centrale ou des forêts impossibles à décontaminer).

En fait, l’ampleur des retombées radioactives sur le territoire a en partie été limitée par les vents. Fukushima se situe à l’est de l’île de Honshū, et le Japon est soumis à des vents dominants d’ouest (les westerlies), qui ont chassé l’essentiel de la contamination vers l’océan. La carte de la contamination montre certes une concentration autour de Fukushima, mais également dans le nord-ouest et le sud-est de ce département, en particulier dans la région de Tokyo. Mais on ne parle pas de cette contamination-là. Parler de la « catastrophe de Fukushima » fait le silence sur d’autres zones ce qui arrange bien ces espaces ; il faut être conscient que la contamination ne se limite pas au département de Fukushima.

Il faut noter une ambiguïté première dans la radioactivité et sa mesure. Il y a de multiples manières de mesurer la radioactivité, et Marie Augendre détaille les deux principales unités de mesure. Les becquerels renvoient à une désintégration par seconde : il s’agit de la mesure de l’activité émise par les radionucléides (la radioactivité). Les microsieverts/heure (mSv/h) renvoient quant à eux à une tentative de convertir cette radioactivité en tenant compte de ses effets sur l’organisme. On ne mesure donc plus une activité mais une dose. En quelque sorte, les becquerels renvoient à une magnitude, et les sieverts à une intensité.

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La friche : un espace en marge ? Abandon, usages et innovations

La friche : un espace en marge ? Abandon, usages et innovations
Kaduna-Eve Demailly, LABEX Futurs Urbains. Université Paris-Est Marne-la-Vallée. Lab’URBA, chercheure associée au LADYSS.

Téléchargez l’intégralité du compte-rendu au format PDF : La friche : un espace en marge ? (PDF, 413ko)

Kaduna-Eve Demailly a soutenu une thèse en 2014 sur les espaces urbains vacants jardinés[1]. Il s’agissait d’étudier les jardins partagés installés sur des friches, et de comprendre en particulier les mécanismes de réappropriation par les habitants, sur des terrains essentiellement situés en Île-de-France.

Dans le cadre de ce café, on rentrera dans ce thème des friches par la notion de marge, au programme de l’agrégation de géographie et du CAPES d’histoire-géographie, et on se demandera dans quelle mesure les friches, comme espaces marginalisés, font aujourd’hui l’objet d’initiatives et sont en voie de réintégration ? En somme, comprendre les processus de marginalisation et de démarginalisation des friches, qui sont souvent des espaces de centralité économique, hier en marge, et aujourd’hui réinvestis, donc démarginalisés.

1. Définir la friche : une marge à plusieurs égards

Première remarque, les friches sont des indicateurs matérialisés de changement qui ont toujours existé, dès l’époque antique, même si on n’utilisait pas, alors, cette terminologie.

Un exemple est le territoire dit de « la Zone », espace originellement défensif, en périphérie de Paris, zone large de 250 m, 800 ha, où les populations défavorisées se sont installées au début du XXe siècle. Cette appropriation a alors donné lieu à une véritable ville à la frontière de Paris. La décision est prise de la détruire à la fin des années 1950-1960.

La friche peut-elle être envisagée comme un territoire qui redevient un espace ? On assiste en tout cas à un processus de désappropriation / réappropriation dans ces territoires

1.1. La formation du stock

« La friche résulte de l’inadaptation entre un contenu et un contenant » (Chaline, 1999). Elle est en fait le résultat de trois facteurs conjoints : les mutations et innovations technologiques, la localisation – délocalisation d’activités, et enfin l’urbanisme de création, vecteur de dévitalisation.

Les mutations et innovations technologiques

Parmi la grande variété des friches, on trouve les friches ferroviaires dont la plus connue est à Paris la « Petite Ceinture » de Paris, 30 km de voies pour du trafic de marchandises, mais qui ont été concurrencées par le métro et donc abandonnées dès les années 1930. Cette friche représente un terrain immense avec de grands enjeux fonciers et de biodiversité, ainsi qu’en termes de patrimoine, avec des lieux comme la gare de la Flèche d’Or reconvertie en lieu culturel et festif punk-rock.

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Le Brésil : entre ambitions internationales et crise interne

Compte-rendu du Café-géo du 21 septembre 2017 avec Bernard Bret

Les ambitions internationales du Brésil se caractérisent à plusieurs échelles :

À l’échelle mondiale d’abord par une franche disposition au multilatéralisme. On peut ainsi noter une nette évolution par rapport à sa position diplomatique affichée lors de la Guerre froide et du découpage bilatéral du monde, où le Brésil était alors un des pays « satellites » des États-Unis : dans cette position d’allié fidèle, l’impératif de « sécurité nationale » et la consolidation du pouvoir interne produisaient un régime dictatorial (comme dans d’autres pays latino-américains à cette période).

Cette mise en perspective historique souligne le contraste avec la situation actuelle : le pays a désormais des revendications internationales légitimes, qui se traduisent par exemple par la revendication d’un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU, d’autant plus légitime que le Conseil actuel ne dispose toujours pas de représentant du continent latino-américain. Le Brésil a par ailleurs pris des responsabilités au sein de l’ONU, par exemple lors de ses interventions à Haïti, se montrant ainsi capable d’assumer de hautes responsabilités à l’échelle mondiale.

Au-delà des opérations de prestige de la Coupe du Monde de football de 2014 et des Jeux Olympiques d’été à Rio de Janeiro en 2016, qui prouvent sa capacité d’organisateur de grands évènements, le Brésil possède d’importants atouts économiques, notamment grâce à de grandes entreprises nationales telles que Petrobras, entreprise pétrolière d’envergure mondiale, mais aussi Embraer, société de construction aéronautique brésilienne qui a étendu son champ d’action en se perfectionnant dans l’aviation civile.

La maîtrise technologique, par ailleurs, contribue à donner du crédit à son économie. Dans le domaine énergétique notamment, le Brésil a fait preuve d’une capacité inventive remarquable, après la crise pétrolière de 1973, en s’investissant grandement dans sa transition énergétique par la recherche de solutions alternatives, comme la mise au point de moteurs à alcool de canne à sucre et d’autres fonctionnant aussi bien à l’essence qu’à l’alcool.

En outre, dans le domaine du Soft-Power (influence d’un pays par d’autre biais que l’économie ou la force militaire) son statut de seul pays lusophone du continent américain donne au Brésil un rayonnement culturel non négligeable, notamment à travers la diffusion de médias comme le groupe Globo, spécialisé en feuilletons (les telenovelas), qui participent à l’ancrage d’une identité brésilienne spécifique aux yeux du public international (notamment dans un monde lusophone étendue en Europe et en Afrique).

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Untaking space, philosophie nomade, les écotopies aux Etats-Unis

Café géo du 4 mai 2017, avec Damien Delorme, professeur de Philosophie

Qu’est-ce que la philosophie nomade au travers de ce projet « Untaking space » ? Comment le fait pour un philosophe, de partir en voyage lui permet de penser l’espace ? Qu’est-ce que le voyage à vélo apprend au philosophe sur l’habitation de l’espace ?

Le voyage

Voyage de janvier à Aout 2016, tracer une ligne verte de Miami à Vancouver

Il lui a permis de faire la synthèse de 3 aspects, l’expérience du voyage à vélo, l’expérimentation pédagogique et la recherche en philosophie. Il a relié à vélo 30 écotopies. Ce sont des lieux en résistance avec le modèle dominant de développement économique et d’exploitation de la nature, qui inventent de nouvelles relations avec cette dernière. Ce sont, entre autres, des fermes urbaines, des fermes bios, des parcs naturels, des écovillages, des départements de philosophie de l’environnement.

Concept de philosophie nomade 

Voyager à vélo lui permet de philosopher, c’est une expérience existentielle, spirituelle et philosophique. Une « field-philosophy » qui passe par 4 aspects :

– une réincarnation : être dans le corps, et puis après verbaliser.

– une concrétisation : ne pas partir dans des abstractions, faire naitre des idées précises d’expériences précises.

– cela complexifie le rapport la réalité, fait émerger un pluralisme des opinions, et apprend à se méfier des généralités

– humilité :  le cycliste se retrouve en position de vulnérabilité, il devient réceptif à la sagesse, c’est une ouverture nouvelle

I- Le concept d’écotopies

Concept d’Ernest Callenbach issu de son roman Ecotopia (1976) : Le fait de désigner des lieux qui reprennent la question d’organiser la vie commune autour des questions écologiques. Replacer la question centrale de l’écologie sur la question d’habiter. On entend « utopie » dans écotopies, donc quelque chose qui ne pourrait pas se réaliser en apparence.

Mais en fait cela rouvre l’imaginaire politique, ainsi les écotopies sont des lieux où l’on invente. Si l’on revient à l’étymologie, on entend deux racines grecques, oikos qui est le domaine et topos qui le lieu.  Ainsi c’est aussi une interrogation profonde de ce qu’est habiter. L’habitation d’un territoire peut s’articuler sur des problèmes locaux, (stocker de l’eau, produire de la nourriture) et aussi une préoccupation qui comprend des préoccupations environnementales globale, afin d’inventer un nouveau modèle.

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Castes et Inégalités en Inde

Pour ce nouveau Café Géo à Annecy, Philippe Piercy, professeur de géographie en classes préparatoires au Lycée Berthollet et organisateur des Cafés Géo d’Annecy-Chambéry, a invité Virginie Chasles, maître de conférences en géographie à l’Université Jean Moulin Lyon 3. Elle a notamment soutenu une thèse en 2004 sur le sujet suivant : « Entre genre et société : les espaces de la maternité en Inde rurale : le cas du district d’Anantapur dans l’État sud-indien de l’Andhra Pradesh ». C’est une spécialiste dans le domaine des inégalités de la santé ; ses travaux portant beaucoup sur l’Inde, mais aussi plus récemment sur la France et le Brésil. Son intervention du jour aborde le sujet des castes et des inégalités en Inde.

En guise d’introduction, Virginie Chasles rappelle que le thème des castes en Inde est incontournable dans l’évocation de ce pays et représente un fait social dont les géographes n’ont pas le monopole. En effet, les sciences sociales se sont largement approprié la question. Beaucoup de stéréotypes à propos de ces castes restent ancrés dans les représentations sociales. La confusion qui subsiste chez pléthore de gens est celle d’une abolition des castes en Inde qui n’existe pourtant pas en réalité. De plus, le mot « caste » pose lui-même problème. Les gens confondent souvent jati et varna, qui sont pourtant des réalités très différentes.

Plus généralement, l’Inde suscite beaucoup d’idées reçues et de fantasmes. Souvent, quand on parle d’Inde, des thèmes récurrents reviennent. L’Inde est souvent vue comme une mosaïque indienne. On trouve souvent un pluralisme religieux. D’autres religions, en plus de l’hindouisme, s’exercent en Inde, notamment l’islam, le bouddhisme, le jaïnisme, le sikhisme. L’Inde est aussi marquée par un pluralisme linguistique. En effet, en plus de ses deux langues officielles (l’hindi et l’anglais), s’ajoutent 20 langues majeures, ainsi qu’une centaine de langues régionales. Par ailleurs, le pluralisme social est double, avec le système de castes et les inégalités socio-économiques. Celles-ci font partie des caractéristiques des pays émergents. En effet, l’Inde a connu une croissance économique qui s’accompagne d’un creusement des inégalités important. Ces inégalités socio-économiques n’ont jamais été si importantes qu’aujourd’hui. La segmentation sociale qui interpelle le plus est liée au système de castes.

80% des Indiens sont hindous et appartiennent donc à ce système de castes. Cependant, d’autres religions ont également adopté ce système, comme l’islam, le sikhisme. Quasiment tous les Indiens s’inscrivent ainsi dans ce système de castes. La hiérarchisation se fait, dès la naissance, dans les groupes sociaux, les varnas et les jatis, qui déterminent les normes, les besoins, les relations des groupes les uns avec les autres. Il y a eu des évolutions au fil du temps. Parmi ces évolutions, il y a ce tout qui a trait à la profession.

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De “yak-driver” à “taxi-driver” : les pratiques de mobilité des Sherpa du Khumbu (Népal) à New York

Changement de lieu et d’ambiance pour le Café Géo du mercredi 12 octobre à Chambéry : c’est dans la petite salle comble du bar-restaurant Le Bruit Qui Court qu’Ornella Puschiasis guide le public d’Himalaya aux États-Unis, sur les traces des Sherpa. Postdoctorante au Centre d’Études himalayennes, la géographe évoque ses recherches actuelles avec enthousiasme et pédagogie. Dans le texte qui suit, elle livre les grandes lignes de ses travaux.

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Quelques mots à propos de mes recherches conduites en thèse sont nécessaires pour mieux comprendre la problématique migratoire que j’étudie aujourd’hui. Avant de s’intéresser à la diaspora des Sherpa, il convient donc d’évoquer quelques éléments concernant le Khumbu (Népal) qui est leur territoire d’origine.

Ma thèse, soutenue en 2015, s’inscrivait dans un projet interdisciplinaire regroupant géographes, glaciologues, hydrologues, et modélisateurs du climat autour de l’analyse des conséquences des variations climatiques sur l’évolution du couvert neigeux, sur le retrait des glaciers et sur la disponibilité en eau en Himalaya. J’ai plus particulièrement mené mes recherches dans la région de l’Everest, appelée localement Khumbu, un site de haute montagne qui s’étage entre 2835 m et 8848 m d’altitude au nord-est du Népal. Cette région est incisée par trois vallées qui drainent les apports en eau et dont la confluence marque la limite sud avec la vallée du Pharak. Le Khumbu est une vallée internationalement connue et reconnue, tout d’abord grâce au plus haut sommet du monde qui la surplombe, l’Everest objet de conquête et de convoitise, qui a largement contribué à la mise en lumière de la région. Sa population est un autre élément de fascination : en effet, les trois quarts des 3 500 habitants du Khumbu appartiennent au groupe ethnolinguistique sherpa, dont le nom participe à la construction d’un mythe.

Carte topographique du Khumbu (Puschiasis, 2015)[1]

Par ailleurs la vallée est inscrite dans la zone cœur d’un parc national : le Parc national de Sagarmatha.  Au sein de ce dernier, j’ai plus spécifiquement travaillé sur le territoire réticulé de Pangboche au sein de la vallée de l’Imja, un des derniers villages d’habitat permanent sur le sentier qui mène à l’Everest.

Le Khumbu est un lieu emblématique pour étudier les variations climatiques puisque les scientifiques le considèrent souvent comme un « hot spot » du changement climatique, notamment depuis le quatrième rapport du GIEC en 2007. C’est ainsi un espace au cœur des débats et des enjeux contemporains en raison de la hausse des températures plus élevée que la moyenne mondiale qu’il connaît. En outre, cette vallée est aussi un espace historique de migration.

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A la recherche de l’hiver idéal

 Mercredi 18 janvier 2017, 18h – Café le Beaujolais, Chambéry

Par Alexis Metzger, post-doctorant en géographie à l’Université de Strasbourg. Sa thèse soutenue en 2014 s’intitulait « Le froid en Hollande au Siècle d’Or. Essai de géoclimatologie culturelle » et il est l’auteur de l’ouvrage Plaisirs de glace. Essai sur la peinture hollandaise hivernale paru en 2012.

 Alors que l’actualité de cette mi-janvier est aux températures négatives, en dessous des « normales saisonnières », dans les Alpes françaises il est surtout question des stations qui attendent la neige avec impatience… Dans ce contexte, quel serait l’hiver idéal ? Et repose-t-il seulement sur des conditions météorologiques ?

Pour répondre à ces questions, Alexis Metzger nous convie à explorer l’art et la littérature pour démontrer que l’hiver n’est pas seulement une saison inscrite sur le calendrier. C’est aussi un ensemble composé de paysages et de représentations. Et pour ponctuer son intervention, le géographe a choisi plusieurs textes qui ont été lus par le public.

Lecture : Martin de la Soudière, ethno-sociologue du climat, traduit sa passion pour une saison, l’hiver.

Alexis Metzger propose ensuite plusieurs images plus ou moins « hivernales » dans notre imaginaire. La caractéristique commune que l’on retrouve sur chacune des images est, sans trop de surprise, la présence de la neige. Ce peut-être l’exemple inopiné d’un skieur descendant  les pentes enneigées de Montmartre, ou encore une image du col du Tourmalet de juin 2013 où des cyclistes cheminent entre deux immenses murs de neige. L’hiver vécu ne s’arrête donc pas aux bornes calendaires. Et les conditions météorologiques peuvent alors être associées à des conditions « hivernales ». La probabilité d’occurrence d’une forte tempête de secteur ouest qui serait plus élevée en hiver sur la façade atlantique européenne est aussi une image de cette saison. D’autres événements peuvent également y être associés, telles de fortes crues liées aux précipitations.

En fait, il convient surtout de parler de multiplicité des hivers : il y a des hivers sans neige, des hivers en ville, des hivers doux, etc. Observer l’hiver en ville permet de voir comment les sociétés urbaines s’y adaptent. À Amsterdam, par exemple, on déneige d’abord les pistes cyclables avant de déneiger les routes. De plus, certains caractères saisonniers sont assimilés à la façon de se nourrir durant cette saison, avec des légumes et des aliments d’hiver.

A Amsterdam, février 2013, une piste cyclable à droite salée et bientôt libre de neige

Il existe au sein de l’hiver une grande diversité de types de temps. Ce dernier varie selon l’ensoleillement, les températures, les précipitations, le vent, etc. ; il est perçu différemment en fonction de la présence de neige et de glace au sol. Tous ces paramètres reflètent les combinaisons potentielles d’une palette de types de temps extrêmement diversifiés ancrée au sein de bornes temporelles de l’hiver. Des préférences collectives se construisent pour certains types de temps, esquissant de la sorte un hiver idéal. Il serait vain de vouloir définir l’hiver idéal pour chacun de nous, toutefois l’idéal hivernal se caractérise peu ou prou par de la neige au sol, un ciel bleu, un bel ensoleillement, des températures froides, ainsi que l’absence de vent et de précipitations.

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Les nouveaux bourgeois des campagnes : vers une éviction rurale ?

Jeudi 19 mai 2016, 18h30
Café librairie BD Fugue, centre Bonlieu

Par Samuel Depraz, agrégé de géographie et maître de conférences à l’Université Jean Moulin / Lyon 3. Ses thèmes de recherche portent sur les espaces ruraux, le développement local et les espaces naturels protégés en France, en Allemagne et à l’échelle européenne.

Retrouvez également ce compte rendu au format PDF (600 ko).

L’intervention de ce jour a pour cadre général la « renaissance rurale », cette tendance à l’augmentation de la population et à la reprise progressive de bâtiments anciens observée dans la plupart des campagnes françaises. Une tendance qui s’accompagne d’autres signaux, plus discrets, avec la mise en place de nouveaux conseils municipaux, d’une offre commerciale et artisanale plus diversifiée, ou encore d’actions culturelles plus fréquentes. Ce renouvellement laisse parfois apparaître de nouvelles tensions entre habitants de l’espace rural, mais également des complémentarités accrues avec la ville, autour d’une effervescence globale qui nous éloigne de l’ancien « rural profond » et de toute idée d’ « exode rural » – un terme aujourd’hui révolu.

Ces transformations multiples seront ici illustrées à partir de l’exemple voisin du Parc naturel régional (PNR) du Massif des Bauges, pour lequel S. Depraz interrogera un processus en particulier : en quoi est-ce qu’un espace naturel protégé tel qu’un PNR est non seulement vecteur d’une transformation  positive de l’image des espaces ruraux, donc d’une renaissance rurale, mais aussi d’une forme d’embourgeoisement des campagnes ? Cet « embourgeoisement » doit être questionné aujourd’hui par le fait que la ruralité se reconstruit de manière sélective au profit d’une certaine tranche de la population, plutôt aisée. Les espaces protégés ont alors un effet qui déborde de leur mission première, celle de protéger la nature et les paysages : ils ont un impact social bien réel, qu’il s’agit ici d’évaluer dans le cadre des PNR en particulier.

  1. Le processus général de renaissance rurale

La renaissance rurale est une évolution au long cours connue par les campagnes de France et d’Europe depuis plus d’une génération. L’expression de « renaissance rurale » est un terme ancien (1990) proposé à la discussion par le géographe Bernard Kayser[1] à une époque où cela n’était pas forcément évident. Ce phénomène fait alors l’objet d’un débat en géographie rurale entre deux visions contradictoires : d’une part celle de la poursuite de la déprise rurale engagée depuis le milieu du XIXe siècle, avec l’affirmation d’un « rural profond » et le constat – parfois nostalgique de la part des chercheurs[2] – de la disparition d’une certaine société rurale centrée sur l’agriculture et le village isolé ; de l’autre côté, l’émergence de signaux encore faibles de reprise démographique par des catégories de population très diverses et qui font le choix de la ruralité, à l’écart des centres urbains. Les deux processus étaient, dans les faits, concomitants et d’importance variable selon les espaces. On a cependant constaté la progression du phénomène de renaissance rurale et des logiques de recomposition qui lui sont propres. Les nouveaux arrivants, rassemblés sous l’appellation de « néo-ruraux », ont d’abord été perçus comme des « alternatifs », en quête d’une rupture avec le mode de vie urbain. Peu à peu, ces populations nouvelles se sont diversifiées et représentent un ensemble d’habitants aux profils sociologiques plus variés.

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Découvrir la géoéthique à travers le territoire brésilien : justice et injustice spatiales

Pour ce premier café géo de la saison 2016-2017, les Cafés Géographiques de Chambéry-Annecy reçoivent M. Bernard Bret, professeur émérite à l’Université de Lyon, qui vient nous parler de la justice spatiale, une thématique qu’il a largement étudiée au cours de sa carrière. Il fait en effet figure de pionnier, en langue française, des travaux visant à rapprocher une interrogation d’ordre philosophique autour de la justice et une approche de l’inégalité telle qu’elle est inscrite dans l’espace, ou même telle qu’elle peut naître de l’espace. D’autre part, Bernard Bret a beaucoup travaillé sur le Brésil, un pays marqué par des clivages socio-spatiaux extrêmement forts. Pour ce café géo, il a donc choisi de coupler cette réflexion thématique sur la justice à son terrain de prédilection, le Brésil. Le propos sera largement d’ordre théorique, bien qu’appuyé sur des faits brésiliens, dans la mesure où la théorie doit servir à comprendre le réel.

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Dans le titre de ce café géo, deux termes appellent des explications. La géoéthique : c’est un néologisme récent qui renvoie à l’idée d’introduire la réflexion éthique dans la démarche géographique. La justice et l’injustice spatiales : il ne s’agit pas de la justice entre les lieux, ce qui n’a pas beaucoup de sens, mais bien du contenu territorial, spatial, géographique, de la justice ou de l’injustice sociale. Cette réflexion s’inscrit dans l’ordre du socio-spatial, dans la mesure où l’on comprend la géographie comme la réflexion sur l’expression spatiale que prend le lien social. Dans cette optique, on peut considérer que l’organisation des lieux est une porte d’entrée possible pour mieux comprendre la société. Retenons donc que quand on dit justice spatiale, il faut comprendre justice socio-spatiale, soit l’expression spatiale de la justice ou de l’injustice entre les personnes.

Incorporer l’éthique dans la démarche géographique : précautions méthodologiques

Il faut bien sûr s’interroger sur la légitimité scientifique de procéder de cette façon. C’est la précaution méthodologique que le sociologue Max Weber avait signalée dans Le savant et le politique[1]. Dans ce livre, il attire l’attention sur le fait qu’il y a une nécessité de neutralité scientifique (ou axiologique) : la science cherche à dire le vrai et il faut la distinguer de l’éthique, qui cherche à dire le juste ou le bien. Si on mélange les deux sans précaution méthodologique, on risque de passer d’un discours scientifique à un discours partisan. Pour autant, on ne peut pas évacuer la réflexion éthique dans une démarche de sciences humaines, auxquelles la géographie sociale appartient. Il est clair qu’à Rio de Janeiro ou à São Paulo, le contraste entre les quartiers élégants et les favelas, qui comptent dans chacune de ces villes un million d’habitants, choque l’intuition morale que chacun a en lui-même.

On ne peut certes pas rester de marbre devant de telles réalités, mais il faut se départir du risque de s’en tenir à une intuition morale d’injustice. Celle-ci n’autorise pas ipso facto à qualifier la situation d’injuste, au sens d’une qualification recevable par les sciences sociales, dans la mesure où il peut y avoir d’autres interprétations possibles. Il faut donc construire une base théorique pour assumer l’intuition que l’on a, éventuellement la corriger, et dans tous les cas, rester sous le registre du savoir. C’est une question d’honnêteté intellectuelle que de dire à quelle théorie on se réfère et de construire un propos en cohérence avec cette théorie, tout en ayant conscience que d’autres auront d’autres points de vue, et que cela fait partie du débat scientifique (et démocratique).

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Comment peut-on être « montagnard » ?

Compte rendu du Café Géo animé par Bernard Debarbieux, le 13 avril 2016 à Chambéry.

Dans ce titre, deux mots s’imposent : « montagnard » et « comment ». Le titre retenu ne l’est pas par hasard, il fait écho aux Lettres persanes de Montesquieu (1721), qui raconte sous la forme d’une fiction épistolaire la découverte de Paris par deux Persans. L’ouvrage narre ainsi une série d’expériences, racontées sur un mode humoristique. C’est une sorte de conte philosophique dont l’objectif est de soulever les absurdités de la société française du début du XVIIIe siècle et d’ironiser sur la façon dont les Parisiens ont de comprendre et de percevoir l’altérité. Bien qu’ayant près de trois siècles, l’ouvrage évoque des situations transposables dans une période plus contemporaine, comme l’exprime la Lettre 30 de Montesquieu.

Dans cette lettre, Ouzbek raconte ses premiers jours à Paris lorsqu’il est exposé au regard des Parisiens : « lorsque j’arrivais je fus regardé comme si j’arrivais du ciel, les vieillards, les hommes, les femmes, les enfants, tout le monde voulait me voir, si je sortais tout le monde se mettait aux fenêtres, et si j’étais aux tuileries je voyais aussitôt un cercle se former autour de moi. Enfin, jamais homme n’a autant été vu que moi ». Dans un premier temps, il ne comprend pas bien pourquoi il suscite autant de curiosité, puis il se rend compte qu’il est habillé, accoutré d’une façon très particulière qui ne correspond certainement pas à une tenue traditionnelle persane mais aux habits d’apparat qu’il portait en raison de son invitation par d’importants personnages de la capitale. Un peu lassé de la curiosité qu’il suscitait, il s’habilla comme tout le monde et à la fin de sa lettre il confie ceci : « si par hasard quelqu’un apprenait que j’étais persan, j’entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement « ah ah Monsieur est persan », il fallait qu’il le dise, Monsieur est persan, c’est une chose bien extraordinaire. Comment peut-on être persan ? ». Autrement dit, les Parisiens ne se posent pas cette question lorsqu’il est accoutré comme ce qu’ils imaginent et ce qu’ils comprennent comme un accoutrement de persan, par contre s’il est habillé comme eux, les Parisiens se demandent alors comment il peut être persan car il n’a pas l’apparence d’un persan. Le sens de la question que pose Montesquieu, ce n’est pas le sens de la question qui sera adopté à l’occasion de ce café géo. Quand Montesquieu écrit « Comment peut-on être persan ? », il ironise sur la bêtise moyenne des personnes qu’Ouzbek rencontre, et qui se demandent ce que veut ou ce que doit signifier être persan.

Ici, pour comprendre le titre « Comment peut-on être montagnard ? », il faut entendre l’adverbe « comment » un peu différemment : de quelles façons peut-on être montagnard ?  De quelles façons sommes-nous reconnus comme montagnards ? De quelles façons se pense-t-on montagnard ? Est-ce ce caractère repose sur un accoutrement spécifique ? Est-ce qu’il s’agit d’une sorte d’essence qui n’est pas perceptible, comme pour Ouzbek une fois qu’il a quitté ses habits de Persan ? Est-ce que c’est une culture ? Un langage ? Le « comment » devient ainsi ontologique : qu’elle est la nature de l’être montagnard ? Comment est-ce qu’on est montagnard fondamentalement ? Pour explorer cette question immense, Bernard Debarbieux souhaite d’abord voir comment le public chambérien réagit à une série de petits énoncés, pour observer l’adhésion plus ou moins forte de la salle à une définition de l’être montagnard :

  • On est montagnard quant on habite en montagne.
  • On est montagnard au fil des générations : est ce que cela se transmet ? par les gènes ? par acculturation ?
  • On est montagnard parce qu’on pratique la montagne, parce qu’on aime la montagne.
  • On est montagnard parce qu’on est savoyard.

Cette petite exploration ouvre la réflexion quant aux différentes ontologies, aux différentes façons d’être montagnard. Est-ce qu’être montagnard est une question de nature profonde, une question existentielle ? Ou une question d’apparence, comme pour Ouzbek et son identité persane ? Est-ce que c’est un choix personnel ? Une revendication ? Une façon de se présenter dans la société ? Le fruit d’une validation sociale ?

Comprendre l’identité montagnarde doit ainsi se faire au regard de l’histoire de la construction de l’espace montagne et de ses habitants. D’une conception initiale très naturaliste, on voit peu à peu se mettre en œuvre des formes de revendications, d’affirmation, de souci de mise en scène de l’identité montagnarde. Globalement, la façon de parler et de penser les montagnards a été principalement naturaliste dans un premier temps, puis de plus en plus sociale, politique et culturelle, et enfin, depuis une vingtaine d’années, de nouvelles façons de se positionner vis-à-vis de la montagne émergent.

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A l’ombre de Nanda Devi. La nature himalayenne dans le nationalisme écologique de la guerre froide

Compte-rendu du Café géo du 10 février 2016, à Chambéry

Sarah Benabou, anthropologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et spécialiste de l’Inde, porte son regard sur les politiques de conservation de la nature dans une région de l’Himalaya indien. À partir d’une analyse fine des nombreux enjeux géopolitiques, sociaux et culturels qui gravitent autour du sommet emblématique de la Nanda Devi, Sarah Benabou nous convie plus largement à questionner les présupposés des politiques de conservation de la nature. À la croisée de la géographie et de l’anthropologie, elle décrypte les interactions entre les parcs et les populations locales, entre les modes de gestion de l’environnement et les modes de vie.

« Le choc de Sariska » ou la parabole des difficultés de la conservation de la nature en Inde

Par le récit d’une anecdote à propos de la « disparition » des tigres de la réserve de Sariska, au Rajasthan, Sarah Benabou met en lumière un épisode qui est devenu une parabole de la conservation en Inde et des difficultés qu’elle rencontre.

En 2005, l’Indian Express révèle que la réserve de Sariska, contre toutes attentes, ne compte plus aucun tigre. Ce que le journal appelle « le choc de Sariska » provoque une prise de conscience dans le pays et contraint le gouvernement à réagir. La réserve de Sariska fait en effet partie du Projet Tigre, un des programmes de conservation les plus populaires et les mieux financés du pays. Où sont passés ces tigres et pourquoi ont-ils disparu d’une réserve spécialement dédiée à leur protection ?

La première réponse apportée par le bureau des renseignements indiens est simplement de constater que tous les tigres ont été braconnés. Un vaste réseau de contrebande, qui aurait bénéficié de l’aide de quelques villageois vivant dans la réserve, est mis en cause. Mais ces premières explications demeurant insuffisantes, une équipe de spécialistes de la conservation des tigres, dénommée Tiger Task Force, est mandatée par le gouvernement pour comprendre comment une telle situation a pu se produire. Suite à son enquête, elle publie un rapport dans lequel elle mentionne d’abord les problèmes liés à la gestion du parc : aucun rapport n’est à jour, personne ne surveille le travail des gardes, les chemins de patrouille ne sont pas entretenus, etc.
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Le mythe de la disparition du lac Tchad

Professeur de géographie à Paris 1, longtemps chercheur au CIRAD, Géraud Magrin a fait de l’Afrique subsaharienne, du Sénégal au Tchad principalement, son terrain de recherche. Par ces temps d’alarmisme environnemental, le lac Tchad présente des enjeux particuliers : sa disparition est régulièrement annoncée, et depuis 2010, sur fond de terrorisme montant (Boko Haram), le lac Tchad devient un sujet central. Autour de ce lac, on peut étudier particulièrement les aspects politiques et institutionnels d’un jeu d’acteurs complexe entre Etats, bailleurs de fonds internationaux, ONG et médias.

La COP 21, en raison des messages et des discours contradictoires qui y sont tenus sur le lac Tchad, constitue une excellente entrée en matière. Trois événements récents emblématiques du type de discours qui peut être tenu sur ce lac :

  • Juste avant le début de la COP 21, un mini sommet avec F. Hollande, 12 chefs d’Etats africains ainsi que la présidente de la commission de l’Union Africaine (Nkoszana Dlamini-Zuma) se sont exprimés et ont déploré l’assèchement progressif du lac Tchad en liant cet assèchement avec l’insécurité qui règne aujourd’hui dans la région (une région qui est actuellement sous l’emprise de Boko Haram depuis 2 ans). Avec ces discours, ils ont voulu tirer la sonnette d’alarme et attirer l’attention de la communauté internationale sur la situation qui sévit actuellement. Le président tchadien notamment a exprimé son mécontentement quant à l’inaction relative par rapports à la « situation catastrophique » qui est en train de s’établir dans cette région.

  • Deux jours après, dans le pavillon Afrique (géré par la Banque africaine de développement), les bailleurs de fonds (Banque mondiale, UE, Agence française de développement..) ont mis en place un atelier technique pour lancer un programme en faveur du lac Tchad, avec notamment la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT, c’est l’agence régionale qui représente les pays riverains du lac, chargée de gérer ensemble les eaux du lac et de son bassin), qui a présenté un plan d’adaptation et de développement avec une approche technique très proche de celle des chercheurs.

  • Deux jours plus tard, l’Institut de recherche pour le développement (IRD) a organisé un « side event » (c’est-à-dire un événement parallèle qui n’était pas officiel dans les négociations) où les chercheurs ont présenté leur compréhension de cette disparition, où des représentants de la société civile qui vit autour de ce lac se sont exprimés (sur les difficultés que peuvent rencontrer les populations en abordant davantage des questions socio-économiques qu’environnementales). Pourtant un ministre français présent s’exprime et demande à ce que les chercheurs de l’IRD arrêtent de dire que le lac Tchad ne disparaît pas puisque quand un lac varie autant, cela perturbe tellement les gens qu’il y une nécessité de dire qu’il disparaît afin qu’un nombre plus important de personnes se sentent concernées.

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L’Allemagne aujourd’hui, 25 ans après la réunification

Le mercredi 14 octobre 2015, nous avons eu le plaisir d’accueillir à Chambéry Antoine Laporte, maître de conférences à l’ENS de Lyon et spécialiste de l’Allemagne, pour un café géographique portant sur l’Allemagne aujourd’hui, 25 ans après la réunification.

Pour introduire son propos, A. Laporte expose deux idées.

Dans l’actualité, l’Allemagne est un pays fréquemment comparé d’un point de vue socio-économique avec d’autres pays européens, et avec la France en particulier. Les médias mettent régulièrement en avant le modèle social allemand qui pourrait servir de référentiel.
L’Allemagne a également une histoire riche et complexe. Sa réunification explique certaines logiques que l’on retrouve dans le monde allemand contemporain. Néanmoins, un quart de la population allemande est née après le 3 octobre 1990, date de la réunification de l’Allemagne, et, pour elle, la période antérieure appartient à l’histoire ; le changement de perspectives sociale, économique, politique et culturelle post 1990 apparaît comme une réalité.
Sur ce préambule, A. Laporte a d’abord expliqué les ressorts de la « superpuissance » allemande, puis il en a livré une analyse critique avant de détailler différentes formes d’inégalité en Allemagne.

Cette « superpuissance » est révélatrice à divers égards.

Par exemple, l’annonce de l’accueil des migrants par la chancelière allemande renforce l’image d’Eldorado attribuée à l’Allemagne. C’est un pays qui s’enrichit, qui est capable de présenter des avantages pour sa population, où les universités sont gratuites, etc. Autant de signes de puissance à l’échelle européenne et mondiale dans un contexte de morosité économique. Des évènements internationaux, comme la victoire de l’Allemagne lors de la coupe du monde de football en 2014, sont des emblèmes de la réussite du pays. Berlin est aussi une métropole puissante d’un point de vue diplomatique et géopolitique : aujourd’hui, la capitale allemande accueille ainsi 160 ambassades et elle a dépassé Paris à cet égard.

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Cartographier la crise des réfugiés. Enjeux géographiques, éthiques et politiques

Compte-rendu du Café géographique de Chambéry – 2 décembre 2015 au Café Le Beaujolais, avec Sarah Mekdjian, Maître de conférences en géographie à l’Université Grenoble-Alpes

Sarah Mekdjian s’intéresse particulièrement aux questions migratoires et frontalières contemporaines par le biais d’approches critiques. Dans le cadre d’un projet de recherche européen, elle a participé à une réflexion portant sur le franchissement des frontières et la production de cartes participatives et expérimentales. Grâce au collectif de chercheurs AntiAtlas des frontières, ces productions feront l’objet d’une exposition à partir du 3 février 2016 au 29 mai 2016 au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation à Lyon.

Ces recherches et productions ont été au cœur de ce Café géo dont l’objet était : « Cartographier la crise des réfugiés. Enjeux géographiques, éthiques et politiques ».

Photographie 1 : cartographie d’un réfugié (© Sarah Mekdjian)

Photographie 1 : cartographie d’un réfugié (© Sarah Mekdjian)

 

Ce sujet est au cœur de l’actualité médiatique. Un des enjeux de ce Café géo est de comprendre, d’analyser la crise des réfugiés et de l’historiciser.

Depuis quand les médias parlent de crise ? Est-ce qu’il y a quelque chose de nouveau dans les faits et les processus migratoires ? Qu’est-ce qui est en train de se jouer de nouveau ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ?

Comment cartographier la crise des réfugiés en partant des réfugiés eux-mêmes ?

Tout d’abord, pourquoi traiter de ce sujet à partir de la cartographie ? Une des hypothèses est que la crise des réfugiés, telle qu’elle est représentée dans les médias, passe beaucoup par les images. C’est un des éléments voire l’élément central du discours médiatique. Avant la carte, ce sont les photographies qui sont majoritairement utilisées. La photographie à la Une du Monde le 27 novembre 2015 est une image de radeau surchargé au milieu de la mer. Cette photographie a été prise au large de l’île de Lesbos, au large de la Grèce en novembre 2015. Cette image est même une icône, qui fait référence au Radeau de la Méduse de Géricault. C’est un topos de l’art, c’est aussi la figure d’innocents à la mer. C’est une esthétique connue dans l’art de l’Occident qui rejoue la figure du naufragé.

Il faut bien sûr prendre de la distance par rapport à ce type de figure. Une autre figure existe, elle est moins connue mais très présente dans les médias, et notamment dans Le Monde : c’est la carte. Il s’agit souvent d’une carte de flux et de routes migratoires, généralement composée de flèches. Nous constatons donc un double registre représentatif : la photographie qui fait appel aux sensibilités, à l’empathie et la carte qui serait l’objet de raisonnement, de compréhension. Il s’agira de montrer que cette opposition entre émotion et raison, photographie et carte, ne tient pas. Ces images combinent des fonctions émotionnelles, cognitives, informatives, en plus de fonction politique.

La crise des réfugiés est une crise humanitaire et une crise politique qui amène l’Union européenne à repenser l’espace Schengen notamment.

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Alimentation et environnement en Chine : l’équation urbaine

Café géographique du 21 janvier 2016

Etienne Monin, jeune docteur en géographie, agronome de formation qui vient de soutenir sa thèse intitulée « Formation agraire, nouveaux modèles agricoles et encadrements métropolitains à Shanghai »

Comment prendre en considération la durabilité des espaces agricoles chinois, dans la phase présente du développement du pays ? En référence à leur fonction alimentaire et en rapport avec l’environnement ?

En Chine, il y a une dynamique incontournable aujourd’hui : la métropolisation qui s’accompagne d’une forte hiérarchisation des villes dans l’espace régional, amenant une redéfinition des rapports entre villes et campagnes. Ces rapports sont un thème de recherche récurrent en France, qu’il s’agisse de la grille de lecture par la périurbanisation ou de la « géographie des relations » décrite dans les Suds. La question des échelles en Chine est primordiale pour comprendre les nouveaux agencements ville-campagne, en particulier ceux des régions métropolitaines en formation, et interpréter les interactions des aires urbanisées avec leurs périphéries agricoles et rurales. On est amené à s’interroger sur la façon dont fonctionnent ces espaces au plan des activités et des ressources qu’elles mobilisent, comment le développement urbain rejaillit localement, et quelles spécificités supportent les activités agricoles, à l’intersection de l’alimentation et de l’environnement.
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Rhône Alpes, région atomique : Transition énergétique, sortie du nucléaire, où en est-on en Rhône Alpes ?

Café Géographique animé par Romain Garcier (professeur à L’ENS de Lyon). Compte rendu de Juliette Dop.

A l’occasion de l’ouverture prochaine de la COP 21, ce nouveau café géographique apporte une contribution aux réflexions sur les questions environnementales.

Mais aussi à l’occasion de la venue de Jean Marc Rochette et Olivier Bocquet pour la dédicace du dernier opus du Transperceneige.

Il faut rappeler que la région Rhône Alpes représente 40 % de la production française hydro-électrique ET est la première puissance nucléaire régionale en France (20% du parc, 14 des 58 réacteurs français).

Les champs abordés ici, du climat et de l’énergie, sont centraux dans la démarche géographique, avec une approche à la fois globale (avec la COP 21) et locale (la Région).

«L’année 2011 pour le nucléaire représente un changement brutal. Avant cette date, le discours global autour du nucléaire était celui d’une renaissance du nucléaire, mais la catastrophe de Fukushima a transformé cette dynamique de renaissance.

Aujourd’hui, le nucléaire connait toujours une trajectoire ascendante, mais dans les pays asiatiques essentiellement (En Chine, il n’y a pas moins de 31 réacteurs actifs et 21 en construction : ils sont en capacité d’ouvrir un nouveau réacteur tous les 6 a 10 mois. En Inde, il y a 6 réacteurs en construction et en Russie 9)

La France reste un pays original en ce qui concerne le nucléaire. C’est, par habitant, le pays le plus nucléarisé du monde, mais le pouvoir politique reste très partagé sur la place à accorder au nucléaire dans le bouquet énergétique futur et demeure gêné par rapport à la gestion des déchets notamment. Mais il n’en reste pas moins qu’il se joue indéniablement quelque chose dans ce domaine aujourd’hui.

Rhône-Alpes est aujourd’hui la région la plus nucléarisée, non seulement de France, mais également du monde. Dans la Vallée du Rhône, sont implantées de nombreuses installations : les 4 réacteurs du Bugey (40% de la production), l‘ancienne centrale de Superphénix, les centrales de St Alban, de Cruas, du Tricastin, de Marcoule… Au total, le bassin versant du Rhône constitue l’ensemble le plus dense en installations nucléaires sur la planète.

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Vie et mort du couple Nord/Sud

Compte rendu du café géo du 17/09/2015 à Annecy
“Vie et mort du couple Nord/Sud”
Christian Grataloup

En matière d’inégalités dans le monde, les préoccupations d’aujourd’hui (cf l’ouvrage de Piketty et son succès) concernent la croissance des inégalités internes au sein des sociétés plus qu’entre pays. Cela est vrai en Europe et aux États-Unis, dans les pays émergents, les « BRIC » notamment. Alors que l’on constate par ailleurs une diminution des inégalités à l’échelle mondiale.

Or ce sont ces inégalités à l’échelle mondiale, qui sont à l’origine de la distinction « Nord Sud ». Cette distinction aussi floue que consensuelle, commode par son incertitude,  est-elle mourante, alors qu’elle procède d’une histoire déjà longue, et qu’elle survit ponctuellement ?

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« Géographes et Bédéphiles, Géophiles et Bédégraphes. La géographie et le neuvième art. »

Café Géographique d’Annecy du 11 juin 2015, avec Bénédicte Tratnjek (Université de Savoie) et Thierry Saint Solieux (BD Fugue Café Annecy).

Compte-rendu publié sans l’amendement des intervenants.

 

Ce café autour de la géographie et de la Bande Dessinée a donné lieu à un dialogue éclairé entre les deux intervenants : Bénédicte Tratnjek, chargée de cours à l’Université de Savoie, membre du bureau des Cafés géographiques et Thierry  Saint Solieux, libraire à BD Fugue Café Annecy. Une petite introduction d’abord sur l’intérêt que peut représenter la BD pour les géographes, alors même que la BD est encore considérée comme étant « un thème de recherche-plaisir ». Ensuite le Café, et donc son compte –rendu, sont appuyés sur des exemples d’auteurs, d’ouvrages, autour de thèmes significatifs :

  • Une gestion de l’espace, celui de la case, donc de la page.

Ex de Tintin : Pendant que notre œil descend au file de la page, on a l’impression / la sensation que le personnage monte les escaliers. Ceci constitue un aspect très technique dont Hergé est le précurseur.

  • Les géographes regardent le type d’espace représenté. Dans Lucky Luke par exemple, c’est l’espace mythifié de la conquête de l’Ouest avec des symboles qui font sens à la lecture tels que le saloon, l’enclos…
  • La BD est un art séquentiel : il y a des trous, des blancs et c’est au lecteur de faire son propre chemin suivant son imagination. Le lecteur participe par son imaginaire, et c’est cet imaginaire qui intéresse les géographes : selon l’âge, les lecteurs ne mettent pas les mêmes éléments au sein de ces blancs ni ne perçoivent l’espace représenté de la même manière.
  • La BD est un outil pédagogique incroyable pour comprendre un espace, car dans cet art, c’est l’espace qui fait le réel. C’est un outil pour comprendre les espaces, notamment dans le cas de la BD de reportage qui met en place des espaces plus ou moins réalistes, de même que certaines BD totalement fictives peuvent permettre de mieux comprendre certaines des réalités spatiales.

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Du base-jump à la randonue, des transgressions récréatives en montagne.

Philippe Bourdeau – 6/05/2015. 5e café géo Annecy-Chambéry, 3e à Chambéry.

Philippe Bourdeau est professeur de géographie à l’Institut de Géographie Alpine de Grenoble. Il travaille sur les activités récréatives en contexte de montagne, notamment le métier de guide. Plus largement, il s’intéresse au hors-quotidien, au rapport des individus et des sociétés à l’ailleurs … et dans ce cadre, aux « dissidences récréatives ». Par cette expression, il entend tout une myriade de pratiques à la marge, non conformes aux « standards » – si tant est qu’il y en ait – des pratiques récréatives, au-delà des deux exemples évoqués dans l’intitulé de ce café géo.

Quelques publications :

Bourdeau Ph. (dir.), 2006, La montagne comme terrain de jeu et d’enjeux. Débats pour l’avenir de l’alpinisme et des sports de nature, L’Argentière la Bessée, Éditions du Fournel, 206 p.

Bourdeau Ph., Christin R., 2011, Le tourisme, émancipation ou contrôle social ?, Éditions du Croquant, 288 p.

« Parler de dissidences récréatives en salle avec ce temps [grand beau et chaud à Chambéry, ndlr], c’est une gageure ! J’arrive avec deux images en tête, des vidéos visionnées sur Internet :

– celle d’une place urbaine, dans une grande ville touristique, avec une fontaine et un jet d’eau : un homme arrive avec une combinaison néoprène et s’y jette, il surfe sur le puissant jet de la fontaine pendant plusieurs minutes. Puis voyant la police arriver, sort de la fontaine et part.

– sur une route de montagne, un homme avec casque intégral se met des roulettes sur les bras et les jambes, se jette dans le flux de voitures allongé sur une planche à roulettes, passe les tunnels, double les voitures… »

Ces références enclenchent un tantinet de jubilation, pas tant pour l’extrême (dans le cas de la fontaine, ça ne l’est pas), même si les prises de risques sont parfois importantes, mais plutôt pour l’extra-ordinaire et le transgressif, parce que ces pratiques apportent une transfiguration de l’ordinaire. L’ « exceptionnel normal » pour reprendre l’expression utilisée par l’historien Edoardo Grendi, l’un des initiateurs du courant de la Microstoria.

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La réforme territoriale, y-a-t-il un territoire idéal ?

Café GEO d’Annecy du 2 avril 2015 avec Frédéric Giraut (Professeur à l’Université de Genève)

Régionalisation et emboîtement des échelles : approche politico-administrative

Le re-découpage régional français -maintenant approuvé- est à mettre en relation, comme partout, avec les phénomènes d’identité (ou de rejet) et de jeu de pouvoirs entre échelons. Quelles sont alors les particularités du système français. Les régions administratives sont des collectivités territoriales avec leurs budgets, leurs compétences et leur conseil ; elles s’inscrivent au sein d’un véritable édifice territorial dans un système historiquement centralisé et se construisent comme une reproduction du système présidentiel,

Petit jeu des spécificités territoriales françaises : que répondent les personnes présentes lorsqu’on leur demande les caractéristiques originales du système français ?

  • Mailles de base très fines et esprit de clocher avec 36.000 communes héritées d’une longue tradition d’encadrement paroissial
  • Il existait un rapport étroit entre une base départementale et un centralisme national, jusqu’à ce qu’on assiste au processus de décentralisation, lequel reconnaît une clause de compétence générale, dans le transfert de compétence qui se traduit par une autonomie généralisée des niveaux les uns par rapport aux autres.
  • L’expression de « mille-feuilles » est employée sur le nombre de niveaux emboîtés

FG : Tout d’abord, il faut souligner que ce n’est pas une spécificité française, loin de là, nos voisins italiens, allemands et espagnols possèdent le même nombre de niveaux administratifs. Cependant, il est vrai que les intercommunalités, par exemple, constituent une structure administrative supplémentaire, alors qu’elles sont issues d’une volonté de regroupement -et donc de simplification. C’est finalement plus une question de compétence, de hiérarchie et de subsidiarité que de nombre de niveaux.

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Transports maritimes et mondialisation

Compte-rendu du café géographique de Chambéry-Annecy – 25 février 2015 au Café du Beaujolais, avec Antoine Frémont, agrégé de géographie et directeur de recherche à l’IFSTTAR.

Café géo Antoine Frémont

Les Cafés géographiques de Chambéry Annecy accueillent Antoine Frémont, en lien avec la question « Mers et Océans », inscrite aux concours externes de recrutement des professeurs du secondaire (CAPES et Agrégation). Antoine Frémont et Anne Frémont-Vanacore sont tous les deux auteurs de la Documentation photographique « Géographie des espaces maritimes », à paraître en mars 2015.

Comment aborder le thème des transports maritimes et de la mondialisation ? Antoine Frémont souhaite partir d’une anecdote vécue quelques années auparavant à la frontière entre la zone économique spéciale de Shenzhen et Hong-Kong. Le chercheur attendait avec des collègues nord-américains à la frontière pour obtenir un passeport à la journée pour accéder aux terminaux à conteneurs, en pleine émergence au sein de cette zone économique spéciale (ZES), et discutait avec un concepteur de jouets originaire de Chicago qui les faisait fabriquer dans la ZES de Shenzhen. Ce nord-américain venait observer comment ses jouets, conçus à des milliers de kilomètres de la ZES de Shenzhen, étaient expédiés vers les Etats-Unis, ou encore vers l’Europe, par le Transpacifique vers les côtes Ouest des Etats-Unis ou par les routes du Sud-Est asiatique, via le détroit de Malacca par exemple.

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Entre local et global, les banlieues américaines et la financiarisation

Le 5 février 2015, les Cafés géographiques de Chambéry-Annecy accueillent Renaud Le Goix, professeur de géographie à l’Université Paris VII Diderot. Au milieu des super-héros et dans l’ambiance chaleureuse du Café Librairie BD Fugue d’Annecy, ce géographe spécialiste des États-Unis va expliquer comment son terrain d’étude a été saisi par la finance. Dans le cadre d’un programme de recherche qui commence en 2007 (http://www.parisgeo.cnrs.fr/spip.php?article39&lang=fr), il a rapidement constaté les transformations brutales dues à la crise financière sur les 2000 lotissements de son corpus d’étude. De manière extrêmement limpide, Renaud Le Goix va expliquer les interactions entre les acteurs privés et les acteurs publics, les jeux d’échelles et l’ensemble du processus de crise qui ont eu des répercussions majeures sur les banlieues des villes américaines.

« Entre local et global, les banlieues américaines et la financiarisation » Renaud Le Goix, Café Libraire BD Fugue, Annecy, le 5 février 2015

« Entre local et global, les banlieues américaines et la financiarisation »
Renaud Le Goix, Café Libraire BD Fugue, Annecy, le 5 février 2015

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Vins, fromages et pain, un mariage à trois hautement géographique en France

Gilles Fumey
Compte rendu du café géographique de Chambéry-Annecy – 21 janvier 2015 au Café du Beaujolais

Les Cafés géographiques de Chambéry-Annecy ont été inaugurés le 21 janvier avec un sujet fédérateur : « Pain, vins, fromages : pourquoi la France aime ce mariage à trois ? ». La gastronomie française est donc à l’honneur. Gilles Fumey, professeur de géographie à l’Université Paris-Sorbonne et spécialiste de l’alimentation, présente le thème de cette première soirée. Il est le fondateur des Cafés géographiques à Paris et de leur réseau internet et il lance la formule à Chambéry devant un public nombreux et passionné, dans un lieu prédestiné : le Café du Beaujolais.

g-fumey-21-01-2015

Pain, vins, fromages : pourquoi la France aime ce mariage à trois ? G. Fumey Café le Beaujolais, le 21 janvier 2015

 

Géographie et alimentation se retrouvent autour d’une question simple : comment et pourquoi manger, c’est faire de la géographie ? En effet, les produits de nos assiettes sont marqués par la géographie dès les toponymes qu’ils empruntent aux territoires, et en particulier nos fromages : l’Abondance, c’est le Val d’Abondance, le Comté, c’est la région de Franche-Comté, le Roquefort c’est le village de Roquefort. Avec le vin et le pain, on aurait tendance à confiner le fromage, bien plan-plan, dans la géographie de l’alimentation. Mais ces trois produits sont bien plus que des aliments et ils sont directement géopolitiques : le pain, d’abord, pour parer aux crises alimentaires dans le passé de la France, le vin pour l’économie locale, la santé bien sûr (l’Arboisien Pasteur a vanté le vin comme « la plus saine des boissons ») et, enfin, le fromage à la base des économies agricoles de montagnes moyennes. Ils sont également producteurs de représentations et créateurs d’identités des territoires. Les fromages d’été sentent bon les prairies et les alpages fleuris alors que ceux d’hiver évoquent le foin sec et les étables, la légère acidité des caillés ; les bouteilles seraient, pour J.-R. Pitte qui a écrit sur elles, à l’image des habitants, si celle de Bordeaux semble « droite comme un protestant sortant de l’office, celle de Bourgogne a les épaules basses, une forme plus paysanne ». L’alimentation est ainsi un outil pour se désigner, pour se distinguer à la fois dans l’espace et par rapport aux autres. C’est ce souci de distinction qui se retrouve dans les différentes labellisations et appellations (Appellation d’Origine Contrôlée, Indication Géographique Protégée).

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